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01 nov. 2020, 20:37
Chez soi  OS 
Le 27 juin 2045
Aux premières heures du jour
Hameau – Forêt d'Alsan – Cambridge



C'est le soleil qui me réveille. Dans la pièce, les premières lueurs se diffusent et les yeux embués par la nuit : j'oublie que je ne suis pas vraiment dans ma chambre. J'ai l'étrange sensation d'avoir été dupée quand je me redresse dans mon lit, en baillant et étirant mes bras, et que je réalise que ce n'est pas véritablement ma chambre. La disposition des meubles et la même, mais il n'y a plus la moquette, les murs n'ont pas tout à fait la même couleur et la fenêtre est bien plus large. Ainsi, ce premier lever de soleil depuis ce lit qui a toujours été le même mais dans cette chambre tout à fait différente à une toute autre saveur.
En baillant, j'ai réveillé Lune qui dormait à mes pieds – je suis petite alors elle a la place de s'installer. C'est une petite boule de poils blanche qui commence par libérer sa queue touffue, coincée sous ses pattes depuis je ne saurais dire combien de temps.

Le moment est doux, c'est mon premier réveil dans ma nouvelle maison. Je ne peux pas m'empêcher de trouver cette pensée débile, parce que je connais très bien la bâtisse qui m'héberge désormais : je n'y ai jamais dormi mais je l'ai arpentée souvent.

C'est un miaulement de Lune, sur ses quatre pattes, la queue haute, qui achève de me réveiller. Je frotte mes yeux une toute dernière fois avant de me décider à quitter les draps. Chaleureux, bien que légers, je n'ai pourtant pas beaucoup de mal à les quitter. Je pose les pieds par terre et le parquet froid remet définitivement mon cerveau en marche.

Mon regard glisse rapidement vers le chat, qui saute du lit pour toucher le sol. Je souris.
« On descend ?
- Miaou !
- Je suis sûre que t'as faim... »
Si Lune ne miaule pas souvent, j'ai le sentiment que c'est pour que ces miaulements soient plus efficaces quand elle a faim. Je crois pouvoir l'affirmer sans trop me tromper.

Alors je me lève d'un bond, moins impression que le sien, pour lui ouvrir la porte. Je décide de descendre en pyjama, un débardeur qui me couvre correctement – même si je n'ai pas de poitrine à cacher, du tout – et un espèce de pantacourt tous les deux dans des tons verts. Doucement, parce que je sais la chambre de mes grands-parents en face de la mienne, je parcoure le couloir. Non sans regarder tout autour de moi. La fenêtre au bout du couloir, dans mon dos, baigne celui-ci d'une belle lumière. J'ai l'impression de redécouvrir tout ce qui se trouve autour de moi alors même que je le connais bien. Les escaliers grincent un peu quand mes pieds nus descendent sur leur moquette.

La tête baissée sur mes pieds, Lune qui descend silencieusement (puisque c'est un chat, c'est toujours en silence qu'elle se déplace), je me félicite d'un sourire sincère d'être arrivée en bas. Je découvre à nouveau chaque détail de l'étage auquel je tombe maintenant. Mais je le connais, je le connais très bien. Si les portraits sur le mur à ma gauche sont vides, je peux me souvenir des figures qui les habitent de temps en temps parce que je les connais. Rien n'a changé et ce n'est que mieux.

Mon regard est attiré par la queue de Lune qui se promène derrière elle quand elle se glisse vers la cuisine.

Mon cœur manque un battement, je tombe nez à nez avec ma grand-mère. Elle est belle, son visage est reposé et ses rides taciturnes. Ses cheveux sont blancs et longs, ils ont l'air forts et encadrent son visage que l'âge affaisse sans cesse : sans jamais le froisser complètement. Mon sourire ne se fait que plus large alors que son visage s'illumine seulement. Ses mains sont jointes devant elle et sa robe touche le sol, c'est une belle robe mais une robe de jour qui n'a rien d'exceptionnel. Elle est vaguement violette, presque grise. Mais elle lui va bien.

On dirait qu'elle m'a entendu descendre malgré que je me sois faite discrète.

« Bien dormi ?
- Très bien ! Je réponds gaiement.
- Bien. Un sourire qui ne me rassure pas. Dans ce cas... j'aimerais te montrer quelque chose. »

Mes sourcils se froncent mais déjà, ma grand-mère fait volte-face pour rejoindre la cuisine. Je lui emboîte le pas et sur-le-champ. Je murmure un faible « D'accord » dans la foulée mais ne bronche pas.

Je suis étonnée par contre de découvrir des plantes bien plus grandes que dans mes souvenirs. Hier soir en rentrant par l'éclat vert de la Cheminée, je n'ai fait que me manger à la grande table du salon puis me lover dans un fauteuil en attendant que le sommeil s'abatte sur mes paupières. Sur des tabourets des plantes s'étendent en hauteur et en largeur, sans cacher la vue sur le jardin que l'on a par la fenêtre-mur. Là-bas aussi, dans le jardin en loin, les allées ordonnées que j'avais laissé vides à l'hiver montrent des signes de vie : de nombreuses pousses.

Je suis surprise dans ma contemplation à travers la fenêtre par le bruit que font les croquettes en tombant dans la gamelle de Lune. Celle que j'ai déballé hier. Je me retourne et déjà, Cassiopée me tend la une d'un journal.

L'image bouge, et on peut voir des flammes engloutir un toit à l'architecture exotique. Je lis les lignes qui suivent le terrible cliché avec le cœur serré. Mais c'est la date qui m'interpelle, fin mai. Un sourire tordu fend mon visage, mes souvenirs de conversations étouffées par mes révisions acharnées me reviennent et se connectent à l'événement que je viens d'apprendre véritablement. Il me frappe et je devine qu'il a frappé Cassiopée quand je lève les yeux sur son visage.

« La Nouvelle-Zhuangyán... Elle souffle.
- C'est terrible, je grince entre mes dents.
- Oui, ça l'est. Comme la mort de Dai Hong Dao. »

Mes yeux foncent sur elle quand elle prononce son nom. Mon visage tout entier a l'air de dire : comment tu sais ça ? Je ne lui ai pas envoyé de hibou, parce que j'en écris rarement, et que j'avais envie de lui parler de ça ici.

« J'ai reçu un hibou de ton cousin. »

Un petit sourire s'installe à l'évocation de Nils, il ne me l'a pas dit et je le reconnais bien là. Je me surprends à l'évoquer dans mon esprit avec sympathie. Une sympathie qui ne fait que grandir. Et je crois qu'il va me manquer, parce que j'ai passé du temps avec lui ces derniers mois et que ces moments étaient drôlement agréables. Un petit rire émane de Cassiopée parce que je lui ai parlé hier du lien que je commence à tisser avec mon cousin. Je pense que je lui écrirais sûrement quelques hiboux cet été.

Nous n'en parlons pas plus, même si j'aimerais, j'ai le sentiment que ce n'est pas le bon moment. Pourtant, je suis déjà persuadée que nous en reparlons, et j'espère qu'elle me livrera tout ce qu'elle sait à ce propos car ce sera certainement plus que moi – qui ne sait rien.

« Mais dans le malheur il y a de bonnes nouvelles. Le conseil a l'air bien moins hostile aux sorciers qui ne lui sont pas partisans. Nous irons à la Citadelle dans un mois. »

Elle finit par ajouter, après avoir laissé flotter ce moment quelques instants. Dans le fond, on entend Lune manger. Ma mine se fait soucieuse, pourtant, parce que l'évocation de la Citadelle fait naître de l'inquiétude en moi. Je la vois comme une forteresse effrayante mais quelque part : je vais pouvoir voir Nils. Et c'est tout un monde que je vais pouvoir découvrir.

Je hoche la tête et me mets à table. Elle ne sort même pas sa baguette pour nous préparer un petit-déjeuner, et je la regarde faire avec de grands yeux.

Nous nous mettons ensuite à parler, des plantes, du temps, de la vie.

C'est une belle matinée et je me sens bien ici, pensé-je en regardant ma grand-mère s'affairer.

Fin.

Magic Always Has a Price
6ème année