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26 janv. 2020, 17:10
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
« Douze mille chutes et combien de bleus ?
Maman dit “ça fait du bien de pleurer”
Mais comment je fais si j’ai plus de larmes ?
Comment je fais si j’ai
Plus de larmes dans le corps »

Plus de larmes, Lomepal



19 Décembre 2044
Gare de King’s Cross, Londres
3ème année


La poigne de Shaina sur mon bras est atrocement puissante. L’étau qui se referme sur moi fait claquer contre mon esprit le souvenir que ma belle-mère est une ancienne championne de duel. Puissante. Forte. Dans ma position inconfortable, je ne peux qu’apercevoir son dos tandis qu’elle me tire d’un bras, remorquant Sky de l’autre. A côté, un homme traine Éole et Arthus de la même manière. J’aimerais protester, mais je ne le fais pas. Ma bouche se tord sous la douleur, et ma tête s’agite vers l’arrière, se tournant dans un angle inconfortable. Je dois regarder derrière moi. *Elle est où ?!*. La foule est nombreuse, une vague infinie que nous fendons bien trop rapidement à mon goût. La silhouette du train s’estompe déjà dans mon champ de vision, remplacée par des sorciers. Une foule envahissante. Des gens en noirs. Ce noir envahit ma vision, dégouline dans ma bouche, me fait suffoquer. *Non !*. Le Bal d’Halloween, tous en noir. Moi aussi, habillée de Noir. Et du sang, trop de sang. Et l’absence, l’incapacité...
DANS MES CAUCHEMARS, LE POURPRE EST ORNÉ DE NOIR.
*Aelle !*
La nausée m’envahit, mon corps bascule vers l’avant et entraine mon crâne ; la rousse me tire toujours, bousculant les Autres pour se frayer un passage. Trébuchantes, mes jambes. Hésitantes. Tout est trop rapide, pour que je puisse suivre la course. *ET JE NE LA VOIS PAS*. Les familles de sorciers sont partout, mais la sienne n’est Nul Part. Et je veux m’enfuir vers ce Nul Part. Shaina me traine trop vite, trop brusquement, sans considération pour mes protestations muettes. Elle me refuse la possibilité de discerner clairement les alentours, de chercher ; de trouver.

Quand nous arrivons enfin devant le mur du quai magique, elle fait un signe de tête au Monsieur. Poussant Éole en avant et tirant Arthus à sa suite, il passe la barrière. Elle pousse Sky en avant, se tourne vers moi. Je rentre ma tête entre mes épaules, lance un regard désespéré vers la foule.
« J’te... vois pas... » En s’échappant de mes lèvres, ma voix racle ma gorge et assèche ma langue. Ce filet de voix se tend à peine vers la foule, s’évanouit dans l’air. Mes cordes vocales abimées de silence ne vibrent plus. L’Appel à l’Aide muet est ma seule capacité actuelle, mais elle s’use trop vite ; l’unique point attirant ma concentration est invisible. *AELLE*. Arrachée à elle à la sortie du train, je ne sais pas si elle va bien. Si elle est restée à Poudlard cet été, c’est que c’est dangereux. On n’en a pas beaucoup parlé. Quand j’ai reçu la confirmation que je restais, j’ai seulement lâché un je reste ici cet été, et elle n’a rien demandé. De même quand elle l’a annoncé. Mais je sais qu’Aelle est née-sorcière, et je sais que les nés-sorciers qui sont restés au Château l’ont fait car c’était presque plus dangereux pour eux. Les liens des parents qui mettent en danger les enfants. Et je ne la vois pas, ni Aodren, ni... D’un coup de coude, je repousse inconsciemment la rousse qui me force à passer la barrière, je plonge mes yeux dans la mer de la foule pour y trouver l’unique visage que je cherche. *Nul part*. Trop de gens. « A... » laissé-je échapper en chialant intérieurement. Les vagues successives d’Autres s’échouent contre la barrière pour traverser, me bousculant. Hors de mon temps. Tout va trop vite autour de moi ; mon îlot de désespoir au milieu d’une mer d’inconscience.
Puis les doigts se serrent si fort dans mon avant bras que je sais que j’en garderai une marque. Tirée en arrière à une vitesse folle *j’suis si lente*, je tombe dans l’illusion dos en avant, me ramasse par terre. Genoux écorchés, je reste ce qui me semble une éternité à terre, mais le monde ne bouge pas autour de moi. D’un appui de main, je me relève péniblement. À côté de moi, Papa, qui attendait devant la barrière, me regarde d’un air inquiet. La rousse traverse à son tour, me contemple un instant. Sky a serré les bras autour de son corps, fixe ses pieds sans bouger. « Un, deux, trois, quatre... » Sa litanie qui recommence ; le refuge dans les chiffres. Il fait ça, des fois. De plus en plus souvent depuis le Bal. Où il n’était pas. Presque seul dans la salle commune, il me l’a dit. Mais je sais qu’il est sorti quand il a entendu du bruit, et qu’il a Vu, comme tout le monde. Traumatisé. *Moins qu’moi*. Mais je ne suis pas brisée, ni traumatisée, ni rien ; moi, je vais bien. N’est-ce pas ? Les cauchemars en Noir de Pourpre, ça n’a rien à voir. *Cinq, six, sept, huit, neuf* compté-je moi aussi. Les chiffres me font mal à la tête, mais ce sont une ancre solide.
Même Arthus me regarde, tenant la main à une Éole perturbée, et il ne se moque pas. Deux yeux trop bruns qui me transpercent, parce qu’il sait beaucoup plus que tous les autres. Un voile d’inquiétude passe dans le brun doux de ses orbes, il secoue légèrement la tête.

L’homme inconnu part, Shaina lui adresse un signe léger de remerciement. Il est la preuve douloureuse que Papa ne peut plus s’approcher de notre Monde. Je sens déjà la distance entre nous, qui se creuse. Éole s’accroche à lui, ses cheveux courts lui dessinant un visage de plus en plus mature. Presque un an que nous ne nous sommes pas vus, tous. Le regard de la rousse dit que l’heure n’est pas aux retrouvailles : son geste de la main nous désigne la sortie de la gare, où la voiture doit être garée. Mes pas sont monotones, incertains, automatiques. *Trente deux, trente trois, trente quatre*. Compter, encore. Jusqu’à arriver à la voiture. Arthus avance trop lentement pour laisser les parents deux mètres en avant, se recule jusqu’à moi pour me regarder en silence tandis que nous avançons.
Le sol est glissant. Indéfini. Mouvant. Comme si, à chaque pas que je faisais, mon pied se posait à des kilomètres du lieu où je l’ai consciemment déposé. Mon équilibre s’est envolé, et ma marche est aussi déséquilibrée et hésitante que le cours de mes pensées. D’un geste, mon frère me saisit le bras, ses doigts posés délicatement là où Shaina m’a douloureusement serré. Mon dégoût du contact est immense, mais je ne trouve pas la force de le repousser. Avançant péniblement jusqu’à la voiture, je grimpe à l’arrière, sur la dernière banquette, tandis que Shaina et Papa se mettent devant, et Éole avec Sky sur la première banquette. Posant ma tête sur la vitre, je sens la nausée monter dans mon corps, puis un mouvement à côté de moi. Arthus qui délaisse sa place habituelle — à côté d’Éole, pour s’asseoir à l’autre bout de la banquette où je me suis installée. Pas à côté de moi, au moins.

Papa démarre, et ma tête se cogne contre la vitre où elle repose. Pourtant, cela s’arrête bien vite ; trop vite à mon goût, dix minutes à peine avec cette douloureuse sensation de rebondir contre la paroi de verre, qui m’empêchait de penser. Bienvenu est ce qui arrête mes songes, aussi douloureux soit-il. Autour, quand j’y jette un coup d’œil, le monde est flouté par la pluie. Garée sur une place de parking dans le coin d’une rue, devant une place, la voiture est silencieuse encore quelques instants. J’aime la pluie et l’ambiance qu’elle crée, ce brouillard de sensations, humide et paisible ; l’état de mes pensées.

« Navrés d’avoir été aussi vite, les enfants... » Les mots qui sortent de la bouche de Shaina semblent être une bouillie pâteuse et incompréhensible. « Avec les Manteaux Noirs, et l’attaque d’Halloween... » *Halloween*. Non. La dernière fois que nous avons tous été réunis, le Conseil des Sorciers n’existait pas. Ça ne devrait pas avoir changé. *Halloween*. Shaina ne devrait pas être au courant pour le Bal ; mais Altaïr l’est, évidemment. Je baisse la tête.

« Vous allez bien ? »

L’hésitation de Papa est palpable. Il n’est pas hésitant, d’habitude. Pourtant, le malaise de tout le monde est perceptible. C’est un malaise bruyant, qui installe un silence. Il me rappelle que ça fait *huit mois* que nous ne nous sommes pas tous vus. Huit mois qu’ils nous ont imposés, sans pause, avec cet été au Château. Cet été douloureux.
Sky ne répond pas, les yeux dans le vide, les doigts de sa main droite tapotant la paume de sa main gauche. Personne ne le fait réagir ; c’est presque habituel, ou du moins pas inattendu après tout ça. Arthus acquiesce doucement, mais je sais qu’il ment. Depuis les vacances, il ne s’est pas moqué de moi une seule fois. Et depuis le Bal, je sais qu’il a changé ; je le sais parce que je l’ai déjà vu seul dans les couloirs alors que ça n’arrivait jamais avant, que je l’ai déjà vu avec la tête baissée et les yeux songeurs, et que sa voix a perdu un peu de son assurance. C’est presque devenu le petit frère que j’aurais aimé avoir ; presque. D’un coup de coude léger, il me signale que je dois répondre.

« Mh... ça va. »

Un soupir plus tard, je replonge les yeux vers la Pluie. *Laquelle ?*. Je ne sais plus si je regarde la pluie qui tombe sur le monde, ou celle qui tombe sur mon cœur. La seconde le fait presque battre, et tombe sans relâche depuis bien trop longtemps. Shaina secoue la tête ; je ne la regarde pas, mais je sais qu’elle le fait.

« Thalia ? » murmure Shaina. Sa voix résonne dans mon crâne et explose en mille échos. « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu pleures ? »

Dans un rêve — quel est le rêve ? la réalité, ou bien mes songes ? —, ma main s’élève doucement jusqu’à mon visage pour effleurer ma joue trempée. Trempée. *J’pleure*. Même le penser distinctement ne m’aide pas à le réaliser. La Pluie dégouline aussi sur mes joues. Elle recouvre l’univers entier, je crois. Même moi, elle m’a atteinte au plus profond de mon être. Ma tête se balance à peine, suivant la mélodie de la pluie. Celle du battement de mon cœur, qui résonne au fond de moi.
En soufflant sur la vitre, j’observe la buée envahir le verre. D’un doigt tremblant, j’y esquisse un « A » maladroit. À l’arrière de mon crâne, je sens le regard d’Arthus qui me fixe.

« Tu cherchais quelqu’un, tout à l’heure ? » demande la rousse, et je me dis que c’est anormal que la flamme de ses cheveux n’ait pas encore été éteinte par la pluie. Peut-être que les gouttes d’eau ne savent pas éteindre les étoiles, et qu’elle est devenue entièrement son masque d’Altaïr. Une combattante. Mais moi, je ne sais pas me battre contre la pluie qui rebondit sur le sol de mon cœur, ni contre la marée qui envahit mes yeux. « Tu as dit que tu ne voyais pas quelqu’un ? »

Devant mon manque de réaction, Art’ prend le contrôle. *Art’ ?*. Son calme est un art, possible.

« Elle cherchait une fille. »

Le haussement de sourcil de mon père est tellement évident que je l’entends sans même regarder ceux qui m’entourent.

« Qui ça ? »

Je sens Arthus qui se tend un peu, à côté de moi. Mon esprit reste inerte, même alors qu’ils parlent d’Aelle juste devant moi.

« La fille avec qui elle est allée au Bal d’Halloween. »

Quand le regard de Shaina se pose sur moi pour me scruter, j’ai tout le mal du monde à continuer de regarder par la fenêtre.

« Tu as une amie, Thalia ? » demande Papa, l’Inconscient. « Je ne savais pas. »

« Non. »


donnez moi la clé des songes
je dois aller les enfermer


j’ai parlé à mon reflet, ce soir

au moment où les songes fondent en larmes

avant d’être cueillis par le désespoir lunaire

j’ai esquissé dans la nuit les battements de mon cœur

le miroir m’a dit que j’étais amoureuse

mais c’étaient mes propres lèvres qui bougeaient

et j’ai cessé de croire la folie de mes pensées

alors j’ai dit qu’il mentait

et mon reflet a disparu

sous la nuit noire j’ai pleuré

des larmes qui se sont brisées

seule avec mon ombre qui souriait


« Thalia, chérie, ça ne sert à rien de mentir. » Papa parle, mais Shaina se tait. Je ne sais pas si c’est bon signe. « Tu as le droit d’avoir des amis ! »

Non.
N.O.N.

« Non ! » Mon visage se plisse. « Papa, tais toi ! C’n’est pas mon amie ! »

Art’ se mord la lèvre, à côté de moi. Cette fois, j’ai relevé la tête pour regarder Papa dans les yeux en criant. Son visage est stupéfait, marqué par la violence de mes mots.

« C’était sa cavalière, » murmure Arthus. « Et, Bristyle n’a pas d’amis. »

Shaina qui plisse un peu plus les yeux au mot Bristyle ; je sais qu’elle sait, mais elle ne sait pas les bonnes choses : elle sait qu’Aelle a été renvoyée, et elle sait que je n’ai pas d’amis.

« Cette fille, c’est la raison pour laquelle tu demandais s’il y avait des hiboux pour toi aux dernières vacances ? »

*Non !*. Peut-être. *Oui...*. Je hausse les épaules.

« C’est ta petite amie ? »

Je n’aime pas le petite devant amie. Mais je hais encore plus le amie tout court.

« Dis pas des conneries, j’suis pas lesbienne ! »

« J’suis pas comme toi, la gouine ! » Les mots exacts que j’ai crié à la face d’Emily quand elle m’a posé la même question. « Si tu l’dis, Petite. » Son calme qui me fait encore mal, pire qu’une gifle.
Mes yeux s’embuent encore plus. *J’suis pas homo*.
Pourtant, je sais que je réagis trop fort. Que ce n’est pas normal. Que rien n’est normal entre Aelle et moi. Que ce n’est pas normal qu’on puisse s’embrasser et ne pas en reparler ensuite. Qu’on n’embrasse pas ses amies, et qu’on ne rougit pas quand on les voit. Je sais aussi que ce n’était pas une erreur, parce que je sais que j’ai envie de recommencer à chaque fois que je la vois.
Mais je sais encore plus fort que homosexuelle est un mot qui me fait mal à la tête. Ce n’est pas le même mal de tête qui me prend quand Arthus dit des choses sur Aelle et moi, c’est un mal de tête qui dit : ce mot, c’est une case, et je ne rentre pas dedans. Et je n’ai pas envie de penser que hétérosexuelle est un mot qui me donne encore plus envie de vomir. Non, je n’ai pas envie d’y penser.
Je n’ai pas envie de penser, non plus, que les mots de Shaina me font mal au cœur. Je n’ai pas envie de penser aux lèvres d’Aelle, ni à ses yeux qui me donnent envie de tomber.
Je n’ai pas envie de penser du tout.
Je n’ai pas envie de les entendre.
Surtout pas Shaina qui parle.

« Tu aimes qui tu veux, Thalia. »

Alors, la question est réglée. Je ne veux pas aimer Aelle. Donc je ne l’aime pas. On ne peut pas aimer les filles si on ne veut pas les aimer, n’est-ce pas ? Je n’ai pas envie d’aimer les garçons non plus, de toute manière. Je suis très bien sans aimer, hein ?
Mais je sais que la question n’est pas complètement réglée.
Je sais que j’ai embrassé Aelle parce que j’avais envie de l’embrasser.
Je sais que je ne m’étais pas dit que c’était une fille avant qu’on ne me le fasse remarquer.

J’arrête de répondre, et de penser aussi.
Je ferme les yeux et je me laisse aller aux Songes.
De toute manière, eux, ils occupent si forts mon cœur que je ne peux plus penser.
Et j’essaie d’oublier qu’Aelle est l’image qui revient le plus souvent dans mes rêves.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

27 janv. 2020, 18:01
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
« J’essaye mais j’ai plus de larmes
Chérie, j’essaye, mais j’ai plus de larmes »

Plus de larmes, Lomepal


25 Décembre 2044, au soir
Chambre de Thalia, Domaine des Sylves
3ème année


Mes mains tremblent autour du dernier paquet que Shaina m’a glissé entre les mains au moment où je montais me coucher. Noël s’est bien passé, je crois. Toutes les vacances sont floues dans mon crâne. Je sais juste que nous ne nous disputons plus, et que personne n’a reparlé d’Aelle ; ni de moi de manière générale. Ni du Bal. Pour le moment. Si, une fois, et je me suis éclipsée aussitôt. Personne ne m’a retenue.
D’un geste hésitant, j’ôte le tissu qui recouvre le présent rectangulaire. Un bouquin s’offre à mes yeux. À peine épais. Pourtant, je ne lis que des livres bien plus gros, la rousse le sait. Mes yeux parcourent la couverture abimée avant de remonter jusqu’aux lettres d’or du titre. Be queer and be here. *Hein ?*. Shaina, qu’est-ce que ?
Mes yeux se plissent pour ne pas laisser échapper de larmes. J’ouvre à peine la couverture, une vingtaine de pages d’un carnet, déchirées, tombent sur mes genoux. L’écriture de Shaina, plus maladroite, plus hésitante. La date indique une vingtaine d’années environ. Des morceaux de journal intime. Je tourne une page du livre. Seule la première phrase de la préface retient mon attention. « À tous.tes les anormaux.les de ce monde. » Claquant la couverture, j’envois valser le livre contre le mur opposé à mon lit. *J’n’en veux pas*. Idiote.

Me laissant tomber à la renverse sur mon matelas, je contemple le plafond. À ma droite, un drap blanc recouvre l’entièreté du mur. Je l’ai changé juste avant mon départ. Me relevant, j’attrape ma plume et mon encre, qui sont tombés de ma valise échouée sur le sol. M’approchant du drap, je m’accroupis et écris les premiers mots de cette nouvelle fresque.

JE NE SUIS PAS LESBIENNE.

J’attrape le livre tombé au pied du mur, remet sa couverture abimée en place. C’est un livre de moldu, en plus. En secouant la tête, je vais le glisser tout au fond de ma valise, avec les feuilles du carnet.
Esquissant à nouveau des mots sur le drap mural, j’y grave mes Songes.

ET, AVEC DES MILLIARDS DE NUANCES, J’AI DESSINÉ MES DIFFÉRENCES.

Et puis je me déshabille, me recouvrant d’un pyjama fantomatique, avant de me glisser dans mon lit et d’éteindre la lumière sans même prendre un livre.



Le grenier est obscur et je ne sais même pas comment je m’y suis retrouvée. Baguette à la main, j’agite ma Moitié pour esquisser une lumière qui agresse mes yeux, lançant immédiatement le contre sort et rangeant le morceau de bois dans l’élastique de mon pyjama. Marcher jusqu’à l’immense lucarne pour ouvrir le volet est ardu, car le sol est jonché d’objets. La chambre de Papa et Shaina est juste en dessous, et les réveiller serait la pire erreur que je puisse faire. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, mais la lueur de la Lune qui éclaire soudainement le grenier de son halo m’apaise. Les poussières tourbillonnent sous les rayons de Séléné, et je m’accroupis sur le sol au milieu du halo de lumière qui me calme. Dégageant les objets pour m’allonger sur la cape que j’ai posé sur mes épaules avant de sortir de ma chambre — je crois —, je me laisse aller sur le sol. Au hasard, à tâtons, mes mains fouillent les objets, pour découvrir les trésors de ce lieu où personne ne va plus. Rien n’a été nettoyé depuis bien longtemps, et la Lune révèle les traces que mes pas ont laissé dans la poussière.

Derrière une liasse de partitions de piano, qui appartenaient à Maman, une vieille boite est recouverte de poussière. Les ornements argentés qui y dansent rayonnent au clair de l’orbe, et je m’en saisis pour la dépoussiérer doucement et la poser sur ma cape. Me redressant en position assise, je laisse mes pensées divaguer avant de chercher un moyen de l’ouvrir. Elle est fermée, mais un mouvement de baguette et une formule soufflée suffisent à l’ouvrir ; pourtant, Maman ne fermait que rarement ses boites à clé, et ceci n’appartient pas à Papa.
Des enveloppes poussiéreuses tapissent le dessus de la boite. Des lettres et des lettres rédigées, par une main inconnue. J’en saisis une pour voir l’adresse du destinataire ; Lily Tintanyel, Domaine des Sylves, Godric’s Hollow. L’adresse de l’expéditeur est vierge. Entre les lettres, une se distingue : un brouillon, tâché et raturé, de l’écriture de Maman. *Maman*. Je n’ai pas vu cette écriture depuis longtemps, mais je ne pleure pas à ce souvenir. Je ne pleure pas devant toutes ces affaires éparpillées. Peut-être que je n’ai plus de larmes. Peut-être que je n’ai plus la force d’être triste, et que c’est pour cela que mes pensées sont aussi limpides. Le destinataire est indiqué, de l’écriture ferme de Maman : William H. Rosenthal. Pas d’adresse. Je ne le connais pas, ce nom. Je n’en ai jamais entendu parler. Pourtant, il me dit quelque chose. *William*. Il s’apparente à un cri, quelque part dans ma mémoire. *Will*. Je ne sais plus.

Sur ces dizaines de lettres de l’inconnu, une enveloppe se distingue. Plus blanche, plus stricte, plus administrative. Hôpital Sainte Mangouste. Mes sourcils se froncent. Je ne suis pas allée beaucoup à Sainte Mangouste. Deux fois. Maman. *Maman*.

Monsieur Gil’Sayan,

Nous devons vous avertir que nous avons recueilli ceci quelques minutes avant la mort de votre femme.
Nos lois indiquent de le remettre à la fin, quand bien même, en temps que Moldu, vous ne saurez qu’en faire.
L’état de la patiente était trop critique et instable après l’attaque pour que ceci soit analysé
et considéré comme une possible preuve ou un indice potentiel.

Avec toutes nos condoléances,

L’équipe de Sainte-Mangouste.


Dans l’enveloppe, en plus du papier bien plié, un objet. Dur, froid. Flacon qui se révèle lorsque je l’extirpe de sa prison de papier.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

29 janv. 2020, 13:25
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
« Si j’ai plus d’étoiles dans les yeux
C’est pour mieux voir venir le vide »

Plus de larmes, Lomepal


si je n’ose plus regarder mon reflet dans les yeux
c’est parce que je ne suis plus que son ombre


Je me noie dans les souvenirs. Mes songes sont des souvenirs. Mes réalités sont des souvenirs. Mes espoirs sont des souvenirs. Mes peurs sont des souvenirs. Ma vie est un souvenir, et ma mort le sera aussi. Le Passé marque ma peau d’invisibles cicatrices, enfonçant ses griffes dans mon cœur, déchiquetant mes joues pour y dessiner un sourire sanglant. Il me façonne en angles et courbes, Être de Souvenirs. Mon présent est un passé, dans lequel je meurs asphyxiée. Je ne sais vivre autrement que dans les souvenirs. Qu’ils soient remords, regrets, douleur ou beauté, ils flottent autour de moi à chaque instant. Et je vois les Fantômes. Cela, je ne l’ai dit à personne. C’est mon secret, ça le restera. Je ne leur dis pas. Que dans mon quotidien, parfois, je tourne la tête pour voir Maman me regarder, ou Mamie plongée dans un livre. Je ne le dis pas parce qu’ils appellent cela la Folie ; car le passé les dépasse et qu’ils en ont peur. J’ai peur des souvenirs mais pas des Fantômes, car ils font partie de ma vie douloureuse. Ils sont mon poids quotidien, ma charge habituelle. Ils sourient au Passé, et les autres ne les voient pas. Moi, je les connais bien. Si je me rappelle par cœur du parfum de Maman, c’est parce que, parfois, le soir, elle se penche au-dessus de mon lit, à moitié invisible, et la fleur d’oranger embaume l’air, accompagnant mes Songes. Mes Fantômes sont mes proches, et parfois, ils me connaissent mieux que les vivants qui me regardent. Eux me voient en fantôme, transparente comme je le suis réellement, mes yeux de fantôme douloureux de contempler un monde trop matériel pour moi. Vivre dans les souvenirs m’a transformé en fantôme, et c’est étrange à dire, mais je suis plus à ma place avec les morts qu’avec les vivants. Il y a des jours où on tire sur mon cœur pour me ramener chez les vivants, et où je ne suis plus fantômes. Ces jours sont ceux avec Aelle. Elle a réussi à me ramener, et elle a été la première qui m’a fait oublier mes Fantômes le temps d’un instant. Mais, depuis le Bal, je passe toutes les secondes de ma vie en compagnie des morts. Même lorsqu’elle les chasse, ils ne sont pas bien loin. Le Pourpre orné de Noir a remplacé le monde autour de moi ; les fantômes ne sont pas malveillants, c’est le monde qui les rend mauvais. Les accompagner jusque chez les morts serait plus facile, parfois. Mais je n’en suis pas capable. Je suis faible. Mon reflet me l’a dit droit dans les yeux : ils me manquent, mais je ne suis pas capable d’aller les rejoindre. Je préfère les amener là où n’est pas leur place, plutôt que d’aller les trouver là où je serai aussi en paix. Dans ce monde, cette réalité qui n’est que rarement la mienne, j’ai trop d’accroches. Trop de rêves. Alors je vis dans les souvenirs, et je les connais par cœur.
Je les connais si bien que je les reconnais dès que je les entrevois.
Enfermés dans leur prison de verre comme moi dans ma prison de Songes.
*Les souvenirs*

Ils sont de la couleur exacte du rêve. Celle qui est insaisissable et impossible à décrire. Cet argent lunaire aux reflets céruléens, aux teintes iridescentes trop fugaces pour être dessinées. Je les reconnais comme si je les avais toujours vu, matériels mais prisonniers de cette matière, rêveurs. Comme s’ils avaient dégouliné de mes propres Songes pour tomber délicatement dans ce flacon orné d’argent. Lily Amina Gil’Sayan, disent les lettres scintillantes sur la paroi de verre.
Ma Prison.
Ma Peur.
Mon Rêve.
Mon Monde.
Mes Songes.
Les souvenirs.



— Pourquoi ?
— S’il te plait.
— Pourquoi ?
— Pour commencer à vivre.
— Prends ça, va.




Un noir si noir qu’il me fait mal aux yeux.

La cavalcade du vent sur ma peau de fantôme est une caresse infime.

Dans le ciel, les étoiles dansent avec l’ombre de la Lune.

C’est un souvenir que je connais, enfoui juste sous ma conscience.

Mais je ne le retrouve pas.

Autour de mon Fantôme, le monde n’est que silence.

Sans lumière, comme recouvert d’un voile.

Il n’y a ni sol ni ciel.

Juste ces astres dans le vide, et ce vent qui me balaye.

Puis le rideau s’élève.

La scène se met en place.

L’Acte de ma Mort est prêt.


*NON !*


Le gémissement déchire le silence.


*Laisse moi partir !*


L’obscurité voile ses yeux.


*Je n’veux pas !*


La neige apparait.


Elle est immaculée.

Je le sais sans la regarder.

Car je la connais.

Elle est immaculée, mais plus pour longtemps.

Des traces de pas viennent s’y imprimer.

Deux chemins côte à côte.

Deux mains l’une dans l’autre.

Mon Passé me regarde.

Mais ne peut pas me voir.


*NON !*


Le hululement d’un hibou et les derniers mots échangés.

Et je ne sais pas les saisir.

Mes yeux sont fixés sur la neige trop blanche.

Trop. Blanche.

Le crissement des pas parvient à mes oreilles.

Mais je sais que mon Passé ne l’entend pas.

Les souvenirs sont trop fugaces.

Pourtant je les connais par cœur.

Sans oublier d’en occulter des parties.

Ce soir j’ai envie de relever la tête.

Pour Le dévisager droit dans les yeux.

Pour voir ; Savoir.

Mais mes yeux sont collés à la neige.

Mes tympans sont bouchés par le vent.


Le visage se crispe et se tord.

Un cri inarticulé s’échappe des cordes vocales muettes.

Silence d’horreur.


*Je... REFUSE !*


Halètement à peine audible.

Les morts se réveillent.


Et je n’arrive qu’à voir l’éclaboussure écarlate.

Elle traverse mes pieds de Fantôme.


*NON !*

Avant de tomber vers l’avant et de me relever vers l’arrière.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

31 janv. 2020, 14:01
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
26 Décembre 2044, au soir
Grenier, Domaine des Sylves
3ème année


parfois, même la réalité
est moins amère que les songes


Ma tête heurte violemment le sol du grenier, mon cuir chevelu s’écorchant contre une boite trainant par terre. Mes mains se tendant en avant dans un réflexe, rattrape la bassine de pierre avant qu’elle ne se renverse elle aussi sur le plancher. Je suis dans le flou. Le monde est flou. Tout est flou. Des points noirs et blancs dansent devant mes yeux ; des yeux noirs, des flocons blancs, des fragments de souvenirs. Si ma respiration est si haletante, ça ne veut pas dire que j’ai peur. Je n’ai pas peur. N’est-ce pas ? Je jette un coup d’œil prudent à la pensive de pierre et d’argent que Shaina m’a confié. Les souvenirs y flottent toujours, des visages flous et éphémères surgissant parfois à leur surface. Clignant des yeux, je passe ma main à quelques centimètres du bassin de Songes. Ma paume l’effleure, se contracte et s’arrache immédiatement à ce contact. *C’est froid*. Saisissant le flacon vide de ma main maladroite, je penche la Pensine pour faire glisser à nouveau les Outils de mon Désespoir dans leur contenant premier. Ce n’est pas grave si mes mains tremblent, ça ne veut rien dire.
Rien. Du. Tout.

Ce n’est pas grave. La preuve, je ne pleure pas. Je pleure toujours pour rien, alors si c’était grave, mes larmes auraient déjà remplies la pièce. Mais mes yeux ne sont même pas humides. Seulement grands ouverts, fixant le vide, des images d’horreur devant eux, alors que je n’ai rien vu.

Tremblante, je ramasse mes affaires et me lève, mes yeux vides éclairés par les rayons de Lune.

Je vais bien.
Mes jambes flanchent, mais je vais bien.
Je trébuche dans l‘escalier, mais je vais bien.
La manche de mon pyjama se déchire sur un clou quand je reprends mon équilibre, mais je vais bien.
La boite, que je tiens précieusement, manque de s’exploser par terre, mais je vais bien.
Je fais tellement peu de bruit que j’ai l’impression d’être vraiment devenue un fantôme, mais je vais bien.
Même les pensées floues, le cœur fou, je vais bien.
Mes yeux secs en sont témoins.

En rangeant la boite et la Pensine sous mon lit, je sens un immense poids se déposer dans ma poitrine. Les souvenirs sont lourds. Et, avant que mon cœur ne devienne si lourd, je ne m’étais pas rendue compte qu’il était léger. Je suis un fantôme avec un cœur de pierre, et je m’effondre dans mon lit telle une épave au fond de l’océan. J’aimerais disparaitre dans cette couette, m’évanouir. Ma tête est trop lourde, mais je n’arrive pas à m’endormir. Je ne comprends pas le monde, il s’emballe et me laisse en arrière.
Et puis le Passé revient, et me ramène plus loin encore.
Les morts se réveillent quand je voudrais enfin commencer à vivre.

La mélodie me tire de mon engourdissement. Je reconnais le piano immédiatement ; les longues nuits où Maman nous en jouait remontent toutes à ma mémoire, manquant presque d’embuer mes yeux. Mais je n’ai plus de larmes. Personne ne joue du piano, dans la maison. Il est abandonné dans la petite cabane du jardin depuis trop longtemps. Mais la mélodie, je ne la reconnais pas, et elle vient de *la chambre de d’Arthus*. Me relevant péniblement, j’avance en douceur jusqu’à ma porte, l’entrouvre et m’avance dans le couloir. La porte de la chambre de mon frère — en cette nuit trop douloureuse, je m’autorise à le Penser ainsi — est entrebâillée, et en poussant un peu plus le battant, je peux voir les rayons de Lune tomber par la fenêtre grande ouverte, laissant entrer la brise hivernale. Arthus est assis au piano, et je sais que c’est le Piano, celui de Maman, que je croyais abandonné. Ses doigts dansent sur les touches d’ivoires, et une seule pensée me traverse : *il joue bien*. C’est beau. Il a dû s’entrainer au Château. Je ne savais pas qu’il avait continué à jouer ; il était censé avoir arrêté, après le départ de Maman.
Mais il joue bien. Il danse sur les touches, lance son âme dans la musique.
Je le sais. Je ne sais pas jouer, mais je sais ressentir.
Je sais me faire toucher par les sons, je l’ai toujours su.
La musique bouleverse.

Et, aujourd’hui, mon cœur déjà fragile est propice à être bouleversé.

Je pousse complètement la porte après un accord qui fait vibrer mes sens. Troublé, mon frère se tourne vers moi, marquant une pause dans son Harmonie Personnelle, puis laisse virevolter ses doigts sur le Yin-Yang des touches, sans plus me regarder.
La danse de son Harmonie a changé. Mon regard pèse sur lui, plus léger que d’habitude, et il le sait. La pression de ses mains sur les notes a changé également ; puis appuyée, plus assurée. L’Harmonie en elle-même sonne différemment, les notes trop personnelles occultées, une histoire d’empathie qui se joue désormais. Ma tête se balance doucement, mes yeux flottant sur mon frère trop doux dans sa musique.

Je me rends compte que j’ai fermé les yeux lorsque je les réouvre brutalement, alors qu’Arthus cesse finalement de jouer. Se levant, il va s’asseoir sur son lit, me jetant un regard interrogateur en désignant l’espace à côté de lui. Ma main essuie sans raison mes yeux qui ne veulent pas pleurer, retombe le long de mon corps. *Tu veux... qu’j’vienne ?*. Doucement, je m’approche, m’assois à ses côtés. Une distance respectable entre nous, mais bien plus infime qu’à l’habitude. Silencieuse.
C’est lui qui finit par briser le silence.

« J’ai repris l’année dernière, au Château. »

« Mh. »

« J’jouais dans le cabanon, aux vacances. Shaina m’a surpris, elle a déplacé le piano ici. »

J’acquiesce en silence, tourne mon regard vers l’orbe lunaire dans le ciel nocturne. Il fait froid, soudainement. Et ce n’est pas dû au vent qui s’engouffre par la fenêtre. Il fait froid dans mon cœur et dans mon crâne. Je pourrais parler de la Pensine et des lettres à Arthus ; je pourrais lui dire que je m’en suis arrachée au tout début, que je n’ai pas été capable de remonter le temps, d’accompagner Maman. Mais je ne veux pas le faire. Je ne veux pas le faire, non pas parce que je ne lui fais pas confiance, mais parce que je sens le poids sur mon cœur. Et que, cette nuit, je n’ai pas envie de le partager avec Arthus. Je n’ai pas envie de lui décharger un nouveau poids sur le cœur, pas alors qu’il a tant changé. Son visage sous la pâle lueur nocturne a l’air paisible, et cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu ainsi.

« Ça t’es déjà arrivé, de ne pas réussir à pleurer au moment où tu en aurais le plus besoin ? »

Doucement, sans précipitation, les mots s’assemblent à la sortie de ma bouche. Ils me surprennent moi même. Et mon frère ne me regarde pas, le regard baissé sur ses genoux.

« Oui. » Il se tait, clôt les paupières. « Toi aussi. T’as pas pleuré, quand... à l’enterrement. »

Je le suis dans un monde noir, fermant les yeux.

« Oui. Pas seulement là, » affirmé-je d’une voix douce-amère.

« Mh, murmure-t-il. J’ai pas réussi à pleurer, après le bal. »

Mes yeux se rouvrent et je fixe son visage à peine crispé, ses yeux perdus derrière ses paupières closes. Ne pas voir son regard est troublant, mais peut-être moins que de voir son brun miel qui me scrute trop souvent. Arthus parle du bal, mais je n’ai pas envie de parler de cela avec lui. Pas tout de suite. Un jour, mais pas tout de suite.
Devant mon silence, il ouvre les paupières et son regard tombe dans le mien. J’esquisse un sourire lasse, avant d’acquiescer d’un signe de tête, et de me lever pour partir. La porte se referme derrière moi, coupant le passage aux rayons lunaires.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

19 mars 2020, 12:03
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
27 Décembre 2044, au matin
Chambre de Thalia, Domaine des Sylves
3ème année

Chère Thalia,
Allez savoir pourquoi, les mots réchauffent mon cœur. Même alors que je les relis pour la énième fois depuis que je les ai reçu il y a quelques dizaines de minutes. Ils brûlent d’une chaleur douce, alors que je me pensais gelée pour l’éternité. Après cette nuit glaciale, cette nuit de souvenirs et de terreur, je croyais que rien ne pouvait réveiller une telle flamme en moi. Comme si j’étais figée à jamais dans la froideur du Temps. C’était sans compter sur elle. Aelle. Bien sûr qu’elle peut faire cela, oui. Bien sûr qu’elle est la seule à parvenir à dessiner sur mon visage ce sourire fin et plein de sincérité, alors même que je me sentais morte il y a quelques instants. Les fantômes patientent. Contre leur gré, ils patientent, car elle a toujours su les repousser. Ils reviendront bientôt, ils attendent leur heure. Mais la reconnaissance qui m’envahit devant cette pause qu’elle m’offre est indescriptible.

*Chère Thalia*, songé-je une nouvelle fois alors que mes yeux parcourent le reste de sa lettre. Jusqu’à sa signature. Cette fois, je cesse d’effleurer les mots, comme s’ils risquaient de perdre leur valeur sous le toucher lointain de mon regard. À la place, je dirige mon attention vers les deux livres qui sont posés à côté de moi, sur mon lit. Son livre. Magies australes : comprendre nos différences. Et je plisse les yeux une nouvelle fois, en me rappelant des pages cornées dans l’une des parties du livre. *Magie africaine*. Ouais, magie africaine, là où j’ai trouvé son écriture dans les marges, les feuilles abimées, des tâches... et le mot golem qui trônait tel une évidence. Coïncidence ? *Pas avec elle*. Aelle échappe aux coïncidences. À la rentrée, je lui en parlerai. Je lui demanderai pourquoi, pourquoi ce livre, qu’est-ce que je dois comprendre par rapport à la magie africaine, par rapport à elle. Aujourd’hui, c’est ardu à admettre, mais je suis épuisée. Lasse. Défoncée par le Temps qui me glace. Assaillie de fantômes acharnés. Plutôt que de retourner le problème une nouvelle fois *plus tard, promis*, je dépose ma concentration sur le second bouquin. Celui que j’ai descendu de la Tour il y a quelques temps. En m’épuisant à gravir toutes les marches de l’escalier en colimaçon, le plus rapidement possible. Implosions en disharmonie. Mon premier exemplaire. Il y a le second, que j’emporte au Château, et qui est bien rangé dans ma valise. Celui que j’ai extirpé des rayonnages est bien plus précieux. Couverture noire. Lune blanche en lueur d’espoir. Et ce nom tant connu gravé en bas de la couverture : Gaël L. Newen. Louna Gaëlle Newen. Un doux soupir m’échappe tandis que je le prends précautionneusement entre mes mains. Le retournant, je contemple un instant l’unique phrase de la quatrième de couverture. Puis mon doigt caresse la tranche, ouvre l’œuvre et fait défiler quelques pages. *Mes poèmes*, souffle mon esprit alors que j’aperçois des mots griffonnés dans les marges. Poèmes, dessins, pensées. Tout ce que j’ai de plus précieux. Et je vais lui donner.

Je dépose le bouquin en premier dans la boite de carton. Puis je me lève de mon lit et m’assois au bureau, où je rouvre le carnet de cuir noir que j’y ai posé. Ma note en première page.

Note tes pensées ici plutôt que dans les marges des livres.
(Tu as beau être si organisée, je ne suis pas surprise de voir que tu es le genre de filles qui prennent des notes dans les marges des bouquins qui leur sont chers ; je suis pareille.)

Il me vient d’une personne qui, elle aussi, me tient particulièrement à cœur ; mais je n’ai jamais su me résoudre à le commencer. Te l’offrir est important pour moi.


Thalia
Et mon dessin en seconde. Un frémissement me prend. *T’es sûre ?*. Je suis sûre. Enfin, pas vraiment. Mais je vais le faire. Mon dessin de deux mains entremêlées ; *les nôtres* mais ça elle ne le sait pas *heureusement qu’elle ne l’sait pas*. Il a été fait... l’année dernière, le dessin. Oui, c’est ça. Et je n’ai jamais continué le carnet. Écrire dedans, ou dessiner, alors que c’est Maman qui me l’avait offert, c’est trop dur.
Je glisse le carnet dans la boite, à la suite du livre. Puis je prends un parchemin, une plume trempée dans de l’encre noire, mon courage, et une grande inspiration.
Chère Aelle,
Parce que son début de lettre était parfait, autant la copier. Trop peur de faire des conneries, sinon. Comme je sais si bien faire.
J’en prendrai soin, ne t’en fais pas ; savoir que tu m’offres ton exemplaire, surtout s’il t’est si cher, me fait terriblement plaisir.
*T’imagines même pas à quel point*. Et je tente de chasser mes pensées envahissantes.
Va savoir pourquoi, je suis presque certaine que tu n’aimes pas les romans. Pourtant, je t’offre celui-ci. Il me tient particulièrement à cœur.
Particulièrement à cœur. Bien faible mot. *’l’a une putain d’immense place dans mon cœur, comme toi*.
J’ai pensé à toi
*Tout l’temps*. Je vais passer pour une tarée. Je passe déjà pour une tarée, à coup sûr.
J’ai pensé à toi toute la journée de Noël, j’espère que tu passes de bonnes fêtes.
Moi, je me bats avec mon passé, je me fais frapper par des fantômes, je suis déglinguée par des souvenirs, et je fais face à une famille qui veut absolument me convaincre que je suis amoureuse *de toi*, alors que c’est faux. C’est faux, c’est faux, c’est faux.
Sincèrement,
*Affectueusement*, arrête-tout-de-suite. *Amicalement ?*, hors de question. C’est nul, sincèrement, vraiment nul. Mais c’est mieux que tous les autres mots qui me viennent à l’esprit.
Ta Thalia.
*Ta... quoi ?!*. J’agite le parchemin pour que l’encre sèche rapidement, je le plie soigneusement, et je me refuse à me relire. Je me l’interdis. Mon cœur bat anormalement vite, mes pensées s’embrouillent *c’est la fatigue, normal*, et je dépose la lettre dans le colis, avant de fermer définitivement celui ci.
Alors, je descends en dévalant les escaliers, le rouge aux joues, et je fouille les pièces du regard pour trouver Shaina. C’est la rousse qui a gardé Bézo, le hibou qui est venu frapper à ma fenêtre tout à l’heure. Je m’approche d’elle, avec un sourire timide *ça d’vrait être maman*, et je tends les mains pour attraper le hibou. Elle se recule en haussant les sourcils. Merlin, quelle agaçante. « S’te plait, » murmuré-je en baissant la tête. Je ne parle presque pas, depuis le début des vacances. Avant de me tendre le hibou des Bristyle, elle me fixe de ce regard perçant qui me force à la regarder à mon tour.

« C’est... ? » questionne-t-elle.

« Aelle, » et j’évite son regard.

Mais j’entends Arthus qui laisse échapper un rire, je perçois Éole qui me regarde étrangement, et je vois parfaitement le sourire complice de la rousse qui me laisse m’emparer doucement du hibou. Je m’enfuis du salon en attrapant une friandise pour le rapace qui me fixe. Lui donnant, je lui accroche le colis.

« Va voir Aelle, Bézo, lui intimé-je. Aelle. »

Et je lui ouvre la fenêtre pour le laisser s’envoler, avant de grimper dans ma chambre et d’attraper mon exemplaire de secours d’Implosions. Un sourire étend mes lèvres. J’ai fait n’importe quoi avec ma lettre, mais le feu doux dans ma poitrine est toujours présent. Il éloigne les fantômes, brûle juste pour moi, juste pour elle. Il me dit : tu peux cesser des les écouter deux minutes, c’est bon, Aelle a pensé à toi.

Reducio
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[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

27 sept. 2020, 20:09
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
Sous les flashs lumineux illuminant la pièce, ils se meuvent. Les uns, adossés au mur, boivent. Les autres s’enlacent au rythme de la musique assourdissante. D’autres, encore, tentent de communiquer en riant, malgré la musique. Un ou deux vomissent dans un coin. Certains s’essayent à la Magie ; dans ceux là, quelques uns tentant de s’impressionner mutuellement, avec les sorts les plus ardus qu’ils maitrisent.
Parmi tous ces jeunes, nombreux sont les étudiants des différentes académies de Magie environnantes, désireux de cesser de songer aux études, pour un soir. Tous sont des sorciers.


La jeune femme attire son regard, presque immédiatement.

Sa robe rouge épouse parfaitement sa silhouette. Le tissu virevolte autour de l’étudiante alors qu’elle danse. Sa main tient celle de l’amie vêtue de bleu avec laquelle elle danse. Sans honte, elles valsent dans la salle, riant aux éclats. À la musique suivante, alors qu’elles se dirigent vers le bar pour se reposer, un autre jeune les accoste. Celle en rouge se tourne vers lui, haussant un sourcil d’un air surpris.

Elle peut enfin voir son visage. Elle cesse de respirer. *Si jeune*.

Il parle, la voix couverte par le bruit assourdissant. La fille en bleue retourne danser, celle en rouge l’écoute. Elle se rapproche d’eux, inconsciemment. Elle le fait rire, s’esclaffe également. Peu méfiante, probablement aidée par l’alcool, elle accepte le verre qu’il lui tend, et s’adosse au mur avec lui. Son sourire est étincelant.

L’enfant avait oublié à quoi ce sourire ressemblait.
Il illumine le monde entier. Elle avait toujours été un soleil, quand elle était heureuse.
Elle est assez près pour les entendre, désormais.


« Je suis William, » sourit le garçon, rieur. « Aurais-je l’honneur de connaitre ton prénom ? »
Elle boit une gorgée de plus, le regarde.
« Lily. »


*Maman*



« Je t’aime. »
Ils mangent, assis sur un banc. Il tente de lui voler un morceau de gâteau.


Elle grimace.

« Idiot. »
Elle l’embrasse.




Sur le pas d’une porte, ils se regardent. Elle l’enlace.

« Je ne viendrais pas, Will. Vraiment pas. Fais attention à toi. »
Sourire.
« Si tu ne m’écris pas, je te tue. »
Soupir.
« Mais à distance, c’est impossible. »

Il acquiesce. Une larme vite essuyée, au coin de son œil.
Elle se penche vers lui, l’embrasse doucement.

« Tu vas devenir encore plus doué, dans cette école française. Moi, je dois poursuivre mes études ici.
On garde contact. Amis ?
»

« Amis. »


Elle fronce les sourcils.



Des lettres. Des mots, des feuilles, de l’encre, tout cela étalé sur un bureau. Lily est plus âgée, bien plus âgée. Une plume à la main, elle écrit une nouvelle lettre. « Will, » peut-on lire en haut de celle ci.

« Lil’ ? »


Sursaut. La voix lui est familière.

Elle range les lettres, le plus rapidement possible, tandis que des bruits de pas montant un escalier résonnent. Erik entre dans la pièce. Ils se sourient.
La femme dissimule discrètement ce qu’elle était en train d’écrire.




Elle se rappelle d’une des lettres qu’elle a ramassé. La seule qu’elle a lu, par hasard ; celle sur le dessus de la pile.
Will,

Tu me manques également. J’accepte.
Retrouve moi dans une semaine à Edimbourg, samedi à 15h. Même lieu qu’avant.

Amicalement,
Lily.


« Tu as changé. »

« Et toi donc. Depuis combien de temps es-tu de retour au Royaume-Uni ? »

Ils se jaugent. Une teinte de méfiance dans la voix de la femme, prudente.
Leurs visages leurs hurlent les années qui ont passées.

« Tu parais plus mature, remarque-t-il avant de daigner répondre. Il y a quelques mois. Je n’imaginais pas rester en France si longtemps, mais c’est un pays agréable. Leur maitrise du Duel est impressionnante. »

Elle plisse les yeux, se mord la lèvre.

« Tu as dû te perfectionner, dans ce cas, répond-elle sans relever la première remarque. Pour ma part, comme tu le sais, après mes études à l’Académie d’étude des runes puis à la Fac HM, j’ai poursuivi mes recherches en histoire de la magie. Et, tu seras peut-être surpris, mais je suis écrivaine. »

Il hausse un sourcil, souriant. La conversation se poursuit, les langues se délient, les rires se font moins retenus. La méfiance est toujours là, tapie ; la peur que le confident des années de jeunesse ait trop changé, que l’amitié soit irrécupérable. Mais elle diminue peu à peu.
Quand ils se quittent, transplanant l’une au Domaine, l’autre à son appartement londonien, la nuit est déjà tombée. Un sourire rayonnant orne les lèvres de Lily.




« Je t’ai dit que j’étais mariée ! »

Deux mains posées sur un torse, le repoussant de toutes leur force. Se reculant avec précipitation, la femme renverse la chaise sur laquelle elle était assise. Les autres clients se situant sur la terrasse lui jettent un coup d’œil, puis se détournent. Amorçant un mouvement pour saisir quelque chose dans sa poche, probablement sa baguette, la femme regarde autour d’elle, grimace devant tous les Moldus présents, et renonce. Son regard, posé sur l’homme qui lui fait face, contient une lueur de peur. Mais il surtout empli de colère. Ses lèvres tremblantes, sa posture de défense, se reprennent bien vite. Une attitude maitrisée, droite, concentrée sur l’homme. Lui est encore penché en avant, sa main tendue vers le vide où elle était assise ; à l’emplacement de son visage. Il retourne rapidement à une position assise et détendue. Un sourire en apparence parfaitement amical étire ses lèvres. Elle le fixe furieusement.

« J’aime Erik. Je pensais que tu respecterais cela, William. Qu’on pouvait être amis. Je suis enceinte ! »


Frissonnante, elle fixe le ventre de la femme.
*J’étais là, j’entendais tout*


Sur cette exclamation, elle tourne les talons. Derrière elle, les yeux de l’homme brûlent de rage. Il se ressert un verre d’alcool. La brune transplane, atterrit à genoux dans sa chambre. Les épaules tremblantes, les yeux pleins de larmes, Lily se déshabille et se glisse dans son lit.



Elle pleure, entourée de différentes lettres. Un sort jailli de la baguette qu’elle tient dans sa main, enflamme une feuille de papier. Au bout de quelques secondes, elle se reprend, asperge le feu naissant à l’aide d’un aguamenti informulé, puis rassemble les parchemins dans leur boite. Ses yeux se ferment d’épuisement. Une enfant passe la porte du bureau, un livre trop grand pour elle dans les mains.

« Maman ? Je comprends pas ce que Newen veut dire. Tu m’expliques ? »


Tremblement. Sa voix de gamine était tellement différente. Plus aiguë, plus innocente.
Pourtant, une partie de l’innocence était déjà envolée.


La mère sourit d’un sourire sans force, et fais signe à la gamine de s'approcher.



« Je suis peut-être en danger, » murmure-t-elle.
« Pourquoi ? Tu vas mal, en ce moment, » répond Erik.

Il la prend dans ses bras, ressert son étreinte. Leurs yeux sont fermés.

« Tu ne comprendrais pas. C’est mon monde. »


Elle voudrait crier, intervenir ; « Elle ment, elle ment ! Aide la ! »
Elle ne peut pas.


Plus haut, des enfants crient.



Il fait de nouveau noir. La neige, la lune, se reflètent. Deux silhouettes...

« Non ! »
Avant de tomber, elle a le temps d’entendre un dernier cri.
Familier.


« Will ! »


☁︎

Thalia s’extirpe brutalement de la Pensine, la respiration hachée, les yeux écarquillés. Ses pensées virevoltantes dans sa tête, créant un vacarme insoutenable. L’adolescente plaque ses mains contre ses oreilles, ferme les yeux.
Son corps tombe sur le sol de sa chambre, sans douceur.

*J’avais oublié*
On vient de lui rendre un souvenir qu’elle avait volontairement effacé.
Accompagné de dizaines d’autres qu’elle n’a pas demandé.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

27 sept. 2020, 20:19
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
MES ÉTOILES FILANTES
[Instant se déroulant le 29 Décembre]


Ce texte ne peut pas être publié, en raison des règles du site / pour ne pas choquer. Je peux l’envoyer par hibou aux personnes en faisant la demande.
Important : TW Automutilation (+ mal-être, haine de soi, pensées suicidaires).
Attention pour les plus jeunes, âmes sensibles, ou personnes pouvant être particulièrement sensibles/choquées par ce sujet.

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]

27 sept. 2020, 20:33
Comment je fais si j’ai plus de larmes ?  SOLO 
30 Décembre 2044, 00h28
Chambre d’Arthus, Domaine des Sylves
3ème année




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ARTHUS GIL’SAYAN, 12 ANS
2ème année, Gryffondor


Elle lui a attrapé la main et il n’a pas su réprimer son sourire. Son putain de sourire béat, et heureusement qu’elle ne le regardait déjà plus, parce qu’Arthus se serait frappé. La fille est entrée dans la chambre sans toquer, ses longs cheveux sombres volant derrière son corps. Elle l’a arraché du piano en lui saisissant le poignet, fermement mais sans brusquerie, et elle lui a attrapé la main pour le tirer derrière elle. Il ne sait pas pourquoi, il sait juste que c’est elle qui fait le premier pas, ces derniers jours. C’est mauvais signe, c’est évident. Son attitude hurle que tout va de plus en plus mal. C’est mauvais signe, alors pourquoi est-ce qu’il est si heureux ? Le Gryffondor est incapable de s’en empêcher. Ses insomnies sont de plus en plus fréquentes depuis le bal, depuis qu’il a Vu. Et ce qu’il a vu, oh !, ce qu’il a vu... Sa sœur qu’il surveillait du coin de l’œil — son fichu bonheur avec la Fille, la Bristyle —, lui être arrachée. Il l’a vu disparaitre dans la foule sous les cris de ceux qui hantent ses cauchemars, et il a aussi vu ses traits flippés ; et ce soir là, il le savait bien, que c’était son expression lorsqu’elle allait faire une crise. Il le savait bien mais il n’a rien pu faire, il l’a perdu de vue, il a été terrifié par les menaces, il est parti avec les autres, entrainé par la foule, en espérant qu’elle aille bien. Et là, maintenant, Thalia va mal. Thalia va tellement mal depuis quelques jours qu’elle s’éloigne de tout le monde, il est même sûr qu’elle s’éloignera de Bristyle à la rentrée, si ça continue. Le jour, elle fait la tête, elle reste dans sa chambre, elle ne parle même plus vraiment à Shaina alors que celle-ci se rapproche d’elle étrangement, elle repousse Éole. Et puis la nuit, ce n’est plus pareil. La nuit sa sœur disparait, mais Arthus sait qu’elle ne dort pas. Il le sait, il le sait puisque c’est sa sœur. Un frère doit savoir ces choses là.

Et quand elle s’éloigne des autres, elle se rapproche de lui. Sans vraiment le savoir, elle lui offre une chance de se racheter. Peut-être est-ce pour cette raison qu’il n’a pas su réprimer ce sourire il y a quelques secondes, et qu’il peine encore à le faire disparaitre alors qu’elle l’entraine dans le couloir. Vers *sa chambre*. Sa chambre, il a un peu de mal à le réaliser, il lui faut quelques secondes. Au moins trois ou quatre. Quand il comprend, ils sont déjà devant la porte. Jamais quiconque n’entre dans la chambre de Thalia ; c’est la pièce interdite, on ne sait pas trop pourquoi. Presque plus interdite que le grenier où toutes les affaires de Maman ont été entreposées. L’unique pièce dangereuse — au sens propre ou figuré, personne ne sait. Personne ne sait si Thalia a réussi à placer des sorts autour de sa chambre, ou si c’est juste un accord tacite entre tous. On n’entre pas dans la troisième chambre du second étage du Domaine des Sylves, c’est ainsi. Shaina pourrait sûrement, dans le cas où il y aurait des maléfices, elle les briserait en quelques fractions de seconde, mais la rousse a cette forme de complicité muette avec l’adolescente. Alors on n’entre pas dans la pièce, ça a toujours été un endroit un peu secret, mais tout le monde y passait plus ou moins avant. Depuis la mort de Maman, c’est porte fermée, parfait reflet du visage fermé. Si on demande pourquoi, on récolte un haussement d’épaules. Emily, la grande blonde, est la seule qui a un laisser passer, quand elle vient. Arthus n’essaie pas de braver l’interdit, il n’a jamais essayé, au fond il comprend un peu. Lui, son jardin secret, c’est le piano et le pays vers lequel la musique l’emmène, et son coin dans le dortoir des garçons. Là où il peut fermer les rideaux et se laisser aller. Thalia doit en avoir beaucoup, des endroits secrets au fond de son esprit, mais il a toujours su que sa sœur avait besoin de plus. Plus d’espace, plus de solitude, plus de liberté. Plus de mots et plus de cris, plus de silences aussi.

Alors c’est étrange d’être devant la porte, étrange qu’elle la pousse d’un coup d’épaule, tellement étrange qu’il n’ose pas réellement regarder autour de lui quand il entre pour la première fois depuis si longtemps. Du coin de l’œil, sans faire exprès, il remarque quelques petites choses. *Tout a changé*. Le coffre à jouets dans un coin, fermé, comme un monde définitivement écarté qui hurle « je ne suis plus une enfant, j’ai jamais été une enfant, vous ne m’avez pas laissé ce droit là ». Le miroir recouvert d’un drap, celui ci à moitié tombé. C’est vers le bureau qu’elle l’entraine, son coin secret sous la fenêtre — c’est peut-être celle-ci le but final, d’ailleurs —, et il n’a jamais vu le bureau être rangé. Il ne l’est pas aujourd’hui non plus, elle a juste poussé les affaires en vrac sur un bord pour libérer un espace ; des dessins, et des dessins, et des textes aussi, et un livre, mais il n’a rien le temps de voir réellement.

Elle pose un pied sur la chaise, se hisse sur le bureau, attrape le cadre de la fenêtre ouverte et passe un pied à travers, le posant sur le rebord. Restant immobile, elle l’attend, et le garçon fait de même, un peu maladroit, grimpant sur le meuble pour se retrouver en équilibre. En bas, le vide, mais Arthus sait que ce n’est pas trop dangereux. Même si c’est loin, même si une chute serait très certainement mortelle, Thalia sait ce qu’elle fait. *Ou pas*, qu’il pense, et il se fustige intérieurement. Elle sait, c’est tout. Elle ressemble enfin à sa grande sœur. Enfin ; il avait presque cru qu’il n’aurait jamais cette sœur là, il l’a si longtemps attendu. Il en a tellement eu besoin.
Elle le lâche un instant, attrape le tronc du grand chêne qui passe juste à côté de sa fenêtre ; de l’autre côté, une de ses branches s’étend sous la fenêtre de la chambre de Sky. *Merlin !*. Son esprit hurle, c’est flippant quand même, non ? Oui, c’est terrifiant. Ça devrait être terrifiant. Pourquoi il n’a pas peur ? Il la voit grimper avec facilité dans l’arbre, a juste le temps de remarquer qu’elle ne prend pas appui sur son bras gauche alors qu’elle est gauchère, et puis elle se hisse un peu plus haut, fait une pause pour lui permettre de la rejoindre encore. Le sol en bas, ça devrait le glacer, mais il se sent un courage étrange ce soir. Suivre le même chemin qu’elle n’est pas trop dur. C’est grisant, de passer au dessus du vide. *J’me sens Gryffondor*. Oui, il se sent comme un vrai rouge et or, détaché de toute peur.

Ils grimpent un peu, il ne sait pas vraiment combien de temps, le chêne n’est pas si haut que ça, non ? Ça semble une éternité. Puis elle lève les bras, attrape une branche et se jette presque dans le vide. *Thalia !*. Non, elle ne tombe pas. Son corps se balance, elle semble habituée. Lorsqu’elle lâche la branche, elle retombe quelques centimètres plus loin, sur le toit. Le toit plat, de cette partie de la Maison.

Arthus dirige son regard vers sa sœur, puis suit le même chemin qu’elle. Si prudent en temps normal, il ne sent pourtant aucune réelle appréhension lui serrer le ventre lorsqu’il s’élance au dessus du vide. Le choc se répercute dans tout son corps, il trébuche, mais reste debout. Sa tête se relève vers Thalia.
Elle lui sourit.



THALIA


Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Merlin, je ne sais pas du tout ce qui m’a pris.
Pourquoi ai-je amené Art’ dans mon refuge ?
Pourquoi comme ça, pourquoi d’un coup ?
Pourquoi je ne regrette pas ?

Mon sourire est hésitant, mais celui que mon petit frère m’offre en retour est bien plus assuré. Je m’assois sur le bord du toit, les jambes dans le vide, sans plus le regarder. Et il me rejoint en silence, s’assoit à mes côtés sans un mot. Durant de longues années, j’ai cru qu’Arthus ne connaissait pas la valeur du silence. Désormais, je sais que c’est faux. Il a seulement appris à le combler, pour ne pas l’offrir aux Autres. Je crois.
Dans le ciel, la lune brille. Elle est belle, imposante. Son halo illumine le toit, et lorsque je jette un regard en coin à mon frère avant de le détourner aussi — *il m’regarde* —, je vois que les rayons de l’orbe dansent dans ses cheveux bruns.

« Je suis de ceux qui se délavent de jour en jour.* »

Résonne, le vent. Il ramène ses murmures à mes oreilles. Pourquoi le vent — fort, plus fort que la brise d’hier — a-t-il ma voix ? Il a volé ma voix. L’univers a volé ma voix. Est-ce que c’est pour cela que je ne sais plus parler ? Quel intérêt de voler la voix d’une muette, dites moi ?
*Mince*. L’univers ne cite pas Fauve. Le vent ne connait pas cette brutale douceur. Mince, l’univers n’a pas volé ma voix, c’est moi qui ait parlé. Ma bouche. Tarée de bouche. Je ne lui ai rien demandé.
Cela faisait longtemps que je n’avais pas parlé français. Je lis en français, quand j’y arrive. Pas beaucoup. Mais cette langue a une sonorité étrange, un coup j’ai l’impression qu’elle casse mes mots, un coup elle les souligne de délicatesse.
La situation est hilarante. Je cite du Fauve en français à Arthus sur mon toit secret, sous les étoiles.

« Je suis de ceux qui s’y prennent à l’envers avec les autres. »

Putain, encore plus hilarant. Je cite du Fauve en français à Arthus sur mon toit secret, sous les étoiles, il me répond, et ça sonne presque comme des excuses.

« Je suis de ceux qu’on ne remarque pas. »

*Des fantômes, des transparents, des moyens*. J’ai un dessin dans mon Carnet, sur ces paroles là. J’ai des autoportraits sur les insultes à la vie de Fauve.

« Nous sommes de ceux qui ont tout fait comme il faut mais qui y arrivent pas. »

J’ai pas tout fait comme il faut.
*Nous sommes*. Depuis quand existe-il, le Nous ?

« Nous sommes de ceux qui ont la peau terne, les traits tirés et le regard éteint. Des visages pâles, des teints gris. »

Mon autoportrait du moment. Fauve, vieux cri qui n’a rien à voir avec de la musique. Un gribouillage lointain de mon fantôme.

« Nous sommes de ceux qui comptent bien devenir capable de tout encaisser. »

Encaisser ta douleur, Arthus.
Encaisser tes silences, Art.
Encaisser la vie, mon frère.

« Nous sommes de ceux qui cherchent à rejoindre les rangs des résistants des sentiments. »

Résistante des sentiments, tu comprends ? Pitoyable des émotions.

« Nous sommes de ceux qui espèrent croiser la vie, un soir, au détour d’une avenue. La séduire, la ramener... »

« ... lui faire l’amour de façon brûlante. » Je me vois plus faire ça avec la mort *tais toi*. « Nous sommes de ceux qui veulent à tout pris tabasser leur part d’ombre. »

Et ne plus jamais tracer de ligne sanglante sur mes bras.

« Nous sommes de ceux qui cherchent à déterrer tout ce qui est enfoui. Tout ce qui est caché et qui demande qu’à être sorti. »

Caché comme des souvenirs au fond d’une boite. Caché comme des vieilles lettres qui parlent d’amour et de vengeance. Caché comme une trace sur un bras, toute récente.
Je-sais-ce-que-je-dois-dire.
Je ne veux pas.

« Nous sommes de ceux qui veulent rétablir le contact avec ceux qui... »

Ma voix se brise. Lâche ! Lâche, j’allais y arriver !

« ... sont partis trop tôt. Parce qu’ils savaient pas qu’il y avait une fin cachée. »

Je finis toute précipitée, les mots bouleversés et la bouche en vrac.
Silence. Je m’enferme dans le silence, ou le silence m’enferme en lui. Mes mains tremblent légèrement, parce que le vent est glacial, qu’il ébouriffe mes cheveux et frappe ma peau. J’ai toujours été trop sensible au froid. Trop sensible à tout. Mais je lui résiste mieux, à lui ; la froideur ne peut pas rivaliser avec l’océan de glace dans mon cœur, alors j’ai toujours su la contrer. Pourtant, la pression du vent sur mon visage me donne l’impression de me marquer, comme toujours. L’air est un pinceau qui applique sa peinture partout où il va, et c’est indélébile. Je suis couverte de couches et de couches de peinture, traces des odeurs, des sons, des contacts qui ont croisé mon chemin.

« Tu es de ceux qui dansent avec la lune. »

Arthus brise le silence. *Ce n’est pas Fauve*. Non, ça vient de Newen. Doucement, je garde mon regard posé sur Séléné.
*« Quand tu seras prête à renoncer, que tu auras tout perdu, sors la nuit et va danser avec la lune ; dans notre monde de sang et de poussière, c’est le dernier espoir qui nous reste. »* Ambre. Implosions. Art’ l’a lu. *« On dansera avec les étoiles, peu importe ce qu’en pense la terre »*, dit-elle. Je ne savais pas qu’il aimait. Qu’il avait retenu. Est-ce que c’est seulement une coincidence ?

« Viens danser avec nous ? »

C’est de la foutue improvisation. Ma vie est une improvisation ; ce serait tellement plus simple si les paroles étaient écrites à l’avance. J’ai dû perdre mes feuilles ; et je ne suis pas douée au théâtre. Mais je souris. Il me semble que cela fait une éternité que je n’ai pas souris. Une éternité faite de terreur et de sang. Aujourd’hui, l’Artisan de mon Malheur Passé me fait sourire, et j’en perds mes pensées. Art’ a cette douceur étrange que je ne découvre qu’aujourd’hui. Au fond, je ne savais même pas qu’il aimait Fauve. Je croyais être la seule à écouter des musiques françaises, et des vieilles qui plus est. Et Newen ; il a lu Newen, et il s’en souvient. Cette nuit, c’est comme si je redécouvrais mon frère.
Et j’en suis heureuse.

J’en suis heureuse. Une phrase que, il y a quelques minutes à peine, je croyais ne plus jamais penser. Heureuse ; j’ai oublié la signification de ce mot. C’est un mensonge, je ne suis pas heureuse. Il me faut un mot pour les moments d’espoir et de douceur, un mot qui n’exclue pas la détresse qui crie au fond de moi. Je n’en trouve pas. Les mots sont si limités. Si étroits. Si restreints. Je suis sur un ilot de douceur au milieu d’une mer de douleur déchainée.

« Arthus, si j’embrasse une fille, ça veut dire que je suis homosexuelle ? »

Je baisse la tête aussitôt. Je me sens conne. Si conne. Il y a tout ça, Maman, la peur, mon nouveau fantôme, le deuil à refaire, la vengeance impossible, les lignes sur mes bras, et je me préoccupe d’Aelle. Oui. Oui, évidemment. Même quand il y a toutes les vagues qui me submergent, les questions sans réponse restent l’océan. Il y en a peu, des questions sans réponse. Elles se construisent au fur et à mesure de mes tortures. Et ces temps ci, elle reste la principale. Le phare qui clignote, et moi je suis le bateau perdu. Un coup je distingue la réponse, l’instant suivant elle disparait.

« Non, ça veut dire que tu es toi. »

Il ne cille même pas. Merlin, je viens d’avouer, presque, qu’il a peut-être eu raison dès la première seconde, que je l’ai peut-être frappé à en vomir pour la vérité, et il se contente d’une infinie douceur. Mes yeux se ferment.

« Je sais plus trop qui je suis. »

C’est vrai. Une petite fille perdue, fractionnée, un morceau d’Enfant et un d’adulte, une gamine qui a grandie trop vite, une noyée de la vie. Pas amoureuse, pas heureuse, pas compréhensible, pas acceptable, pas normale.

« Ma sœur. »

J’ai envie de rire ! Merlin, sa sœur. Jamais il n’aurait dit ça, jamais il ne devrait le dire. Une sœur ne frappe pas, n’insulte pas, ne hait pas. Espèce d’œuvre d’Art’, comment peux-tu te construire un nouveau visage si peu haïssable ? Ce serait plus simple de te détester, comme avant, comme toujours. On se hait à la mort, frère de sang, ennemi de cœur.

Le vent me pousse à me lever sans trop que je ne sache pourquoi. Je déambule au bord du toit, toujours à la limite du raisonnable. Je ressemble à un fantôme, je le sais ; je ne mets que des pyjamas blancs, pour ressembler à un fantôme. Mais les fantômes n’ont pas de bandage sur l’avant bras.

« Tu veux que j’te dise un secret, Art’ ? »

Ses yeux se plissent à l’entente du surnom, je le sais sans même l’observer. Dans mon dos, je sens son regard peser sur moi. Approbation muette.

« La vie met tout l’monde par terre, soufflé-je, mais certains savent se relever. Moi, c’est trop tard, je me suis déjà faite piétiner. Mais je te souhaite de t’en tirer avec seulement quelques os et rêves brisés. »

Le silence me heurte en réponse. De toute manière, je ne sais plus trop ce que j’ai dit. Je sais que Nyx me pousse à dire des phrases sans sens, ou peut-être plus sensées justement, et que je les oublie rapidement. Ce n’est pas important. C’est libérateur. Un Catharsis.
Du coin de l’œil, j’observe l’ombre avant de la sentir ; mon frère devient presque inconsistant, ici. Nous ne sommes plus réellement vivants, je crois. Il me rejoint, se place debout à mes côtés sans me regarder. Son regard est dirigé vers l’orbe, et le mien le suit.

« C’est un peu tard, je crois, mais si on s’fait la courte échelle, tu crois qu’on peut toucher les étoiles ? »

La voilà la folie de la nuit. Celle qui fait prononcer des Non-Sens, crier des silences, observer des instants et embrasser des enfants. Nous sommes fous ; on se comprend entre tarés. Sa main s’est élevée pour désigner la lune, se mouvant doucement, et la mienne s’élève en écho pour faire de même. Danser du bout des doigts. J’aimerais être avec Aelle sur ce toit, tout serait tellement plus simple. Je pourrais même l’embrasser sans me poser de questions. Pas besoin d’être Thalia, ici. Je peux simplement être moi.

« J’en suis sûre. Tu vois, j’décrocherai pas la lune pour la vie. Mais j’décrocherai la vie pour la lune. »

« T’es une putain d’poète, Thalia, tu sais ça ? »

Il sourit, comme si c’était une blague. Ce n’en est pas une ; nous le savons tous les deux. Je ne décrocherai jamais la lune pour la vie car elle n’en vaut pas la peine. Mais pour la lune qui m’a tant aidée, je décrocherai la vie. Juste pour être à la hauteur. Et ses mots sonnent comme un « vas-y, décroche la vie, j’te suis ».

Moi, je ne me sens pas capable de la décrocher tout de suite. J’ai envie d’être une enfant. Alors je m’allonge sur le toit, pas trop près du bord cette fois, et je regarde les étoiles. Les tuiles vibrent à mes côtés, et je sais qu’il me rejoint. Nous échangeons un seul coup d’œil, murmure de compréhension. Pas besoin de retourner dans nos chambres, cette nuit. Une nuit blanche aux couleurs d’étoiles ne pourra que faire couler de l’espoir dans nos veines fatiguées.


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* Les paroles en italique sont prononcées en français. Les enfants Gil’Sayan possèdent tous des rudiments de cette langue, Thalia plus que ses frères et sœurs car elle s’y est penchée davantage, mais Arthus possède également un bon niveau.


fin

[Thalia existe entre les échos]
[elle persiste, bien que les Mots l’aient abandonnée]