Elle s’était réveillée aux aurores, frémissante d’anxiété comme l’eau brûlante d’une bouilloire, pour défaire puis refaire sa valise, comptant les fioles d’encres et ses plumes, repliant des robes qui n’étaient froissées que dans son esprit, nettoyant sa baguette nouvellement acquise, tout en priant pour que son père se réveille bientôt. Elle s’était mise à son bureau pour écrire une lettre destinée à sa mère, lui indiquant qu’elle partait le jour même, qu’elle avait à la fois hâte et très peur d’y être, avant de la déposer sur une pile de papiers très similaires. Mahaud ne lui envoyait jamais les lettres, elle était bien trop fière pour ça. Après moult hésitations, elle cala le paquet de ses correspondances dans son manuel de Botanique avant de refermer, une bonne fois pour toutes, la valise en cuir qui l’accompagnerait à Poudlard.

Ils avaient transplanés jusqu'à la gare, après un petit-déjeuner frugal. La petite main de Mahaud s'était agrippée au bras de son père, et ne l'avait pas lâché alors qu'ils arrivaient sur le quai de la célèbre voie 9 ¾. Aucun des Joyce ne parlait, ils n'en avaient pas besoin, chacune de leurs émotions se lisait dans leurs yeux brillants. La fierté, l'angoisse, la joie, la peur, et un besoin de se rassurer l'un l'autre. La fillette regardait droit devant elle, faisant mine d'être forte, et Eustache la regardait avec des yeux brillants.

Mahaud observait les alentours, s'attardant sur ses futurs camarades de classe et leurs parents, regardant avec étonnement de plus vieux élèves discuter entre eux. Les pépiements des hiboux, le brouhaha des conversations fut bientôt ensevelis par le sifflement strident d'un immense train pourpre. L'enfant recula devant ce qui lui semblait ressembler à un dragon de vapeur, serrant de toutes ses maigres forces sa valise et son père.

« Tout va bien se passer Pâquerette, j'en suis persuadé ! »

La petite brune ne répondit pas, regardant le flot d'adieux des gens autour. Il serait bientôt l'heure de quitter Londres et tout ce qu'elle avait connu, pour l'Écosse et sa nouvelle école. Maman avait peut-être raison, je n'aurais pas dû accepter. Mais elle avait, en même temps, terriblement envie de partir, de découvrir autre chose.

« Fais-toi des amis, écris-moi dès que tu le souhaites. Et n'oublie pas que, quoi qu'il se passe, je serais fier de toi Mahaud. »

Eustache Joyce dégagea avec douceur les doigts de sa fille de son bras en la serrant dans ses bras longuement. Il sentait le tabac froid et les agrumes. Mahaud voulut ne plus jamais quitter son étreinte, mais finit par se résigner en entendant siffler le train.

« Je t'enverrais plein de lettres, promis. »

« Au revoir Pâquerette ! »
« Au revoir Papa ! »

Dans le Poudlard Express, les élèves plus âgés se bousculaient pour trouver une place avec leurs amis, tandis que la fillette tentait de s'extirper du flot bruyant avec angoisse. Ses membres tremblaient, elle avait horreur de cette oppression humaine, mugissante, odorante, mouvante et écrasante. Sa lourde malle à la main, elle tenta de se dénicher un coin plus calme, un compartiment silencieux. À la limite de tomber dans les vapes, elle se retrouva dans un wagon abandonné des élèves les plus turbulents. Elle regarda à travers les portes coulissantes, tentant de se dégoter une place confortable. Au bout de l'allée, son dernier espoir était occupé par une jeune fille qui devait avoir son âge.

« Bonjour ... Tous les autres sièges sont pris, je peux m'installer ici ? »

Les cheveux bruns et mi-longs, le visage couvert de taches de rousseur, l'inconnue semblait bienveillante, ou du moins bien plus que la bande de babouins braillards qu'elle avait croisée plus loin.

« Je m'appelle Mahaud, Mahaud Joyce. Et toi ? »

La Joyce tenta ensuite de monter son énorme valise de cuir noir sur l’emplacement prévu à cet effet au-dessus des banquettes. Elle s’y reprit à plusieurs fois, trop petite pour bien la disposer, mais réussit tant bien que mal. Avec un soupir de soulagement, le creux dans son estomac quelque peu rétréci, elle prit place en face de l'autre élève.

« C'est la première fois pour toi aussi ? »

Désolée pour la taille de ce pavé. Je réduirais les prochaines fois --'

L’appréhension retombait petit à petit alors que Mahaud s’asseyait sur la banquette moelleuse et usée en regardant sa camarade. Isla Craig. Elle semblait sympathique, douce aussi, mais aussi bavarde. Le voyage allait certainement être plus agréable qu’elle ne l’avait pensé.

L’enfant était encore mitigée, le train n’était pas encore parti et par la fenêtre elle voyait encore les familles se séparer, agitant leurs bras en souriant ou pleurant. Elle ne voyait pas son père, il était peut-être déjà parti. Avec un pincement au cœur, elle posa son regard sur la jeune fille qui lui posait de nombreuses questions d’une voix douce mais d’où elle percevait l’excitation du départ.

« Je me le demande aussi. Apparemment, l’École est gigantesque. J’ai un peu peur, mais je suis sûre que ça va bien se passer, j’espère. Tu sais ce qu’ils ont prévu pour nous ? »

Avant qu’elle n’ait pu répondre à la dernière question, à laquelle elle ne voulait aucunement répondre par ailleurs, une autre jeune fille entra dans le compartiment, se présentant d’une voix timide. Isla l’accueillit avec autant de chaleur qu’elle ne l’avait fait pour Mahaud quelques instants plus tôt. Cette dernière sourit gentiment à Anna, une fille qui semblait avoir le même âge qu’elles, dotée de longs cheveux bruns et d’une grande frange.

« Enchantée Anna, je suis Mahaud. »

Une fois les présentations faites, la Joyce regarda de nouveau par la fenêtre, le train n’allait certainement pas tarder à partir, il n’y avait quasiment plus d’élèves sur le quai. Elle chercha de nouveau son paternel des yeux, sans le trouver. Fais-toi des amis, avait-il dit. La fillette s’écarta de la vitre et observa ses deux camarades avec curiosité. Elles allaient certainement passer le voyage ensemble, voyage qui les emmènerait dans leur nouvelle école. Le silence pesant ne dérangeait aucunement Mahaud, mais il serait certainement gênant pour les autres. Elle devait sociabiliser.

« Hum. Vous venez d’où vous ? Vous êtes déjà allé en Écosse ? Mon père à dit que Poudlard se trouvait par là-bas, et il paraît qu'il fait super froid. »

Avec son sourire habituel, celui qui étirait ses lèvres sans les ouvrir, la fillette commença à tripoter une mèche de ses longs cheveux bouclés pour faire passer le temps et le stress. Le train siffla alors longuement, commençant tout juste à s'ébranler, et Mahaud ne regarda pas dehors.