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07 oct. 2020, 22:43
 Irlande   solo  My dad saying “I'm proud of you"
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"Did you ever dream we'd miss
The mornings in the sun
The playgrounds in the streets
The bliss of slumberland
Boy, we're family
No matter what they say"

«The Golden Age» Woodkid


Le silence aurait pu être parfait, seulement les murs craquaient à chaque coup de vent, la pluie claquait contre les vitres et l'horloge s'entendait sûrement à des kilomètres. Parfois, il y avait un semblant de passage dans les couloirs : les employés de la maison allaient et venaient, s'acquittant de leurs tâches quotidiennes. Le dîner va bientôt être servi, songea-t-il vaguement.

Il n'avait pas faim.

Cela faisait une semaine qu'Eugène était revenu à la maison, sans savoir s'il en était heureux ou non. Revoir sa mère lui faisait plaisir, n'en doutait pas, mais il avait cette sombre tâche sur le tableau. Un rappel constant et lancinant de la situation.

Il était enfermé dans sa chambre et avait émis le souhait d'être tranquille. Sa mère l'avait regardé avec peine, mais n'avait pas insisté, acceptant silencieusement son vœu de rester à l'écart. Eugène s'en voulait d'être si distant et il culpabilisait à l'idée de faire mal à Emily. Malheureusement, il avait besoin de se retrouver avec lui-même, avant de faire complètement face à la vérité.

Aussi douloureuse était-elle.

Le plafond était d'un blanc criard et recouvert d'étoiles fluorescentes. Eugène les contemplait depuis son lit, perdu dans ses pensées. Un instant, il crut sentir la peinture fraîche et le murmure d'une voix.

*


14 mars 2039

La chambre avait été vidée de ses meubles, les murs étaient mis à nu et le sol fut recouvert de journal. Eugène ne pipait mot, alors qu'il avisait le pinceau qu'il tenait entre ses maigres doigts. À ses côtés, son père attendait une réaction de sa part, en vain : le petit garçon ne savait pas comment procéder. Ce dernier lança un regard désemparé à Everard. Il avait si peur de faire une bêtise et cela fit rire son père qui attrapa sa main, avant de la guider jusqu'au pot de peinture jaune.

— Et après, tu peins le mur de bas en haut, expliqua l'homme, je vais te montrer, d'accord ?

Everard s'était armé de son rouleau et, aussitôt, il montra le geste à reproduire. Eugène opina du chef et se mit au travail avec application en mâchouillant sa lèvre sous le regard affectueux d'Everard. Quelques minutes plus tard, tout sérieux fut abandonné : cela avait commencé avec des grimaces, puis des chatouilles, pour finir en bataille de peinture. Père et fils étaient recouverts de jaune de la tête au pied ! Ils étaient essoufflés quand ils s'allongèrent au milieu de la pièce, épuisé par cette journée. Mais, pour autant, ce n'était pas finie.

La peinture sécha, les meubles furent placés et Eugène était heureux du résultat. Derrière lui, Everard fouilla son sac avant d'agripper son épaule, attirant son attention. Curieux, Eugène s'était tourné dans sa direction et son regard tomba sur la petite boite tenue par son père. Elle était remplie d'étoiles et de planète.

Ensemble, ils ont inventé un nouveau système solaire et des constellations.
Chaque nuit, Eugène pouvait contempler les étoiles.

*


Emily n'avait pas la force d'insister quand son fils quitta la table plus tôt.

Eugène avait à peine touché son assiette, bien trop tourmenté pour avaler quoique ce soit. Durant tout le dîner, il avait fui les yeux d'Emily, ne voulant pas voir l'inquiétude et la peine sur son visage. D'ailleurs, elle semblait bien plus vielle. Emily ne prenait plus la peine de se maquiller, même pour elle-même. Son visage était tiré par tant d'émotion à la fois et ses rides étaient plus que visible, tout comme ses cernes.

Il ne retournait pas dans sa chambre. À la place, il pénétra dans le bureau de son père qui se trouvait au rez-de-chaussée. Sans surprise, la pièce était vide de présence humaine et rien n'avait changé : le bureau était l'élément central de la pièce, imposant et ordonné. Derrière, se trouvait une bibliothèque et, dans le coin à droite, une plante verte aux longues feuilles. Des cadres en tout genre ornaient les murs, que cela soit des photos familiales, des médailles et des diplômes.

Non, rien avait changé.

Eugène s'approcha d'un globe terrestre et, du bout de ses doigts, il cartographia l'Europe. Lui et son père s'amusaient à le faire tourner, laissant le hasard décider d'une destination. Eugène aimait s'installait au pied de la cheminée et écouter son père racontait des histoires. Parfois, il le regardait simplement travailler, captivé. Malheureusement, il y avait également des mauvais souvenirs entre ses murs.

Dans son dos, il crut entendre un sanglot.

*


05 décembre 2041

Tapis dans l'ombre, Eugène épiait par la porte.

Minuit était passé et, demain, il devait se lever tôt pour se rendre à l'école. Malgré tout, plusieurs facteurs l'avaient maintenu éveillé : l'insomnie, les angoisses habituelles et sa mère qui était revenue de l'hôpital. Tôt dans la mâtiné, Emily fut emmené d'urgence à la maternité, car, en se levant, elle avait découvert avec horreur que les draps étaient trempés de sang.

Quand Eugène avait entendu la voiture se garer dans la cours, son réveil venait d'afficher minuit dix. La porte d'entrée avait claqué dans un bruit sourd et le silence était retombait soudainement, assourdissant. Anormal, avait-il pensé après coup. Il n'y avait pas un bruit, même pas un vague murmure et Eugène avait détesté aussitôt ce calme mortuaire.

Alors, il avait quitté son lit, descendu jusqu'au rez-de-chaussée et s'était dirigé vers le bureau d'Everard, unique pièce où la lumière était allumé. Ses parents se trouvaient à l'intérieur ; sa mère tremblait et sanglotait dans les bras de son époux, dont le visage était tiré par la douleur et l'hébétement.

Des mois plus tard, Eugène apprendra que la petite-sœur qu'il attendait était morte-née.
Après cet épisode traumatisant, sa mère n'essayera plus d'avoir d'enfant.

*


La rivière également, n'avait pas changé.

L'ombre qu'offraient les arbres était la bienvenue par cette chaleur étouffante. Le domaine était perdu au milieu d'une immense forêt, dont plusieurs hectares leur appartenaient. Eugène connaissait pratiquement chaque recoin, à force d'accompagner son père à la chasse et d'arpenter les sentiers battus.

Il y avait une rivière qui traversait le bois et, de l'autre côté de la rive, se trouvait une cabane suspendue dans les arbres. C'était son fort qu'il partageait avec Caleb et Theo, où tout trois s'inventaient un monde à la Narnia. Le temps d'une heure ou deux, ils étaient des rois. Comment entraient-ils dans ce monde magique ? Grâce à une corde que Caleb avait solidement attaché à une branche : ils n'avaient qu'à se balancer et lâcher au bon moment.

Depuis le pont, Eugène avisé ce qui restait de la corde : pas grand chose, si ce n'était le nœud. Le gamin ferma les yeux et sa tête fut encombrée par les rires et les chants. La nostalgie et la joie.

Ils s'étaient promis de ne jamais traverser seul.

*


18 juillet 2042

Caleb et Theo étaient absents du week-end : le premier se rendait à la plage avec son père et le second était tombé malade. Eugène s'ennuyait, avachit à sa fenêtre et épiant la cours en contrebas. Le printemps avait fait place à l'été et il ne pouvait même pas profiter du bon temps.

Que pouvait-il faire dehors alors qu'il était seul ? Rien.

Il décida de se rendre à la cabane sur un coup de tête. En partant, il croisa ses parents qui triaient l'album familial. Il embrassa leurs joues et prévient de son absence, avant de se rendre au garage. Là, Eugène enfourcha son vélo et il s'en alla en pédalant à toute vitesse.

Le peu dont il se souvenait était décousu.

La corde avait cédé. L'eau était glacial. Le courant trop fort. L'air manquait. L'angoisse montait. Il s'était accroché à un rocher et avait hurlé à plein poumon. La fatigué tiraillait ses muscles. Il allait lâcher, il le sentait.

Par miracle, son père l'avait repêché à temps.
Ce jour-là, Everard pleura pour la première fois devant lui.

*


Eugène s'était installé dans son fauteuil roulant qu'il n'utilisait plus depuis sa rééducation. Le processus avait été long et douloureux, mais un mal nécessaire. Sa canne reposait contre le mur à sa droite, attendant sagement d'être à nouveau utilisé.

Eugène avait peu de souvenirs de cet accident. Ce soir-là, ils revenaient tranquillement d'une sortie scolaire. Le groupe d'enfant était intenable et, d'une oreille distraite, Eugène écoutait le brouhaha ambiant. Ça criait, chantait et riait de toute part. Au milieu de tout ça, il y avait ce petit garçon, Leslie, qui attirait parfois son regard. Eugène avait le béguin pour lui.

Son premier amoureux secret.

Tout s'était produit en une fraction de seconde. Le bus fut percuté par une voiture, pour ensuite dévié de la route. Par chance, il n'eut aucun mort, mais les séquelles étaient irréversible pour certains : Leslie perdit son œil gauche et Eugène était condamné à boité et à faire usage d'une canne.

Il ne pouvait plus courir à travers le bois. Le vélo était finit, tout comme le foot et le sport en général. Ses rêves de devenir pompier, astronome ou soldat partaient en cendre. Sa vie avait entièrement changé en une seconde, à cause d'une femme qui avait trop bu.

Son père l'avait serré si fort à sa sortie de l'hôpital et, pour ça, Eugène était heureux d'avoir survécu.

Avec précaution, Eugène quitta le fauteuil et attrapa sa canne. Il quitta le grenier pour rejoindre le lobby qui avait connu tant d'agitation. Eugène se souvenait de ses propres pleurs quand son père partait en opérations. De la joie quand il revenait. De l'ennui quand il fallait aller à l'école. De l'excitation quand Theo et Caleb traversaient cette porte. Des nombreux vases qu'il cassait involontairement. Du courrier qui s'entassait au pas de la porte. De cette étrange lettre. De lui en uniforme scolaire, avisant la plume de Paon Noir qui allait l'amener à Poudlard. De son père qui avait posé une main contre son épaule, avant de lui dire : "je suis fier de toi, mon fils".

C'était la dernière fois qu'il avait vu son père.
Et Eugène avait l'horrible sensation que plus jamais, il n'allait le revoir.

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"Dramaqueen à ses heures perdues avec Ella Davis"
4e année RP | Je parle en gras