Lumah n'accordait pas une très grande importance aux dates.

Et ça n'était absolument pas parce qu'elle n'arrivait pas à les retenir, bien sûr.

La petite avait une affreuse notion du temps, ainsi qu'une affreuse mémoire, si bien qu'elle était capable d'en oublier son anniversaire ; c'étaient en général ses amies qui le lui rappelaient. Aussi, elle avait fait l'effort de noter l'anniversaire de ses proches et de le mémoriser afin de leur rendre la pareille (malheureusment, elle avait perdu cette liste).
Bien entendu, on parlait trop de Noël, Halloween ou Pâques pour que la blondinette puisse passer à côté de ces évènements. On parlait aussi énormément de la Saint-Valentin, à vrai dire, mais Lumah avait fait une exception pour celle-ci, qui avait eu le droit à sa place dans les dates à éviter. Et pour cause : Lumah n'aimait pas les relations amoureuses. Enfin, le plus correct aurait été de dire qu'elle trouvait cela repoussant ; tout d'abord parce qu'elle n'aimait pas les garçons, et ensuite parce qu'il s'agissait pour la petite de choses d'adultes : or elle ne souhaitait pas être adulte. Pas aussi tôt, du moins.

La seule chose qu'elle appréciait durant ce jour, c'étaient les chocolats. Qu'ils soient industriels ou faits-maison, elle ne refusait jamais des chocolat si l'occasion lui en était donnée ! Elle réservait donc cette journée à la dégustation de sucreries, un peu comme un second pâques. Son 14 février 2046 était donc parti pour être un jour tout à fait banal, à éviter le plus possible les élèves et l'ambiance qui y règnerait... Et à rester avec sa meilleure amie, aussi, pour pouvoir la cacher si Aliosus passait devant elles.

Dès le matin, néanmoins, Lumah était toute seule, bien incapable de savoir où se trouvait la jolie rousse, et surtout, comment éviter la Saint-Valentin avec la décoration qui ornait le château ? La Grande Salle, notamment, était désormais si rose qu'elle aurait rendu jalouse sa grand-mère. La petite entra donc en quatrième vitesse dans la Grande Salle afin de manger le plus vite possible, si bien qu'elle fit tomber son post d'encre sous les pieds d'Edwin, qui lui dit un « Je t'aime » alors qu'elle lui avait juste demandé de l'aider. Par Merlin, elle avait intérêt à se sauver d'ici en vitesse ! Aussi, lorsqu'elle repéra un assortiment de chocolats sur la table des jaunes, non loin d'elle, et prit cela pour une invitation : elle en saisit donc un au hasard et l'engloutit. Un drôle de goût, bien différent de celui qu'elle attendait, s'imprégna néanmoins dans la bouche de la poufsouffle dès la première bouchée. Il n'en était pas moins bon, et c'est pourquoi elle en piqua un deuxième, et un troisième... Au final, elle ne laissa qu'un chocolat, prit en réserve deux d'entre eux, au cas où elle aurait un petit creux durant cette journée assez sportive, et fuit de la pièce rose bonbon.



Il était déjà trop tard lorsque Lumah regretta d'avoir mangé ces chocolats. Une drôle de sensation parcourait désormais son corps, et elle était prise de drôles de vertiges ; mais elle se sentait en pleine forme malgré cela, une forme monstre même, et prête à affronter cette journée ! Lorsqu'elle parcourut les couloirs, en sautillant, afin de... Elle ne savait plus trop quoi, en fait, elle salua chaleureusement chaque personne qui y était. Puis elle arriva à la hauteur de quelqu'un qu'elle connaissait bien. Enfin, bien connaître était un grand mot, mais elle en avait entendu parler depuis des lustres, alors au final, cela revenait au même. Elle n'en avait entendu que du bien longtemps, puis du un peu moins bien, et du pas bien du tout à la fin. C'était sa meilleure amie, Elicia, qui n'avait que le mot Aliosus à la bouche depuis des mois et des mois ; et c'était ce même Aliosus qui l'avait recalée comme une vieille chaussette. Lumah n'aimait pas voir Boucle d'Or pleurer, elle n'aimait pas les garçons, et du coup, pouf, elle détestait Aliosus pour son acte.

Et voilà qu'il se tenait devant elle. Lumah ne réfléchit même pas une seule seconde.

« Hé, toi ! », apostropha Lumah en direction du blond. « J'ai à te prendre entre six- cinq yeux. »

«Entre cinq ou six quoi ?»

Hébété, Aliosus fixa la sautillante blonde qu'il accourait vers lui, comme s'il était le première année contrevenant au règlement et elle la préfète en ronde de nuit. Mais ce n'était pas le cas, c'était Lumah, Lumah Greenleaf - Aliosus commençait, après presque trois ans et demi d'entrainement,à retenir les noms des personnes autours de lui. Il avait abandonné l'idée de faire des efforts pour les années au dessus de la cinquième, considérant qu'ils seraient sans doute en étude supérieure d'ici à ce qu'il y arrive - une amie d'Élicia. La dernière fois qu'il l'avait vu, en tout cas, qu'ils avaient discuté, c'était lorsqu'elle avait lâchement disparue de la cour intérieure, un an auparavant, le laissant ainsi seul avec la Poufsouffle au beau blond vénitien. Et provoquant la discussion aux conséquences que l'on savait.

«Qu'est ce qu'il y a ? Dit moi ce que je peux faire pour toi.»
Il n'avait pas que ça à faire, il se doutait bien que c'était en rapport avec la journée de la Saint Valentin. Depuis l'incident de ce matin avec les muffins au philtre d'amour de l'elfe de maison, tous les préfets, les non contaminés du moins, avaient eu fort à faire avec les comportements trop collant, les propos gênants et les quiproquos catastrophiques qui en avait découlé. Mais là, ça devait être réglé, il devait s'activer pour préparer ce qu'il avait prévu l'après-midi même pour Irisia, alors Greenleaf avait intérêt à ne pas le retenir trop longtemps.

Lumah soupira bruyamment ; elle l'avait imaginé un peu plus futé, lorsqu'elle l'avait vu en cours et selon la description que lui en avait faite Elicia. Même les statues qu'elle avait croisées dans le couloir l'auraient comprises, alors qu'elles peinaient à aligner trois mots, elle en était persuadée. Avec une voix légèrement agaçée, la petite articula :

« Yeux, entre trois yeux ! »

Et puis qu'avait-il à la dévisager de la sorte ? Il lui sortait par les trous de nez, décidément !

« Q-qu'est-ce qu'il y a ? », répéta la petite, ahurie, majoritairement parce qu'elle ne réfléchissait pas tout à fait correctement, mais aussi parce qu'elle était emprunte d'une étrange colère, qui n'aurait pas dû lui revenir.

« Il y a que tu as fait du mal à une des mes amies. Tu n'as m-mmême pas pensé un seul instant à ce que pourrait ressentir Elicia, pas un seule seconde, je s-suis sûûûre que tu t'es même pas dit qu'elle allait être ble-essée. Eh bah elle l'est, vvoilà. », lui confia la blondinette, avant de rajouter un « Tss » presque dédaigneux.

Lumah n'aimait pas s'énerver. Lumah n'aimait pas cela et par extension, ne savait pas le faire, ou en tout cas ne faisait pas peur du tout ; aussi, elle ne s'y était jamais essayée, sauf envers une personne, l'an dernier : Yesenia. Elle devait être sincèrement ennuyée ce jour-ci pour réussir à effrayer la vert et argent, d'ailleurs, en étant en plus de cela pieds nus... Mais elle n'était pas forcément fière de s'être faite traiter de folle. Cet échange, s'il méritait seulement d'être sonné ainsi, avait été et restait pour elle non pas une victoire, mais une défaite.

C'est pour ça que seule une Lumah dans son état le plus anormal était capable d'une telle chose. Et il avait fallu que ça tombe sur Aliosus... Si la fillette avait été consciente de ses actes, elle en serait morte de honte.

« Oh et d'ailleurs, il faudrait tenir ta copine, c'est bien d'être protecwiz hein, mais je supporte pas qu'elle s'en soit prise à ma m-meilleure amie¹ alors qu'elle sait très trèèès bien que tu l'aimes elle et non pas Elicia. »

Aliosus resta coi devant le déferlement de reproches et d'invectives de Lumah, elle était une des dernières personnes qu'il aurait imaginé agir de la sorte, la Poufsouffle pouvait certes être malicieuse, mais elle n'était pas du genre agité. Il fit un pas en arrière quand elle s'approcha de lui, comment ça qu'est-ce qu'il y a ? C'était lui qui avait posé la question ! Mais enfin qu'est ce qui lui prenait ?

«Tu m'as pas l'air...» Impossible de finir sa phrase, la jeune fille lui vomit un torrent de rancunes qu'elle semblait avoir accumulé à son encontre depuis... Depuis un an ? Est-ce qu'elle faisait référence à la curieuse et désagréable discussion qu'il avait eu avec Elicia pile un an auparavant ? Ça n'avait pas été glorieux en effet, mais ce n'était quand même pas de sa faute à lui seul.

Maintenant qu'il comprenait de quoi il s'agissait, à défaut de comprendre quelle mouche maléfique avait piqué Greenleaf, il pouvait au moins répondre. Non mais elle se prenait pour qui à la fin ?
«Il me semble que si Elicia a un truc à me dire elle peut le faire elle-même non ? Tu sais sans doute qu'on s'est recroisé ces derniers temps et ça se passe très bien alors qu'est ce que tu cherches à faire en parlant de ça ? Il faisait ce qu'il pouvait pour avoir l'air droit dans ses bottes, mais les paroles de la jaune avaient tout de même fait mouche, il n'était pas à l'aise avec l'idée d'avoir blessé Elicia. J'ai été franc avec elle, c'est pas ce que tu peux souhaiter pour ton amie ? Tu aurais préféré que je mente ?»
Il la toisait en essayant de renverser le rapport de force.
«Et laisse Irisia en dehors de ça.» ajouta-t-il les dents serrées.

Aliosus semblait tout à fait déconcerté par son attitude, et il en avait parfaitement le droit : Lumah n'aurait jamais agi de la sorte, d'ordinaire, et ça ne lui était jamais arrivé, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne (enfin, en même temps, Lumah possédait une mémoire si catastrophique que la question était plutôt de savoir ce dont elle se rappelait). Elle n'aurait de fait jamais adopté ce genre d'attitude si elle n'avait pas dégusté ces chocolats étranges, peu avant. Mais voilà, elle était ainsi désormais ; et le blondinet avait juste eu l'extrême malchance de se trouver sur son chemin, au mauvais moment.

Le baragouinement du garçon ne resta pas muet aux oreilles de Lumah, qui lui répliqua aussitôt : « Si, j'ai de l'air, merci. Sinon, je respirerai pas », passablement exaspérée. Oh, bien sûr, c'était tout à fait dénué de sens : mais je n'ai pas réellement besoin de vous le préciser, je crois.

Lorsqu'Aliosus trouva enfin le moyen de se défendre, Lumah pinça ses lèvres, arquant au même instant ses sourcils.

« Tu crois qu'elle oserait ? Tu la connais mal. Et tu ne f-fais que le confirmer en assurant qu'elle va bien comme ça. Elle va pas bbbien. Elle réussit à oublier mais ça passe jamais entièrement. » (Ce fut la première phrase relativement intelligible que dit la poufsouffle, remarquez.) « Qu'est ce que je cherche ? J'ai perdu quelque chose, encore ? », murmura ensuite la petite pour elle-même, confuse, portant sa main à sa rose par réflexe, car c'était l'objet auquel elle tenait le plus, et ce, malgré les tensions qui s'étaient dressées entre celui qui la lui avait offerte et elle.

« Je souhaite qu'elle aille bbbien moi, pas ta franchise. », objecta la petite, passant du coq à l'âne. Aliosus la toisait maintenant ; leur différence de taille était telle qu'il cachait toute once de soleil à Lumah. En temps réel, la petite aurait rougit, se serait faite toute petite, mais malheureusement, celle qu'elle était actuellement ne le quitta pas des yeux un seul instant, et ne frémit pas. Son regard s'affermit même plus.

« Je la laissera quand elle lâchera la grappe à ma meilleure amie, d'abord. »

Essayer de calmer Lumah en s'imposant physiquement n'avait visiblement eu aucun effet, elle continuait de l'incendier, reproche après reproches. Quelque chose n'allait pas décidément, soit elle n'était pas dans son état normal, soit elle était vraiment outré par le comportement du garçon au point que le fait qu'il soit préfet et qu'il était tout à fait en position de signaler son comportement déplacé n'importait même pas à ses yeux. Cette possibilité l'inquiétait un peu à vrai dire. La poufsouffle avait toujours parlé de cette façon, en bégayant un peu ?

«Elle t'a dit ça ? Clairement ? En quels termes ?» Aliosus fouillait dans sa mémoire, certes Elicia avait mis fin à la conversation l'année précédente et depuis ils ne s'étaient pas vraiment parlé et... Par Merlin cette furie de Greenleaf avait peut être raison ? Qu'est ce qu'elle faisait maintenant ? Elle a vraiment perdu quelque chose ? Mais il se passe quoi à la fin ? Pourquoi cette affaire lui retombe dessus un an après bon sang ?

«Écoute, que Elicia m'en ait voulu, peut être, mais figure toi que ça fais des mois qu'on se reparle. Elle t'en a parlé aussi ? Si elle a passé l'éponge peut être que tu devrais. Par contre, tu arrêtes immédiatement de parler d'Irisia. Ce qui s'est passé entre elle et Elicia les regarde, elles, pas toi.»
Fichue loyauté des Poufsouffle, c'était presque s'il s'attendait à ce qu'elle se jette sur lui pour le mordre.

Le fait qu'Aliosus la dévisage agaçait de plus en plus la petite. Si elle avait du cake sur le nez, qu'il le lui dise, par Merlin ! C'était super malpoli d'agir comme il le faisait.

Mais encore, ce n'était rien à côté de ses réponses ; soit il la prenait pour une idiote finie, soit il était aussi aveugle qu'une taupe et sourd qu'un pot pour ne pas vouloir entendre le moindre reproche. Et le fait qu'il défende sa copine... C'était normal, Lumah était exactement en train de faire la même - à la seule différence qu'elle ne défendait pas sa copine mais sa meilleure amie -, mais elle trouvait ça horriblement gnangnan, en dehors du fait qu'elle avait bien le droit de dire la vérité : sa Isiria, Irsia ou Irisia là, c'était une véritable furie.

« C'quoi c't'interrogat-toire ? Oui, elle me l'a dddit, mais je l-le vois aussi, à cerf - à force de passer du t-tt-temps avec elle. », lui répondit Lumah avec une pointe de fierté dans la voix.

Elle lâcha l'affaire lorsqu'Aliosus se défendit comme il put - elle ne l'écoutait désormais plus que d'une oreille.

« Gneugneugneu, bah oui elle m'en a ppparlé, c'est ma mmeilleure amie. Et j'ai jamais dit qu'elle t'en voulait, j'ai dit qu'elle était pas forcément bien, tss... Moi je t'inffforme juste, mais t'es aussi bouché que le trou d-des toilettes abandonnées », lui répliqua la petite en portant sa main à son crâne. Elle avait un de ces mals de tête depuis ce matin, c'était insupportable. prise d'une soudaine nécessité d'aller prendre l'air, la blondinette lâcha au garçon « B-bon, c'pas tout mais j'ai une conversation à finir avec Edgar la statue, alors je te laisse » avant de partir Merlin-sait-où d'une drôle de démarche.

A présent Aliosus commençait sérieusement à se demander si la Poufsouffle hystérique n'était pas en pleine crise d'une maladie particulière, ou bien elle subissait ce genre d'attaque du coeur qui se remarquait par les propos complètement incohérent. Devait-il aller prévenir l'infirmerie au plus vite ? Allait-on lui reprocher de ne pas avoir agit aussitôt, et si ça lui coutait son poste de préfet ?

Il cherchait encore quoi répondre à l'insulte le comparant aux toilettes abandonnées - Lumah avait elle toujours été aussi douée pour trouver des insultes aussi originale qu'imagées ? - que la voilà qui s'égayait de nouveau de ci de là et déblatérant sur une conversation à tenir avec une... statue ?

«Lumah, attends, mais tu vas où ?» Il doutait qu'elle lui prête attention désormais. Il la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse au détour d'un couloir. Elle devenait alors officiellement le soucis de quelqu'un d'autres, mais plus le sien. Il y aurait bien quelqu'un qui saurait quoi faire d'elle si elle venait à s'attirer des ennuis avec son Edgar. Aliosus repris le cours de sa journée, il n'y avait pas de temps à perdre s'il voulait que tout soit prêt pour a surprise à Irisia, aussi oublia-t-il rapidement l'incident, d'autant qu'on su plus tard que le petit déjeuner avait été fort animé à cause d'un elfe de maison trop romantique.

Cependant cette conversation referait surface dans l'esprit du garçon, quelques semaines plus tard, une nuit de mars.

@Lumah Greenleaf ce fut un plaisir, je te dis à la prochaine