Depuis la première manifestation des pouvoirs de Violet, Amber, sa sœur jumelle, avait compris qu'elle n'était pas "normale". Au départ, elle n'y avait guère prêté attention : tous les enfants sorciers sont différents et la première fois de chacun n'a rien à voir avec leur valeur intrinsèque. Mais plus le temps passait et plus elle avait la sensation qu'elle était un cas "à part". D'habitude, quand quelque chose n'allait pas, elle en parlait à Violet et à son père ; les deux fillettes étaient les meilleures amies du monde et Mr Romans faisait toujours de son mieux pour combler l'absence de leur mère défunte. Mais cette fois-ci, elle n'avait rien dit à personne. Bien sûr, sa famille pouvait parfois sentir son inquiétude, et s'efforcer de la rassurer, mais elle ne s'était jamais décidée à mettre des mots sur le mal-être qui jouait à cache-cache avec son cœur. Elle préférait essayer d'y croire encore. Après tout, elle et sa sœur rêvaient d'aller à Poudlard depuis si longtemps qu'il lui aurait été difficile de s'imaginer un autre avenir qu'au sein du grand château que son père décrivait abondamment dans ses anecdotes de jeunesse. Curieuse, tout comme sa sœur, elle feuilletait souvent les livres qui traitaient du monde dans lequel elle souhaitait évoluer et commençait à amasser des connaissances. Elle ne s'attaquait certes pas encore à des manuels théoriques, mais elle aimait beaucoup lire les récits d'écrivains sorciers et se tenir au courant des nouveautés magiques. Bercée dès son plus jeune âge par les Contes de Beedle le Barde, elle avait par exemple ensuite dévoré dès sa parution le Il était une fois au pays des sorciers de Miranda Vurse. Quelle n'avait alors pas été sa tristesse quand elle avait appris l'assassinat de l'auteure, quelques années plus tard ! Outre les romans, elle s'intéressait particulièrement aux créatures magiques. Elle avait un faible pour les Botrucs, ces rois du camouflage, et se prenait parfois à les envier, sans savoir pourquoi. Côté vêtements, à chaque Noël, c'était la même rengaine : "une cape d'invisibilité, papa, une cape d'invisibilité !". Violet, quant à elle, avait hâte de savoir transplaner. En attendant, l'une s'entrainait à la discrétion, et l'autre savourait chaque voyage via portoloin et réseau de cheminée. Quant au Quidditch, sa sœur et elle avaient souvent des discussions enflammées pour savoir qui des Pies de Montrose ou des Harpies de Holyhead méritait leur admiration. Bref, les jumelles avaient beau devoir étudier chez les moldus pour le début de leur scolarité, elles n'en restaient pas moins des filles de sorciers ! C'est pourquoi il était difficile pour Amber de ne pas s'inquiéter en constatant que ses pouvoirs n'apparaissaient pas. Et le pincement au cœur qu'elle ressentait à chaque fois que sa sœur faisait preuve d'une nouvelle manifestation magique était de plus en plus difficile à ignorer. Combien de temps allait-elle encore pouvoir se leurrer ?

28 juillet 2041







Toc, toc. Quelqu'un frappe à la porte de la chambre ; Amber retient son souffle. C'est sûrement Violet, venue la consoler. Mais ses démons triomphent, et sa fierté prime : elle ne veut voir personne. Depuis sa visite chez le médicomage, son destin est scellé. Sa douleur, qu'elle a si longtemps réprimée, l'aveugle. Les larmes coulent par torrents ; son plexus compressé, elle se noie comme jamais auparavant. Est-ce cela, la vie ? Cette injustice sans nom ? À quoi bon donc y croire si tout n'est qu'illusion ? Les pensées tourbillonnent et elle ne sait pas, ne sait plus, ne veut plus savoir. Ses rêves bancals s'effondrent, son espoir balayé. Plus la peine d'essayer. Onze ans, déjà brisée. Fallait que ça tombe sur elle... Les souvenirs reviennent, par fragments. Le balai moldu. L'étonnement, les rires, la joie de Violet. Et sa promesse. "On ira à Poudlard ensemble, d'accord ? On sera dans la même maison et on restera inséparables !" Mensonge... Plus rien ne sera comme avant. Vivi va s'en aller, toute seule, et la laisser derrière. Qu'est-ce qu'elle se sent faible ! Elle est inférieure depuis le début... Elle est condamnée. Son esprit s'embrume, divague, elle a mal. Si mal qu'elle voudrait mettre le temps sur pause et le remonter. Retourner à cet instant, cet instant qui a tout changé, et dire à sa sœur : "te fait pas d'illusions, on s'ra jamais ensemble ! Méchante sœur supérieure à moi, méchante sorcière…". La haine envahit son être. Pourquoi c'est Violet la sorcière, et pas elle ? Pourquoi ses pouvoirs à elle ne se manifesteront jamais ? Pourquoi elle doit endurer tout ça ? Elle n'a rien fait de mal… *J'suis nulle…* Ça commence. Elle s'en veut, et s'en voudra encore. Des jours et des jours, elle pleurera. En silence, en cachette, à l'abri de son père. Vilaine magie, qui l'a faite espérer en vain ! Vilains moldus, qui l'attendent pour entrer au collège ! Vide. Sa vie est vide de sens, et son être rempli de honte. Honte de ce qu'elle est : *une moins que rien.* Une ordure, une incapable... La faible de la famille. *J'te déteste Violet... Sale chanceuse* Frissons. Froideur. Boule dans la gorge et ventre en feu. Cette tristesse la rendra malade. Les heures passent, on l'appelle pour dîner. C'est dit doucement par papa. Mais non, rien à faire, elle ne veut pas. Ce soir, quand sa jumelle ouvre enfin la porte, elle fait semblant de dormir. Pas envie de répondre aux questions, pas envie de faire face. S'enfoncer. Dans la couette, sous l'oreiller, et inonder le drap de liquide salé. Voilà ce qu'elle fait. Sans un bruit, immobile, autant que sur les quelques photos moldues qu'elle possède. Moldus... Désormais, elle doit vivre comme eux. C'est peut-être pas si terrible, mais... Pour l'instant, elle a du mal à le concevoir. A imaginer autre chose que la douleur. Le malheur. Et maintenant, c'est nuit blanche. Bon courage Amber...

ANNEE SCOLAIRE 2041-2042

Depuis sa visite chez le médicomage fin juillet 2041, Amber Romans avait dû se faire une raison : elle n'irait jamais à Poudlard. Jusqu'alors, une partie d'elle-même, infime, gardait encore espoir. L'épisode de la lettre l'avait énormément secouée mais les paroles de sa sœur et son soutien lui avait permis d'y croire encore un peu.  Seulement, les jours avaient passé et sa lettre n'était pas arrivée. Ce qu'elle avait toujours craint s'était réalisé, la laissant dans un désespoir immense. Il lui semblait qu'elle était un rebut, un déchet, un monstre. Différente des moldus de par sa connaissance du monde magique et sa capacité à voir certains objets et créatures dudit monde, différente des sorciers par son manque de pouvoirs, elle se sentait à part et était persuadée que personne ne pourrait la comprendre. Elle s'était donc murée dans le silence, ne parlant que lorsque c'était nécessaire, et surtout pas à Violet, malgré les différents filtres d'apaisement administrés par son père. C'est à peine si elle avait profité de leurs vacances en France et de la venue d'Elva, mi-août. La perspective de se retrouver entourée de sorciers heureux de se rendre à Poudlard l'écoeurant, elle avait même refusé d'accompagner sa sœur le jour de son départ. Elle savait qu'elle lui faisait de la peine mais se demandait si l'autre avait réellement essayé de se mettre à sa place. Les mois avaient passé, lentement, et le quotidien avait repris son cours. Au collège, elle avait retrouvé Elliot, Morgan et Ava, ses copains moldus. Ils lui avaient demandé ce qu'elle faisait là, pourquoi elle n'était pas partie dans l'internat privé dont Violet leur avait vaguement parlé au début des vacances, pourquoi les inséparables n'étaient plus . Elle avait bredouillé qu'il y avait des critères d'admission, qu'elle ne les remplissait pas et que Violet était partie sans elle, qu'elle n'avait pas voulu rester. Ils avaient été surpris, très surpris, s'étaient offusqués, lui avait offert quelques mots de soutien, avaient maudit sa sœur, ce qui lui avait fait du bien mais n'avait pas comblé le manque. Pour elle, le seul dépaysement consistait en l'absence de sa jumelle. Faire ses devoirs seule, s'amuser seule à la maison, dormir seule dans sa chambre… Elle avait beau être jalouse, lui en vouloir, la détester parfois, elle restait sa sœur, celle avec qui elle avait tant partagé, tant espéré, tant rêvé… Les premières semaines, l'envie et la rage avaient dominé son cœur. Puis, peu à peu, malgré la douleur, elle s'était mise à attendre impatiemment les lettres apportant de ses nouvelles. Leurs retrouvailles, pendant les vacances de Noël, lui avaient fait un bien fou. Ne pouvant résister plus longtemps, Amber avait laissé leurs différences de côté et profité de l'incroyable complicité dont elles savaient faire preuve. Depuis, les jumelles s'écrivaient personnellement, sans forcément passer par l'intermédiaire de leur père. Bien sûr, de son côté, il y avait encore des hauts et des bas, des moments où elle avait envie de balancer à Violet toute sa haine à la figure, mais elle s'efforçait de le garder pour elle. Pour son anniversaire, son père lui avait offert Ma vie de cracmol, l'autobiographie d'Angus Buchanan. Elle l'avait lu et accepté d'en discuter avec lui. Il lui avait rappelé une fois de plus à quel point elle comptait pour lui et sa sœur, à quel point la savoir cracmolle ne changeait rien pour eux, et son discours se frayait lentement un chemin dans son esprit. Elle était peut-être cracmolle, mais elle était aimée.

ANNEE SCOLAIRE 2042-2043

L'été arriva bien vite. En juillet, Amber accepta d'accompagner sa famille sur le Chemin de Traverse pour les courses de sa sœur. Elle apprécia le lieu et son père lui promit qu'ils y retourneraient de temps en temps si elle le désirait. Cela lui fit plaisir mais au fond d'elle-même, elle saignait toujours un peu. Envoyer des lettres à Violet, avoir de ses nouvelles, profiter de sa présence pendant les petites vacances, c'était une chose ; passer deux mois avec elle, la regarder dévorer ses manuels, envoyer des hiboux à ses amies, c'en était une autre, bien plus difficile. Le ton montait parfois entre les deux sœurs qui s'efforçaient pourtant de faire des efforts. Partagée par les sentiments qu'elle connaissait bien, Amber interrogeait parfois Violet sur ses aventures de l'année. Elle sentait que cette dernière hésitait à lui répondre ; cela la peinait. Elle savait que l'autre souhaitait la protéger et elle n'appréciait pas. "Les jumelles, ça se dit tout !" voulait-elle lui rétorquer. Seulement, elle-même ne lui avait-elle pas caché l'étendue de son mal-être pendant de nombreuses années ? Leur séjour chez les Grady, en août, n'arrangea pas vraiment les choses. La cracmolle se sentit maintes fois exclue par Elva et sa jumelle qui semblaient disposer d'une intimité toute neuve. Elle accueillit donc avec soulagement le départ de sa sœur le 1er septembre. Finalement, elle se sentait mieux sans elle. Ses histoires de sorcières commençaient à l'ennuyer : en dehors des événements qui frappèrent Poudlard à la fin du 1er mois, les lettres se ressemblaient toutes. Un Optimal par ci, un Effort Exceptionnel par là… Sa sœur brillait, soit. Mais ensuite ? N'y avait-il donc que cela qui comptait dans la vie ? Elle, Amber Romans, développait ses amitiés ! Elle se réouvrait au monde -Moldu, cela va de soi-, s'extrayait du cocon familial, et ça lui faisait du bien. Fin janvier, les lettres de Violet redevinrent dignes d'intérêt : elles relataient l'arrivée et le séjour à Poudlard d'une délégation de Zhuangyán dans le cadre d'une compétition. Trois duos inter-écoles devaient être formés et s'affronter dans trois épreuves pour gagner un œuf de dragon. Violet comptait participer, elle avait tout préparé ! Malheureusement -ou heureusement ? Amber ne savait pas trop, une partie d'elle-même se réjouit de la nouvelle- sa sœur tomba malade la veille de la soumission des candidatures et dû donc suivre les prouesses des élus en simple spectatrice. 

VACANCES D'ETE 2044

Le jour où Violet rentra de Poudlard, Amber fut contrainte de l'attendre à Oxford. Elle aurait aimé venir à sa rencontre, la retrouver, comme à son habitude, à King's Cross, mais cela ne fut pas possible : son père, Luke Romans, ne l'y autorisa pas. "Les nés-moldus sont chassés du Chemin de Traverse", lui avait-il rappelé, "alors qui sait quel sort pourrait t'être réservé ? Je préfère ne pas prendre de risques". Ne pas prendre de risques... Il lui avait tenu exactement le même discours pour justifier l'interdiction qu'elle avait à présent d'envoyer la moindre missive à sa soeur -exception faite pour leur anniversaire, à condition qu'il ait pu inspecter au préalable le contenu de sa lettre. "On ne peut pas se permettre de leur donner trop d'informations à ton sujet, lui avait-il expliqué. Ils fouillent le courrier". Quant à ses récriminations à base de "Violet va penser que j'veux plus lui parler !", il lui avait rétorqué qu'il s'occupait d'inventer une excuse et qu'il s'empresserait, dès qu'il la verrait, de lui avouer la vérité. La mort dans l'âme, la cracmolle s'était résignée en se maudissant d'être ce qu'elle était. Elle avait néanmoins chaleureusement accueilli sa soeur, soulagée de ne déceler chez cette dernière aucun ressentiment. Pendant un temps, elle parvint à cacher son mal-être et celui-ci ne se manifesta pas autrement que par des tensions déjà bien connues qu'elles pensaient toutes deux apaisées. Mais à mesure que l'été avançait, exaltée par la chaleur et leur obligation de rester -par sa faute- à Oxford, elle se mit à éviter sa jumelle, passant le plus de temps possible hors de chez elles, refusant toute chose du monde sorcier et se revendiquant moldue. Elle aurait aimé pouvoir se confier à Fiona et à Morgan -son trouble commençait à transparaître-, mais elle ne le pouvait pas. Alors, lorsque sa souffrance devenait trop vive, elle s'isolait.

*Oh, pourquoi a-t-il fallu que j'naisse dans une famille sorcière ? Pourquoi j'suis pas totalement moldue ?* se répétait-elle.

Son père, voyant son état se dégrader, prit les devants. Un soir où elle avait refusé de dîner avec eux et s'était enfermée dans sa chambre, il monta la voir, déverrouilla la porte d'un coup de baguette, s'assit sur le lit de Violet et lui dit doucement :

- Tu sais ma fille, ta soeur et moi t'aimons tout autant que si tu avais des pouvoirs. Le Conseil a des pensées arriérées, ce ne sont que des ****.

Amber, qui, allongée sur son lit, fixait le plafond, rétorqua :

- Peut-être que vous vous m'aimez, mais c'est pas l'cas de tout l'monde.
- On ne peut pas être aimé de tous... Sorcier, moldu ou cracmol, il y aura toujours quelqu'un pour nous rabaisser, mépriser nos actes ou ce que l'on est. C'est regrettable mais c'est comme ça. Ca en dit plus long sur eux que sur toi !
- Mais à cause de moi vous pouvez pas partir en vacances !

Mr Romans fronça les sourcils. C'était donc pour cela que sa fille se sentait si mal ? Il doutait que cela soit la seule raison, mais la rassura néanmoins sur ce point.

- Ce n'est pas grave ça, pas grave du tout ! Ce qui compte, c'est que tu sois en sécurité.

*En sécurité...* songea-t-elle. *Eux aussi ils sont ptêtre en danger... pourtant c'est moi qu'on protège, j'suis même pas capable de m'défendre toute seule !*

- Amber ! s'exclama Violet, qui, attristée par le comportement de sa jumelle, les avait rejoints et écoutait à présent la conversation sur le pas de la porte. Je t'en veux pas du tout, et papa non plus ! Bien sûr que j'aurais aimé aller à la coupe du monde de Quidditch ou en Italie, on en parle depuis si longtemps ! Mais j'veux pas qu'tu t'en veuilles pour ça, j'veux pas, c'est pas d'ta faute !

Elle s'avança vers elle, lui prit la main.

- Je t'aime Amber, je t'aime, t'es ma soeur et qut'aies des pouvoirs ou pas n'y change rien !
- Mais j'suis plus la bienvenue dans l'monde des sorciers...
- Pour l'instant non, en effet, admit son père. Mais ça ne veut pas dire que ce sera toujours le cas.
- Ca l'était déjà avant, pourquoi ça changerait ?
- Et pourquoi pas ? Les choses changent ma fille, tu en es toi-même le témoin. Tu as bien étudié ou entendu parlé de certaines avancées en termes de droits, moldus comme sorciers ! Regarde la condition des elfes de maison, elle a bien évolué en 50 ans ! Alors certes, nous vivons une période difficile, mais j'ose espérer qu'un jour elle sera derrière nous. Ca ne fait que deux mois, et nul ne sait combien de temps ça va durer, mais tu sais comme moi que rien ne dure éternellement. Tous les sorciers ne soutiennent pas le Conseil, loin de là ! Gardons espoir.

Il y eut un silence ; Amber essayait de digérer ce qu'elle venait d'entendre.

- Tu es aimée, lui répéta son père. Par moi, ta soeur, tes grand-parents, tes cousines, tes tantes et oncle. Tu es aimée par tes amis.
- Ils ne savent pas qui je suis vraiment !

Nouveau silence ; Mr Romans ne sut trouver les mots justes. Finalement, c'est Violet qui déclara, hésitante :

- On s'en fiche. Un vrai ami t'accepte pour c'que tu es, donc s'ils savaient, ça changerait rien entre vous...
- Ca t'en sait rien !

La violence avec laquelle Amber avait craché ces mots prit Violet de court. Elle n'avait pas réfléchi à ce qu'il se passerait si un de ses camarades d'école primaire apprenait la vérité sur elle-même. La croiraient-ils seulement ? Probablement pas. Des paroles ne suffiraient pas, et à moins qu'elle ou son père ne leur fassent une démonstration de magie, ce qui reviendrait, comme de simples phrases, à enfreindre la loi du Secret et, pour elle, le décret concernant la restriction de l'usage de la magie chez les sorciers de premier cycle, ils la prendraient au mieux pour une blagueuse, au pire pour une folle. En bref, à moins que l'existence des sorciers ne soit révélée aux yeux de tous et qu'elle n'ait plus à se cacher, une telle transparence était tout bonnement impossible. Elle hasarda :

- Non, c'est vrai, j'en sais rien... C'est vrai... mais supposons qu'ils l'apprennent un jour... T'as pas de pouvoirs donc ils ont aucune raison de t'rejeter. Et s'ils le font quand même, ils sont sacrément stupides ! S'ils le font, c'est qu'ils te méritaient pas.
- Très bien parlé, Violet, dit Mr Romans. Il y a toujours des gens pour nous accepter, Amber... toujours.

Lentement, Amber se redressa, s'assit, puis opina du chef.

- Vous avez raison, dit-elle. C'est sûrement vrai.

Elle serra fort la main de Violet.

- Mais s'ils l'apprennent un jour et qu'ils vous rejettent vous ?

Mr Romans soupira.

- On en est pas là, on est tous prudents, donc à moins qu'il ne se passe je ne sais quelle catastrophe, il n'y a vraiment aucune raison pour que cela arrive.

Alors Amber, rassérénée, se laissa câliner par sa jumelle et, avec l'aide des filtres apaisants que lui concocta son père et des preuves d'amour de son entourage, réussit à calmer un peu ses démons pour le reste des vacances et à profiter un minimum des moments avec la famille qui vint lui rendre visite.

SEPTEMBRE A DECEMBRE 2044

Le matin du départ de Violet, Amber et elles se séparèrent sur le seuil de la porte de leur petite maison d'Oxford. La cracmolle était triste ; elle fit jurer à sa jumelle de continuer à lui écrire.

- Moi j'peux pas l'faire, alors n'oublie pas !

Le quotidien reprit bien vite ses droits. Les cours, les copains, le violon. Finalement, en apparence, rien ne différait de l'année précédente, si ce n'était un malaise, mi-angoisse, mi-désir, à l'idée d'être découverte par le Conseil et oubliettée comme certains parents non-maj' d'étudiants de Poudlard. Cet inconfort, d'abord latent, surgit soudainement des méandres de sa conscience pour la frapper de plein fouet quand sa jumelle, à peine une semaine après la rentrée, rapporta dans une missive ce qu'elle avait lu dans la Gazette et que son père lui avait tu vis-à-vis d'une actualité qu'elle pensait uniquement moldue : le 10 Downing Street avait été attaqué, non pas par de quelconques terroristes, mais par Ursula Parkinson et sa Garde Noire. La discussion qu'elle avait eue avec ses proches dans l'optique de l'apaiser, pendant l'été, lui revint en mémoire : de toute évidence, son père avait été un peu trop optimiste. Qui savait ce dont la cheffe du Conseil était capable ? Voulait-elle prendre le pouvoir sur le monde moldu, à l'instar de Voldemort en son temps, ce qui briserait le Secret ? Qu'avait-elle en tête ?

Les nouvelles de début novembre ajoutèrent à son angoisse : le soir de la Toussaint, les médias moldus annoncèrent le ravage du coeur de Londres, déplorant les nombreuses victimes. Amber, qui suivit l'actualité depuis son smartphone -cadeau d'anniversaire !- en fut bouleversé. Elle était sûre que le Conseil était derrière tout ça. Dès lors, ce que la Gazette s'empressa d'affirmer la troubla : loin d'inculper Parkinson pour le saccage qui avait eu lieu, elle signalait la destruction de Sainte Mangouste par les McKinney, qu'elle présentait comme une famille membre de la plus grande organisation criminelle du monde de la sorcellerie, les Sept Lignées du Nord. Mr Romans et elle n'en avaient jamais entendu parler.

- Tu penses que la Gazette ment ? demanda-t-elle le lendemain au petit-déjeuner.
- Eh bien, répondit-il, c'est vrai qu'à première vue, cela pourrait sembler dans leur intérêt... Cependant, consacrer plusieurs dizaines de pages à un mensonge, c'est quelque chose d'assez risqué, et je doute que le Conseil ait pu s'attaquer à Sainte Mangouste, ce serait aberrant... Je ne suis pas fan des théories du complot. Jusqu'à présent, Parkinson a toujours été à peu près claire sur ses intentions ; je doute qu'elle ait besoin de monter un coup pareil. J'ai lu plusieurs fois le dossier sur les Sept Lignées, et je dois admettre qu'il tient debout. Ca nous fait donc une menace de plus...

*Génial*, se dit Amber, le cerveau bouillonnant.

Quels pouvaient être les mobiles des Sept Lignées ? Avaient-ils pris les moldus pour cibles ou ceux-ci n'étaient-ils que des dommages collatéraux ? Quel autre lieu prévoyaient-ils d'attaquer ? Et surtout, par quels moyens avaient-ils pu causer autant de dégâts ? Ce dernier mystère fut bientôt résolu : à peine sortie de table, traînant sur internet, elle tomba nez à nez avec une vidéo du désastre.

- Papa, s'exclama-t-elle en lui tendant son appareil. Regarde !

Sous ses yeux horrifiés se déroulait une scène digne d'un cauchemar : là, sur l'écran, ce n'était pas des sorciers noirs qui se livraient bataille, emportant tout sur leur passage, mais des créatures sur le chemin desquels ils souhaitaient tous deux ne jamais se trouver : des Obscurus. Et ce n'était pas tout : quelques heures plus tard, David Jameson, le Premier ministre moldu, révéla en direct que c'était des sorcières qui avaient tout orchestré et qu'il avait dépêché l'armée et la police pour les retrouver.

*La catastrophe¹ est arrivée !*

A Oxford, heureusement, de nombreux habitants ne prirent pas au sérieux de telles informations. Le Premier ministre avait selon eux sombré dans la folie, c'était un complot ; ils ne savaient plus quoi inventer ! Ce vidéo montage était certes réaliste, il ne les convaincraient pas. Mais passé la phase de déni, la peur envahit les esprits. Etait-ce vraiment une blague ? Quelle menace planait sur le pays ? Dans la cour de récré, les premiers jours, les rumeurs allèrent bon train. Certains élaboraient des hypothèses complètement déjantés, d'autres se contentaient d'écouter ou de changer de sujet. Amber était de ceux-là ; elle attendait avec angoisse une quelconque évolution.
Novembre, puis décembre passèrent dans un climat d'incertitudes. Deux jours après les attentats, la Gazette rapporta la capture de Bathilda Menford, une sorcière, par l'armée Moldue dans le village de Tinworth. D'autres cas suivirent, ce fut une véritable vague. Les infractions de la Grande Bretagne vis-à-vis du Secret Magique poussèrent la Confédération Internationale des Sorciers à l'exclure de ses rangs. Une ligne de protection européenne contre les moldus fut constituée. Quant aux nouvelles de Poudlard, elles n'étaient pas meilleures : une lettre de Violet relata le fiasco du bal d'Halloween, au cours duquel des élèves déguisés en Mangemorts avaient attaqué élèves et professeurs, exigeant la dénonciation des "sang de bourbe" et des "traitres à leur sang". Quelle horreur ! C'en fut trop pour Amber. Parfois, ses pensées s'agitaient, tourbillonnant dans une danse endiablée, aussi répétitives qu'un disque rayé, au rythme de son cœur qui tambourinait contre sa cage thoracique et jusque dans l'étau que devenait sa gorge. Elles accéléraient encore et encore, puis, fugitives, s'évaporaient, la laissant s'enfoncer dans une poix à travers laquelle le monde extérieur ne paraissait plus qu'un rêve, un lieu sans appui pour son corps engourdi, sans protection contre ses sensations. Elle pleurait souvent, la nuit. Ses seules consolations étaient que sa soeur soit saine et sauve, et que Miss Loewy ait renvoyé les fauteurs de trouble après avoir cassé leurs baguettes. Le staff de Poudlard était un mince espoir, une preuve tangible qu'il existait encore des sorciers s'opposant à une hiérarchisation par les statuts de sang !
Dès qu'il s'aperçut de l'état de sa fille, Mr Romans lui concocta de nouveau des calmants. Les crises s'espacèrent mais ne disparurent pas.