Le voilà venu : le jour que j'avais marqué d'une petite croix rouge sur le calendrier familial. Le jour dont j'avais rêvé, ma lettre posée sur mon cœur, pendant des nuits. Et pourtant ma mère manquait à l'appel, toujours absente, toujours retirée. Mon père et le plus grand de mes frères avaient eux aussi à faire - de grands sorciers ont toujours de grands secrets. Mes deux autres frères m'accompagnaient en prenant soin d'égayer le trajet en voiture par leurs anecdotes. Contrairement à mon habitude, je restais muet, mes doigts sur le sceau rouge de la lettre de Poudlard comme pour le protéger. J'entendais bien, à mesure que la voiture avançait vers la gare qu'il existait des voitures volantes plus "chouettes" encore que les fusées et les navettes spatiales que j'aimais faire voler au-dessus de moi plus jeune. J'entendais aussi l'histoire du Magicobus violet. Mais leur nom n'avait pas plus d'effet qu'un ronflement dans mes oreilles. Puis vinrent les commentaires sur la voiture familiale, mais les voitures, c'était trop commun, dans tous les films d'action moldus il y avait des cascades de voitures. *Chouette* c'était le terme préféré d’Adam et Simon, mes deux frères, celui qu'ils prononçaient pour éveiller mon intérêt à chaque nouvelle anecdote et qu'ils articulèrent encore en même temps, l'un à gauche et l'autre à droite de moi, au moment de traverser le mur de la voie neuf trois quart. "Rouge brique, j'espère que tu hériteras de cette couleur" me souffla Adam. "Mais il faudrait la marier avec une touche de doré alors", suggéra Simon avec un sourire entendu. Moi, j'étais concentré sur ma lettre que je ne devais pas laisser échapper dans le fourmillement d'élèves affairés sur le quai. Ce que disaient Adam et Simon un-demi mètre de hauteur au-dessus de moi ne me parvenait que par bribes et échos : "locomotive rouge", "mornilles", "Jacob", "malle". Je n'avais qu'une envie : entrer dans le train. *Poudlard Express*, ces deux mots résonnaient dans ma tête comme quelques années plus tôt *Buzz l'éclair* : c'était le genre de mots qui éveillent le goût du défi et ouvraient sur l'inconnu. Les anecdotes sur Harry Potter et Ron Weasley que mes frères relataient ne m'intéressaient pas, celles à propos de James et Lily Potter guère plus. En montant dans le train, ma lettre dans une main et ma malle dans l'autre, alors que j'échangeai un dernier regard avec mes frères depuis les marches, j'eus la sensation de pénétrer dans un de mes jouets d'enfance devenu géant. Ou peut-être que c'était moi qui avais grandi en fait. Et qu'avec ce train, j'allais avancer à pas de géants. Pour l'instant, en tout cas, un pas me suffit pour ouvrir la porte du premier compartiment.