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04 mai 2020, 17:22
Retour en enfer  privé 
21 Décembre 2044
Dans le Poudlard express.


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Elle était seule dans le wagon.
Tant mieux.
Comme ça personne pouvait lui parler.
Personne ?

Tout l’assaillait de nulle part, les crissements du train, sa respiration essoufflée, sa vapeur écumante d’une mousse grise, sale.
Et les Mots.
Ces traîtres.
Ils avaient eu de belles paroles, cajolantes et douces comme du velours.
Y avait eu « Silence ». Y avait eu « Solitude ». Y avait eu «Néant».

Et maintenant y avait les rumeurs.
Les rumeurs des autres wagons.
Ces êtres sans âmes au cœur de pierre , se nourrissant des murmures et des secrets, stimulant les Mensonges et les rires, semant doute et dégoût.
Elles s’infiltraient sous sa porte, lui murmurant des choses horriblement belles, avec leurs propos caressants et chauds, qui restent dans la tête comme une ritournelle chantée par le vent.

Elle avait hurlé silencieusement sur ses rumeurs, plaqué un sourire cachant les pires larmes devant les coups d’œils curieux, fait croire qu’elle attendait des gens.
C’était une pièce de théâtre répétée en boucle.
Une tragédie.
La tragédie de son existence devant un public éphémère et muet, constitué des ombres de ses cauchemars, de ses sanglots dans le noir, de demi-Mots saisis au vol.
Et elles étaient impassibles, ces statues de pierre, cassantes et dures, la jugeant et l’observant tel un animal mis en cage.

Pour combien de temps pourrait elle continuer ce jeu mortel ?
Ce jeu où tout le monde s’efforce de participer, avec un entrain naïf. Ce jeu qui la consumait intérieurement, jusqu’à ne laisser qu’une coquille vide de tous sentiments.

Certains disent que c’est l’œuvre de Tristesse et de ses compagnes.
Elle vous console et vous frappe de plus belle, vous endurcissant contre Vie et finalement, vous domine, fait de vous sa marionnette, un corps de poupée renfermant des lambeaux de Néants.

Alors y avait des sursauts de rébellion parfois.
Des sursauts de Vie qui font rire, qui font oublier pendant des fragments de secondes précieux comme de l’or Tristesse.
Mais les âmes les plus amoureuses de Vie sont ignorées des bienfaits de La nommée.
Les filles et fils qu’elle a enfantés , elle les laisse mourir de désespoir dans les mains de Tristesse.
Ça ressemblait presque à un conte.
Sauf qu’elle était y était enfermée, blessé et blessante, souffrant et faisant souffrir.

Les Rumeurs ondulent devant elle.
« Sais-tu ce qu’on raconte de toi, petite ?»
La ferme !
« Des horribles choses »
Fermez là toutes !
« Des secrets insoupçonnés »
Elle s’en fout !
« Faible et lâche »
C’est pas vrai !
«Dépourvue de Vie »
C’est pas...!
« Sans âme »
C’est... C’est...
Y a les larmes invisibles qui roulent et qui brûlent ses joues.
« Petite, tu seras jamais comme Eux »
Tu mens...
Les sanglots étouffés qui lui déchirent la poitrine.
« Tout est ta faute!»
Cri se mêlant au rugissement du train, ricochant sur les vitres, faisant pleuvoir les coups sur son corps.
Elle hurle intérieurement.

Et y a la porte du wagon qui s’ouvre.
Elle a plus la force pour un sourire.
Elle sait plus sourire.

Les Rumeurs ont tout pris.
Elles se sont enfuies dès l’ouverture de la porte, et rôdent maintenant dans les bouches des êtres assis dans ce même train.
Elles se répandront vite, suintant le long des murs, s’enroulant autour des roues pour allonger le temps et l’empêcher de les prendre de vitesse.

Y a une forme dans l’entrebâillement de la porte.
Y a une forme unique.
Elle s’en fout.
Elle voudrait que la forme fuisse.
Fuisse devant le spectacle de ses yeux rougis de larmes retenues, de ses mains tremblantes de fantômes, de sa bouche scellée pour éviter de vomir des hurlements de souffrance, de son corps hanté et à la merci de ses ombres.
Fuisse pour plus jamais revenir.

Plus jamais revoir des formes.
Plus jamais faire rentrer les Rumeurs.
Plus jamais écouter les Mensonges.
Plus jamais répondre à leurs paroles.
Plus jamais faire confiance.
Plus jamais avoir mal.
Plus jamais ressentir.
Plus...
Jamais...
Dernière modification par Alison Morrow le 30 juin 2020, 08:47, modifié 2 fois.

Je ne lâche jamais rien. Quand je commence une barre de chocolat, je la mange jusqu'au bout.

05 mai 2020, 11:15
Retour en enfer  privé 
Caught between a strong mind and a fragile heart



Elle ne voulait pas rentrer. Elle ne voulait pas retrouver la maison dans laquelle elle avait passé toute son enfance. Elle ne voulait pas retrouver la maison dans laquelle elle avait appris qu'il était parti. Elle ne voulait pas retrouver sa famille, pas sans lui. Rien ne serait pareil sans lui. Elle ignorait si elle pouvait y faire face. Si elle pouvait réussir à simplement passer au-dessus et essayer de passer des vacances normales. Elle ignorait si elle était assez forte. Car tout prouvait le contraire. Elle avait essayé de l'être, mais tout se retournait toujours contre elle. Finalement, elle était faible et incapable de contrôler ses émotions.

Elle avait tenté de négocier avec sa mère par hibou. Mais celle-ci avait catégoriquement refusé, prétextant que la tradition familiale exigeait qu'elle soit présente à Noël, comme toute la famille. Mais toute la famille ne pourrait pas y être, justement. Et là résidait tout le problème. Elle ne savait pas si elle serait à nouveau capable de regarder ses sœurs et sa mère en sachant qu'il manquait quelqu'un.

L'absence d'un être cher n'était pas chose aisée à supporter. Au contraire, c'était la source de centaines de sentiments aussi profonds que déchirants, aussi destructeurs que confus. C'était ce qui rendait les gens faibles et forts à la fois. C'était une partie de son histoire qui se transformait en cicatrice, une cicatrice que l'on promenait tout le long de notre existence, dans notre dos. On ne la voyait pas, mais on savait qu'elle était là, que tous ceux qui prenaient la peine de se retourner pouvaient la voir. On y pensait quelque fois, mais la plupart du temps, on l'oubliait. On n'y faisait pas attention, ou tout du moins on essayait, pour qu'elle ne se rouvre pas. Mais au fond elle était toujours là, elle faisait partie de nous et nous ne pouvions rien y faire. Elle changeait les gens, les apprivoisait, les contrôlait. À la fin du compte seuls nous étions capables de savoir jusqu'où elle nous atteindrait.

Arya avait donc été obligée de préparer sa valise, la veille. Elle avait pris le strict minimum, se contentant d'empiler quelques vêtements en boule dans un coin, le livre sur le Quidditch qu'elle avait lu tant de fois qu'elle aurait pu le réciter à l'endroit et à l'envers, ainsi que sa branche préférée qui lui servait d'épée. Elle ne lui servirait certainement à rien, mais elle ne voulait pas prendre le risque de la laisser à Poudlard. Elle n'avait même pas pris ses cours pour travailler pendant les vacances. Elle savait d'ores et déjà qu'elle n'y toucherait pas, de toute manière, qu'ils soient à portée de main ou non. Elle ne se fatiguait plus sur ces choses futiles.

Arrivée au Poudlard Express, elle avait vite quitté ses sœurs, qu'elle avait accompagné au départ. Celles-ci n'avaient rien dit, habituées à la voir filer sans un mot. Elle ne voulait pas avoir à supporter leur présence, pas déjà alors qu'elle avait encore l'occasion de fuir sa famille. Elle comptait bien profiter de ce monde-là encore un peu, avant de s'emprisonner à Dover.

Elle se retrouvait donc à traîner sa valise dans le couloir d'un wagon, cherchant un compartiment. Tout lui allait, du moment qu'elle n'y trouvait pas ses sœurs. Même si elle préférait ne pas avoir à fréquenter un trop grand nombre de personne, tout de même. Elle avait ses limites.

Voilà déjà un petit moment qu'elle transportait sa valise, et elle commençait à avoir mal au bras. Tous les compartiments semblaient déjà occupés, elle commençait à perdre l'espoir d'en dénicher un de libre. Peut-être devrait-elle se forcer à la sociabilité aujourd'hui.

Finalement, elle passa devant un compartiment qui avait l'air vide, aux premiers abords. Puis elle se rendit compte qu'il ne l'était pas forcément. Une fille était à l'intérieur, seule. Elle haïssait l'idée de déranger sa solitude, elle qui savait à quel point elle était précieuse. Mais elle ne voulait pas non plus aller s'incruster dans un groupe d'amis déjà formés. Elle pourrait peut-être simplement s'installer dans un coin sans dire un mot...

Elle poussa sa valise devant elle et frappa à la vitre du compartiment, deux fois, avant d'ouvrir la porte. Cela lui semblait moins violent et interrupteur de manifester sa présence avant d'entrer. Elle poussa sa valise devant elle, mais n'osa pas tout à fait entrer à l’intérieur. Elle resta dans l'encadrement de la porte, se sentant semblable à une intruse. La fille en question ne semble pas au meilleur de sa forme. Elle devrait peut-être la laisser, finalement. Elle jeta un coup d’œil au couloir, puis regarda de nouveau la fille. Enfin, elle osa ouvrir la bouche.

« Excuse-moi... Les autres compartiments sont pris, est-ce que... est-ce que je peux me mettre là ? Je dérangerai pas. »

L'année précédente, elle passait les voyages dans le Poudlard Express avec Sya, avec qui elle s'amusait bien. Elle ignorait si celle-ci était dans le train en ce moment, mais de toute manière, elle n'était pas d'humeur à manger des chocogrenouilles ce jour-là.

Vous dites que c'est si beau la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre.
~ Antigone, Anouilh
3èmeannée 2045/2046

05 mai 2020, 16:57
Retour en enfer  privé 
La forme elle ose pas bouger.
A vrai dire, elle est figée, dans le temps.
Le temps dans lequel sa voix s'étire, s'enroule autour des sièges, puis éclate dans le Silence, le brisant.
Des brisures de silences.
Voilà ce qui l'entoure à présente.
C'est presque tangible, presque beau.

Elle lève très lentement la tête, comme si elle sortait d'un rêve. Ça devait être un rêve ce qu'elle avait vécu. Les murmures n'étaient que la vapeur du train. Les ombres noires, les nuages de la mer d'écume s'épaississant dans le ciel.
La voix avait peut-être brisé ce qui lui faisait mal.

Ça reviendra. Ça revient toujours
C'est vrai. On croit que ça part, mais ça se cache pour mieux revenir. Pour mieux vous surprendre et vous écraser le visage contre la vérité.
Et les Larmes n'y changent rien.
Et les Mots se perdent dans le Néant.
Et les Lames déchirent les illusions sans fin.
Et les Morts parlent de lambeaux de Tristesse poignants.

"Est-ce que je peux me mettre là ? Je dérangerai pas..."

Y a eu d'autres Mots avant ceux-là. Y a eu d'autres questions probablement, qui se sont perdues dans ses pensées, tournoyantes dans l'orage de son crâne.
Elle voudrait hurler sur la forme, lui dire de dégager, de pas parler, d'arrêter de parler, arrêter de la fixer, arrêter de penser à quoi elle devait ressembler à présent. Elle le sait qu'elle ressemble à rien, à une créature chétive et recroquevillée sur elle-même, dévorée par ses Cauchemars et ses Ombres, ses Ombres qui la suivent partout.

Elle a pas l'intention de lui parler, à la forme.
La forme qui n'a toujours pas de nom.
Mais faut qu'elle lui réponde.

Elle devrait partir la forme. Partir avant que la foudre ne s'abatte. Que ses larmes trop longtemps réprimées ne s'écrasent sur le sol, que ses hurlements se répercutent sur les parois du wagon.
Au lieu de quoi, elle fait un signe de tête.

Elle se sent Vide. Elle est creuse comme une poupée de porcelaine, au corps disloqué et incapable d'esquisser un autre mouvement, sa tête dodelinant à cause du roulis du train, ses pensées s'effilochant dans les nuages.
La poupée est Vide.
Y a que les yeux qui gardent encore un peu de cette lueur que certains appellent Vie. Mais elle s'éteint cette lueur, elle s'éteint si vite, si rapidement qu'on peut la voir décroitre comme une flamme mourante dans une cheminée.

Et y a la fumée qui revient. Les Ombres elles sont pas parties.
Malgré la forme qui est arrivée.
Pour elle, la forme a toujours pas de visage.
La forme, elle est comme les Ombres. Si ça se trouve, c'est une Ombre.
Une Ombre qui avait pas la même voix que les autres.
Une Ombre plus forte, qui leur a ouvert la porte.

Les Ombres elles peuvent la bouffer maintenant.
Elle opposera pas de résistance.
A quoi bon résister quand on sait que c'est impossible?
*Renonce jamais toi. *

Y a une voix dans sa tête qui claque. Cette voix, beaucoup l'appellent souvenir. Elle l'appelle cauchemar. Une voix masculine, forte, qui se cogne contre des barrières invisibles dans son crâne, menaçant de le fendre en deux. Elle plaque ses deux mains sur ses oreilles.
Elle veut plus l'entendre!

*T'es faible.*
La ferme!
*Indigne.*
Elle t'a dit de la fermer !
*Incapable d'affronter la Vérité.*
LA FERME!

C'est trop tard. Y a les larmes qui coulent, qui coulent et qui veulent plus s'arrêter. Y a les cris qui remontent, qui l’écœurent, qui veulent sortir, la cognent à l'intérieur.
Y a l'illusion de calme qui la recouvrait qui explose.
Y a tout son monde qui explose, submergé par les larmes et des sanglots étouffés, silencieux, ceux qu'on délivre à la Nuit car elle seule peut les comprendre.

Y a toujours la forme quelque part.
Elle le sait.
Elle la sent.
C'est la faute de la forme.
Elle a ramené les Ombres.

"Mais t'es qui bordel!"


Y a ce cri qui déchire tout.
Puis y a plus rien.
Pendant un instant, y a plus rien autour d'elle.
Le Vide.

Je ne lâche jamais rien. Quand je commence une barre de chocolat, je la mange jusqu'au bout.

06 mai 2020, 23:41
Retour en enfer  privé 
We are all in the same game, just different levels, dealing with the same hell, just different devils



Arya vit le regard de l'Inconnue. Et elle noya. Elle se noya dans l'océan de ce regard, l'océan de ses émotions, de ses ressentis. Elle ne s'attendait pas à y trouver cette profondeur et frissonna rien qu'en y s'y plongeant. Pourtant ce regard lui était familier. Elle le savait, elle en avait conscience, et en y réfléchissant, c'était même évident.

Il était frappant qu'elle n'allait pas très bien. Mais la Gryffondor savait pertinemment que ce n 'était pas sa santé qui était en jeu. Car elle connaissait ce regard, elle savait ce qu'il signifiait, elle savait ce qu'il représentait. Il l'attirait et, en même temps, il l'effrayait. Elle ne savait que penser. Ce regard n'avait rien d'anodin, elle ne pouvait pas simplement l'ignorer. Mais il la paralysait, elle ne savait que faire sous son radar.

L'Inconnue ne la regardait pas vraiment, mais Arya était certainement quelque part dans son champ de vision, ou tout du moins, elle le supposait. Elle semblait perdue en elle-même, ce que la Gryffondor reconnut facilement. Les personnes perdues étaient plus nombreuses qu'on ne le pensait.

Ces yeux étaient éteints. Comme s'ils avaient fatigué à force de pétiller. Comme s'ils s'étaient refusés au monde. Et soudain, Arya sut pourquoi ce regard lui était familier. Même si elle ne voulait pas se l'avouer, elle croisait le même chaque fois qu'elle se regardait dans le miroir.

En réalisant cela, elle baissa les yeux pour arrêter de dévisager l'Inconnue et tenta de se raisonner. Si elle se reconnaissait dans chaque personne triste qu'elle rencontrait, elle finirait vite par devenir folle. Non il fallait qu'elle se reprenne. Elle était simplement entrée au mauvais moment, cette Inconnue était simplement mal pour une raison ou une autre, elle n'était pas forcément toujours ainsi. Elle prit le temps de souffler alors qu'elle tentait de freiner les idées qui lui venaient à l'esprit.

Elle fut tentée de repartir. De chercher un autre compartiment où elle pourrait se trouver une place, le temps du voyage. Mais maintenant qu'elle était entrée, qu'elle avait vu l'Inconnue, il lui semblait impossible de repartir. Impossible de faire machine arrière, impossible de la laisser là ainsi. Une fois qu'elle prit conscience de cela, elle inspira un bon coup avant de refermer la porte du compartiment derrière elle. Voilà, c'était fait. Elle n'avait plus le choix maintenant, la porte était fermée. Plus de possibilité de fuite. Amusant comme elle s'était elle-même enfermée dans une cage. Comme elle avait jeté les clefs. Comme elle s'était à son tour enfermée en enfer. Ironique.

Maintenant qu'elle y était, qu'elle s'y était engouffrée sans regard en arrière, autant qu'elle fasse autre chose que s'asseoir dans un coin pour regarder par la fenêtre durant tout le voyage. Elle n'avait rien à perdre, de toute manière.

Elle était encore debout avec sa valise. Elle s'apprêtait à ranger celle-ci dans un coin lorsque l'Inconnue plaqua ses mains sur ses oreilles. Alors, Arya se figea de nouveau. Peut-être ramenait-elle toujours tout à elle. Peut-être qu'elle devrait cesser de toujours voir du sien dans les actes des Autres. Pourtant elle ne pouvait s'en empêcher. Elle aussi se bouchait les oreilles lorsqu'elle entendait son père dans sa tête. Lorsqu'elle voulait être seule mais que son fantôme revenait la hanter. Lorsqu'il lui chuchotait ses murmures atroces à l'oreille. Non, il fallait qu'elle arrête. L'Inconnue voulait peut-être simplement ne pas l'entendre parler. La faire fuir. C'était probable, même plus que probable.

Pourtant, lorsqu'elle vit les larmes briller sur le visage de l'Inconnue, elle n'écouta que son instinct. Encore plus quand elle cria. Elle devrait arrêter de faire ça. La plupart du temps, on lui crachait à la figure en guise de remerciement.

Elle était maintenant accroupie devant l'Inconnue, après avoir séparé la distance qui les séparait en quelques pas. Elle chercha à croiser le regard de la brune, et, après une seconde d'hésitation, posa sa main sur son épaule. Elle ne pouvait pas la laisser dans cet état, elle en était incapable. Pas en sachant à quel point ce serait monstrueux. Quand elle était ainsi, elle aimerait que sa sœur soit près d'elle, à veiller sur sa petite personne, comme lorsqu'elle était enfant.

Qu'avait-elle dit, déjà ? Qui elle était ? Arya était incapable de répondre à cette question, alors elle se contenta de faire de son mieux pour trouver les mots justes

« Hé... T'es pas toute seule, hein. »

Elle ne savait jamais quels mots utiliser en quelles circonstances. Elle n'était pas très douée à ce jeu-là. Elle aurait aimé être comme sa grande sœur et savoir consoler les gens. Mais généralement, elle ne les faisait que sombrer davantage.

Vous dites que c'est si beau la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre.
~ Antigone, Anouilh
3èmeannée 2045/2046

08 mai 2020, 17:41
Retour en enfer  privé 
« Hé... T'es pas toute seule, hein. »

Ces Mots lui transpercent le cœur.
Ils sont emplis de ce que tout le monde appelle "Gentillesse", "Désir d'aider" et "Compréhension".
Ce dernier mot l’écœure.
Compréhension?
Qui peut comprendre?
Qui peut comprendre les Ombres?
Qui peut comprendre ce qu'on ressent, lorsqu'on est fracassé comme une brindille par des vagues de rage, contre une montagne invincible? Qui peut comprendre lorsque des voix vous forcent à goûter à leurs caresses empoisonnées? Qui peut comprendre les Mots? Les Mots qui hurlent et qui la cognent, à l'intérieur de son corps, les Mots opprimés, qui crachent les promesses puis les injures?
*Personne.*

Pourtant la forme avait choisi de lui parler. De lui parler au risque de se faire repousser, au risque de devenir la cible de Mots tranchants comme des poignards.
Ses poignards, à elle.
Elle avait pris sur elle, la forme. Pris sur elle pour lui parler, pour tenter de la soulager des Ombres.

Y avait plus de bruit. Plus d'ombres.
Y avait juste les Mots qui flottaient dans les airs, timides mais présents, essayant de réchauffer son corps glacé de leurs doux rayons.
Et surtout, y avait la main.

La main, elle bougeait plus. C'était comme un petit oiseau craintif mais voulant découvrir qui s'était posé sur son épaule.
Elle avait arrêté de respirer. Cette main, elle devait pas la faire fuir. La main elle tremblait au rythme de ses épaules.
Finalement, ses doigts obéirent contre sa volonté, qui explosa en miette.

La volonté de rien faire.
La volonté de redevenir normale.
La volonté de montrer qu'elle était forte.
La volonté de montrer qu'elle était indépendante.
La volonté de montrer qu'elle était libre.
Tout se brisa.

Elle agrippa cette main des siennes, comme si elle était devenue son seul point de repère.
C'était peut-être trop osé.
Mais ses digues avaient été emportées par cet énième trop-plein d'émotions.
Elle avait jamais eu quelqu'un pour lui dire, Ça.

Ça, qu'elle était pas seule.
Ça, que quelqu'un était là pour elle.
Ça, que tout irai bien.
Ça, qu'elle pouvait parler aussi.
Ça, qu'elle devait plus se cacher.

***


Ça, qu'ils devaient plus cacher non plus.
Ça, qu'ils devaient lui dire ce qui n'allait pas chez elle.
Ça, qu'ils devaient eux aussi parler.
Ça, que non, rien n'irai bien tant qu'elle savait pas.

Les yeux écarquillés, le cœur battant trop vite et trop fort, elle restait pétrifiée face aux Mots dansant devant ses iris.
Puis elle entendit un bruit, différent.
Décalé. Etrange.
Elle se força à se focaliser dessus.
C'était une respiration.

La forme.
Sa respiration était plus profonde que la sienne. Plus lente aussi.
Elle essaya de respirer au même rythme.
Deux êtres. Un son.
Deux cœurs battant à l'unisson.
*Harmonie.*

Elle desserra lentement l'emprise de ses doigts, cramponnés à la main de l'être.
Il fallait qu'elle la laisse *Respirer*.
Elle baissa lentement ses mains, tenant encore la main de l'être entre ses doigts.
Des yeux, verts.
Deux feuilles d'arbres éclairées par le soleil.
Des cheveux, châtains.
Très courts, en bataille.
*On dirait un garçon.*
Mais la voix avait été féminine.

Elle croisa les jambes en tailleur, sans totalement lâcher la main de la fille en face d'elle, et enfouit son visage dans l'écharpe jaune de Poufsouffle toujours nouée autour du cou.
Seul ses yeux dépassaient, encadrés par ses longs cheveux corbeaux, ruisselant autour de son visage.

Elle avait des millions de question à poser.
Les Mots butaient sur ses lèvres.
Elle ne se résolvait pas à les laisser passer.
Puis, ils furent tous remplacés par un seul.
Un seul, qui ne pouvait pas exprimer ce qu'elle ressentait.
Un seul, qui pourtant s'en rapprochait le plus.
Il sonnait clair contre son palais.
Alors elle entrouvrit la bouche. Un filet d’air s’y engouffra, lui permettant de puiser assez de force pour articuler, plus que pour réellement prononcer, ce Mot.

"Merci."

Je ne lâche jamais rien. Quand je commence une barre de chocolat, je la mange jusqu'au bout.

13 mai 2020, 22:40
Retour en enfer  privé 
I'm really bad with words, I hope you're good in reading eyes



Habituellement, Arya ne réconfortait pas les gens. Jamais, en fait. Sa nature n'était pas de réconforter les gens, plutôt l'inverse. Tout ce qu'elle faisait, chacun de ses gestes déplaisait forcément à quelqu'un. À force, la fillette avait été tentée de croire qu'elle n'était pas faite pour être aimée, ni protectrice. Quand elle essayait d'être gentille, quand elle essayait de faire les choses bien, quand elle essayait de faire en sorte à ce que la société l'acceptait, ce n'était pas des remerciements qu'elle recevait, mais des visages qui se tournaient et des crachats en pleine figure. Les gens n'aimaient pas qu'elle prenne l'initiative de consoler, mais ils n'aimaient pas non plus qu'elle ne le fasse pas. Arya ne comprenait pas pourquoi, et, au fil du temps, elle avait fini par s'éloigner de tous ces gens. Ensuite, c'était ceux-là même qui lui reprochait de ne pas s'intégrer. Parfois, la Gryffondor avait tout simplement l'envie irrésistible de leur rire sous le nez, à gorge déployée.

Pourtant, lorsqu'elle tenta, une nouvelle fois, de s'ouvrir au monde, de faire preuve de compréhension – sans même se forcer, c'était instinctif – elle sentit que ce n'était pas comme d'habitude. Pendant un instant, elle douta. L'Inconnue pouvait encore lui cracher dessus à tout moment, comme elle en avait l'habitude. Elle n'aurait pas été vexée plus que ça. Elle n'aurait pas été la première et ne serait certainement pas la dernière à le faire. Mais pour une raison inconnue, pour une raison qu'elle ignorait et qui lui échappait, elle se ne fit pas rejeter. Et elle ne sut pour qui ce qui venait de se passer était le plus bénéfique – pour elle ou pour l'Inconnue ?

Dans tous les cas, son cœur rata un battement. Il sauta une marche et la Gryffondor le sentit dégringoler. Elle s'attendait à ce que l'Inconnue se libère brutalement de son emprise, qu'elle lui crie de sortir de ce compartiment, de ne pas s'incruster et de la laisser seule avec ses démons. Ce à quoi Arya aurait hoché la tête, prit sa valise et serait partie.

Mais l'Inconnue ne réagit pas ainsi. Non. Sans lever les yeux vers elle, elle agrippa sa main, d'un geste qui fit penser à la Gryffondor qu'elle était une bouée de sauvetage. Elle fit de son mieux pour sa surprise ne se montre pas dans le soubresaut de sa main, afin de jouer au mieux le rôle de bouée qu'elle venait d'endosser. Elle ne voulait pas que l'Inconnue se noie. Ce serait sans se poser de question qu'elle l'aiderait à garder la tête à la surface pour respirer le peu d'air frais de ce monde.

Elle ne bougea pas d'un pouce, même lorsque sa poigne se fit moins forte. Enfin, leurs yeux se croisèrent. Arya soutint celui de l'Inconnue. Baisser les yeux signifierait, d'après elle, la laisser tomber. Et pour le moment, elle était convaincue que c'était bien la dernière chose dont elle avait besoin.

L'Inconnue croisa ses jambes et enfuit son visage dans son écharpe. Arya eut l'impression qu'elle se rétractait, mais n'en fut pas vexée. Et finalement, elle prononça un mot, un seul, mais qui suffit amplement à la Gryffondor. « Merci ». Ça pouvait très bien être le seul mot qu'elle prononcerait de tout le trajet, il lui suffirait pour tout le voyage. En toute réponse, elle esquissa un sourire qui se voulait rassurant, sans trop savoir si elle savait vraiment sourire ou non.

Puis, sans retirer sa main de son épaule et sans la quitter des yeux, elle s'assit à côté d'elle, lentement. Elle ne savait que dire à présent. Elle s'humecta les lèvres et finit par rouvrir la bouche.

« Est-ce que ça va mieux ? »

Elle essayait d'adopter le même ton que sa grande sœur lorsqu'elle la consolait ou la bordait. Elle était la benjamine, jamais elle n'avait eu à réconforter quelqu'un et ignorait comment s'y prendre. Mais qui ne tente rien n'a rien. Et après tout, c'est en réconfortant qu'on devient réconfortant, non ? Bon, elle n'était pas très sûre de cette expression, mais la chassa bien vite de son esprit.

« Tu... tu t'appelles comment ? »

Elle essayait de lui faire penser à autre chose, prenant de nouveau le risque de se faire cracher dessus, cette fois. Mais elle n'était pas quelqu'un qui prenait des pincettes. À vrai dire, elle était plutôt celle qui se jetait dans l'eau en boule, fermant les yeux en espérant que la chute ne serait pas trop douloureuse.

Vous dites que c'est si beau la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre.
~ Antigone, Anouilh
3èmeannée 2045/2046

17 mai 2020, 11:57
Retour en enfer  privé 
Elle aurait dû partir.
Elle aurait dû le faire, la forme, la fille, l'autre, assise à-côté dans le wagon.
Elle aurait dû partir car ce qu'elle fait lui fait si mal.
Sa gentillesse.
Sa patience.
Elle.
Elle blesse.
Elle le sait pas.
Elle veut l'aider.

Elle aurait dû partir et jamais se retourner, quitter cette cabine où les ombres flottaient, prêtes à sauter hors de leur cachette au moindre faux pas, au moindre Mot trop téméraire.

« Est-ce que ça va mieux ? »

Et ils dansaient ces putains de Mots.
Ils dansaient si vite qu'ils lui donnaient le tournis, ils l'emportaient contre son gré dans une valse infinie, qui lui retournait la tête, faisait tournoyer ses pensées comme des oiseaux pris dans la tourmente, se cognant contre son crâne trop petit pour toutes ces émotions.
Des putains d'émotions qu'on devrait pas pouvoir sentir.

Parce que les émotions aussi, elles Dansent.
Mais elles sont vives et fugaces, poignardent puis se retirent, comme des vagues immenses ne se décidant pas totalement à vous réduire à néant.
Elles avaient besoin de vous pour Vivre, ces émotions.
Et vous tuer signifierait leurs Mort.
Alors, elles restent pour vous faire mal.
Pour avoir l'impression d'exister.

Elle était donc maintenant assise, à-demi morte, tuée par...
*Par les Mots et les Émotions*
les Mots et la Colère

*les Mots et les Mensonges*
les Mots et les espoirs

*les Mots et les Tempêtes*
les Mots...


« Tu... tu t'appelles comment ? »

Tu t'appelles comment parce que t'as pas répondu.
Toujours la même question.
Tu t'appelles comment parce que t'as bien un nom.
Elle en avait un, non? Un qui lui avait été donné? En gage d'amour?
Tu t'appelles comment parce que t'as l'air bizarre.
Elle est pas bizarre. Elle est une enfant-étoile qui s'est noyée dans le Vide de l'Univers.
Tu t'appelles comment parce que t'as pas osé parler.
Ça sert à rien de parler pour rien dire.

*Rien.*
C'est ce qu'elle est après tout.
Aux yeux de tous.
Ici, dans ce train.
Là-bas avec Eux.
Alors pourquoi elle arrive pas à le dire?

Parce que c'est pas la bonne réponse.
Elle a pas demandé ce qu'elle était, elle, l'enfant à-côté d'elle.
Elle a demandé son prénom.
Elle lui a offert une opportunité d'avoir une identité. De la récupérer, de l'arracher aux serres des Ombres.

Mais elle a trop mal pour ça.
La forme l'a trop blessée pour ça.
Elle est trop faible pour résister aux Ombres, qui ricanent.
Elle leur donne raison.
Elle s'en fout.

De toute façon, qui retiendrait son nom? Personne, personne de censé.
Et la fille à-côté d'elle est censée.
Mais y a sa main.
Sa main, qui prouve qu'elle est soit courageuse soit inconsciente.
Y a cette main qui lui montre qu'elle est pas seule.
*Pas encore.*
Y a cette main qui reste là. Qui bouge pas. Qui fait pas mal.
Y a cette main qui va l'accompagner jusque devant Eux.
Puis y a cette main qui va te lâcher avec un regard vert tendre, un petit sourire, et des beaux Mots, des promesses, qui vont encore lui déchirer les lambeaux de cœur qui restent dans sa poitrine.
Cette main lui a offert un refuge.
Un refuge face aux Ombres, avant leur retour.
Alors, elle va le dire.
Elle va le dire, pour lui prouver qu'elle peut aussi parler.

"J'm'... J'm'appelle..."

Et les Mots butent encore. Ils veulent pas sortir, et ça sert à rien de les forcer, car ils sortiront pas.
Mais ils le doivent maintenant.
Ils le doivent pour lui prouver que les Ombres lui ont pas tout pris. Il reste encore un peu d'elle, un peu d'Alison, un peu de Petit Oiseau.

"Alison."

Et les Ombres explosèrent.

***


Il y eut du Silence, doux, profond.
Puis les bruits revinrent uns à uns. Le Soleil passa de nouveau couleur abeille à travers la vitre, qui prit des chaudes teintes rosées.
Le train reprit des couleurs.

"Et toi... Toi, c'est quoi ton nom?"

Je ne lâche jamais rien. Quand je commence une barre de chocolat, je la mange jusqu'au bout.

23 mai 2020, 23:49
Retour en enfer  privé 
Sometimes you have to run into the storm in order to calm it.



Elle ne savait pas trop ce qu'elle faisait dans ce compartiment. Elle ne savait pas trop ce qu'elle faisait dans ce train non plus, en fait. Elle ignorait où elle la conduirait le Poudlard Express, cette fois. Vers un Noël misérable, sans son père, avec une mère à moitié dépressive qui se transformait en fantôme de jour en jour ? Vers une demeure hantée, remplie de souvenirs d'un disparu qui jamais ne referait surface ? Elle savait déjà que ces vacances ne seraient pas reposantes. Elle savait déjà que ces vacances ne lui apporteraient que mélancolie. Elle savait déjà que les cauchemars l’assailliraient encore et toujours, dans son lit de fillette. Pourtant elle s'autorisait encore à penser que ce voyage n'avait aucun but. Que le train l’emmenait vers un endroit paradisiaque, sans souci, sans inquiétude, parfait. Elle se refusait à imaginer l'horreur à laquelle ressembleraient ses vacances alors qu'elle n'était pas encore arrivée. Elle voulait s'accorder un peu de rêve. Un peu d'espoir. Elle savait qu'elle ne se trompait pas, pourtant elle l'espérait, elle l’espérait de tout son cœur.

C'était elle qui était censée consoler et réconforter cette Inconnue perdue, là, dans ce compartiment. Pourtant, il lui semblait que, en tarissant les penses de l'Autre, les siennes aussi se faisaient plus silencieuses. Comme si ce geste était tout autant apaisant pour elle. Comme si se concentrer sur autre chose pouvait faire faire demi-tour au train, ou tout du moins la faire oublier vers où il l'emmenait. Comme une sorte d'isolant, dans lequel elle s'enfonçait avec plaisir. La première chose qui lui permettait de penser à autre chose était la bienvenue. Elle souhaitait simplement s'éloigner des ténèbres et se construire une sorte de cocon dans lequel se réfugier, seulement l'espace de quelques instants.

L'Inconnue commença à lui répondre. Elle semblait avoir un peu de mal, mais Arya se montra étonnamment patiente et attendit, comme si toute la situation était des plus normales. Comme si le train ne la menait pas vers sa maison hantée, vers la base de tous ses cauchemars. Comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Comme si elle n'était pas Arya, cette gamine détraquée qui ne savait pas se contrôler et qui voyait des éclairs blancs dans son sommeil. Comme si tout allait bien. Alors, à cette pensée, la Gryffondor aurait presque pu y croire. Presque.

Et, alors que l'Inconnue révéla son prénom, Arya se figea. Alison. Alison, comme sa sœur. Alison, comme sa grande sœur. Alison, comme sa sœur qui avait été bien plus qu'une sœur pour elle. Alison, sa sœur qui avait pris la place d'une mère dans sa vie. Alison, la personne avec qui elle avait été la plus proche durant très longtemps. Alison, la seule qui était là quand personne d'autre ne l'était. Alison, la seule famille qu'elle aimait plus que tout au monde.

Serait-elle là, Alison, à Noël ? Elle était toujours en déplacements, toujours à voyager aux quatre coins du pays, toujours à courir après les créatures magiques. Elle avait déjà manqué plusieurs Noël par le passé. Mais, même si elle était présente cette fois, comment se passerait leurs retrouvailles ? Arya avait la sensation que, depuis qu'elle était entrée à Poudlard, leur relation autrefois si fusionnelle s'était effritée. Et surtout, comment lui dire, comment lui dire que qu'il s'était passé au bal ?

Cette fille-là, dans ce train, était-elle comme son Alison ? Arya s'efforça de ne pas montrer son trouble, mais il n'était pas compliqué de distinguer sa confusion. Alison était un prénom courant, il était normal qu'elle puisse tomber dessus. Seulement, pour elle, lorsqu'elle entendait « Alison », elle voyait la bouille joyeuse, réconfortante et blonde de sa sœur, pas l'Inconnue brune du train.

Elle tenta de repousser ses pensées incongrues. C'était à son tour de se présenter. C'était à son tour de révéler son identité et dévoiler le voile rassurant que lui offrait encore le statut d'Inconnue.

Comme à chaque fois qu'elle rencontrait une nouvelle personne, elle tarit son nom de famille. Mais, depuis plusieurs mois, elle se posait à chaque fois une nouvelle question. Quel prénom devait-elle prononcer ?

« Moi c'est Ary. »

Une fois les mots sortis de sa bouche, elle sut qu'elle avait bien fait de ne pas rajouter le A de la fin. Elle sut, d'instinct, que la version masculine de son prénom lui correspondait mieux. Ce n'était pas la première fois qu'elle se présentait ainsi, qu'elle souhaitait qu'on la vît comme un garçon et non pas comme une fille. Elle repoussa le « pourquoi » qui germait déjà dans son esprit. C'était ainsi, voilà tout. Elle s'appelait Ary, pas Arya, parce qu'elle en avait décidé ainsi. Point.

Elle inspira un grand coup, balança ses petites jambes dans le vide. Puis elle lâcha, d'un seul coup, comme une bombe :

« Toi non plus tu ne veux pas y retourner ? »

Elle était quasiment certaine que la dénommée Alison comprendrait à quoi elle faisait allusion. Si le Poudlard Express nous ramenait parfois dans cet endroit calme et réconfortait qu'était Poudlard, il pouvait aussi nous ramener dans les ombres d'où l'on venait.

Vous dites que c'est si beau la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre.
~ Antigone, Anouilh
3èmeannée 2045/2046

27 mai 2020, 14:42
Retour en enfer  privé 
Une hésitation?
Un trouble.
Voilà ce qui se peignait sur le visage de l'autre.
Elle cherchait des yeux son regard, son regard pour s'assurer de ne pas avoir dit de bêtise, son regard pour s'assurer de ne pas avoir dit un mensonge, son regard pour la conforter dans ses questions sur qui elle était.
Elle était bien Alison, non?
Les Ombres avaient tout pris?

« Moi c'est Ary. »

Elle ne tiqua même pas sur le prénom aux consonances masculines.
Ainsi, la forme avait un nom, Ary.
C'était joli.
Mais quelque chose clochait.

Un doute infime qui s'était insinué.
Comme si elle avait coupé son nom.
Cherche pas dans les affaires des autres.
Mais peut-être que...
Cherche pas, Petite.
D'accord.

Après tout,c'était pas ses affaires si Ary était là, si seulement elle s'appelait Ary, pas ses affaires si elle voulait pas de son prénom, pas ses affaires si elle était...

« Toi non plus tu ne veux pas y retourner ? »

Les Mots ravagèrent la faible constance qu'elle s'était redonnée.
Le choc lui coupa la respiration, aussi violent que si on venait de la jeter dans un lac gelé, qu'on y maintenait sa tête jusqu'à la noyer, avec les bulles blanches remontant inexorablement à la surface, de plus en plus faible, jusqu'à s'éteindre, et...

Respire.

*Que... Comment?*

C'tait juste une question

*Ça fait mal.*

Idiote. Faible. Incapable.

*Arrête! Arrête de cogner!*

Arrête de penser qu'tout va bien s'passer!

*Arrête ça fait mal! Arrête j'en peux plus! Arrête tu vas m'tuer!*

Tu s'ras jamais à la hauteur!


Et les voix qui tournent dans sa tête, qui tournent emportées par les roues de fer glissantes sur les rails, qui tournent et lui donnent la nausée, qui tournent et elle peut rien faire pour les arrêter.
C'est la faute de l'autre, la faute d'Ary.
Elle a rappelé les voix.
Elle a fait mal.
C'est sa faute à elle.
C'est sa faute.
C'est sa...Faute.
Sa...La sienne...Elle...Faut pas...Doit pas...

Elle plaque ses mains sur ses oreilles.
Ça servira à rien, elle le sait.
Avant, arrière.
Elle se balance, elle veut plus les entendre.
Avant, arrière.
Pourquoi elle les a appelés, les Mots?
Avant, arrière.
Pourquoi elle a osé?
Avant, arrière.
Elle aussi elle veut faire mal?
Avant, arrière.
Elle aussi.
Avant...

Puis elle se fige, recroquevillée sur elle-même, baladée par les Mots qui rient, qui veulent pas s'en aller, qui restent, heureux d'avoir été nommés, qui font remonter les Images, *Son père*, qui chuchotent et se répercutent sur sa peau meurtrie, *Sa mère*, ils rebondissent et blessent, s'éloignent pour mieux revenir à la charge, font peur et pétrifient, *Jack*, une tornade gigantesque qui enfle dans sa tête, dévale les veines de ses joues, *Les autres.*
Elle suffoque, elle peut plus respirer.
La cabine a été envahie des Mots, qui la contemplent, durs et froids, se nourrissant de sa peur.
Y a rien qui peut les arrêter.
Plus rien du tout.
Un hurlement s'échappe de ses lèvres.

"Pourquoi t'as parlé ? Pourquoi t'as fait mal? Pourquoi..."

Les larmes dévalent ses joues sans retenue.
Ils sont contents, les Mots.
Ils ont appelé les Ombres les Mots.
Ils vont pas la lâcher les Mots.

"J'veux pas y aller...J'veux pas j'veux pas j'veux pas j'veux pas..."

Elle boucle comme un automate cassé. Elle sait plus ce qu'elle dit.
Elle répète car elle est brisée.
Elle répète car seuls ces mots lui son accordés.
Elle répète pour chasser les autres mots.
Elle répète pour pas être seule.
Elle répète pour pas...
Elle répète pour...
Elle répète...
Répète...
R...

*Silence.*
Dernière modification par Alison Morrow le 05 juin 2020, 12:13, modifié 1 fois.

Je ne lâche jamais rien. Quand je commence une barre de chocolat, je la mange jusqu'au bout.

01 juin 2020, 14:56
Retour en enfer  privé 
Don't die before you're dead



Elle aurait dû se douter que le calme de la dénommée Alison ne durerait pas. Elle n'avait pas le pouvoir de réconforter les gens, comme sa sœur. Elle avait plutôt tendance à les faire couler, encore et toujours. La réaction d'Alison en fut la preuve vivante. On aurait dit qu'Arya venait de lui enfoncer un couteau dans le ventre. D'ailleurs, celle-ci retira sa main de son épaule, par peur irrationnelle de l'avoir blessé rien qu'en la touchant.

Alison semblait attaquée intérieurement, ou tout du moins, c'est l'impression qu'elle donna à Arya alors qu'elle plaquait de nouveau ses mains sur ses oreilles. Elle se demanda si elle donnait aussi cette impression lorsque des souvenirs indésirables l'assaillaient. Elle se demanda si elle était ainsi, elle aussi, lorsqu'elle avait parlé à Lili près du lac. Lorsque le fantôme de son père lui murmurait des mots à l'oreille qui la brûlaient comme du fer chauffé à blanc. Elle se dit alors que Lili avait dû avoir peur. Car la vision d'Alison, ainsi rétractée, était effrayante, surtout à l'idée qu'elle ne puisse rien faire pour l'aider. Car tout était en elle. C'était ses propres démons. Elle ne pouvait rien y faire, déjà qu'elle avait bien à faire avec les siens. C'était à elle de les affronter, de les combattre, de ne pas se laisser ronger. La Gryffondor ignorait s'il existait un moyen de l'épauler là-dedans.

Lorsqu'elle l'accusa d'avoir parlé, Arya sut qu'elle n'accepterait certainement pas son aide. Une aide qu'elle ne savait déjà pas comment apporter. Elle n'aurait pas dû aborder le sujet du retour à la maison, apparemment. Une erreur qu'elle ne referait pas. Mais en attendant, elle se demanda quelle était la bonne chose à faire. Quitter le compartiment et laisser Alison toute seule lui traversa l'esprit. Mais elle ne pouvait pas la laisser là dans cet état, si ? Elle se demanderait pendant tout le voyage comment elle allait, et ne parviendrait certainement pas à se retenir de revenir, de toute manière. Elle resterait donc ici, qu'Alison veuille bien de sa présence ou non.

Quand cette dernière se mit à répéter qu'elle ne voulait pas « y aller », Arya se força à réfléchir plus vite. Elle devait la sortir du cercle sans fin dans lequel elle tournait sans cesse. C'était ce qu'elle aurait voulu à sa place. Même si elle ne se sentait pas très bien placée pour se mettre à sa place.

Alors, finalement, elle n'écouta que son instinct. Elle se leva, puis se rassit juste en face d'Alison. Elle ignorait si celle-ci l'avait vu, ou si elle était trop occupée par ce qu'il se passait actuellement dans sa tête. Elle s'humecta les lèvres, puis chuchota, d'une voix à peine audible :

« Je sais. Excuse-moi. »

Bien sûr, elle ne pouvait s'arrêter là. Ce n'était pas des excuses à deux noises qui aideraient la fille en face d'elle. Il fallait qu'elle trouve autre chose à dire. Mais tout ce qui lui venait n'avait de rapport qu'avec les vacances, justement. Très mauvais choix, vu les circonstances.

« Te laisse pas faire. Ta laisse par faire par les fantômes. »

Elle ne savait pas du tout d'où venait ce qu'elle venait de dire. En fait, elle doutait même que ce soit bien elle qui l'avait dit. C'était la première chose qui lui venait à l'esprit, ses lèvres s'étaient ouvertes d'elles-mêmes. L'attitude d'Alison lui avait rappelé la sienne lorsque le fantôme de son père l'assaillait, mais en réalité, elle ignorait complètement quel était le problème d'Alison. Quels étaient ses démons à elle. Mais tant pis. Elle ne pouvait pas revenir en arrière.

Vous dites que c'est si beau la vie. Je veux savoir comment je m'y prendrai pour vivre.
~ Antigone, Anouilh
3èmeannée 2045/2046