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03 juin 2019, 18:42
 privé.  1er septembre et Pluton.

D'un claquement de porte, sa mère n'était déjà plus là. Et si Joan n'en était pas surprise, une pointe dérangeante d'amertume venait chatouiller sa gorge. Elle pensait que cette fois-ci, ce pourrait être différent. Que malgré la difficulté de ces derniers jours, malgré leur mésentente croissante et malgré la façon de se comporter de sa mère qui tendait à les diviser, Joan pensait qu'elle aurait droit à une dernière marque d'affection de sa mère avant qu'elle ne parte pour de longs mois loin de chez elle. Bien sûr que sa mère, Elia, ne pensait pas à mal. Bien sûr qu'elle l'aimait. Bien sûr qu'elle lui manquerait. Mais cette animosité entre elles, puis surtout l'amère nouvelle de l'existence d'un monde magique dont faisait partie sa fille mais non pas elle, achevait de jeter un voile de froid sur elles deux. Alors Joan, ne souhaitant pas répondre à la façon d'agir de sa mère qui n'en était que puérile, s'était enfermée dans sa chambre dès qu'elle avait eu ses nouveaux livres et s'était attelée à leur lecture minutieuse, avec un soin tout particulier pour le manuel d'astronomie dont la reliure la faisait frémir. En effet, la mère et la fille s'étaient rendues sur le Chemin de Traverse alors que le choc de la nouvelle n'était pas encore passée, Joan toute frétillante de la découverte de ce nouveau monde, et sa mère, si plus réservée, tout aussi émerveillée par la vision qui s'était alors offerte à elles.
Et si Joan avait lu à plusieurs reprises ses manuels dans l'espoir de ne pas croiser sa mère avant la rentrée qui se déroulait le 1er septembre, il ne fallait pas le dire à voix haute.

Et c'est ainsi qu'après une grande inspiration la jeune blondinette aux jambes tremblotantes s'élança sur le sol pavé de la gare, traînant sa lourde malle derrière elle qui bringuebalait au rythme des hululements de son hibou petit duc, une petite boule de plumes qui ne cessait de s'élancer contre les barreaux de sa cage dans l'espoir vain de s'en échapper. Pluton, voilà le nom de son tout petit hibou, un hibou encore jeune qui avait attendri l'oeil attentif de Joan qui s'était attardée près du Royaume des Hibous au Chemin de Traverse malgré les protestations de sa mère qui s'était élancée vers les chaudrons bouillonnants et les sorcières qui piaillaient. C'était un hibou d'une jolie couleur dorée qui tenait au creux de son cou, et Joan l'affectionnait déjà tout particulièrement, de ses yeux légèrement divergents à son adorable piaillement un peu étranglé. Elle s'assura alors qu'il allait bien et qu'il ne manquerait pas de tomber du chariot qu'elle poussait tant bien que mal, sa tête blonde émergeant à peine au-dessus de celui-ci. Elle entendait son coeur tambouriner contre ses tempes alors qu'une même phrase se répétait en boucle dans son esprit, une phrase lue dans un livre qu'elle avait feuilleté au Chemin de Traverse « et lorsque l'enfant au croisement des quais 9 et 10 empruntera le mur dallé, un nouveau monde s'ouvrira devant ses yeux ». Emprunter un mur dallé. Elle ne savait pas encore ce qu'il faudrait y faire, mais elle n'eut que peu de temps pour s'en préoccuper car lorsqu'elle hissa son visage à une hauteur correcte pour lui permettre une bonne vision, elle put voir deux personnes disparaître dans un mur, rapidement suivies par une troisième. D'accord. Emprunter le mur dallé semblait référer à cette expérience déjà effrayante qui était celle de se jeter contre un mur qui semblait parfaitement bien construit. Jetant un coup d'oeil à gauche puis à droite, elle s'aventura vers le mur et y apposa la main. Enfin, elle n'eut même pas le temps de le faire car celui-ci s'y déroba, semblant engloutir sa main. Elle murmura un « Oh... », et un sourire lumineux étira enfin son visage qui était resté jusque là assez morne, éclairant ses doux yeux et la faisant sautiller sur place. Elle adorait déjà la magie. D'une poussée courageuse qu'elle ne pensait pas détenir elle franchit alors le mur qui ne se trouvait qu'à quelques centimètres d'elle, le chariot en avant et les yeux fortement fermés par la peur, la peur de se prendre misérablement le mur.

C'est alors avec stupeur qu'elle découvrit, comme l'avait promis ce livre, un nouveau monde. Un monde de couleurs, de bruits, de lumières, d'agitation et de joie. Un monde qui semblait l'engloutir toute entière, la faire voler, la transporter et faire grandir la flamme dans sa poitrine. C'était ici. C'était ici qu'elle voulait être pour le restant de sa vie, entourée par ce joli monde qui se pressait autour d'elle et qui rigolait joyeusement. Elle avait trouvé sa place, elle était chez elle, enfin chez elle.