Résidence Corbeau,
Édimbourg, 12h00
24 août 2036

Trois ans de pur bonheur. C'était ce que ressentait Daphne Corbeau. Un sourire béat sur ses lèvres, elle regardait sa précieuse enfant jouer avec des cubes en bois. Une odeur de tomate fraiche imprégnait la maison et venait du délicieux plat de lasagne cuisiné par Amédée. Daphne tricotait - un de ses passe-temps favori -, Elena avait eu le droit à des pulls, des écharpes, des couvertures et de confortables bonnets pour se réchauffer pendant les hivers rudes.

Jouant avec ses aiguilles, la jeune femme resta un instant concentrée dans son travail. Ce fut la voix de sa fille qui l'a sortie de sa concentration.

« Maman ! Regarde ! » s'exclama Elena.

Curieuse de connaitre la raison de tant de joie, Daphne releva la tête et eut un mouvement de recul : le spectacle sous ses yeux la terrifia. Là, défiant les lois de la gravité, un cube en bois lévitait. Elena regardait ce phénomène surnaturel avec des yeux pétillants de joie. Daphne en eut le souffle coupé durant quelques secondes.

« Elena, qu'est-ce que tu fais ! Arrête ça tout de suite ! » cria-t-elle d'une voix tremblante.

L'enfant s'exécuta rapidement et son air joyeux laissa place à une moue attristée. Il ne fallut pas très longtemps avant qu'elle fonde en larmes et que son jouet touche le sol dans un fracas. Daphne se précipita vers elle pour la prendre dans ses bras protecteurs. Peu importe ce qu'il s'était passée, elle refusait que cela arrive à nouveau.

« Pardonne maman d'avoir crié ma chérie mais il ne faut pas que tu... que tu refasses ça, d'accord ? C'est une... bêtise. » ajouta-t-elle d'une voix plus douce en replaçant la mèche rousse d'Elena derrière son oreille. Daphne passa son index en dessous des joues généreuses se sa protégée pour en essuyer les larmes chaudes.

Elena acquiesça et - comme beaucoup d'enfants - oublia l'incident et retourna vers ses jouets. Mais Daphne n'avait pas oublié, elle s'empara de son téléphone et composa le numéro d'un certain Colin Craig... Après quelques "bip" sonores, la jeune mère entendit un "allo" rauque : la voix de son frère ainé.

« Colin, j'ai un problème. C'est Elena. »

Elena ne fut pas surprise ce matin-là, pas autant que ses parents en tout cas. Comment oublier le regard de sa mère, ce regard qui lui donnait encore des frissons dans le dos. Ce regard d'indifférence...

Ils étaient installées dans le salon, tous les trois. Sa mère assise dans son fauteuil favori, sirotant son thé au citron qui dégageait une odeur apaisante, et son père feuilletant un livre de recettes.

Quant à la fillette, elle se hâtait de préparer ses affaires pour sa rentrée au collège. Cette rentrée était particulière car elle signait la fin d'un cycle, Elena était grande à présent. Mais alors que tout paraissait fin prêt, Elena se laissa déconcentrée par un papillon aux grandes ailes colorés qui se posa sur la rembarde de l'escalier. Ni une ni deux, toutes ses affaires dégringolèrent une à une dans les marches en bois.

Amédée se précipita et s'assura qu'Elena n'avait rien de cassé. Celle-ci hocha la tête de gauche à droite, embarrassée par sa maladresse. Mais alors qu'elle se pencha pour ramasser un de ses manuels scolaire, on frappa à la porte. La rouquine haussa un sourcil car le son émis était plus similaire à celui d'un oiseau qui picorait.

« C'est encore Mr Dow et ses foutus oiseaux ? » demanda le père de famille en se tournant vers sa femme.
« Amé, ton langage. Je suis allé voir Mr Dow avant-hier et il m'a assuré que ses oiseaux ne viendraient plus nous déranger. » rétorqua Daphne en se levant à peine de son fauteuil.

Elena s'installa sur une des marches, passant la tête entre les barreaux de l'escalier pour voir quelle était la source du bruit. Lorsque son père ouvrir précipitamment la porte elle fut surprise de constater qu'il n'y avait rien.... quoique... était-ce une lettre sur le paillasson de l'entrée ? La fillette plissa les yeux pour tenter de déchiffrer l'écriture. Un sceau rouge vif fermait l'enveloppe et elle remarqua l'expression perplexe de son père.

« Elena, c'est pour toi... Tu sais d'où ça vient ? C'est un travail pour l'école ou quelque chose comme ça ? » il demanda avec une voix si sérieuse que l'écossaise en eut des frissons.

C'est à cet instant que Daphne posa sa tasse de thé dans un bruit clinquant. La jeune femme se leva d'un bond et arracha la lettre des mains de son mari qui lâcha un "eh!" frustré. Elena était certaine d'avoir entendu sa mère lâcher un juron. Daphne blêmit en passant sa main sur le papier jaunâtre de la lettre. Elle finit par la tendre à Elena sans même croiser son regard. La fillette regarda sa mère l'éviter et croiser les bras sur sa poitrine et - d'un air songeur -, s'appuyer contre le mur.

Elena faillit rire à gorge déployée pendant sa lecture.

« "Chère Miss Corbeau, nous avons le plaisir de vous informer que vous avez été admise au collège Poudlard, l'école de sorcellerie..." » elle poursuivit sa lecture devant l'air abasourdi de son père et la posture étrangement détendue de sa mère.

Était-ce une vile plaisanterie ? Elena l'aurait voulu mais au fond, elle savait que cette lettre absurde était bien réelle.

Résidence Corbeau,
Édimbourg, 20h46
Août 2045

Post réservé