La respiration saccadée, le rythme cardiaque s’accélérant, Conrad marchait lentement vers la maison qui lui faisait face.
Loutry Ste Chaspoule...
Un village perdu dans le Devon.
Cinq jours plus tôt, il n’aurait jamais imaginé qu’il pourrait y trouver celui qu’il cherchait.
Mais les indications qu’on lui avait données étaient claires.
Les voisins de ses grands-parents avaient paru soulagés de le voir quitter leur résidence.
Peut-être étaient-il pressés de voir ce secret de famille éventé.
Ou peut-être ne voulaient-ils plus jamais parler à celui qui s’était révélé être leur petit fils.
Conrad l’ignorait, et ne voulait pas le savoir.
Tout ce qu’il souhaitait, c’était un père.
Passant une main dans ses cheveux d’un blond presque blanc, le jeune homme prit une grande inspiration.
Son courage le lâchait au moment où il en avait le plus besoin.
Pourquoi n’osait-il pas s’approcher de la porte de cette maison ?
La réponse à toutes ses questions l’y attendait.
Son regard fut attiré par les décorations qui ornaient les fenêtres de la demeure.
Noël...
Il n’y avait pas pensé depuis de nombreuses années.
Cette fête n’avait toujours été qu’un prétexte pour apercevoir les regards narquois de tous les membres de sa famille.
Ce jour-là, ce n’était pas cela qui l’inquiétait.
Darius n’était probablement pas chez lui.
D’après ce que Conrad avait compris, son père était divorcé depuis de nombreuses années, et ses enfants, eux, ceux qu’il avait reconnus, ne vivaient plus avec lui.
Pourquoi ne faisait-il pas partie de cette famille ?
La colère qui montait en lui le poussa à avancer, et, après avoir inspiré une dernière bouffée de sa cigarette, il frappa à la porte, priant intérieurement pour qu’on lui réponde.
Sa prière fut exaucée.



« Game over »
Fixant l'écran de mon téléphone, je n'en lève les yeux que lorsque ces mots y apparaissent, et observe avec attention la rediffusion d'un match de football enregistrée sur mon ordinateur portable.
En ce jour de Noël, je n'ai rien de mieux à faire.
Clark et Joyce ne répondent plus à mes messages depuis plusieurs heures.
Ils ont beaucoup de chance d'avoir une famille normale.
J'imagine qu'ils passent un Noël merveilleux.
Je dois être le seul membre de mon groupe d'amis à fêter le 25 décembre devant un plat surgelé.
Le maillot d'Arsenal et le short de football que je porte changent des habituelles chemises que Mère m'achète à chaque Noël, lorsque nous allons à la messe.
J'aurais préféré être à Salcombe, mais Mère a refusé.
Selon elle, je dois voir mon père au moins une fois par an.
Pourquoi cette « fois » est-elle tombée durant les vacances de Noël ?
Je les attendais avec impatience.
Maintenant, elles sont gâchées.

Des coups retentissent à la porte d'entrée.
Le regard toujours rivé sur l'écran de mon ordinateur, je n'y prête pas attention.
Jacob a encore oublié ses clés, et cette fois, je ne l'aiderai pas.
Qu'il reste sous la neige.
Peut-être qu'après deux heures dans le froid, il comprendra que les clés sont faites pour être dans sa poche, pas sur la table de la cuisine.
Nouvelle rafale de coups.



Sans quitter des yeux le match de football, je m’approche de la fenêtre de ma chambre.
Ah ! Ce n’est pas Jacob qui essaye de casser la porte.
Je n’aperçois pas le visage de l’homme qui attend, mais je suis prêt à parier qu’il s’agit toujours de celui qui fumait à l’entrée de la propriété de Père il y a une dizaine de minutes.
Que veut-il ?
Maudissant ceux qui me font perdre mon temps, j’enfile une paire de chaussettes avant de descendre les escaliers.
Ouvrant la porte d’un geste un peu brusque, j’adresse un regard noir à celui qui a interrompu mon match à un moment décisif.

Cet homme se fond facilement dans le paysage enneigé.
Je n’ai jamais vu quelqu’un aux cheveux d’une telle couleur, et sa peau est aussi pâle que la neige qui tombe dans le jardin.
Frissonnant en sentant une vague de froid envahir le hall d’entrée, je regrette de ne pas avoir enfilé le pull que Mère m’a envoyé avant d’aller ouvrir la porte.
Je reporte mon attention sur l’homme qui me fait face.
Il semble étonné de me voir.
S’attendait-il à croiser Père ?
S’il le connaît, il doit savoir qu’à cette heure-là, il se saoule au pub du village.



« Et merde »
Son accent est indéniablement allemand.
À coup sûr, il s’agit d’un membre de la famille Volts.
Pourtant, je n’ai jamais entendu parler de lui.
Ce qui est sûr, c’est que je meurs de froid, qu’un match de football m’attend, et que je n’ai absolument pas envie de discuter avec un sorcier.



Je ne finis pas ma phrase.
La porte que j’ai tenté de fermer refuse de quitter ma main, et je ne peux que remarquer le bout de bois que l’homme vient de ranger dans la poche.
Encore un sorcier idiot qui croit qu’il peut utiliser la magie comme bon lui semble.



Malgré mon ton ferme, je n’en mène pas large.
La famille de Père n’a jamais été sympathique.
Et si cet étrange sorcier était dangereux ?



Mes paroles ne l’ont pas dissuadé de continuer à me parler.
Et en plus, il croit que je suis Jacob.
« Pff... »
Résigné à l’idée de devoir poursuivre cette discussion avec le sorcier, j’essaye de déterminer qui il pourrait être.
À vue d’oeil, je dirais qu’il a à peu près l’âge de Peter.
Se pourrait-il qu’il soit l’un de mes cousins ?



Il ne semble pas s’émouvoir de mon ton agressif, mais paraît perplexe.
En tout cas, mes questions ne l’intéressent pas, puisqu’il les évite.



Eugen ?
Non, c’est impossible.
Grand-père n’aurait jamais caché l’existence de l’un de mes frères et de moi-même, même s’il me déteste.
Je réfléchis quelques secondes.
En fait, c’est tout à fait possible.
Antony est un Cracmol, je suis incapable de lancer les sortilèges les plus simples.
Grand-père serait capable de nier notre existence.
Ma haine à l’égard de ma famille s’agrandit au fur et à mesure des années.



Je préfère ne pas lui demander comment il connaît Grand-Père.
Il ne voudrait pas me répondre.



L’arrivée de Peter le dispense de me répondre.
Génial, il va pouvoir discuter avec ce sorcier pendant que je regarderai la fin du match.
Faisant volte-face, je m’apprête à quitter le hall, mais l’incompréhension que je lis sur le visage de mon frère retient mon mouvement.
Pourquoi semble-t-il si étonné ?



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