Les livres de Botanique lui plaisaient mais elle ne comprenait pas tout. Le langage scientifique régnait dans cette discipline et elle avait du mal à s’y habituer. Pourquoi donc on ne nommait pas les choses plus simplement ? Une fleur était une fleur, un oiseau était un oiseau. Dans les manuels de Botanique, il y avait un nom pour chaque fleur – cela passait encore – mais surtout pour chaque petit détail.

Elle se demandait depuis tout à l’heure la signification du mot ‘Corolle’. On en parlait dans son livre comme si c’était quelque chose de très connu, à la portée de tous. Un élément élémentaire que pourtant elle ne connaissait pas. C’était frustrant. Son cerveau bouillonnait, il établissait toutes sortes d’hypothèses, de plus en plus farfelues. Elle voulait absolument trouver la réponse toute seule mais force lui était de constater qu’elle allait devoir requérir l’aide d’un élève plus avancé ou d’un livre plus clair à ce sujet.

Elle papillonna des yeux. Sa vision était trouble, elle lisait depuis une heure dans une faible luminosité. *J’vois flou, c’est drôle.* Le visage des autres élèves avait disparu et le paysage était devenu opaque et trouble. Elle tourna la tête à droite. Ses yeux s’adaptèrent petit à petit à ce qu’elle voyait mais il lui fallut tout de même une vingtaine de seconde pour sortir de son état d’hébétude.

Lydia distingua sa petite grenouille, posée comme toujours sur son épaule. Elle avait dû s’ennuyer pendant ce temps passé à lire ! Elle s’en voulut de ne pas avoir pensé que Diphda avait peut-être besoin d’air.

- Oh, coucou toi. Désolée de t’avoir oubliée. Une corolle ça te dit quelque chose ?

La bestiole inclina sa tête pour mieux la regarder. Elle n’avait pas l’air d’être une botaniste confirmée.

- Moi non plus je sais pas malheureusement.

Je marquai un point final à la phrase que je rédigeais avant de lever la tête pour souffler un peu. Je m’étirai avec discrétion, balayant la salle de mon regard. Je ne m’étais même pas rendu compte que la nuit avait déjà étiré son dôme noir au-dessus du parc et que cette synthèse m’avait pris autant de temps qu’un cours de Botanique entier – c’est à dire une éternité qui passait plus vite que je-ne-savais-quoi.

Les muscles de mon dos et de mon cou me tiraient à force de rester voûtée sur ma feuille. Je décidai de prendre une pause de quelques minutes avant de replonger mon nez dans les parchemins. J’avais cette fichue manie de passer mon mercredi et vendredi après-midi cambrée dans les notes que j’avais prises pour me réécrire des synthèses propres sur chaque chapitre abordé – c’est-à-dire un temps considérable et des muscles tendus le week-end.

Je trempai ma plume dans l’encre pour esquisser une petit étoile sur le coin droit. Je souris amusée et entrepris de faire la même chose du côté opposé. Je relevai ensuite la tête machinalement pour observer mon entourage. La plupart des élèves avaient quitté la pièce mais il en restait quand même un bon nombre. Je les analysai un par un, penchant la tête avec incrédulité en voyant ma voisine-de-la-table-d’en-face s’adresser à un animal vert, perché sur son épaule. Une douce moue illumina mon visage et je ne réfléchis pas deux secondes avant de quitter ma place pour m’approcher doucement.

– Salut ! Désolée de te déranger, fis-je d’une voix enjouée que l’Eryne de première année aurait envié, c’est… c’est une grenouille ? demandai-je bêtement. Elle – ou il ? – est trop chou je trouve.

Je lui adressai un petit rire gêné en dévorant son animal des yeux, avant de me tourner vers elle, attendant sa réaction.

Les mots s’assemblèrent petit à petit pour former une image. Elle était fatiguée, cela ne faisait pas de doute. Pourtant dans ces moment-là, sa créativité se révélait.

*C* Une lettre faite d’une courbe, ressemblant à un sourire étiré. C’était la forme de l’arc-en-ciel.
*O* Facile. Une forme ronde, le rond d’une orange, de la terre ou des yeux de certaines personnes. Le ‘o’ était une bouche ouverte, de surprise ou de peur, on ne savait jamais.
*R* Elle lui avait toujours trouvé un air martial à cette lettre. Elle paraissait droite, rigide et prête au combat.
*O* La forme était la même mais le son ne résonnait pas pareil. Il était plus ouvert, plus aigu. Plus gai aussi sûrement.

Elle allait continuer son analyse quand une voix l’interrompit. Diphda et elle se tournèrent presque simultanément vers la personne qui leur parlait. Lydia avait cru être seule dans la pièce, il était tard et rares étaient les élèves déterminés à rester longtemps à travailler.

O’Kieran – c’était une élève de sa promotion, complimenta la petite grenouille. Celle-ci devait se douter qu’on parlait d’elle mais ne bougea pas d’un pouce et resta sur l’épaule de la brunette.

- Merci pour elle ! Elle s’appelle Diphda.

Elle lui adressa un petit regard, empli de fierté. Elle se détourna de la bestiole et reprit :

- T’sais ce que ça veut dire son nom ?

Quand elle se tourna, je reconnus avec un sourire Lydia, une Serdaigle de deuxième me semblait-il. Celle-ci adressa un regard pétillant à son animal et j’esquissai un petit sourire en entendant son *adorable* prénom.

– Nan, j’crois pas… lui répondis-je. *Diphda*… Ça me faisait peut-être penser à « Daphnée », qui me ramenait vers « dauphin », qui… Hum non, ça ne devait pas vraiment être ça. Ça veut dire quoi alors ?

Je tirai une chaise en arrière pour m’installer face à la Bleue et sa grenouille – *pas chocogrenouille, Eryne, tu as de ces idées parfois…* –, repoussant ma gêne pour l’écouter me l’expliquer.

Mes yeux, tentant pourtant de s’accrocher à ses billes bleues et ses joues colorées, étaient sans cesse attirés par sa petite bestiole verte. Je me demandais comment Lydia avait-elle fait pour éduquer sa mascotte et la garder sagement assise sur son épaule pendant autant de temps. Ça avait dû prendre si longtemps ! Ou peut-être que l’animal était juste calme et sage en façade. Peut-être que Diphda était une *choco*grenouille-diablesse, qui passait ses nuits à sauter d’un lit à l’autre dans les dortoirs des Serdaigle.

– Elle est sage ? Je veux dire, tu l’as domestiquée pour qu’elle t’obéisse ? demandai-je, un sourire aux yeux.

Si sa réponse était positive, je risquais malheureusement d’être jalouse pour elle, et peut-être même de cette complicité entre l’élève et la bestiole. Moi, j’avais beau supplier, supplier, continuer de supplier, me mettre à genoux ou faire un caprice, jamais Maman n’accepterait de m’acheter un animal. Trop de responsabilités pour moi, prétextait-elle.

Elle s’installa face à elle. O’Kieran semblait avoir envie de discuter ; ce qui n’était pas tellement pour lui déplaire. La conversation portait sur la grenouille et Diphda semblait l’avoir compris. Elle regardait avec des yeux attentifs la Jaune en face. Nul doute qu’elle allait se mettre à faire des petits numéros pour l’impressionner.

Lydia réfléchit quelques temps. Elle se rappelait très bien du pourquoi du comment elle avait donné ce nom d’étoile à son animal. Un soir, après une période de tourmentes… *J’ai vraiment envie de me rappeler ça ?* Non, la blessure était encore trop vive.

- J’l’ai appelée comme ça parce que… C’est le nom d’une étoile. Une étoile qu’on appelle par différents noms mais qu’on connaît comme ‘l’étoile de la grenouille’. Elle se trouve dans la constellation de la Baleine.

Elle avait récité son explication d’une traite, presque sans s’arrêter pour respirer. Elle voulait passer à autre chose, et vite. Le plus vite possible. Le nom n’avait pourtant pas grand rapport avec son père et ce qu’il s’était passé mais cela la prenait de temps en temps ; un souffle coupé, une envie de fuir et de puissants souvenirs qui remontaient dans son esprit et assaillaient son cœur avec mille flèches empoisonnées.

Elle se détendit légèrement quand on revint à une conversation banale sur la grenouille.

- Non, elle est intelligente. Mais c’est surtout qu’elle m’est attachée, sinon elle obéit pas trop.

*Comme moi.* songea-t-elle en tapotant affectueusement la petite tête verte et un peu gluante.

Je fixai ses yeux en souriant, avant de repasser instinctivement sur ses lèvres, dansant à toute allure. Son débit était rapide et son souffle court. La question semblait l’avoir mise mal à l’aise, mais pourquoi ? C’était d’ailleurs elle qui avait introduit son sujet.

Néanmoins très intéressée par sa réponse, je hochai la tête.

– C’est de l’astronomie alors ! C’est cool. Si tu avais acheté un boursouflet, tu aurais fait comment du coup ? demandai-je d’un ton blagueur. Il n’existe pas d’étoile du boursouflet dans la constellation du dauphin que je sache.

Je ris doucement, espérant l’observer retrouver ses couleurs, soucieuse de voir ce petit entretien, comme autant d’autres, tourner au vinaigre.

– Et tu peux lui faire faire des tours ? Par exemple, la faire sauter, rouler, et tout ça… je haussai les épaules, espérant que la Bleue comprenne en je voulais en venir. Je n’avais jamais eu d’animal mais je me souvenais des chiens se promenant devant la maison ou du chat qui adorait se faufiler dans ma chambre quand la fenêtre était ouverte. Je savais que beaucoup de maîtres dressaient leurs animaux, comme la vieille femme d’en face à qui son caniche apportait les pièces retrouvées par terre. Un sacré énergumène, disait Papa en parlant d’elle ; mais avant car, maintenant, c’était une famille avec des enfants bruyants qui vivait dans cette maison. Ce n’était pas mieux : entre la grand-mère et ses caniches chercheurs d’or et des parents avec des gamins qui courraient dans tous les sens, le choix était vite fait.

O’Kieran lui demanda comment elle aurait fait si elle avait acheté un boursoufflet. Elle dit cette phrase d’un ton moqueur. La première réaction de Lydia aurait été de dire « J’aurais jamais eu de boursoufflet, j’suis pas comme les Autres. » *Mais je ne dirais pas ça. C’est Lydia de première année qui aurait dit ça.* Elle avait changé, elle n’était plus la fillette de 11 ans, méprisante et orgueilleuse, tellement orgueilleuse.

Alors, un petit sourire se forma sur son visage. Alors, ses lèvres formèrent une courbe, un arc de cercle. La géométrie de sa bouche était sans doute la plus compliquée qu’il n’ait jamais été possible d’étudier.

- Oh, j’aurais trouvé autre chose. T’appellerais comment un boursoufflet toi ?

La Jaune lui demanda si Diphda savait faire des tours. Les yeux bleus de la jeune Holmes fixèrent encore une fois son animal de compagnie. *Qu’est-ce que je dois répondre ? Tu sais faire des tours toi ?* Elle n’aimait pas transformer sa grenouille en animal de cirque mais elle aimait encore moins perdre sa superbe devant quelqu’un qui s’intéressait à elle.

Alors, elle répondit un petit mot. Alors, elle se mordit la joue pour maquer le trouble qu’elle avait à mentir.

- Oui oui ! Elle est intelligente comme bestiole.

Elle posa Diphda sur la table.

- Tu nous montres ?

La grenouille ouvrit plus grand ses yeux teintés d’orangé. Elle ne semblait pas vraiment comprendre quel rôle elle avait.

Un boursoufflet… *J’l’appelerai pas. Parce que j’en aurai pas, tout simplement* Mais pour rendre son sourire à Lydia et jouer le jeu, je creusai mes méninges pour trouver un prénom à la possible petite boule de poils.

– Les premiers noms auxquels j’pense, c’est genre « Mimi », « Minou » et tout ça mais j’aime pas trop. C’est trop classique, tu vois ? C’est comme ça que j’avais appelé un chien en origami à l’école… J’pense que je chercherai un prénom original. Comme Diphda. Ou j’en inventerai un, comme ça le boursoufflet est unique !

Oui, je pouvais inventer un prénom spécial. En prenant des lettres au hasard pour constituer un mot par exemple ! Je regardai autour de moi mais on n’avait pas de dictionnaire à disposition. Tant pis, on ferait sans – ou mieux, avec un livre de cours.

– Tu veux qu’on en invente un ensemble ? je désignai le manuel ouvert devant elle pour enchaîner. On peut prendre genre sept lettres et après les remettre dans un ordre pour former un nom ? Ce s’ra un boursoufflet imaginaire, pouffai-je. *Notre. Notre boursoufflet* Notre boursoufflet imaginaire.

Je souris à la Serdaigle et reportai mon attention sur le grenouille, déposée soigneusement sur la table, immobile. J’attendis quelques instants avant de pouffer, sans moquerie mais simplement amusée par la situation. Je levai mes yeux vers Lydia :

– Elle est trop trop chou ! je marquai une pause, alternant entre la maîtresse et Diphda avant de fixer la première en haussant les épaules. Tu l’as adoptée quand ?

O’Kieran *et si je l’appelais Eryne ?* proposait de créer un boursoufflet, un animal qui serait à elle deux. Lydia savait qu’un animal n’appartenait à personne, uniquement à lui-même mais elle ne pouvait s’empêcher de désirer posséder une petite créature. Alors bien sûr que ce projet lui plaisait ! La Jaune était gaie, elle parlait beaucoup d’une voix qui était pourtant agréable. Jolie façon de finir l’après-midi.

- Un boursoufflet rien qu’à nous deux, ce s’rait chouette !

Il fallait trouver maintenant un nom, quelque chose qui confirmerait l’entité de l’animal. Un nom donnait une âme, permettait de reconnaître la créature parmi tant d’autres. Puis le nom pouvait être symbolique, comme l’était celui de Diphda.

- Bonne technique ! Sinon j’ai vu dans un livre de Botanique, le mot ‘Corolle’. Je le trouve joli, pas toi ?

Au moment où la jeune fille pouffa, le cerveau de la grenouille fit un « tilt ». Elle avait enfin compris ce qu’on attendait d’elle. Diphda se roula donc sur la table et exposa son petit ventre aux deux jeunes filles. La brunette sourit, ravie. C’était vraiment le meilleur animal de compagnie qui soit.

- Je l’ai rencontrée cet été, pour te répondre.

Elle n’en dit pas plus sur les circonstances, elle n’avait pas envie d’en parler. Peut-être un jour, qui sait ? Il faudrait pour cela qu’elle se sente en confiance, qu’elle se sente en paix avec elle-même et les personnes gravitant autour d’elle.

- Dis… C’est un peu stupide comme question mais tu veux bien que je t’appelle Eryne ? C’est ton prénom, c’est ça ?

Elle préférait demander et attendit la réponse, les joues un peu rougies par la gêne.

Je hochai la tête avec enthousiasme quand elle me donna son accord, avant de m’arrêter. Elle venait de dire… quelle voulait que l’on fabrique un boursoufflet ? Je lui avais simplement proposé de trouver un nom à un boursoufflet imaginaire… *Mais au fond, pourquoi pas ? Ça va être marraaant*

– Owii ! Mais euh… Tu veux genre qu’on le fabrique ? On peut faire un bricolage par exemple, un pompom ? Ça ressemble aux boursoufflets un petit pompom non ? Et on lui colle des petits yeux en plastique… Ou on peut le faire en papier ? Ou tu connais un sort pour fabriquer un boursouffleeet ?

Je l’écoutai me proposer ensuite un nom, un peu honteuse de ma longue tirade : étais-je à côté de la plaque ? Je hochai la tête d’un air entendu. « Corolle » sonnait bien. C’était comme « mélodie », c’était un mot joli à prononcer et joli à entendre :

– J’aime bien ! C’est les pétales de la fleur non ? Pour faire un clin d’œil au nom, on pourrait mettre un petit collier de pétales au boursoufflet ? À Corolle, dis-je en souriant.

En guettant l’approbation de ma camarade de classe, je songeai à ce qu’il nous restait à décider pour finaliser l’adoption de notre mascotte partagée. Son sexe ? Son âge ? Je préférais attendre la réponse de mon interlocutrice avant de poursuivre la fiche d’identité de Corolle.

– « Rencontrée », c’est trop chou, chuchotai-je, scrutant son visage en attente d’une suite. Celle-ci ne venant pas, je haussai intérieurement les épaules et lançai : En tout cas, elle est douée pour les roulades ! Elle sait faire d’autres tours ? Tu pourrais peut-être monter un petit spectacle avec elle ! Ça ferait un carton, souris-je, avec sincérité.

Je m’imaginai – un peu malgré moi – des rideaux rouges s’ouvrant sur la petite Diphda, une grenouille-funambule exposant ses prouesses à des spectateurs venus des quatre coins de Poudlard. Je pouffai, la voix de Lydia résonnant dans ma tête : « Mesdames et messieurs, bienvenue au grand spectacle de la grenouille la plus connue… »

La voix embarrassée de la Serdaigle résonna ensuite dans mes oreilles, à ma plus grande surprise. Ma réponse, franche directe ne se fit pas attendre : « Bah ouais… Et oui, c’est mon prénom… ». *Comment t’allais nous appeler sinon ?* Après avoir marqué un petit silence, intriguée par cette question subite, j’en conclus qu’elle pensait ne pas pouvoir m’appeler par mon prénom. Devais-je lui demander la permission, moi aussi ?

– Et euh… J’peux t’appeler Lydia du coup, hein ?

Tu n'as pas vu ce retard, n'est-ce pas ? Noon, il est passé inaperçuuuu