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23 janv. 2020, 21:07
L’Hubris Tavelé  PRIVÉ 
« Le silence était comme un buvard dans lequel on avait peur d’entendre les mots s’enfoncer et disparaitre. »
RENÉ BARJAVEL, La Nuit des Temps


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Emily Smith, 16 ans
6ème année, Serdaigle


17 Septembre 2043
Volière, Poudlard
6ème année


Mon nom, ma haine. À l’égard de ces syllabes, seul subsistait ce sentiment. Smith, dans la banalité la plus pure. Orné d’un goût de foule, de déjà-vu, dépourvu de toute originalité. Il y avait presque plus de Smith que de sorciers au Royaume-Uni, et cette évidence me collait à la peau. Indélébile, cette marque qui annonçait les sourires signifiant encore une lorsque j’annonçais mon nom. Ce nom me salissait si fort que je voulais parfois le forcer à s’Arracher, décrocher ma peau jusqu’à ce qu’il parte avec. La banalité dégoulinait sur moi, sur mes papiers d’identités, sur mes devoirs, sur mes livres. D’une réalité insupportable. Être affublée d’un nom aussi ordinaire déchainait l’agacement au fond de mon esprit, car les autres collaient les étiquettes plus vite qu’ils ne répandaient les rumeurs. Et ces dernières fusaient l’air à une vitesse inimaginable, pourtant. Dans l’esprit, restreint, des imbéciles qui m’entouraient, le subconscient associait un nom banal à un être banal. Tout se retournait toujours contre moi. Ce nom, cette façade de normalité, s’effaçait si on me regardait plus de quelques secondes. J’en aurais chialé, d’avoir un nom aussi courant pour nommer un être aussi différent. L’Erreur, dans toute sa splendeur. Rien, chez moi, n’était à la hauteur — à la bassesse — de ce nom. C’était ma fierté, n’est-ce pas, ma différence ? Tout ce qui pouvait m’exclure de la foule monotone était bienvenu. Et ce contraste jurait si fort avec Moi, qu’il m’obligeait à déchainer mes efforts pour me battre contre lui.

Une chevelure rousse se secouait doucement derrière moi, soulevée par le vent qui s’engouffrait dans la tour. Mes yeux s’aimantaient sur cette masse flamboyante, parcourant les boucles offertes au souffle de la bourrasque. Toutes ces mèches volantes masquaient le visage de l’inconnue, offrant un cocon discret au rire qui s’échappait de cette barrière orangée. Je clignais des yeux, laissant le noir reposer mes rétines après cette explosion de roux qui ornait cette petite. *Puissante*. J’aimais bien, quand le Physique des autres occultait leur stupidité. Parfois, ça leur donnait presque une teinte intéressante. Quand la gamine releva son bras dans un grand geste ample, laissant s’envoler la chouette effraie qu’elle tenait *c’contraste, blanc contre roux*, ses mèches se décollèrent de son visage dans le mouvement. En pivotant, l’enfant tourna un peu plus le dos à la fenêtre et libéra complètement sa chevelure qui partir vers l’arrière, se tendre peut-être pour atteindre la fenêtre, offrant ses traits à mes yeux indiscrets. *Ah !*. L’explosion se poursuivait sur ses joues, bouffant sa peau pâle. Une myriade de tâches de rousseur qui résonnaient avec ses mèches, rehaussant un peu ses orbes gris pâle. Un petit sourire de contemplation étira mes lèvres, puis la petite s’échappa vers la porte, claquant celle-ci derrière elle, me laissant comme dernier aperçu ses jambes musclées et ses fesses, sur lesquelles retombait déjà les cheveux libérés de l’attraction du vent. *Arrête d’mater*. Cette gamine avait au moins quatre ans de moins que moi, c’était stupide ; et elle était mille fois moins belle qu’Aby. L’explosion de couleur de la métisse se faisait dans sa noirceur, c’était beaucoup plus impressionnant. Secouant la tête, je jetais un regard satisfait à la volière vide et m’appuyait contre le rebord de la fenêtre pour rédiger le début de ma lettre.
Rengan,
Court, simple. *Bien*. Ma langue s’extirpa de ma bouche pour humidifier mes lèvres sèches, et je reposais la pointe de la plume sur le parchemin immaculé.
Je ne m’autoriserai pas à te nommer par ton prénom tant que tu ne m’en auras pas donné l’autorisation
Phrase en suspend, comme ma plume. Je laissais mon regard s’envoler vers l’horizon que me révélait la fenêtre, trouvant mes réflexions dans le vent qui giflait violemment mon visage. Mes mèches blondes étaient réunies dans une queue de cheval de fortune, le risque de les laisser trainer dans l’encre était trop grand, je les libérerai en sortant. Entre temps, j’avais trouvé ce que je souhaitais dans la course de l’air sur ma peau.
Je ne m’autoriserai pas à te nommer par ton prénom tant que tu ne m’en auras pas donné l’autorisation ; un prénom appartient plus ou moins à l’intimité et les bouches des gens ne devraient pas si souvent s’approprier les prénoms des autres, alors je te présente ma demande : puis-je t’appeler par ton prénom, Charlie Rengan ?
Ma satisfaction se manifesta par une lueur bleu dans le gris nuage de mes yeux fatigués par le manque de sommeil. Je ne connaissais pas Rengan, et c’était magnifique. L’aborder était une épreuve particulièrement ardue : il me semblait que le moindre faux pas me ferait chuter trop profond pour que je puisse m’en sortir. La prudence était de mise, mais je ne savais pas laquelle. Alors, ma décision fut de prendre une précaution à la rédaction ; de ces précautions dont j’aurais aimé qu’on use pour s’adresser à moi. Rengan était inconnue, mais elle était à respecter, alors je tournais mes mots comme si cette lettre m’était adressée.
Tu t’es évanouie d’une manière
Mes sourcils se froncèrent, deux barres frustrées sur mon front. Ça n’allait pas du tout.
Tu t’es évanouie d’une manière en respectant ton attitude durant le reste du Tournoi : foutr toujours aussi belle et surprenante.
Beaucoup mieux ; oui, bien plus satisfaisant. Distiller les compliments n’était pas dans mon habitude, mais cette gamine m’avait un instant fait songer à Thalia, malgré tout le fossé de différences qui s’étalait entre elles, alors ces compliments véridiques — jamais, jamais je n’aurais inscrit un compliment que je ne pensais pas, pas même pour un professeur — ne me dérangeaient pas tant que cela. Elle était belle, Rengan, avec ses yeux trop verts, électriques au milieu de sa peau mate, et ses cheveux noirs, et son attitude si respectable.
Est-ce qu’ils se sont donnés la peine de t’expliquer ce qu’il s’est passé ensuite ? Les adultes sont tellement chiants J’imagine que non, je peux t’expliquer si tu le souhaites.
Loewy est vraiment dure, mais elle juge la forme ; si tu étais restée avec Qiong vous auriez tout explosé toutes les deux.
Autre vérité. Le duo Mei-Jenkins était impressionnant, sans nul doute. Leur fureur et leur force m’avaient fait hocher la tête de contentement devant ce choix évident. Mais, Qiong avait mieux choisi ; l’Aveugle, et Celle-au-regard-trop-présent. Un peu au-dessus, j’avais pris une nouvelle précaution ; je n’expliquerai rien si elle ne me le demandait pas. Un si tu le souhaites suivi d’une explication étouffait tout souhait. Le genre de détails qui me faisaient soupirer.
Je sais aussi reconnaitre l’harmonie, et elle n’était pas aussi perceptible entre Jenkins et Mei, voir presque inexistante entre Anderson et Xue. Ta résonance
Mes dents vinrent se poser sur ma lèvre inférieure, la mordillant légèrement sous le coup de l’hésitation. N’était-elle pas un peu jeune ? Rengan avait un potentiel et un niveau importants, sans doute, mais parler de résonance allait sans un peu loin pour elle. La résonance des êtres, un phénomème dans lequel je considérais que la magie avait sa place, tout comme l’Effet Aimant, ma recherche actuelle sur laquelle je bloquais un peu. J’aurais bien eu besoin de Thalia, pour ça, elle arrivait toujours à me débloquer avec quelques mots pertinents. Mais elle ne voulait plus me voir depuis un an et demi maintenant. Et, cette histoire de résonance, ça devait être inaccessible, à l’âge de Rengan. Sans doute. Peut-être pas. Je barrais d’un trait précis, sans trembler.
Ta résonance connexion avec Qiong se ressentait, physiquement je veux dire, comme une tension électrique, pour qui est à l’écoute.
Comme une vibration dans l’air, exactement comme la magie, peut-être juste avec une fréquence différente — ma théorie de l’Aimant, et celle du Miroir —, et moi, j’étais à l’écoute : je tendais toujours l’oreille. C’était bien, comme phrase, au final. Maintenant, il fallait entrer un peu plus dans le sujet. *Allez*.
Sois réaliste, Rengan, il va te falloir des yeux à Poudlard, ou plutôt des oreilles — ta partenaire nous a prouvé que la vue était futile tant que l’ouïe était présente. Sinon, tout s’effondre.
Tout s’effondre, comme toi sur le sol, et comme Qiong dans son absence de sens, c’était bien ce que je voulais dire. *Avertissement, sans avertir*. C’était un peu osé, de dire qu’il lui en fallait, mais j’y croyais.
Je suis grande, beaucoup plus grande que toi, et je ne vais pas m’encombrer de toutes ces conneries de politesses : je veux bien l’être, si tu le souhaites.
Mère aurait gueulé devant cette vulgarité considérée comme inutile. Moi, je ne la trouvais pas inutile. Et puis, Rengan semblait être capable d’apprécier une vulgarité opportune. Si elle en était capable, c’était bien.
Pas par gentillesse, uniquement par curiosité.
C’était faux. C’était vrai. *Vrai, ou faux ?*. Aucune gentillesse, sans aucun doute. Beaucoup de curiosité, certes. Peut-être un peu de fascination ? Non. Rengan était belle, mais moi qu’Aby ; elle était sans doute intelligente, mais moins que moi ; et je ne doutais pas qu’elle était brusque, mais j’avais connu Thalia, alors elle ne pouvait sûrement pas l’être plus.
Retour à la ligne, pointe prête, apposée sur le papier.
Je ne vois pas vraiment l’intérêt de te parler de moi, cette lettre s’allonge inutilement, et tu ne peux mieux me connaitre
*Personne n’peut m’connaitre*. Pour me connaitre, il fallait que je me révèle, je ne m’étais pas encore assez révélée pour pouvoir oser écrire ceci.
Je ne vois pas vraiment l’intérêt de te parler de moi, cette lettre s’allonge inutilement, et tu ne peux mieux me connaitre me comprendre qu’en me lisant.
À ce rythme, c’était fini. Ou presque. Mère, comme Père, m’aurait dit de terminer par une formule de politesse. « Cordialement », « Magiquement », « Respectueusement », « Mes salutations », ou une autre banalité. Je réfléchis un instant. Rajouter cela, c’était assurément tout gâcher.
Je pourrais te souhaiter bon rétablissement, mais les combattantes s’en sortent toujours, et tu en es une tout comme moi,
Un sourire naquit sur mes lèvres, persistant. C’était bon. J’avais réussi.
Emily Smith
Je signais d’un grand geste habitué et rapide, puis mes yeux parcoururent mes mots soignés. Mon écriture, bien penchée, longue et appliquée, était parfaite comme toujours. Rien à redire, pas une tâche sur le parchemin orné de mes mots noirs. Reposant la plume, j’agitais délicatement le parchemin sous le vent, pour faire sécher l’encre, avant de plier soigneusement la lettre entre quatre parties égales. Lissant les pliures avec mes ongles, j’attrapais l’enveloppe que j’avais emmené et y inscrivait rapidement le destinataire : « Rengan, Charlie – Sainte-Mangouste ». C’était fini. Glissant le parchemin à l’intérieur, je fermais l’enveloppe en y apposant un cachet de cire rouge sans armoiries.

Mes yeux perçants parcoururent la pièce avant de se poser sur une chevêche au regard presque aussi perçant que le mien, volant dans un coin, assurément impatiente d’être libérée de la tour. La sifflant doucement, je lui accrochais tant bien que mal la lettre à la patte alors qu’elle se débattait.

« Apporte ça à Charlie Rengan, Sainte Mangouste. Va. »

Je lançais mon bras en avant, et la petite chouette suivit le mouvement. S’élançant dans le vent, elle prit quelques secondes pour reprendre son équilibre, puis se mit à voler furieusement.
Rengan recevrait bientôt cette lettre, si Jenkins et Ame avaient raison. De toute manière, c’était bien la seule rumeur étant un peu cohérente, et je me devais de la vérifier. Après tout, cette petite fille en valait bien le coup.
Mon sourire n’avait pas quitté mon visage.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]