Jour 1

L’air frais du matin m’emplit les poumons alors que je sors de la vieille bâtisse en pierre de mes grands-parents. Comme chaque été, nous venons passer une semaine chez eux, à la campagne, mon frère et moi.

Grand-mère était la seule réveillée lorsque je suis sortie de mon lit, excitée par ce premier jour de vacances chez eux. Elle m’a demandé d’aller cueillir des fraises dans le jardin pour le petit-déjeuner. Je marche donc, pieds nus sur l’herbe humide, en direction des belles baies rouges avec mon petit panier. Le paysage ici est sublime, l’atmosphère est si agréable, on se sent bien quand on est ici… Tout-à-coup, j’entends un coassement sur ma gauche qui me fait sortir de mes rêveries. Ça vient de la mare.

Je me dirige alors lentement vers le point d’eau et observe sans me faire remarquer. Nouveau coassement. Ça y est, je l’ai aperçu. Je vois le sommet de la tête d’un crapaud verdâtre dans un coin de la mare. Je m’avance un peu pour mieux le distinguer, il ne bouge pas. Je continue alors et m’assieds sur un bord plutôt dégagé. Je peux le voir parfaitement d'ici. Il continue ses bruits. Je me laisse envahir par toute cette vie autour de la mare. Il y a tellement de choses à observer, à sentir. Les libellules au couleurs éclatantes virevoltent autour et viennent se poser sur les joncs. J’ai même réussi à en tenir une toute irisée sur le bout de mon doigt. Et puis les oiseaux qui chantent autour de moi et qui, à toute vitesse, viennent se désaltérer dans la mare dans laquelle dytiques, têtards, tritons et autres insectes nagent et la rendent si captivante. Et puis surtout, il y a celui qui semble régner sur la mare et qui me fixe de ses yeux globuleux. Dommage que je ne puisse voir que sa tête…

« Helennnn, tu les trouves ces fraises ? » me crie Grand-mère au loin.

C’est vrai, ça doit faire un bon moment que je suis ici, à simplement admirer cette nature envoûtante. Je contemple mon panier toujours vide, je commence à avoir un petit creux. Je me lève alors et le crapaud plonge dans l’eau. Je n’ai pas eu le temps de bien le distinguer.
« Je reviendrai te voir, mon beau crapaud » je murmure en direction de la mare avant de courir en direction des fraisiers.

Jour 2

Je me suis levée très tôt ce matin pour pouvoir aller de nouveau observer le crapaud. Cette fois, j’ai pris mon carnet et mes crayons pour essayer de le dessiner. Je m’approche tout doucement de la mare et vient m’installer au même endroit que la veille. Je cherche des yeux la bestiole mais je ne la voie pas. J’entends un coassement et je tourne la tête la tête en direction du bruit. Ça y est, je le vois ! Il est posé sur une feuille de nénuphar, encore plus beau qu’hier. Je peux voir son corps en entier cette fois, c’est parfait pour le dessiner. Sa couleur est un très bon camouflage, j’ai du mal à le distinguer dans la mare dont les couleurs se rapprochent très fortement des siennes.
« Salut toi » je lui souffle en ouvrant ma boîte de crayons. Il répond par un coassement.
Je commence à griffonner sur mon carnet, je ne sais pas très bien dessiner mais j’essaye de m’appliquer le plus possible. Je ne veux pas le gâcher, il est tellement beau. Et si majestueux, là, posé sur son nénuphar.
J’ai fait le contour, je commence à poser les couleurs. C’est le plus difficile, je n’arrive pas à reproduire les belles teintes de sa peau…
Au bout de quelques essais et coassements de la part de mon modèle, j’arrive à obtenir un résultat qui me convient. J’humidifie alors mon dessin avec un pinceau pour donner un joli dégradé. Mais alors que je fais les finitions de mon dessin, je sens une goutte de pluie tomber sur mon front. Puis deux, puis trois.
« Oh, non, c’est pas vrai… » Je me dépêche alors de ranger mes crayons et mon carnet, je me lève pour rentrer à l’abri. Le crapaud saute de son nénuphar et plonge dans la mare. Puis il saute à nouveau dans l’eau. Je laisse échapper un petit rire. Il semble apprécier la pluie lui ! Je l’observe encore quelques minutes faire ses acrobaties mais la pluie froide me fait frissonner et me force à rentrer au chaud.
Une fois à l'abri, je regarde mon dessin, je suis plutôt fière de moi, il ressemble bien à mon beau crapaud.

Jour 3

Ce matin, Grand-mère nous a emmené à la librairie Cullen et moi. J’ai pris un livre sur les crapauds ! Je suis sortie dès la fin du repas. Je me précipite à la mare avec mon livre et me pose à l’endroit habituel. Je ne le vois pas. J’attends alors qu’il coasse pour trouver où il se cache. Ce serait tout de même plus simple s’il était plus flashy, je pourrais le trouver tout de suite. Le coassement ne vient pas… J’attends quelques minutes mais toujours rien. J’essaye de le chercher mais je ne le vois toujours pas.
Je me pose alors et plonge mes pieds dans la mare. Le contact de mes orteils avec la vase est étrange mais agréable. J’ouvre mon livre et commence à le lire, il finira bien par se montrer et en attendant, je vais m’instruire sur son espèce.
J’apprends ainsi que l’espérance de vie des crapauds est de 35 ans. Je lis a voix haute un passage :
« La peau des crapauds est couverte de tubérosités dont certaines sont des glandes granuleuses. Cela leur donne cet aspect pustuleux peu engageant. Elles secrètent un venin à la fois antibiotique et antiseptique. Celui-ci protège l’animal dont le système immunitaire est loin d’être exceptionnel. Les bufotoxines sont les principaux composés actifs de ce poison qui en compte une bonne centaine. En dehors du fait que le crapaud essaie de se faire aussi gros qu’il le peut pour effrayer ses prédateurs en se gonflant et en s’érigeant sur ses pattes arrière, son venin est son unique moyen de défense. »

« Et ben mon gros, tu es plutôt cool ! » dis-je en regardant la mare pour voir s’il n’a pas pointé le bout de son nez.
Je continue ma lecture et j’apprends alors que les crapauds ont plutôt tendance à se terrer dans des trous pendant la journée.
Il doit être trop tard, il faut que je revienne tôt le matin, comme les autres jours. Je me lève et dit : « A demain crapaud, j’espère que tu seras là cette fois ! » et je repars en direction de la maison.

Jour 4

Cette fois, j’ai mis un réveil pour avoir une chance de voir mon crapaud. Je sors de la maison en bâillant. J’espère qu’il sera là, que je ne me sois pas réveillée pour rien. Je suis d’abord allée au potager et j’ai ramassé quelques lombrics dans la terre. Je sais qu’ils sont utiles pour la terre mais j’ai lu dans mon livre que les crapauds en raffolaient. Alors, si j’ai un moyen de l’approcher comme ça, je serais la plus heureuse.
Je m’approche alors de la mare et comme d’habitude, je ne le vois pas. Mais cette fois, je l’entends ! Je souris de bonheur ! Je le cherche des yeux mais ne le trouve toujours pas. Je viens me placer à l’endroit habituel et le vois, dans la terre, sur le bord de la mare, à moitié enfoui. Je suis tellement contente de le voir !
« Salut mon beau ! »
Il me regarde. Les mouvements de sa gorge sont tellement mignons. Je sors un lombric du bocal dans lequel je les avait ramassés et le lance près du crapaud, pas trop fort pour qu’il ne prenne pas peur. Le crapaud le gobe à une vitesse impressionnante. Il me regarde à nouveau. J’en déduis qu’il en veut encore. Je lui lance un nouveau lombric qu’il gobe à son tour. Je n’ai même pas eu le temps de voir sa langue sortir. Il me fait rire. Je sors un nouveau lombric et l’agite cette fois plus près de moi avant de le poser. Le crapaud se rapproche de moi. Je me force à ne pas exploser de joie, je ne dois pas faire de mouvements brusques. Il se rapproche doucement avec son allure pataude. Une fois qu’il est assez près, il engloutit le pauvre lombric. Il ne m’en reste plus qu’un. Cette fois, avec une légère appréhension, je lui présente dans la paume de main. Le crapaud ne semble pas réfléchir et le gobe lui aussi. La sensation de sa langue sur ma main est très étrange. Je rigole.

J’arrache un brin de jonc de la mare et commence à l’agiter devant lui. Il ne bronche pas. Je le titille avec et il commence à se rapprocher. Je pose mon brin quand il est tout près de moi et lui présente mes deux paumes de mains à plat. Il vient ! Ça y est, il est dans mes mains ! Je ne l’ai jamais vu d’aussi près. Je fonds de bonheur. Je lève mes mains et les place au niveau de mes genoux croisés en tailleur sur l’herbe.
Qu’est-ce qu’il est beau… Il est magnifiquement dégoûtant. Sa peau est visqueuse, gluante, collante, poisseuse. Mais tellement beau. C’est vrai qu’il empeste l’eau croupie et qu’il est couvert de pustules suintantes mais son regard qui me fixe est si envoûtant. Je ne peux que l’aimer. Je pourrais le regarder comme ça pendant encore des heures. C’est mon crapaud monstrueux à moi. Mon beau crapaud. Soudain, il saute et s’échappe de mes mains pour rejoindre son trou. Je suis tellement heureuse.
« A demain, mon beau crapaud » lui dis-je en lui soufflant un bisou.

Jour 5

Ce matin, je suis de nouveau au bord de la mare, à admirer le crapaud. Je songe à quelque chose que j’ai pensé pendant la nuit. Les crapauds sont autorisés à Poudlard, comme compagnons. Et si je l’adoptais et que je l’emmenais avec moi ?
Il s’approche de moi, je lui présente mes mains dans lesquelles il vient se poser.
« Tu veux venir avec moi, à Poudlard ? »
Dans mon livre, j’ai appris comment fabriquer un bon terrarium pour qu’un crapaud soit heureux et comment bien s’en occuper. Il faut que je demande à Grand-père s’il peut m’aider à le fabriquer.
« Je vais te faire une belle maison mon beau. Si ça te dis. Tu ne seras plus tout seul, je serais toujours là pour m’occuper de toi, ce sera super ! »
Je le caresse en continuant à y penser. J’ai lu dans mon livre que leur peau pouvait être irritante alors je veille bien à ne pas me frotter les yeux ou mettre les doigts dans ma bouche et je me laverai bien les mains après l’avoir touché.
« Tu seras le crapaud le plus beau de tout Poudlard ! Tu vas voir, tu seras heureux avec moi ! Tu veux ? »
Le crapaud coasse. Je prends ça pour un oui. Maintenant, il ne me reste plus qu'à convaincre Papa et Maman de t’emmener avec moi.
Je suis sûre que je peux bien m’occuper de toi, j’ai toutes les astuces dans mon livre pour que tu sois aussi heureux qu’ici ! Et puis, c’est écrit que s’occuper d’un crapaud c’est très gratifiant !

Si je veux que ce projet aboutisse, il ne faut pas que je perde de temps. Je dépose le crapaud par terre et lui dit :
« On se revoit demain, j’espère que tu seras là parce que je vais te construire une maison de rêve tu verras ! »
Et en courant vers la maison pour demander à mon grand-père de m’aider, je cris à mon nouvel ami : « Tu vas découvrir Poudlard mon beau ! »

Jour 6

C’est le dernier jour. Nous partons demain matin. La semaine est passée tellement vite mais je suis tellement contente, on s’est bien amusés ! Et puis, j’ai fait une belle rencontre. Celle de mon beau crapaud.
Quasiment toute la journée d’hier, on a construit un terrarium pour lui. On est allés dans une animalerie et Grand-père m’a acheté tout ce qu’il fallait. Et puis, il m’a aidé à tout mettre en place, en suivant les indications du livre. C’est vraiment le meilleur des grands-pères. On a mis de la mousse, fait un petit bassin, mis des cachettes, on lui a acheté de la nourriture faite exprès pour lui…
Le terrarium est terminé. Il prend de la place mais j’espère que mon crapaud sera heureux dedans.
Je vais alors le chercher à la mare. Il est là. Il vient sans broncher dans mes mains, je pense que lui aussi m’apprécie à présent. Je le rapporte à la maison et vient le poser dans le terrarium. Avec Grand-père, on s’est dit qu’on essayait de le mettre dedans toute la journée et s’il semblait ne pas apprécier, on le relâchera et je ne l’emmènerais pas. Après tout, son bonheur est le plus important.
Il découvre petit à petit sa nouvelle maison. On a fait du bon travail avec Grand-père, on dirait un vrai environnement de mare. Il plonge dans le bassin, ce qui me fait éclater de rire. Il est tellement beau.
J’espère que je vais pouvoir l’emmener. Durant toute l’année dernière, je regardais avec envie mes camarades qui avaient de animaux… Cette année va être tellement bien !
On le laisse quelque temps vivre sa vie pour voir comment il se comporte et comment il s’habitue. Il semble apprécier. Ou du moins, il ne paraît pas triste. Je lui donne quelques criquets que l’on a acheté hier et qui sont censés être parfaits pour lui. Il les gobe à toute vitesse.

La soirée se passe bien, il semble heureux. Grand-père me confirme que je vais pouvoir l’emmener. Je suis tellement contente. Je vais prendre mon crapaud dans les mains et lui chuchote : « On va aller à Poudlard, mon beau crapaud… » Il me répond par un coassement, ce qui me fait l’aimer encore plus.
C’est décidé, cette petite bête fera partie de mes bagages pour Poudlard ! Je promets de bien m’occuper de lui.