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27 août 2021, 19:15
Elowen  os 
TW: Relation toxique


À partir de février 2046
5ème année



Hier, je suis allée voir Elowen. Je voulais me promener dans le parc avec elle, alors tout naturellement, je lui ai dit : « Viens, on va dans le parc ». Je faisais déjà demi-tour, persuadée qu’elle allait me suivre, lorsqu’elle m’a répondu : « Je peux pas, j'ai promis à Chaussette de lui passer un air de piano avant sa pâtée de l'après-midi ». Je l’ai regardé, abasourdie, et je me suis demandée si elle se foutait de moi. « Moi, c’est maintenant que j’ai envie d’y aller ». Une sensation toute bizarre m’a envahie, un mélange de colère et de tristesse, une grosse boule de frustration aussi qui s’est logée au creux de mon ventre. Quand la Serdaigle a refusé pour la deuxième fois, j’ai compris qu’elle ne rigolait pas. « Ok, » j’ai dit avant de m’en aller sans un mot.

Ce matin, nous nous sommes vues dans la Grande Salle. J’ai ignoré son salut, lui ai jeté un regard noir et je m’en suis allée sans un mot. Plus tard dans la journée, quand nos chemins se sont croisés pour la seconde fois et qu’elle est venue vers moi, je lui ai sèchement dit que je n’avais aucun moment pour elle, que j’avais bien mieux à penser. Ce qui était vrai, après tout. J’ai de nombreuses recherches à faire à la bibliothèque, des devoirs à rédiger, des livres à lire… Je n’étais pas disponible et puis il faut bien qu’elle comprenne que son comportement de la veille ne sera pas si facilement excusable, n’est-ce pas ? De quoi aurais-je l’air, moi, si j’acceptais sa présence avec le sourire alors qu’elle m’a jeté sans le moindre remord ?

Cette dynamique est devenue mon quotidien.

Rien n’a réellement changé dans ma vie. Je me lève tôt, je me prépare, je déjeune, je vais en cours, je prépare mes devoirs pour garder l’avance que j’ai sur les autres élèves, je révise beaucoup, je mène mes recherches, je m’entraîne avec Nyakane, le temps que je passe avec Zik est proportionnel à mes efforts pour le fuir quand je ne supporte plus de le voir blablater avec le Serpentaire, et je mets un point d’honneur à faire comme si Thalia n’avait jamais existé. Et parfois, aussi soudainement que la pluie s’invite dans le ciel, Elowen apparaît, ou je vais la chercher, et nous passons du temps ensemble. Parfois, nous errons dans les couloirs en discutant de choses sans importance, d’autres fois nous nous embrassons, d’autres fois encore nous travaillons dans le silence — même si la notion de silence est assez relative, quand on parle d’Elowen. Enfin, je travaille. Elle, elle dessine souvent à côté de moi. Je n'ai jamais compris cela et ne le comprendrais sans doute jamais, mais tant qu'elle est près de moi, peu importe ce qu'elle gribouille sur ses parchemins.

Je ne cherche jamais à expliquer cette relation, ni dans mes pensées ni en présence de la fille. Je me contente de la vivre et c’est très bien comme cela. Nul besoin de poser des mots sur ce que nous vivons. Quand je commence à avoir peur, parce que parfois cela arrive, j’ouvre un livre et je m’étouffe de savoir jusqu’à ce que mes craintes s’apaisent. De temps en temps, cela ne sert à rien. J’ai l’impression de tomber de très très haut et de ne pas pouvoir ralentir ma chute. Alors quand Elowen vient me proposer quelque chose je hausse les épaules, je dis « j’peux pas » et je me tire — immanquablement après cela je me sens mieux. Je retrouve une certaine consistance : je contrôle ma chute. C’est agréable.

D’autres fois, c’est moins agréable.
Ce jour-là, c’était moins agréable. Je suis arrivée dans le hall dans l’intention de rejoindre la Grande Salle et j’ai vu Elowen en compagnie d’une espèce de Serdaigle à l’air complètement ahuri — une gamine à la chevelure horriblement rousse que j’ai instantanément détesté. Si je l’ai détesté, c’est parce qu’elle n’avait rien à faire en compagnie d’Elowen. Je ne la connaissais pas, je ne savais pas qui elle était. Cela m’a mise dans une rage folle. Une rage qui m’a fait serrer les poings et qui m’a donné envie de frapper très fort non pas dans la tête de cette fille mais dans celle d’Elowen qui souriait comme une abrutie. Bien entendu, hors de question de lui avouer tout cela, à Elowen, parce qu’il ne faudrait pas qu’elle pense que je suis jalouse, n’est-ce pas ? Ma colère ne s’est pas apaisée. Cela a duré des jours et des jours. Je n’ai rien dit. J’ai peut-être même crié une ou deux fois. Assez fort. « Tu m’emmerdes ! » je lui ai dit un jour où elle parlait trop — j’aime quand elle parle, Elowen, mais là elle parlait, elle parlait de choses complètement ahurissantes, comme d’habitude, et alors je me suis rappelé qu’elle devait aussi lui parler de cette manière à l’autre rousse, et j’ai disjoncté.

Cela arrive souvent.
Comme cette autre fois dans le parc. Sans gêne, elle a osé me décrire avec moults détails sa soirée merveilleuse, passée avec les personnes merveilleuses de son dortoir, à discuter de choses merveilleuses, à manger des choses merveilleuses — c’était un pur moment de merveille, ah ça oui, puisque je n’étais pas là ! « J’en ai rien à foutre ! ». J’aime bien jurer devant Elowen. J’ai l’impression que ça remue quelque chose en elle, qu’elle n’aime pas cela, et quand elle fronce ses jolis sourcils et prend une mine agacée, je me sens réellement exister. J’en ai rajouté une couche avant de m’en aller. Qu’elle aille donc passer du temps avec ses merveilleux amis ! Ça aussi, je le lui ai dit.

Quand Elowen arrête de déconner, tout se passe pour le mieux. Je crois que c’est pour ces moments que je ne lui ai pas définitivement donné congé. Parce que parfois, quand je suis dans ses bras et que mes lèvres dansent sur les siennes, que je me sens fondre par sa seule présence, je me sens si bien que je pourrais dire sans frémir : je suis heureuse. Passer du temps avec cette fille, c’est un peu comme piocher dans une boite de Dragées Surprises de Bertie Crochue : on ne sait jamais sur quelle dragée on va tomber. Chaque jour est différent et plein de surprises, avec elle. Parfois, elle fait des trucs complètement fous comme se faire des dents de morse avec des spaghettis, à mon plus grand étonnement, et d’autres fois, elle devient un peu moins bizarre et nous pouvons parler de choses réellement intéressantes — parce que c’est une fille intelligente, Elowen, qui a des idées dans la tête, même si souvent tout cela n’est pas très clair. Cela contrebalance l’immense naïveté dont elle fait quotidiennement preuve. De temps en temps, quand elle lève les bras en l’air et qu’elle se met à danser par exemple, j’ai un peu honte. Je baisse la tête, le coeur battant à tout rompre, et je détourne les yeux. Mais il me suffit de la regarder à nouveau pour sentir mes lèvres s’étirer irrésistiblement — c’est dur de me retenir de rire devant elle. C’est un électron libre. Elle fait ce qu’elle veut quand elle le veut. Ce qui est bien, c’est qu’elle fait également ce que je veux quand je le veux.

Et d’un coup, c’est trop. Elowen, ses paroles, l’effet qu’elle a sur moi, son regard, ses gestes affectueux, son exubérance, sa présence écrasante, mon coeur qui bat si follement, mon besoin d’elle, ma peur, mes émotions, tout ça prend une place énorme dans ma vie, dans mes pensées, dans ma tête. Alors je n’arrive plus à respirer, je n’arrive plus à dormir, je n’arrive plus à penser à l’endroit, je suis complètement chamboulée, je sombre dans tout ce qu’elle m’apporte, tout ce qu’elle m’impose, j’ai l’impression que la moindre petite chose est une contrainte énorme. Lui sourire le matin quand je la vois dans la Grande Salle ? La saluer dans les couloirs ? Lui passer le devoir qu’elle m’a demandé de relire ? Lui prêter une plume parce qu’elle a encore oublié la sienne ? L’entendre parler de Chaussette ? Supporter sa présence pour une balade au parc ? Devoir l’écouter parler de sa maison imaginaire alors que je pourrais être à la bibliothèque pour réviser ? Sentir sur moi son regard si brillant, comprendre dans le mouvement de ses lèvres qu’elle veut m’embrasser, voir sa main se rapprocher de la mienne ? J’étouffe, j’implose ; puis j’explose.

Je la fuis des jours durant. Éloigne-toi de moi, laisse-moi respirer, je t’en prie, laisse-moi vivre, laisse-moi retrouver le contrôle de mon quotidien. Je disparais comme je sais si bien le faire, je passe un peu plus de temps avec Zik, me concentre davantage sur mes leçons avec Nyakane, accepte même de l’écouter pour m’éviter de penser. J’arrête de donner de mon temps si précieux à Elowen, j’arrête de lui accorder mes pensées ; je l’éloigne totalement de moi, si bien et si fort que j’en viens à l’oublier et alors je me sens mieux. Quand je travaille, rien ne transparaît. Tout est si clair, tout est si logique, tout est si calme. Il me suffit de suivre mon emploi du temps, de me laisser porter, d’aller en cours, de faire mes devoirs. Puisque je l’évite, je ne suis plus déconcentrée par l’exubérance de la Serdaigle. Je ne la laisse plus m’attraper au détour d’un couloir pour me proposer de faire je ne sais quoi, je refuse d’écouter les paroles qu’elle veut m’offrir. Et si elle insiste, je me montre intransigeante. « Barre-toi, putain, tu vois pas qu’j’ai mieux à faire ? » ou « Mon travail est bien plus important que toi ». Je m’éloigne d’elle en faisant semblant de ne pas voir ses yeux plein de larmes, en faisant semblant que tout cela ne me fait rien, en me persuadant que j’agis pour le mieux, pour mon propre bien.

Parfois, j’ai peur qu’elle ne revienne jamais vers moi.
C’est comme une claque dans la tête.
Et si elle me laissait ? Et si elle en avait assez ? Et si elle me détestait ? Et si elle m’abandonnait ?

Alors je reviens à petits pas. Je lui souris dans les couloirs. Je lui prépare un devoir qu’elle aura du mal à rédiger. Je dépose sur sa table un livre qui pourrait lui plaire quand je la vois attablée avec ses dessins. Et Elowen, elle finit toujours par revenir. Un jour, elle se pointe de nouveau devant moi avec son sourire un peu tordu et elle me dit : « Viens, on passe du temps ensemble ? » alors je dis oui et tout recommence. Et je me sens bien. Et je vis, et je souris et je me dis qu’elle est quand même drôlement compréhensive, compréhensive comme jamais ; je me félicite d’être revenue près d’elle.

Cette constance m’apaise. Je me sens le droit et même le devoir d’être moi-même avec elle.

Toutes les paroles et les comportements d'Elowen ont été vus avec la Plume d'Elo.