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08 juil. 2019, 21:45
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SOLO


1. Voie neuf, trois quarts.


20 juin 2044.


Regard à gauche. Regard à droite. Regard par-dessus mon épaule. Tout était bon. Je traînai ma lourde valise derrière moi, jaloux de ceux qui, parmi les plus grands, pouvaient ensorceler leurs valises pour qu'elles paraissent moins lourdes. Même si la mienne avait deux petites roulettes, l'une d'elles avait une fâcheuse tendance à faire des tours sur elle-même de façon totalement imprévisible, et alors, ma valise me cognait le mollet droit. Elle m'énervait, cette valise, mais je pris sur moi.

Sur le trajet jusqu'au quai de la gare de Pré-au-Lard, je n'adressai la parole à personne. Je détestai tout et tout le monde et puisque j'avais décidé que dès la rentrée prochaine, je n'aurai plus d'amis, je me préparai à être seul. Il faudra que je prévienne Norma qu'on ne se causera plus, pensai-je. Elle était mon seul regret. Tout le reste n'avait pas d'importance. Pas même Aude Luneau : elle n'avait plus d'importance depuis que j'avais décidé que quiconque n'était pas moi n'était pas dans mon camp. Désormais, Poudlard serait simplement mon lieu d'études. J'irai en cours, je ferai mes devoirs et j'apprendrai à être fort, mais c'était tout. Je n'utiliserai plus Maman pour atteindre mon objectif, et pareil pour Luneau. Je m'en sortirai seul, et tant pis. La fille de Poufsouffle m'avait fait comprendre que je ne voulais plus les voir, que je ne voulais plus rien tenter de ce côté, même si c'était par pur intérêt et non par amour. C'était trop d'énergie et trop de peine. M'occuper de moi et moi seul et ne rien attendre des autres, c'était bien.

Maman avait insisté pour que je reste à Poudlard cet été. Elle disait que c'était dangereux, maintenant, d'être ailleurs, même avec Papa et Maxine. Papa m'avait envoyé une lettre pour m'expliquer brièvement qu'il n'avait plus de travail, puisqu'il n'y avait plus de Ministère. Il ne m'en avait pas tellement dit plus. Je savais que Maman lui avait envoyé un courrier pour lui expliquer que je resterai à Poudlard, et il n'avait pas répondu, ce qui valait apparemment pour accord. Et puis, quelques jours avant la fin de l'école et le départ de Poudlard Express, je lui avais envoyé un hibou moi-même pour lui dire que de toute façon, je prendrai le train quoi qu'il arrive, que Maman ne pouvait pas m'en empêcher, et que si je n'y arrivais pas je serais obligé de fuguer. Je n'avais pas reçu de réponse, mais j'imaginai que Papa m'attendrait quand même là-bas, à Londres. Ce n'était pas comme s'il avait vraiment le choix.

Je pensai alors qu'en un an, tout avait changé. La fin de ma deuxième année à Poudlard n'avait rien à voir avec la fin de la première, et mes vacances n'auraient rien à voir non plus. L'été dernier, je faisais la connaissance de Qiong et Mei lors de mes premières semaines de vacances passées ici, et je m'amusais bien avec elles. Tout était trop compliqué, dans ma vie, ça partait chaque fois dans tous les sens sans prévenir. J'en étais à la fois triste et fier. Triste, parce que j'aurais voulu que mes parents m'aiment, et c'était tout. Fier, parce que je me figurai que ma vie bizarre me rendait complexe, secret, mystérieux.

Il ne se passa rien de particulier dans le train. Je me demandais simplement si quelqu'un m'attendrait à Londres, et si Maman avait remarqué que j'avais quitté Poudlard contre son avis. Parfois, je l'imaginais en train de s'affoler en me cherchant partout, et ça me faisait drôlement plaisir de l'imaginer en train de paniquer - et puis je me souvenais aussitôt qu'elle ne le remarquerait sans doute pas. Peut-être même qu'au final, elle s'en ficherait.

Je descendis du Poudlard Express, ma valise me heurta les mollets en roulant sur les marches, et je cherchai du regard mon père et Maxine. Je reconnus le haut de sa tête et ses cheveux roux. Il y avait beaucoup moins de gens qui attendaient que je ne me l'imaginais. On disait que les parents Moldus n'avaient pas le droit de venir ici pour chercher leurs enfants, puisqu'il n'avaient plus le droit d'aller dans aucun lieu magique, de toute façon. Franchement, je n'avais pas vraiment d'avis là-dessus, et j'étais surtout content de voir que mon hibou était bien parvenu à Papa, et qu'il était là pour me récupérer. Ma vie aurait été encore plus palpitante si j'avais dû errer dans les rues, tout seul avec ma valise, mais je n'en avais quand même pas très envie. L'idée de dormir dans un lit cette nuit me plaisait assez.

Je m'avançai vers Papa et Maxine. Papa tenait Maxine par la main et, dès qu'il me vit, il la lâcha. Il gagna dix centimètres d'un coup tant me voir le gonfla de fierté. Je ne pensais pas que je lui avais autant manqué, mais j'en étais satisfait. J'avais encore peur de me faire gronder parce que j'avais désobéi à Maman, mais vu le sourire sur le visage de mon père, il me semblait que ce n'était pas pour tout de suite. Ses yeux pétillaient. J'avais l'impression d'être une merveille du monde. Je m'approchai encore, jusqu'à me trouver juste à côté de lui, et il me fixa durant quelques secondes qui me parurent très longues et surtout très gênantes. Soudain, il me prit dans ses bras et me serra très fort. Trop fort.

« Tu me fais mal, fis-je, un peu bougon, mais surtout assez flatté. »

Papa ne me lâchait pas, et je dus le pousser un peu fort pour qu'il me fiche enfin la paix. J'étais soulagé qu'il ne me gronde pas, d'accord, mais quand même ! Et puis, je regardai Maxine. Elle, elle avait plutôt un air inquiet et regardait à droite et à gauche.

« Qu'est-ce qui t'arrive ? demandai-je. »

Elle m'interrogea du regard comme si elle n'avait pas entendu ce que je venais de dire.

« Oh rien, rien, Owen. Ne t'en fais pas. C'est la fatigue. Allez, on y va ? Tu as dit au revoir à tes copains ? »

Je plissai les yeux et la regardai d'un air mauvais.

« J'ai pas de copains. J'en ai plus.
- Ah bien, bien, parfait, allez, on y va. »

Et elle me tapa dans le dos pour me faire bouger de là. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond avec elle. En m'approchant de la sortie, je me demandais si ce n'était pas à cause des contrôles. Il y avait des gens qui se débattaient pour accéder au quai, mais des personnes en noir les retenaient et leur jetaient des sorts. Alors, ceux qui se débattaient quelques secondes plus tôt devenaient tout bizarres et s'en allaient, tout simplement.

Papa ne semblait pas être dérangé par les contrôles. Ou alors, il jouait bien la comédie, peut-être pour ne pas avoir de problèmes avec ceux que l'on appelait apparemment les Manteaux Noirs. En fait, je crois qu'il était bien plus intéressé par moi que par les gens qui se faisaient contrôler. Il n'arrêtait pas de me regarder sous toutes les coutures et il avait un drôle de sourire.

« Qu'est-ce qu'il y a ? finis-je par lui demander, un peu agacé. »

Il prit une grande inspiration et fit :

« Tu... Tu as beaucoup grandi, depuis la dernière fois. »

Au comble de la fierté, je relevai le menton bien haut et souris. J'étais très complexé par ma petite taille, et ce compliment me fit plaisir, même s'il venait de mon père. Je n'avais pas vraiment de bonnes relations avec lui, mais il était toujours mieux que ma mère, qui était définitivement le pire rejet de l'humanité. Mon père n'avait rien d'intéressant, c'était un menteur, et je ne l'aimais pas, mais puisque c'était lui qui m'assurait d'avoir un toit au-dessus de ma tête et de quoi manger, et qu'en plus de ça, il ne m'avait pas grondé et même complimenté à la place, je ne le détestais pas en ce moment-même. Toutefois, je ne pus m'empêcher de demander :

« Maman sait que t'es venu me chercher ? Enfin, que je suis parti par le train et que tu m'as récupéré ? »

Mon père sourit et pencha un peu la tête en avant. Il me fit un clin d’œil.

« Je lui ai dit que s'il t'arrivait quelque chose, j'enverrais un dragon brûler le pays entier. »

J'inclinai la tête, un peu surpris par cette réponse. C'était badass. J'avais presque envie qu'il m'arrive quelque chose pour voir ça, même si je savais qu'il ne ferait jamais une chose pareille.

« T'es bête, dis-je en secouant la tête. »

Je préférais mon père quand il n'était pas un employé de bureau, décidément.

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09 juil. 2019, 20:30
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2. Quatorze jours


3 juillet 2044.


Deux semaines. J'avais rejoint Papa et Maxine il y a deux semaines. Max allait globalement mieux que lorsqu'elle était venue à King's Cross, mais elle sortait assez peu de la maison. Elle disait qu'elle se sentait seule, mais que les gens lui faisaient peur, et que l'extérieur lui semblait hostile. Je ne savait pas si c'était l'ambiance à King's Cross qui l'avait mise dans cet état-là, ou s'il y avait autre chose. Quelque chose qui ne m'était pas accessible, qui se passait seulement dans sa tête. Pourtant, je n'avais jamais vu Papa si amoureux d'elle. Il la prenait toujours par la taille pour lui faire des bisous dans le cou, même quand j'étais dans le coin. Pour être honnête, ça me répugnait. Je n'avais aucune envie de voir mon père et Max faire des démonstrations d'amour dans tous les sens. Maxine souriait quand il faisait ça, elle avait l'air d'aller mieux pendant quelques secondes, et puis dès que le câlin était terminé, elle redevenait triste.

J'ai demandé des nouvelles de Papy, qui était à l'hôpital depuis des mois. Papa et Max ont hésité à m'en donner, ils se sont regardés comme les adultes se regardent quand ils font des secrets. Finalement, Max m'a dit que c'était compliqué à Sainte-Mangouste en ce moment, et elle est partie s'isoler dans la cuisine. Papa l'a regardée, je me suis demandé s'il allait la consoler, mais il m'a proposé d'aller discuter sur le pas de la porte. Pour profiter du soleil tous les deux, disait-il.

Nous nous sommes assis sur le perron. Papa fixait ses mains et se les triturait. Elles tremblaient. Je n'aimais pas ça, c'était signe qu'il avait quelque faiblesse en lui, et je recommençai juste à penser que mon père n'était pas si minable que je l'avais pensé depuis l'an passé.

« Tu penses à ton travail ? ai-je demandé. »

Je savais qu'une certaine partie des problèmes d'adultes étaient liée à leur travail. En l'occurrence, mon père n'en avait plus, et même si je n'aimais pas son travail de bureau au Ministère, je comprenais que l'avoir perdu puisse le perturber. Je voulais être sympa, pour une fois.

Il releva les yeux vers moi et attrapa l'une de ses mains avec l'autre pour contenir les tremblements.

« Non. »

Il ne savait pas quoi dire de plus, alors il a baissé les yeux à nouveau. Mes mâchoires se serrèrent. Le voir assis sur le perron, les yeux baissés, me faisait enrager. Deux semaines. Il avait essayé d'être cool pendant deux semaines. Il se releva et me tendit la main pour que je l'attrape, ce que je refusai, naturellement. Il était hors de question que je tienne la main de mes parents, surtout quand ils se montraient aussi perturbés.

« C'est à cause de Max ? »

Il expira un petit rire, comme si cette supposition lui semblait tout à fait ridicule.

« Non. »

Ses réponses, si courtes, continuaient de m'agacer. Il voulait que l'on discute, mais il ne savait que me dire non. Pourtant, je faisais des efforts. Eh bien, tant pis.

« Bon, tu me saoules, fis-je en me relevant. »

J'avais à peine entrouvert la porte de la maison quand la main de mon père attrapa la poignée et referma brusquement la porte. Interdit, je relevai mes yeux vers lui. Qu'est-ce qui lui prenait, à la fin ?

« C'est comme ça que tu parles à ton père ? »

Alors là, j'étais sous le choc. Mon père ne m'avait jamais dit un truc pareil. Quand j'étais en colère, d'habitude, il devenait triste et laissait faire jusqu'à ce que je me calme. Parfois, il haussait un peu le ton, surtout quand il était énervé de ne pas me comprendre, mais là, c'était si peu... Alors pourquoi cette réaction ? J'ai baissé la tête, mais levé les yeux. Je sentais que je devenais rouge de colère.

« Tu voulais qu'on discute et tu me dis rien ! C'est pas parce que ta Maxine chérie va mal que t'as le droit d'être bizarre comme ça ! explosai-je. »

Il m'attrapa le bras et me traîna plus loin dans la rue. Il ne me dit rien pendant plusieurs minutes, tandis que je me débattais, en larmes, pour échapper à son emprise. Il marchait vite et me tirait comme j'avais tiré ma valise sur le quai du Poudlard Express. Je lui hurlai d'arrêter, de me lâcher, mais il s'en fichait. Je commençai à hoqueter. Une vieille dame nous regarda, mon père et moi, à moitié en train de nous battre dans la rue. Elle était choquée, j'en étais sûr. Je décidai de l'appeler à l'aide.

« Au secours ! Au secours ! »

Mon père s'arrêta et me regarda droit dans les yeux.

« Arrête ton cinéma ! fit-il. »

Je me calmai et essayai de retirer sa main de mon bras, le visage trempé de larmes. C'était peine perdue. La dame continua finalement son chemin et ne me sauva pas.

« Qu'est-ce qui t'arrive ?! On va où, là, qu'est-ce qui te prend ?! »

Il ferma les yeux et se calma, lui aussi, en prenant une grande bouffée d'air. Il regarda autour de lui, puis me regarda moi. Les yeux dans les yeux.

« Ce jeu féroce et ridicule, quand doit-il finir ? »

J'eus le temps de voir son sourire, mais pas de comprendre ses mots. Ce n'était pas de l'anglais. L'instant d'après, je n'étais plus là, et une douleur horrible me tordait le ventre.

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09 juil. 2019, 23:24
Aller sans retour
3. Deux cigarettes


3 juillet 2044, plus tard.


Je crois que je me suis évanoui. En tout cas, quand je me suis réveillé, je n'étais pas là où j'aurais dû être : dans ma chambre. C'est l'odeur de la cigarette qui m'a réveillé, ou bien peut-être pas, mais c'est ce que j'ai senti en premier. Personne ne fumait dans mon entourage, mais je savais que c'était cette odeur. J'ai ouvert les yeux et j'ai vu le monde de travers. J'étais allongé par terre.

« On a fait un gros dodo, mon petit choupinet. »

De la fumée envahit mon champ de vision. Quand elle se dissipa, je vis un sourire. Le même que j'avais vu plus tôt, mais sur le visage de quelqu'un d'autre. Quelqu'un que je ne connaissais pas. C'était un homme qui avait des cicatrices partout sur le visage, autour des yeux et de la bouche, des cheveux noirs, et des yeux dorés. Il avait de gros cernes rouges sous ses yeux griffés. Il était accroupi face à moi et il me faisait peur ; je me mis à gigoter dans tous les sens. C'est là que je compris que j'étais enroulé dans des cordes.

« Chut, du calme..., fit l'homme en me caressant les cheveux du bout des doigts. »

Il prit une nouvelle bouffée de fumée dans ses poumons et releva la tête pour la cracher au dessus de moi. Il avait un sale sourire et j'avais l'impression de vivre un cauchemar. D'ailleurs, je me suis demandé pendant une demi-seconde si ce que je vivais était bien réel. Après tout, je voulais d'une vie comme dans un livre épique : peut-être que mon cerveau créait une histoire de dingue pendant mon sommeil. Oui, je voulais me convaincre que c'était un cauchemar mais... Mais dans la vraie vie, croyez-moi, on sait très bien ce qui est un cauchemar et ce qui n'en est pas un. Là, tout était vrai.

Je voulais dire quelque chose. Il fallait que je dise quelque chose. J'allais le faire, maintenant...

« Qu'est-j-qui-où-je-bl... »

Je n'arrivai à rien. Ma bouche était pâteuse et ma langue semblait engourdie. Mes pensées étaient trop en vrac et ma bouche ne suivait pas ce que mon cerveau essayait de formuler. Puisque je n'arrivais à rien dire, j'ai crié. Tout simplement. Un grand et puissant "aaaah" comme je n'en avais jamais produit auparavant. Et puis je me suis arrêté : l'homme avait sorti sa baguette et plus aucun son ne voulait sortir de ma bouche.

J'ai eu peur de me pisser dessus. Jamais, de toute ma vie, je n'avais été si terrorisé. Pour être sûr de ne pas me faire dessus, j'ai commencé à pleurer, et je ne pouvais pas m'arrêter. Mes pleurs étaient silencieux, et leur silence me tuait. Je voulais faire du bruit. Beaucoup de bruit.

« Oh je t'en prie, arrête de chialer. »

Il s'était relevé et avait écrasé sa cigarette à quelques centimètres de mon visage. Je fixai le mégot pour me concentrer sur quelque chose de futile et essayer de me calmer. Le cylindre orangé devait absolument devenir mon point de repère, ma cible pour me tenir accroché au monde, et ma source de courage. Je respirai fort et trop vite. Je crois qu'on appelle ça une crise d'angoisse. J'ai pensé que j'allais mourir, là, tout de suite, étranglé par mon propre souffle, à cinq centimètres d'un mégot puant.

« Mon garçon, ce n'est pas l'heure de mourir. D'ailleurs, si ça peut te rassurer, je ne vais pas te faire le moindre mal. Je peux même te défaire de ces liens si ça te chante, mais il faut que tu me promettes de te tenir tranquille. »

Je hochai rapidement la tête. L'homme hésita et finalement, il me défit de mes liens d'un coup de baguette magique. Aussitôt, je tentai de me relever, mais je manquai de m'effondrer à nouveau, et, dès que je sentis que j'étais à peu près stable sur mes pieds, je courus vers la sortie la plus proche... C'est-à-dire que je courus dans une direction au hasard en espérant pouvoir m'échapper. Soudain, je me sentis attrapé par derrière et je tombai en avant. Des liens. Encore.

« Quelle éducation ! On ne t'a pas appris à tenir tes promesses ? »

L'avantage, c'est que ma tentative d'escapade m'avait permis de calmer ma respiration. Désormais, j'étais surtout fatigué.

« Et moi qui voulais simplement avoir une petite discussion avec toi. »

Il avait une voix qui ne me plaisait pas du tout. Une voix méchante, une voix qui disait : je vais te faire du mal. Je pleurai encore, plus doucement qu'auparavant.

« Je vais te rendre la parole, mais si tu cries, je vais être obligé de te couper la langue. Tu imagines que ce sera bien plus compliqué d'avoir une discussion si tu n'as plus de langue, et je serai très déçu. En plus, je suis presque sûr que tu aurais très mal. »

Je ne savais même plus quoi penser. Devais-je pleurer, me préparer à mourir ? Comment se prépare-t-on à mourir ? Ce ne sont pas des choses que l'on apprend à l'école ! Les gens disent que quand on sent que l'on va mourir, on revoit en accéléré le film de notre vie. Moi, je ne voyais rien. Un nouveau sortilège se dirigea vers moi, et je compris que la parole venait de m'être rendue.

« T'es qui ! Tu veux quoi ! Je veux pas mourir ! Où est mon père ! criai-je. »

L'homme inclina la tête et sourit. Il écarta les bras, paumes vers le ciel, puis les ramena vers lui, doigts pointés sur son torse et descendit les bras. Il se présentait, quoi.

« Juste là, mon petit chéri. »

Je ne comprenais pas le rapport entre mes questions et sa réponse. Sa façon de dire mon petit chéri me dégoûtait et me terrifiait. Je ne savais pas que des mots a priori gentils pouvaient être si effrayants.

« Hein ? »

Il se ralluma une cigarette.

« Vois ça comme une bonne nouvelle. Ce rouquin n'était vraiment pas intéressant, même à tuer. Franchement, les gens qui me supplient, ça m'a toujours foutu la nausée. »

Je redis : "hein ?", je ne comprenais rien. Ou je ne voulais pas comprendre. Ce rouquin, il parlait de mon père ? Alors, tout ça s'était passé pendant que je m'étais évanoui ? On m'avait enlevé pendant que Papa et moi nous disputions dans la rue et on l'avait tué, lui ? Tué. Mort. C'était impossible. Je recommençai à respirer trop fort. Comment une chose pareille pouvait m'arriver ? Je n'étais qu'un enfant. Je n'étais que moi. Pourquoi on me faisait ça, à moi ?

« T'es long à la détente, gamin. Va falloir travailler ça. »

Il regarda sa montre.

« Oups. Ma délicieuse compagne va s'inquiéter. Tu m'excuseras, je vais être obligé d'aller régler ça. Ce qu'on ne ferait pas pour son fiston ! »

Je vis un éclair, et ce fut le noir à nouveau.

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12 juil. 2019, 01:08
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4. Deux meurtres


4 juillet 2044, 02h43.


Quand je me suis réveillé, j'étais allongé dans un lit. Alors, j'ai cru que je m'étais trompé et que tout n'était bien qu'un très mauvais rêve. Cette sensation n'a pas duré : je l'ai vu, lui, assis sur un fauteuil non loin. Il lisait un journal, les jambes croisées et un bras pendant sur le bord de l'accoudoir. Pourtant, je n'ai pas eu peur : la première chose qui m'est passée par la tête était :

« J'ai soif. »

J'ai ensuite pu apprécier le bonheur que constituait le fait de ne plus être ligoté. Je me suis assis sur le bord du lit, les mains sur les genoux, la tête basse et un air renfrogné sur le visage. L'homme amorça un mouvement pour se lever, mais j'ai dit :

« Vous m'avez kidnappé parce que vous savez qui est ma mère ? »

Il y eut un silence. Je me mis à penser que finalement, Maman avait eu raison de vouloir cacher que j'étais son fils. Elle devait savoir que si quelqu'un l'apprenait, je me ferais kidnapper. Certaines personnes ne l'aimaient pas beaucoup et ils devaient penser que si on m'enlevait, ça lui ferait du mal. J'en doutais.

« Oui, répondit l'homme avant de partir dans une autre pièce. »

Pétrifié, je ne savais que faire de cette réponse. Je ne sais pas si elle me convenait car elle expliquait certaines choses, ou si, malgré tout, rien de tout cela n'avait de sens. J'étais complètement paumé. J'en profitai pour relever la tête et observer les lieux. La pièce dans laquelle je me trouvais était très grande, mais très vide. Il y avait un lit de camp sur lequel j'étais assis, un canapé un peu pourri, un siège avec de larges accoudoirs, une table et une chaise. Aucune décoration, apparemment, juste le strict nécessaire. Pas de fenêtres, non plus. Il y avait une porte ouverte qui menait à une cuisine minuscule dans laquelle je pouvais simplement apercevoir un petit placard et une autre table, collée au mur. Derrière une autre porte, entrouverte, je devinais une douche et des toilettes. Enfin, une autre porte, plus petite - pas assez pour qu'un adulte y passe - était fermée. J'imaginai que c'était un placard. Enfin, il y avait un cadre de porte qui était bouché par des briques. Je compris qu'il n'y avait pas de sortie. L'homme était parti dans la cuisine. Il m'a ramené une bouteille d'eau en verre et me l'a tendue. Il me faisait un tout petit peu moins peur : au moins, il ne voulait pas me faire mourir de soif.

Je bus de grandes gorgées d'eau et eus tout de suite envie d'aller aux toilettes.

« Je peux aller aux toilettes ? »

L'homme, qui s'était réinstallé dans son fauteuil, me montra la porte qui y menait, comme je l'avais deviné. J'eus une pensée absurde, dans cette salle d'eau : comment la pièce principale pouvait-elle être si grande, et les toilettes malgré tout collés à la douche ? Cet endroit n'était, à mon avis, pas destiné à être habité pour de vrai.

Quand je suis revenu dans la grande pièce, je ne savais pas quoi faire de mon corps. Je me suis simplement rassis sur le lit, les mains sur le genoux, dans ma position initiale. L'idée était de me tenir à carreaux pour ne pas me faire ligoter à nouveau, ou me prendre un sort dans la figure. Ça sentait la cigarette : il venait de s'en allumer une.

« Quand est-ce que je pourrai partir ? »

L'homme se mit à rire. C'était un rire qui voulait dire que je ne pourrai pas partir, je le savais.

« Mais voyons, tu ne vas pas partir. »

Pour une fois, je détestai avoir raison. Je fronçai les sourcils et rentrait ma tête dans mes épaules en serrant dans mes poings le tissu de mon pantalon.

« Si vous faites ça parce que vous aimez pas ma mère, ça sert à rien du tout, je suis sûr qu'elle s'en tape. »

Il tira sur sa cigarette et rit encore.

« Oh, mais j'aime beaucoup ta mère... C'est pour cette raison que je sais qu'elle n'aimerait pas trop l'idée de te savoir ici, avec moi. »

Cette façon de répondre commençait à m'énerver. Je n'y comprenais rien.

« Mais vous êtes qui, bordel ?! Qu'est-ce que vous avez fait ?! »

Il sourit encore, d'une façon moqueuse. Il se leva et s'approcha de moi. Il marchait lentement et sa présence prenait toute la place. Par réflexe je me recroquevillai ; à raison : il me donna une grande claque dans la joue, qui me fit même mal à la mâchoire. Je sentis aussitôt ma joue chauffer et les larmes monter à mes yeux. Je sentais la forme de sa main sur ma joue qui picotait. Et puis, il s'assit à côté de moi, passa son bras par dessus mes épaules, et me colla contre lui.

« J'ai tué ton rouquin de petit Papa chéri, j'ai gardé son cadavre derrière la porte que tu vois, juste-là, et j'ai pris sa place pendant un temps, en attendant patiemment le jour où tu reviendrais à la maison. Tu es revenu, j'ai attendu un peu, toujours très patiemment, et je t'ai amené ici. J'ai fait taire cette douce Max, aussi, et là, tu vois, je m'apprête à écrire à tout le monde que nous sommes partis tous les trois en vacances jusqu'à la fin de l'été. Je ne sais pas s'ils vont y croire - j'en doute sérieusement -, mais après tout, ce n'est pas très important : personne ne te retrouvera dans tous les cas. »

Nouvelle bouffée de fumée. J'étais tétanisé, tremblant comme une feuille et j'eus soudainement très froid. Comment tout ce qu'il disait pouvait-il être vrai, s'il le disait aussi calmement ? Ma tête commença à tourner. Je voulais demander pourquoi il me disait tout ça, pourquoi il mentait, pourquoi il voulait me faire du mal à ce point. Il tapa sa main sur mon épaule, comme si c'était un geste affectueux.

« On va passer nos premières vacances entre père et fils, n'est-ce pas formidable ? »

Ma tête tomba en arrière : je ne contrôlais plus ma colonne vertébrale. L'odeur de la cigarette me donnait la nausée : je retins un haut-le-cœur.

« Pourquoi... Pourquoi vous dites tout ça... Pourquoi vous dites tous ces mensonges ? Je comprends rien ! »

Il me rapprocha encore un peu plus de lui et, avec sa main, colla ma tête contre son torse.

« Pauvre petit, je suis certainement la personne la plus honnête que tu aies jamais rencontré. »

Il y eut un moment de silence. Je pouvais même entendre sa cigarette se consumer : ça faisait un petit bruit de pétillement. Je me sentais vide, comme cette grande pièce.

« Ta mère, tes grands-parents, ton faux père, tout le monde n'a fait que te mentir depuis ta naissance. Mais ça va aller, chut-chuuuut, maintenant, Papa est là..., dit-il en me caressant les cheveux, tandis que ma tête était toujours collée à lui. »

Mon corps se contracta, j'avais des spasmes. Les larmes roulaient sur mes joues. S'il mentait, il mentait trop bien. Mes yeux bleus ont vrillé vers la porte fermée, celle de ce qui devait être un placard.

« Je te montrerai la vérité, dit-il à voix basse. Je t'apprendrai tout ce que tu dois savoir. Ce n'est pas comme si tu avais autre chose à faire que m'obéir et rester bien sage, n'est-ce pas ? »

Je me penchai brusquement en avant et vomis sur mes pieds.

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