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27 oct. 2020, 18:48
L'été dure cent ans  ++ 

Note: Lorsque s'exprimera le point de vue d'Hannah, l'écriture sera en italique




Le bonheur est une abeille. Il bourdonne, il pique... Ah, il s'envole aussi
Douglas Kennedy, La poursuite du bonheur




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Aristid, 10 ans
26 Juin 2045
Ashurst


Je n'y crois toujours pas.
Je n'arrive pas à me faire à cette idée.
Cette belle demeure, ces volets bleus et cette blancheur sublime des murs ne peuvent pas être chez moi. C'est pourtant ce qu'ils me disent, depuis que je suis dans ce village pittoresque, mes deux "nouveaux parents". Je crois vivre un rêve éveillé. Et cette chambre spacieuse, avec bureau, grimoires, pinceaux... Non, ce n'est pas possible.

Je m'installe délicatement sur le siège d'un bois de chêne mis à ma disposition et je m'accoude sur le bureau. Je vais vivre désormais une existence *paisible* Oh, bien sûr que je n'ai pas oublié tout le mal que mon père m'a fait. Mes cicatrices sont bien assez ancrées en moi pour que je m'en souvienne. Mais je revis. Les doux parfums de la Nature remplacent maintenant l'effluve singulière et nauséabonde du bitume. C'est désormais le chant des oiseaux - un jour j'apprendrai à les reconnaître - et non les klaxons des voitures qui m'éveillent le matin. Tout ce bonheur m'a revigoré.

Cette maison, ce village, ces terres... Sont un rêve. Et que dire de l'année qui arrive? Je médite le simple mot de Poudlard, j'ai obtenu quelques brèves descriptions d'Hannah, qui est censée revenir de là-bas dans la journée. Elle ne sait pas que tu es là. Ça lui fera une surprise!, s'était extasié Luke. J'aime tellement sa bonne humeur, elle est si contagieuse! Néanmoins, je doute du fait que mon arrivée dans la maison réjouisse cette *Hannah* tant que ça. Elle ne doit pas avoir l'habitude de côtoyer d'autres enfants de son âge, étant fille unique. Moi aussi je suis fils unique. Mais j'ai vécu dans un "foyer de l'enfance" quelque temps — je m'en serais bien passé d'ailleurs, ce séjour n'était pas des plus agréables ni des plus confortables — et je commence à les connaître ma génération. Je ne puis dire que l'avenir soit particulièrement prometteur au vu des bagarres qui animaient quotidiennement l'établissement. Sans parler des lits en mauvais état, de la nourriture douteuses, toutes ces réjouissances auxquelles ont finit bien par s’accommoder, mais qui nous usent sérieusement. Mais je pense qu'Hannah a déjà dû elle aussi connaître les joies de la vie en collectivité dans l'antre de *Poudlard* Enfin bon, je ne suis pas particulièrement anxieux à l'approche de son arrivée. Je crois même que j'ai hâte qu'elle nous rejoigne.

Il me reste encore une dizaine de minutes avant que Luke ne revienne avec sa fille. Je décide de faire quelque chose de mes dix doigts au lieu de procrastiner bêtement. Je m'installe donc sur *mon* bureau après avoir une nouvelle fois caressé son beau bois d'ébène et me mets à dessiner sur des feuilles de brouillon. Ça m'occupera.



Tu avais laissé Poudlard, château autrefois hostile que te rend aujourd'hui presque nostalgique. C'est en vérité une bien étrange émotion qui fait chavirer ton Cœur; le *trop* plein de souvenirs. Toutes ces images, ces flashes, ces actions au cours de cette année t'ont véritablement changée. *Paraît que la douleur, ça nous...* Révèle? Si ceci est juste, alors tu es une bien triste personne. Les récents évènements t'ont délicatement fendu l'Âme. La gifle de *Jones*, le *sang* de Dai, et tous ces petits grains de sable qui font de toi une enfant vulnérable, avec une tête imbibée d'images horribles. Tu retenais une Larme qui lorgnait la surface de ton œil. Seule dans le compartiment, tu tentas — en vain, bien évidemment — de te concentrer sur un livre de Magie. Tu désespérais en menant la dure quête de chasser les Ombres qui jettent de l'encre *noire* dans ton esprit et qui te hantaient. Le Poudlard Express, qui aurait dû t'impressionner et t'émerveiller, t'avais laissée indifférente. Ton esprit était ailleurs. Mais lorsqu'au terme d'un long ralentissement et de chuintements aigus le train arriva à destination, toutes tes peines furent momentanément oubliées, remplacées par la joie de retrouver *Papa!*. Une fois ta valise agrippée à ta petite main, tu courus avec vivacité vers la silhouette réconfortante de ton père. On eut dit une enfant de six ans, si l'on ne connut pas les tourments intérieurs qui t'assaillaient. De son étreinte, ton *Papa!* éloigna de toi trois grand Maux: La lassitude, la peur, la tristesse. Puis, après cette longue accolade, il te murmura à l'oreille: « Y a une petite surprise qui t'attend à la Maison...» Tu ne répondis rien. Tu savais pertinemment que tu n'en saurais pas plus pour le moment. Le moins que l'on ait pu dire, c'est qu'il te laissait face à une infinité de questionnements. *Je me demande bien ce qu'il a pu m'inventer*

Derrière la vitre défilait le paysage familier de la campagne. Les champs qui resplendissaient, le Soleil qui faisait de furtives apparitions — évènement notable en Grande-Bretagne. Tu te claquemuras dans tes pensées durant tout le trajet, qui fut donc particulièrement silencieux.

Lorsque tu ouvris la porte et que ton regard glissa au fond du couloir, ton cœur fit un bond
*Non* Tu te retournas vers ton père, avec un regard noir qui lui fit presque baisser la tête, l'air de dire *Tu te fous de moi, c'est une blague*. Mais visiblement, cela ne le choquait pas, lui. Ni ta mère non plus qui te salua d'une voix guillerette. Tu l'ignoras. Car au bout de ce couloir se trouvait un *Pas possible* jeune garçon *horreur* d'une dizaine d'années. Tu ne savais pas d'où il venait, comment il était venu et encore moins pourquoi. *Putain*

Ce qui t'horripilais le plus, c'était son sourire. *Il me nargue c'est pas possible* Son sourire étincelant, qui comble de ton malheur ne dégageait pas la moindre méchanceté; presque de la sympathie. Il est beaucoup plus simple de détester quelqu'un à l'air mauvais que ce type de garçonnet qui n'a sûrement pas une part de méchanceté incrustée dans son âme. En somme, tu essayais de te trouver un prétexte pour haïr ce garçon. Le haïr parce qu'il allait s'implanter dans ta vie. Le haïr car tu n'avais pas la moindre envie de l'avoir dans les pattes. Mais surtout le haïr par simple réflexe de ja *Je-ne-suis-pas-jalouse*

Le jeune garçon s'avança, sans un mot. Arrivé à ta hauteur, il dit simplement:


« J'm'appelle Aristid »

Non, tu ne pouvais pas le haïr.
Car l'agacement avait laissé place à l'affection, inexorablement.
Dernière modification par Hannah Hardhoke le 04 janv. 2022, 12:50, modifié 2 fois.

𐌔

14 nov. 2020, 16:03
L'été dure cent ans  ++ 
TW DOULEUR


3 Juillet 2045, Ashurst

« Eh Ari’, tu viens ?
Evidemment que je viens, patate ! »
On éclate de rire simultanément. J’aime cette innocence qui caractérise notre duo, à Hannah et moi.
J’ai bien du mal à imaginer qu’il y a une semaine cette même fille me défiait sauvagement du regard, comme si je venais de lui voler ce qu’elle avait de plus précieux ; sa solitude. Ah, je ne peux pas dire que c’était une mince affaire de sympathiser avec elle. Heureusement que j’ai arrêté de compter le nombre de fois où elle m’a envoyé bouler lors de mes tentatives d’approches – j’admets qu’elles étaient maladroites. Cette résistance a duré 3 jours, et au moment où je commençais à me dire que c’était peine perdue, qu’il fallait lâcher l’affaire, c’est là qu’elle a, timidement, commencé à faire preuve d’une certaine ouverture. J’ai été soulagé, mais je crois qu’elle l’a été encore plus – bien que je ne sois pas (encore) logé dans ses pensées. On a discuté. D’abord, c’était de simples questions banales ; alors c’est bien Poudlard oui c’est génial ah ok j’ai hâte d’y aller, etc. Mais peu à peu, nos échanges se sont faits plus profonds.

On parlait la nuit, assis l’un face à l’autre dans sa chambre, et j’ai compris pourquoi elle se réfugiait dans son Silence ; sans qu’elle ne le dise, simplement dans sa façon d’éviter les questions qui concernaient ses doutes, ses hantises, ses erreurs… Chaque fois, elle s’esquivait – avec talent, je me dois de le préciser –, préférant me poser des questions sur ma vie. Résultat : elle sait tout de moi (il faut dire que ma vie n’est pas follement passionnante), et moi, je ne sais presque rien d’elle. Cette fille est un mystère à elle seule ; un mystère que je me promets d’éclaircir un jour.

Je cours la rejoindre au bord de la rivière qui serpente à une centaine de mètres en aval de la maison. Elle m’y attend, assise sur une roche polie par le flux de l’eau au fil des années. Elle sourit. Alors je suis heureux. Je n’aime pas quand elle est triste, ça me rend triste ; et je n’aime pas être triste. Son sourire est un arc-en-ciel : il est constitué de milliers de couleurs, d’émotions, et bien d’autres choses qui me dépassent. Et puis il y a son regard. On dit que les yeux bleus sont les plus beaux, mais moi je pense que je préfère les yeux couleur noisette. De toute façon, qui peut se permettre de dire ce qui est joli ? Personne. La beauté, c’est à chacun de se l’approprier.

« Me voilà, très chère » annoncé-je d’une voix presque théâtrale qui ne fait que renforcer son rire contagieux.
Je viens ensuite m’assoir à côté d’elle. Du haut de ce bout de caillou, on domine notre monde. On profite de l’enfance, regarde l’adolescence avec dédain, et le monde adulte avec mépris. Sur ce rocher, on est les rois du monde. On pense. On discute. On réfléchit.

« J’crois qu’il faudrait qu’on lui donne un nom, à ce rocher, tu trouves pas ?

Comment on va l’appeler alors ?

Justement, on va réfléchir. »

Il s’écoule quelques secondes où il ne se passe plus rien. Seul le bruit du ruisseau guide notre pensée, indolente et régulière. Puis soudain je m’écrie :

J’crois qu’j’ai trouvé ! Qu’est-ce que tu dis du Rocher aux Mille-Pensées?

Pourquoi pas.

Quel débordement d’enthousiasme !

Eh, Hannah, si tu trouve mon idée nulle faut le dire hein !

Mais je rigole, il est trop classe ton nom. J’ai un an de plus que toi et t’as dix fois plus d’inspiration que moi, je démissionne.

Se dévaloriser, un des multiples talents d’Hannah. Qui a le don de m’agacer – même si le terme agacer est plus une hyperbole qu’autre chose.

Ouais, sauf que tu t’exprimes bien alors que moi… Bon, tu m’as compris ! »

Et j’explose de rire, encore ; c’est plus fort que moi. Je sais très bien que je parle trop, beaucoup trop. Je suis l’inverse d’Hannah, qui à mon avis devrait parler un peu plus. D’ailleurs, le silence retombe aussitôt. J’ai parfois l’impression d’être destiné à lancer la conversation. Pourtant, au bout de quelques minutes sans un mot :

« Ari’ ? »

*???*

Je peine à masquer mon étonnement. Mais rapidement, je rassemble ma concentration – car je sens que ce qu’elle va dire est important –, fronce légèrement les sourcils et lui réponds d’une voix claire :

« Oui ?
J’ai… peur.»

Je reste silencieux ; chose rare. Sa voix peu assurée me prend au dépourvu, et je n’ai pas la moindre foutue idée de ce que je pourrais faire pour l’aider. Je me sens un peu inutile, je dois dire.

« Peur de quoi ? », demandé-je bêtement. Après tout, je ne sais pas vraiment quoi dire d'autre. Sa réponse me tire de mes pensées.

« De... de tout... »

Tout à l’heure, elle riait. C’est désormais un fleuve salé qui dévale ses joues. Elle semblait heureuse il y a quelques secondes, mais là, elle semble en proie à une peur terrifiante – je me rends compte que sa peur est aussi contagieuse que son rire. Et je me sens toujours aussi impuissant. J’ai beau faire le malin, je ne sais pas aider les autres. Je suis de ces singes qui ne savent rien faire, à part les idiots.

Ses sanglots me perforent le cœur. Elle a mal. Horriblement mal. Et avant que je ne puisse la réconforter, elle relève la tête quelques instants, et lâche d’une voix hachée, rauque, et terrifiée :

« J’-j’ai… T..ué… La…. Dame… pleine… de… s-sang… »

*Q-Quoi ?* Non, c’est pas possible, *c’est pas possible*. Et quand? Et où? Et comment? Et... *J'en sais rien, bordel, j'en sais rien* Je pose ma petite main sur son épaule gauche.

« T’as tué personne Hannah, personne, tu m’entends ? Et ça va aller. J’suis là, tu l’sais ça ? »

Ouais, ça va aller.

Ça va aller.

Ça va aller?

Ça va *pas* aller


* « Tu mens, O’Shaken, TU MENS »*


Tiens, la voix dure de mon père1. Elle me manquait, celle-là.
___________________________
1Le père d’Aristid a été séparé de son fils et mis en prison pour maltraitance.

𐌔

10 mai 2021, 01:31
L'été dure cent ans  ++ 
[ 10 Juillet 2045, Ashurst ]


Un grondement, irrégulier, variable, insaisissable. Qui terrifie l’Enfant ; émerveille le Scientifique. Son ! Lumière ! Aveuglement par l’Opaque ! Danse macabre de l’Impalpable. Cycle furtif de grognements du Ciel transpirant à grosses gouttes. Bénédiction pour la Fleur si celles-ci sont liquides ; Supplice si elles sont solides. Arme de Zeus ; faiblesse de l’Homme. Mouvements vivaces et ondoyants sur une toile d’un noir profond. Frémissement du Poète, source du Romancier, coup de théâtre du Dramaturge. Fureur incontrôlée de la Nature, pulsion nerveuse qui incendie parfois quelque arbre innocent. Orage.

Accoudée à la fenêtre de ta chambre, pensive. Pensive ; Toi ; Hannah. Enfant livrée aux Songes les plus profondes sur l’Être qui sommeille au sein de l’Impalpable. Cet Invisible dans lequel tu plonges tes yeux d’amande. Cette armure de Transparence qui le protège de ton Corps. Cette effluve qui enfonce, noie, bouscule, chahute ta Pensée. Tu comptes *un-deux-trois-quatre…* Nouveaux craquements sinistrement somptueux de l’Éclair. Cette Lumière venant tout droit du Chaos t’intéresse tout autant qu’elle t’effraie. Le spectacle est rare : souvent ce sont les pluies moroses et fines qui font de laissent leurs chétifs traits translucides sur cette Ouverture vers le Monde qu’est la Vitre — adulé soit l’humain.e qui eût l’idée de modeler ce formidable outil de Pensée — avec un doux murmure qui possède un charme certain mais se transforme en routine monotone lorsqu’il se répète à longueur de journée.

Mais ce dix juillet évite l’Inévitable, franchit l’Infranchissable, trompe le Trompeur. Et l’Orage – nous pourrions tout aussi bien dire, d’une voix forte et gorgée de Théâtre : « Ô rage ! » et l'effet serait tout aussi beau —, se pâmant d’être Roi l’espace d’un quart d’heure, endosse une sublime toge d’un moire aussi sombre qu'étincelant ; sans aucun doute le plus beau Clair-Obscur qu’un Être puisse contempler. Et justement, toi, tu contemples. Tu contemples ce qui semble être une Mort chevauchée par la Vie, une Faux caressant la Fleur, un sublime tableau que le Peintre — Diantre ! Comment avons-nous pu évoquer d’Orage sans parler du Peintre ! – en proie à de profonds tourments pourrait ébaucher — car l’Orage est l’ébauche du Carnage. Mais ne nous y méprenons pas : L’Orage n’est pas Carnage. Il est la concordance des extrêmes, l’union des contraires, l’équilibre des tremblements.

Le Temps n’est plus rien, réduit à un rôle qui lui sied à merveille : l’Oublié. Quel odieux acteur que le Temps : il nous arrache des mains le – je me tairai, je crois que le Temps sait suffisamment bien ce que je pense de lui, et ô Lecteur.ice, je n’oserais inonder ce paragraphe de vociférations absurdes alors que tu accordes un Regard à mes pâles écrits. Le Temps donc, s’était évanoui. Miracle ! Apothéose ! Véritable ode à l’Éternel, cette représentation abstraite de la Révolte se déroulait sous tes yeux, pupilles effectuant un infernal va-et-viens face aux jets de Lumière qui se succédaient sur un fond sombre.

C'était plus que songer que tu fais : tu cherches une idée. Tu ressens, par moments, ce besoin irrésistible de dénicher de l'Inspiration face au Sublime. Le fait d'être face à un tel spectacle sans avoir la capacité d'en tirer quelque chose d'autre qu'un souvenir — souvenir qui risque qui plus est d'être effacé prochainement de ta mémoire pernicieuse — te met en rogne. Alors tu t'acharnes sur ta proie pour arracher un bout de Songe, une belle phrase voire un texte. Bien sûr, toutes ces tentatives ne faisaient qu'éloigner l'Inspiration *J'aimerais tant l'attraper à pleines mains*

Comme toujours, on croit qu'on va asservir l'Inspiration comme on le ferait avec un.e Semblable. Seulement cela ne fonctionne pas comme cela. Lae scientifique a tort en affirmant que l'Homme n'a pas de prédateur. Nous sommes les proies de ce que nous pensons, disons, ressentons, éprouvons. Toutes ces choses font de nous les êtres les plus faibles de la Nature. En cherchant à attraper, nous tombons dans un piège, un précipice sans fond. Ainsi, c'est l'Inspiration, qui nous prend ; Profondément.

Les idées ne viennent pas, et tes sourcils se froncent de mépris envers le flux capricieux. Quelle humiliation que d'être agenouillée face à quelque chose que l'on ne voit, que l'on ne sent, que l'on n'entend qu'avec le cœur. *J'ai peut-être pas de cœur* Penser à ton cœur te fait penser à — *je ne dois pas penser à elle, bon sang !*. La marque indélébile de cette gifle te pèse lourd sur ta conscience, tout autant que les bouts de lettres encore cachés au fond de ta valise. *Nom de Zeus, j'aurais pas du les ramener*.

Lassée de t'abandonner à des loisirs de tantales, tu quittes ton guet pour t'allonger sur ton lit. Tes longs cheveux — détachés, chose qui n'arrive jamais à Poudlard — s'étalent sur la surface protéiforme des draps. Un soupir s'échappe de tes lèvres lorsque tes yeux se lèvent vers le plafond *l'est blanc* Plusieurs minutes s'égrènent ainsi, l'effroi grandissant *affreusement blanc...*. Plus le Temps passe et plus l'envie de changer ce plafond *odieusement blanc !* prend de la place. Cette idée est comme un ténia : elle se loge dans un coin de ta tête, éteint une partie de ton cerveau et réveille une adrénaline extrêmement forte ; dévastatrice parfois. Et lorsque ce ver apparemment perfide a envahi tout le cerveau, il pousse inexorablement à l'Action. Une Action absurde ; aux yeux des Autres. Une Action idiote ; aux yeux du rationalisme excessif. Une Action inutile voire dangereuse ; aux yeux de la Responsabilité. Mais le cerveau est déjà lancé à pleine vitesse et son inertie fait qu'il ne peut réagir. Une Face s'exprime avec une puissance décuplée par un flux venant d'on-ne-sait-où. L'autre Face reste enfouie ; pour le moment.

Alors le flux te saisit avec une force inouïe. Toute ta conscience s'évanouit. Seul l'Acte compte. Tu bondis de ton lit, saute à pieds joints sur le sol, cours vers ton bureau, reversant tout sur ton passage. Tu ne te rends compte de rien. Seuls quelques fragments de pensées s'interposent *Je...*, écrabouillés par une Vague surpuissante. Tu ouvres un tiroir, deux tiroirs, trois tiroirs, sans les refermer *Vite*. Tes mains fouillent rapidement à l'intérieur de chacun deux, et finissent par tomber sur les objets que tu cherches. Trois tubes de gouache *Vite !*. La porte de la chambre est fermée. Tu retire le bouchon de chacun des tubes aux couleurs noires, rouges et grises. Tu appuies comme une forcenée pour faire sortir la substance imprégnée de couleur. *VITE* Substance que tu recueilles au creux de ta main. Tu débutes avec le noir. Une fois que tu estimes qu'il y a suffisamment de peinture sur ta paume, tu te mets debout sur ton lit. D'un mouvement frénétique et incontrôlé, la couleur s'étale inégalement sur le plafond. Tu fais de même avec les deux autres tubes… Puis tu t’allonge au sol, radieuse. Un sourire éclatant contemple le plafond multicolore. Une œuvre abstraite ; concrète image de ce qui faisait partie de toi.

« J’ai vaincu la blancheur. La guerre n’est pas gagnée. Je reviendr…
Qu’est-ce tu fais !? »

*La Blancheur n’est pas loin*

« Hannah ? »

*Elle s’approche…*

« HANNAH ? »

*AHH !*

« AHHHHHH !! »

« Quelqu'un qui accepte la folie de quelqu'un est nécessairement fou. C'est étrange dans cette société » ; Étranges sont mes Semblables.

𐌔

10 juin 2021, 00:00
L'été dure cent ans  ++ 
☾☽
La Bougie est définitivement éteinte.
Seconde Eclipse ; la Vraie
Je crie sur ses Silences dans le Noir

☾☽


[13 Juillet 2045, à l’aube]


Je me lève, en sursaut. Mes mains tâtonnent dans l’obscurité, jusqu’à trouver le chemin de l’interrupteur. Une lueur tamisée me permet de lire l’heure sur ma pendule. Cinq heures à peine. Mais plutôt que de me dire qu’il est extrêmement tôt, je songe à Hannah. Elle, l’heure, elle ne la lit jamais. Pas une montre n’orne son poignet. Hier, elle a explosé sa pendule sur le sol, prétextant que le Temps l’agressait. Cette fille a beau me fasciner, j’avoue avoir parfois du mal à la suivre. Moi, j’ai besoin d’horaires pour créer un équilibre. Je ne me sépare jamais de la vue d’une aiguille en mouvement. Si je n’ai pas ce cadre, je ne me gère pas. Je suis de ceux qui ont besoin de règles strictes pour fonctionner. Cela ne m’empêche pas de les enfreindre, mais au moins je me disperse peu. Hannah et moi sommes Des Astres Contraires.

{ Sourire de la Plume }


Hannah m’étonne beaucoup. Mais je m’inquiète surtout pour elle. J’ai compris assez vite que les fluctuations imprévisibles de son humeur laissent de grosses traces sur son cœur. Moi, j’avoue que tout cela me dépasse un peu ; et je ne sais comment agir. Il semblerait que les parents n’aient pas encore pris la mesure de ce qui la ronge ; moi non plus d’ailleurs. Et je me sens pris en sandwich entre ma loyauté auprès d’Hannah et l’envie qu’elle aille mieux. Trahir pour son bien ? Se taire ? Incapable de prendre une décision, je reste pour l’instant claquemuré dans cette longue réflexion. J’accorde une grande confiance en Luke et Maud, là n’est pas le problème, mais la complexité du caractère d’Hannah ne me pousse pas à prendre de risque ; un rien peut trancher le lien qui nous unit. Mais la voir souffrir ou prendre des risques inconsidérés sans même s’en rendre compte, ça ne m’amuse pas beaucoup ; ça m’angoisse beaucoup. Bon sang, moi qui m’attaque à la lecture du Cid, je comprends parfaitement la structure qui constitue un dilemme. J’y suis confronté ; trop tôt sûrement.

Bon, c’est certain, je ne me rendormirai pas *maudites réflexions*. C’est toujours comme ça, quand je réfléchis : mon cerveau se met en branle et à partir de ce moment là il est inarrêtable. Une véritable usine à gaz qui a le don de m’agacer fortement. Sur la pointe des pieds, je longe le mur du couloir en chaussettes, en veillant à ne pas faire craquer un os. Arrivé devant la porte de la chambre d’Hannah, mon regard s’introduit par la serrure pour vérifier si tout se passe bien à l’intérieur. Oh, je ne suis pas fier de ce que je fais, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais Hannah est comme une sœur et Servigne – Luke ne jure que par lui, ses paroles sont contagieuses – sait si j’ai des raisons de m’inquiéter pour elle. J’ai Vu des choses qui me poussent aux pires vices – y compris l’espionnage – pour m’assurer de son bien-être. Ma ronde, pareille à celle d’un Manteau Noir – Hannah m’a vaguement parlé d’eux, ils n’ont pas l’air commodes –, m’a rassuré ; je repars en direction de ma chambre pour m’habiller.

C’est peut-être stupide, mais des fois j’ai peur de perdre Hannah. J’ai déjà perdu ma mère, je ne vois plus mon père ; il ne me reste qu’elle. Elle est ma sœur, bien que biologiquement cela ne soit pas le cas. Et si, un jour, elle disparaissait, que se passerait-il ? J’ai peur du vide. De la perte des êtres qui me sont chers. Des ténèbres. De l’inconnu. De beaucoup de choses, en somme. *Peut-être qu’elle va…* Non. Je chasse ces pensées encombrantes en ouvrant les volets.

Le soleil est en train de se lever ; j’aime cela. Il est encore timide, et ses rayons ne sont pas encore assez puissants pour me brûler la peau. Alors je grimpe sur le rebord de la fenêtre et je m’assieds là, contemplant lent éveil de l’Astre égocentrique. Il va faire beau aujourd’hui. Mes yeux capturent la scène comme un appareil photo. Ce spectacle n’en finira jamais de me fasciner. Je pourrais rester ici des heures. Mes pensées se calment ; mon corps aussi. Mes jambes, qui effectuaient un mouvement régulier dans le vide, s’immobilisent peu à peu. Les Adultes appellent ça la « méditation », je crois. Moi, j’appelle ça ouvrir les yeux ; et je trouve cela beaucoup plus joli qu’un terme tout droit sorti d’un bouquin poussiéreux de sophrologie – avec tout le respect que j’ai pour cette branche de la médecine. Alors j’ouvre les yeux –les oreilles aussi, car quelques oiseaux se mettent à chanter – et je souris. Je ne sais pas pourquoi mes lèvres forment soudainement une virgule ; c’est instinctif. J’ai besoin d’avoir le contrôle de ce que je fais, certes, mais face aux charmes de la Nature c’est différent. Cela est valable aussi pour le Temps. Jamais je n’observe l’Aiguille lorsque je plonge mon Regard dans celui du soleil.

Tout est si calme, soudain. J’oublie tout ce qui me tracasse – Hannah, mon père, la page cornée de mon manuel de Potions – dans un élan de sérénité si profond que je me sens presque voler. Il n’y a que la Lumière et moi. Nos regards s’entrelacent comme celui de deux êtres étourdis d’amour. Rien ne nous sépare ; seulement des kilomètres à l’infini. La Distance s’efface avec cette Lumière si puissante, qui grandit, grandit… Bon sang, qu’est-ce que j’ai faim. Je rentre dans ma chambre. 7h58. En effet, il est grand temps que j’aille me remplir l’estomac à coups de bacon, d’œufs et de tartines de marmelade. Je sens déjà la douce odeur d’une tartine qui grille lentement. Je ferme les yeux quelques instants, et j’ai soudain l’impression de percevoir un souvenir lointain. J’entends une voix dans les fins fonds de ma mémoire ; ma mère ? Je rouvre mes paupières. « Tu ne dois pas trop te plonger dans le passé, Aristid. On finit par s’y noyer. ». Je regagne la cuisine, et lorsque mes yeux se posent sur les cernes d’Hannah, tous mes doutes reviennent toquer dans mon esprit.

Une Descente
Soufflée par l'Ombre-même

𐌔

02 oct. 2021, 21:20
L'été dure cent ans  ++ 
{ Ami.e.s Lecteur.ice.s,
Vous qui lisez Hannah, depuis la Nuit des Temps ou bien depuis cet Instant où votre souris a cliqué — peut-être malheureusement ; le Peintre n'est pas Certitude — sur ce sujet, je dois vous dire une chose.

Hannah, à l'inverse de son prénom, se construit dans une complexité qui contraint parfois le Peintre ; il doit alors (modérément) prendre le relais quand son Modèle ne Voit plus, n'Entend plus, voire ne Ressent plus. Cela est valable pour tous les Tableaux ; ici ou Ailleurs. Bien évidemment, le Peintre, loin des sombres Desseins du Contrôle, ne trahira pas son Modèle et se calquera sur ce que celui-ci aurait pu Percevoir. Cependant les évocations, les descriptions, les Références seront celles du Peintre et non propres au character. Dans un souci de probité, il était de mon devoir de vous en informer. Je n'en dis point plus à ce sujet ; ce serait déjà trop vous dévoiler la Suite.

Bien. Je m'adresse désormais aux Yeux sensibles à certains coups de pinceaux un peu vigoureux ; vous savez, ces Traces qui parfois s'ancrent odieusement en vous. Ce texte, je le crains risque d'être particulièrement oppressant dans son style, et traite parallèlement — d'une manière plus ou moins implicite — de la Faux, de la Soif du Styx, de la Descente et du désespoir fortissimo. J'aurais aimé cesser ici ce paragraphe fâcheux, mais cette mention négative du Désespoir (je l'adoube d'une majuscule afin qu'il me pardonne cet affront). Sachez, ô Lecteur.ice.s, que le Désepoir n'est pas cette noirceur qu'on vous vend, ce frère du Diable qu' a inventé la société pour Fermer les Yeux. Non. Et je puis même vous dis même qu'il est de ces fins graviers sur le chemin du Bien ; près du Ruisseau de la Renaissance. Je ne me permettrai pas d'étaler en ce lieu les belles réflexions de Servigne à ce sujet, mais si vous souhaitez en savoir plus, il est tout à fait possible de m'Apostropher sur Parchemin Replié.

Sur ce bon Voyage. Secousses possibles. }

֍

Hannah
Écluse Thermidor, dans l'après-midi
Ashurst


Sourire. Il faut Sourire. Tous les jours, par tous les temps ; mais pourquoi ? C'est comme ça, répliquent les Adultes, comme des automates. *Moi, j'y arrive pas*. Lèvres tiraillées entre Volonté et Impossibilité ; victoire aisée pour la seconde. Deux Falaises rosées restaient impeccablement jointe en une droite quelconque, érodées par le Soleil, figées par... Par un tu-ne-savais-quoi ; impossible de poser des Mots dessus. Tu t'en approchais alors armée de Métaphores ; c'était la seule façon d'aborder la chose. Une Chape de plomb, un Cumulonimbus, un Fracas intérieur ; pareils à une vague qui s'abat sur le rivage. Rivage dont tu étais le sable, vagues dont tu étais la victime. C'était comme si, d'une seconde à l'autre, ton Monde pouvait s'écrouler. Il était même difficile d'expliquer ce qui maintenait encore l’Édifice debout ; l'énigme de Pise. Jamais rien n'était maîtrisé, contrôlé — bien que tes pensées aient toujours affirmé l'inverse. Ni le Temps, ni les Actes, ni les Pensées. Rien. Rien Rien Rien Rien Rien. Il était, dans l'usine de tes Entrailles, mystérieuse et ravageuse, des moments de Fête ou même l'Affreux te semblait Beau — Horreur Sympathique —, ou les Frontières en barbelés avaient l'air de n'attendre qu'une chose : être franchies. Une sorte de Liberté décuplée, en somme. Mais il y avait aussi les Descentes, en Chute Libre, droit vers les Abysses. Et cette après-midi serait à ranger dans la seconde catégorie. Un puits, sans fond ; l'eau était lointaine...

Le Beau était gris ; il se dissipait dans le Ciel. Tu survolais ton propre Corps, lourde ; au point qu'il fallut que tu te frappes pour t'assurer, par la Douleur, que cette matière était tienne. Les murs grossissaient, t'oppressaient. Suffoquer. Une feuille vierge ; quelques Mots ; Corbeille. De ces Descentes, il ne restait presque aucune trace écrite ; les tentatives avaient subi les assauts de l'Ennui, qui les compressait, puis les projetait vulgairement contre la Prison de Métal. L'angoisse progressait, bouillonnante et vicieuse, comme le mercure au sein d'un thermomètre fouetté par la chaleur. Soudain ton être se plia de frayeur, comme s'il était au sommet d'une montagne russe ; terrifié par la Descente dont rien ne permettait de distinguer la fin.

Alors, hérisson apeuré, tu te recroquevillas. Le Crâne fumant tel une locomotive à vapeur — nuées noires — se posant entre les deux rotules ; « Il est sur les rotules » eût-on dit en jouant avec les Mots. Cependant jouer avec les Mots n'était point de circonstance. Tu te dissolvais progressivement, comme sucre au sein d'un café, noir comme l'ébène. Un café ; c'était la parfaite représentation des pensées liquides et noirâtres qui dégoulinaient de toutes parts. Sur tes avant-bras, dans le vide de tes yeux, sur le bout de tes lèvres, sur les pages de tes nuits blanches, dans le-ciel-où-la-lune-n'est-pas 1... Et ce liquide, épais, visqueux, putride, te brûlait la gorge ; muette ; Murmurer la Douleur insonore. Mais où pouvait donc se jeter ce Fleuve Noir, plus pollué que le Danube, plus meurtrier que le Yangtsé ? Dans ton Cœur. Du Goudron. Leucate et ses Mystères.

Persister ; échec. Résister ; échec. Parler ; échec. Écrire ; échec. Suspens ; au-dessus du Styx. Dans le secret de ton crâne, tu devinais la présence d'un sombre nuage. Grondements incessants. Voix, entre deux craquements. Elle martelait, martelait, perfide comme l'Horloge : « Souviens-toi ! ». Plongeon dans le Passé ; noyade.

Immobile, quoique tremblant légèrement, tu poursuivais la Descente. Plus dans l'obscurité totale ; de sombres lueurs s'agitaient sur les parois du Gouffre. Conscience paralysée ; tu subissait chaque coup sans mot dire, comme un pantin inanimé que l'on secoue, encore et encore, jusqu'à ce que la tête ne se décroche, roulant sur le sol. Bientôt une première Image — réminiscence macabre — se fit nette ; trop nette. On y voyait une Enfant. Elle tente de combattre la Mort — l'espoir du Naïf —, agrippée à une flèche ; au lieu de la retirer, l'Enfant l'enfonce profondément. Perles aux coins des Yeux. La flèche progresse, inexorablement, d'un mouvement insolent, déchirant et transperçant chaque tissu protecteur de la Proie. Cette dernière, la Mort au bord des Lèvres, livre son ultime râle. Peu après, le Silence, lourd, funèbre. Une Enfant, une Flèche, une Proie ; la Coupable, l'Arme, l'Innocente. Soudain l'image devint floue ; elle s'évanouit peu à peu ; enfin. Mais avant qu'un rideau de Ténèbres ne soit tiré, tu eus le temps de recueillir le Sifflement du Serpent : « Tu l'as tuée... ». Inensification des tremblements. Déjà la transition, sur ce véritable lit de ronce qu'était ta conscience, s'effectuait ; fin de la (trop) courte Entracte. La seconde Image, réalisa donc son entrée sur scène ; odieusement resplendissante. L'Enfant, toujours ; le visage plus arrondi ; plus jeune. Les Misérables entre les mains. Ellipse. Macbeth. Ellipse. Jane Eyre. Ellipse. Les Vagues. Les ouvrages se succédaient ; comme les années. La marque de celles-ci se gravait sous tes yeux ; noire, profonde. Une autre couleur, le rouge, prenait d'assaut tes yeux ; fossiles de Larmes. Lire toutes ces lignes, inlassablement. Pour s'évader, fuir. Fuir ton Corps, fuir tes pensées, fuir le Monde, fuir les Semblables. Effleurer le XIXème avec Hugo ; contempler des sorcières avec Shakespeare ; se Regarder à travers un Personnage avec Brontë ; plonger dans un refuge poétique avec Woolf. Il y avait le plaisir, certes ; mais aussi et surtout, le besoin, la nécessité absolue, de Voyager. L'Image disparut soudainement, alors que les tremblement se faisaient séismes. Des pluies torrentielles s'abattaient sur ton visage. Une Tempête. Ce n'était plus une Descente, c'était une Cascade ! La Terreur grandissait à chaque grain de sable, enflait, comme une fourmilière en construction ; en ébullition. Répit une dizaine de secondes ; sûrement Treize. Puis une nouvelle Image prit forme. Ce n'était plus un Souvenir ; c'était un Dessein. Du passé au Futur ; où était le Présent. Aiguilles tordues à coup de Marteau. Étretat. L'Adolescente, le Vide. Le Vide, l'Adolescente. Valse. Le Vide fixait l'Adolescente. Et l'Adolescente...

« ZEUS ! » ... Criait, langue déliée ; enfin.

Ta supplique fendit le Silence sous toutes ses formes *Je...* et heurta les quatre murs de ta chambre comme un violent courant d'air. Ta tête s'était soulevée d'un mouvement aussi brusque que vertical. La Vision avait glissé une aiguille au creux de tes entrailles. Le souffle court, tu te décidas à (essayer de) te lever. Tenter d'atteindre l'Ouverture ; la Fenêtre. Effort abominable, tu avais la sensation qu'une force impalpable t'avait vidé d’Énergie ; qu'On t'avait rempli les veines de Plomb. Un pas ; Grimace. *Allez*. Deux pas ; Gémissement. *Presque !*. Trois pas ; Expiration ; Eldorado atteint. Au contact de l'air pur, outre toutes les molécules qui devaient circuler dans un va-et-vient incessant, tu avais l'impression que de ton Cœur s'échappait un peu de Goudron ; par Atomes. Le Soleil avait ressurgi.Au loin, tu apercevait le Rocher-aux-Mille-Pensées, nimbé d'ombre, sous la protection du Toit formé par les arbres. Frênes, châtaigniers, ormes et tilleuls s'unissaient pour préserver le Rocher d'une Lumière trop forte. Les oiseaux, se déposant sur les branchages tels de petits flocons multicolores, entamèrent leurs chants mélodieux. Tu pouvais entendre la rivière soupirer ; quel bonheur de Ressentir ! Les quelques... Le Temps qui s'était écoulé durant la Descente avait emporté toute impression autre que la Paralysie. Tu renaissais. L'herbe et ses brindilles sautillantes te saluaient vigoureusement, chatouillées par une légère b(r)ise. Ton rythme cardiaque retrouvait des battements plus harmonieux, habituels. Tout rentrait dans l'ord —

« Tu devrais en parler au parents. »

*Parler de quoi ?*
répondirent avec mauvaise foi tes pensées. Tu savais pertinemment ce qu'il évoquait mais tu n'avais pas la moindre envie d'admettre qu'il avait raison — et qu'il t'avait vue dans un état pitoyable. C'était comme s'il avait levé un voile opaque que tu t'étais toujours efforcée de conservée. Ton Cœur à peine remis de ses émotions — du moins partiellement —, le voilà qui se retrouvait encore à s'emballer. *Rendors toi, cher cœur, rendors toi...* En parler ? Hors de question. Comment réagiraient ils ? Comment trouverais-tu l'audace de leur dire ? Tes billes se posèrent sur Aristid, qui, une fois n'est pas coutume, arborait une mine grave. Tu n'appréciais pas trop ce changement.

« Jamais. »

Le ton contrastait avec ton Regard ; il était dur, froid. Tes mains étaient moites. Pourquoi avait-il fallu qu'il se mêle encore de tes affaires ? Il y a tellement d'autres choses à faire que de se tracasser du sort des autres *surtout quand c'est trop tard*. Tu ne voulais pas qu'il perde la flamme qui dansait dans ses yeux. Ni sa gaieté. Ni son humour. *Fuis-moi, Aristid, fuis-moi avant qu'il ne soit trop tard...*

« T'inquiète pas, je gère... »

*Pas* C'était l'inverse en vérité, mais tu t'étais réfugiée dans le Mensonge comme un marcheur au sein d'une auberge, pour fuir l'évidence. Fuir ; ta vie semblait guidée par ce verbe. Toute ton existence reposait sur la fuite. Et comme tu savais que de toute manière, il était trop tard pour agir, tu continuais à te dérober sous le regard des autres, leurs conseils, leurs mains tendues. C'était plus fort que toi. *Personne pourra m'sauver* Tu esquissa un sourire ; raté. Aristid commença à marcher vers la porte, sans rien ajouter. Tu le laissas faire ; tu n'avais rien d'autre à lui dire. Cela t'exaspérait mais c'était vrai. Que dire à quelqu'un qui a tenté de vous aider et que vous avez rejeté ? Rien. Lui offrir une œillade désolée — qui n'effleura même pas son visage —, c'est tout ce que tu avais trouvé à faire. Il allait te fuir, à son tour. *C'est pitoyable*

Et juste avant que la porte ne se referme, ton Tympan — ainsi que tes neurones, ton Cœur — reçut un ultime coup de couteau. Un filet de voix, faible, à peine audible, s'échappa des lèvres du Tendeur de Main.

« J'veux pas te perdre, Hannah. »

*Moi non plus Aristid, moi non plus...*

La porte se referma.

Celle de la Joie aussi.

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02 oct. 2021, 21:21
L'été dure cent ans  ++ 
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Aristid
10 Fructidor
Ashurst


La rentrée approche. Mon appréhension et mon excitation grandissent proportionnellement au fil du temps. D’ici quelques jours, des Mots prendront un sens. D’ici quelques jours, Poudlard m’accueillera en son sein. D’ici quelques jours, je vais découvrir un autre monde que celui dans lequel j’évolue depuis mon Apparition sur Terre – comme cela est étrange ! Je l’avoue, mon impatience est palpable. Je bombarde Hannah de questions ; elle me répond vaguement, un peu amusée par ma curiosité sans doute excessive. Je bouge, je tourne en rond, je contemple ma Baguette sous tous ses aspects, recompte mes livres… Il est grand temps que je rejoigne cette Forteresse dont j’ai tant entendu parler dans la bouche d’Hannah. Oh, bien qu’elle ait toujours omis de revenir sur cette histoire de Dame-de-sang-je-ne-sais-pas-quoi, je me souviens de la terreur qui avait alors envahi son pâle visage ; je n’oublie pas que ce lieu a l’air d’être le théâtre de toutes sortes d’événements étranges voire inquiétants. Je serai sur mes gardes, foi d’Aristid !

Et j’avoue que je suis fier de moi : alors que nous étions en train de réaliser nos achats scolaires sur le Chemin de Traverse – premier contact ô combien saisissant avec le monde Magique –, Hannah m’a confié un Secret ; chose rare. D’une voix toute fébrile, imprécise, avançant à tâtons, elle m’a parlé d’une Swann, et entre tous ses bégaiements et hésitations j’ai perçu que cette Swann avait l’air d’être drôlement attachée avec Hannah. C’est peut-être idiot, mais cela me rassure, de la savoir Liée avec autant d’intensité à des Âmes ; je me dis que ça la convaincra peut-être de rester en vie. Et je n’ai rien dit, mais j’ai comme l’impression qu’Hannah n’est pas insensible au charme de Swann ; cependant je ne puis pas dire grand-chose, l’Amour n’est pour moi qu’une notion lointaine. Je n’ai jamais ressenti de l’Amour comme celui qu’ont l’air de ressentir les autres gens. Embrasser, cette chose qui fait tournoyer les yeux et pleuvoir les Pensées, ça ne m’a jamais attiré. L’Amour, pour moi, c’est ma Famille, et les Amis. C’est tout.

Je recompte encore mes manuels, comme si un démon pouvait en retirer un d’une minute à l’autre ; je dois être d’un ridicule ! Mais je m’en moque. Je suis heureux. N’est-ce pas cela qui compte ? Ils y sont tous, évidemment, soigneusement rangés dans ma Valise. Je me permets de toucher, d’effleurer une nouvelle fois ma Baguette Magique ; je crois que je ne me lasserai jamais de la sensation qu’elle me procure ; mon sang pétille, des bulles gazeuses de Magie s’en échappent. Quand je prends ce bel Instrument au creux de ma Paume, je comprends immédiatement ce qui me différencie des Moldus dont les sorciers parlent tant : j’inspire et j’expire un air constitué de molécules magiques. Je n’ai jamais soupçonné la puissance de cette chose ; j’ai eu tort. D’une part, je suis émerveillé par cette Vague gigantesque qui déferle en mon être ; d’autre part, je me dis que, si cette force est entre de mauvaises mains, cela doit être terrible.

Le repas de midi arrive enfin ; je vais avoir de l’occupation pour au moins une demi-heure, c’est toujours ça de pris. Papa nous appelle d’une voix enjouée : « S’il y a des gens par ici qui souhaitent se régaler, c’est dans la salle-à-manger que cela se passe ! » Sa fausse prétention me fait sourire ; indéniablement, il a une faculté à donner le sourire aux personnes qui l’entourent. Bon, il est vrai que je ne suis pas forcément le bon exemple ; je souris très souvent. J’arrive à table d’un bon pas. Cela va me manquer, tout de même. Les blagues de Papa, les conseils de Maman, les repas dans la bonne humeur (sauf quand je fais quelques bêtises), le chant des oiseaux, le Rocher-aux-Mille-Pensées… Un parfum de nostalgie s’infiltre dans mes narines alors que je déguste mon plat. Derrière leurs masques impassibles ou bien joyeux, que ressentent Hannah et les Parents ? Ressentent-ils aussi fort que moi toutes ces choses que l’on appelle, je crois, des émotions et des sentiments ? Ces questions me titillent. Et si j’étais le seul à m’attacher à ce point aux petits détails ? Je réfléchis trop ; je retourne à mon riz et aux courgettes fondantes qui l’accompagnent.

Par la fenêtre, je vois l’été qui lentement s’évanouit. Les journées raccourcissent, et les températures entament une lente descente sur le Thermomètre. Par la fenêtre, je vois ces étendues vertes qui me sont désormais familières, mais que je vais devoir quitter. Par la fenêtre, je vois le reflet de mon regard dans le rayon timide du Soleil, occulté par un Nuage ; mon Nuage est fait de Souvenirs. Hannah m’a raconté que je serai, avec d’autres élèves, au sein d’un Dortoir. Mais m’accepteront-ils ? Me supporteront-ils ? Il y a quelques mois, je fréquentais encore les masses de jeunes enfants ; pourtant j’ai l’impression d’avoir oublié ce contact si particulier. Ma foi, il ne faut pas que je ne mette la rate au court-bouillon non plus. J’aurais toujours de quoi m’occuper ; il y a une Bibliothèque pleine de livres, n’est-ce pas ? Et puis, je sillonnerai les Couloirs du château, comme un Explorateur passionné. Je me vois déjà slalomer entre des élèves, plein d’ardeur et de détermination. Voilà. Oh, comme j’ai hâte, mon dieu !

J'ai l'impression de savoir beaucoup de choses au sujet de Poudlard, mais d'un autre côté je me sens vide de Connaissance et ma soif de l'Apprendre me dévore le cerveau. J'ai envie d'interroger le flanc de cette chair noir et rigide, frissonnante et mystique, comme un helminthe, traçant ma route au milieu des cavités de la Créature. Ou serais-je plutôt une bactérie salvatrice ? Je ne puis le savoir. Le regard que je porte sur ce Château — et tout ce qui va avec — est d'une telle ambivalence qu'il m'est absolument impossible de savoir si je serai Détraqueur ou Détraqué ; peut-être un mélange des deux ?

Alors, j'attends. J'essaie — difficilement — de masquer mon impatience, pour ne pas insupporter mon entourage. D'autant plus qu'Hannah m'a proposé de se mettre avec moi dans le train — le fameux, le saisissant Poudlard Express —, « dans un compartiment où aucun Regard ne nous déchirera la peau du visage » selon ses dires. Sachant que sous mon air confiant, j'ai un tout petit peu peur, je suis bien content qu'Hannah m'accompagne durant le voyage. Je tâche donc d'être le plus calme possible, car mon agitation pourrait sûrement la faire changer d'avis, n'est-ce pas ? Car Hannah est une fille qui n'aime pas ce qui déborde de joie, les étalages émotionnels ; et moi je suis un condensé de tout cela. J'en viens à me demander comment elle fait pour m'apprécier. Les mœurs humaines sont décidément incompréhensibles. Bref, je m'égare.

Pour patienter, que vais-je faire ? Parmi la palette d'activités qui s'offre à moi, je choisis d'aller courir. Qui sait, cela saura peut-être que cela calmera mon excitation ? Je n'y crois pas beaucoup mais soit. Avant de me préparer, je vais tout de même vérifier une dernière fois que tous mes manuels sont prêts, triés, rangés dans l'ombre de mon sac de cours. Merlin, comme diraient certains, je tremble ! Ô Poudlard, ton énergie s'infiltre déjà dans tout mon être ! Les prochains mois s'annoncent fascinants.

ACHÈVEMENT


Vous connaissez désormais son Visage.

𐌔