A la sortie du cours de potions (qui l'avait mise bien plus à l'aise qu'allait le faire le cours d'astronomie à venir) Siobhán avait kidnappé un camarade de promotion à peu près connu, qui semblait suffisamment intelligent pour l'aider à terminer son devoir d'Astronomie dû quelques heures plus tard seulement, et c'est l'estomac bien rempli (elle avait déjeuné avec sa victime, le garçon de Serdaigle dénommé Eridan Lowell) qu'elle passait le pas de la porte en chuchotant à son compagnon nouvellement acquis :

- On va se mettre à une table pas loin de la section Astronomie, ça te va ?

Et sans attendre elle prit la tête de l'expédition et rejoignit d'un pas si léger qu'il était presque flottant une des longues tables en bois noueux qui s'étalaient par-ci par-là dans la bibliothèque, et au pied de laquelle elle se délesta immédiatement de son sac en cuir. Tout de suite il s'effondra presque sur lui-même et sa hauteur se réduit à celle des carnets reliés qu'il gardait bien au chaud dans son ventre tout mou, un pour chaque matière suivie au cours de la journée : potions (vert), astronomie (beige camel), sortilèges (marron). Elle sortit ensuite sa trousse - le sac en lin olive qui faisait office de contenant pour sa collection réduite de plumes, son encrier et tout un tas de petits accessoires destinés à l'entretien de ces ustensiles (entretien auquel elle consacrait sûrement plus de temps qu'à l'utilisation des objets entretenus) et tâché de toutes parts par des flacons fuyants - et le petit carnet camel où était maigrement noté le contenu des cours d'astronomie depuis le début de l'année.

Il faisait cependant trop sombre pour qu'elle travaille alors elle s'élança ensuite à travers la table pour tirer sur la chaînette permettant d'allumer une des lampes du poste de travail, et une lumière douce et voilée par l'abat-jour recouvrit une portion honorable de la surface de la table.

Puis elle se rassit, ouvrit son carnet et entreprit de le feuilleter pour retrouver la page du dernier cours. On pouvait y lire un titre : Big bang et naissance de l'univers et une demi-douzaine phrases bafouillées, parfaitement claires sur le papier mais qui dans la tête de Siobhán s'agglutinaient en nébuleuses inextricables. Le visage tourné vers ces mêmes phrases, elle chuchota à l'intention du camarade kidnappé, sans même se retourner pour vérifier qu'il l'avait suivie jusque-là :

- Alors dans le cours de la dernière fois il j'ai pas compris le truc de l'étymoragie, ni ce que c'était le big bang, donc si tu peux m'expliquer...

Elle fit glisser son doigt sur une autre expression énigmatique :

- Et c'est quoi au juste les... on-des ra-dio ?

Et déjà dépassée par la relecture de son cours, elle soupirait lourdement et prenait sa tête entre ses mains.

La journée avait pourtant si bien commencée... Comme à son habitude, le troisième année s'était réveillé bien avant ses camarades et avait profité du calme de sa salle commune pour continuer sa lecture, ne s'interrompant que pour se rendre dans la Grande Salle et prendre son petit déjeuner. Il s'arrêta pour survoler la gazette du sorcier, bien comme aucune nouvelle n'avait attiré son attention il se replongea dans sa lecture tout en grignotant ses tartines. A contre coeur, il avait finalement refermé l'épais grimoire pour suivre le cours de potion. La thématique du jour était passionnante mais Eridan n'avait qu'une hâte, être au déjeuner et poursuivre sa lecture. Il venait de s'installer et s'apprêtait à ouvrir son livre, qu'une camarade de classe se laissa tomber à ses côtés.

Cela n'aurait pas été si grave si cette dernière l'avait laissé manger et lire en paix, mais Siobhán ne l'entendait pas du tout de cette oreille. Il ne la connaissait pas personnellement, beaucoup trop extravertie et turbulente pour que le garçon ne lui adresse la parole. Avant même qu'il ait pu comprendre ce qui se passait, Eridan se trouvait embarqué, direction la bibliothèque pour une séance de soutien. Non pas que la jeune fille avait usé de la force pour l'entrainer à sa suite, mais le pauvre Eridan, de nature réservé n'en menait pas large devant le caractère de la Gryffondor. Et voilà que la jeune fille recommençait, prenant les devant sans attendre son avis, décidant de s'installer à proximité de la section d'Astronomie. « Ok... » lâcha faiblement à nouveau Eridan, pour le peu que ça comptait, continuant de suivre sa camarade jusqu'à atteindre l'allée citée.

Cette dernière commença à s'installer, sortant de son sac ses affaires. Eridan posa son propre sac sur la chaise à sa droite, s'installant en face de la jeune fille. Il ne sortit en revanche rien, déposant simplement son livre devant lui, qu'il avait conservé sous le bras. Clairement mal à l'aise, ne sachant pas quoi dire, Eridan regardait avec grande attention la couverture de son livre, relisant pour la énième fois le titre. Anthologie des enchantements au XVIIIe siècle. La jeune fille ne semblait pas perturbée, allumant la lumière, elle commença à feuilleter son livre, cherchant après le passage en question qu'elle souhaitait éclaircir.

Les sourcils du garçon se froncèrent alors que la jeune fille lui sortait un mot qui ne voulait strictement rien dire avant de se hausser alors qu'il comprenait que ce dont parlait la jeune fille était, ni plus ni moins, le sujet du devoir qui était à rendre pour dans moins de deux heures. Faire son devoir la veille, d'accord, Eridan pouvait concevoir que certains étudiants, qui prenaient leurs études peu au sérieux puisse l'envisager, mais juste avant le cours... Sidéré, Eridan ne put s'empêcher de lâcher à voix haute : « T'as pas terminé ton devoir ! » Ses yeux s'écarquillièrent d'autant plus alors qu'il réalisait qu'il venait de rompre le silence de la bibliothèque. Un sourire contrit sur les lèvres alors qu'il jetait des coups d'oeil nerveux autour de lui pour s'excuser, il se penchant en avant vers la jeune fille pour continuer d'une voix bien plus ténue, après avoir soupiré, se retenant d'ajouter que c'était franchement pas sérieux. Elle avait de la chance Siobhán, Eridan qui se montrait si réservé et très peu loquace en tant normal, se transformait quand on parlait de sujet digne d'intérêt.

« Le Big Bang, c'est un modèle cosmologique décrit par Friedmann et Lemaître dans les années 1920 qui explique l'origine et l'évolution de l'Univers. Même si tout le monde pense que ça désigne le moment de la naissance de l'Univers, en vrai, c'est une théorie sur la naissance, le terme est employé un peu abusivement. En plus, c'était pas vraiment une explosion, c'est assez maladroit de décrire la création comme ça. Enfin bref, » continuait Eridan qui se rendait compte que son discours partait dans toutes les direction et essayait de revenir tant bien que mal à la question. « Ce modèle soutien que l'Univers n'a pas toujours existé mais s'est créé à un instant 0. A ce moment-là, il était extrêmement dense, chaud et opaque, et il a commencé à s'étendre depuis et continue par ailleurs de le faire, toujours maintenant. Et pour répondre à ta deuxième question, » continuait le garçon sans même prendre la peine de demander à la jeune fille si elle suivait et comprenait, « onde radio, diminutif de : onde radioélectrique, c'est des ondes électromagnétiques mais qui ont une fréquence d'onde, par convention, comprise entre 9 mile hertz et 3000 gigahertz, ce qui correspond à des longueurs d'onde de 33 km à 0,1 mm. C'est assez large. » Définition propre et efficace dont le garçon était plutôt fier. Pour une fois, il était resté dans les clous, se contenant de glisser qu'une seule phrase sur son avis et se tenant loin de ses travers qui consistait à partir dans tous les sens.

L'expression sidérée d'Eridan s'était associée avec la pointe de mépris que Siobhán avait trouvée dans sa voix pour susciter chez elle un léger agacement, et son ego s'en voyait touché, ainsi les premiers signes de la contrariété (sourcils haussés, regard dédaigneux) apparurent sur son visage... elle s'en débarrassa illico : elle ne cherchait l'approbation de personne, c'était du moins ce qu'elle prêchait pour elle-même (sans l'avoir conscientisé pour autant). En son for intérieur, elle avait vu surgir la possibilité qu'il n'ait pas complètement tort et que l'exclamation n'avait peut-être pas pour but de nuire, et elle s'apaisa. Siobhán restait, malgré les apparences, quelqu'un de raisonné.

- J'ai commencé ce week-end mais je suis bloquée depuis donc je n'ai pas avancé. Et dépitée par le constat, elle ajouta dans sa barbe, presque inaudible : Et puis je ne sais même pas quoi écrire puisque même quand je fais plein d'efforts le prof me colle des sales notes.

Cependant, elle était aujourd'hui profondément déterminée à se pencher sur le fameux devoir, ayant décrété en septembre que cette troisième année à Poudlard se ferait sous le signe du progrès - et si on mettait de côté l'astronomie, on remarquait en effet que dans bien des matières Siobhán avait évolué vers le "mieux", ou le "moins pire". Alors elle prêtait attention forcée à la réponse encyclopédique de son camarade, non sans hausser un sourcil d'amusement et d'admiration. Après avoir consciencieusement trempé sa plume noire (un porte-plume à vrai-dire, d'un bois d'ébène dont la forme avait été retravaillée pour accueillir le bout des doigts de celui qui s'en saisissait) fermement calée dans sa main droite, elle s'appliqua à retranscrire ce qu'il lui expliquait et nota ainsi :

Mais l'explication souleva chez elle de nouvelles questions qu'elle posa dès le dernier mot écrit sur son carnet.

- Je crois que j'ai compris le big bang, mais pas les ondes. C'est quoi cette histoire de Hertz et de fréquence d'onde ? Est-ce que ça fonctionne comme la RITM* ?

Puis elle fit glisser son carnet droit devant elle jusqu'à Eridan, s'enquit de l'exactitude de ses notes : « C'est correct ? » et maintenant dépourvue de ce qui retenait toute sa concentration elle releva la tête pour essayer de comprendre à qui elle avait affaire. Un peu monsieur tout le monde, enfin rien de remarquable quoi. Trop sérieux. C'était marrant ses tâches de rousseur - c'était pas juste un truc de roux normalement ?

*Siobhán fait allusion à la Radio Indépendante à Transmission Magique.

Retenant son soupire et sa remarque, Eridan se contenta d'hocher de la tête, les lèvres pincées à l'excuse de la jeune fille. Si elle disait vrai et qu'elle avait tenté de réfléchir au devoir depuis le weekend dernier, elle n'était pas si désinvolte que cela. Il avait donc répondu à ses questions, acceptant tacitement de l'aider. Doté d'une bonne mémoire et son amour pour la lecture avait fait d'Eridan un adolescent très cultivé. Il n'était pas pour autant vaniteux, reconnaissant volontiers qu'il restait ignorant sur bien des sujets, bien que son goût pour fournir des réponses et définitions complètes pouvait faire penser le contraire à ses interlocuteurs. Et c'était encore pire quand il s'agissait d'Astronomie, le sujet de prédilection de sa mère sur lequel il était particulièrement avancé sans que ce soit vraiment de son fait, n'ayant pour seul mérite que d'avoir simplement écouté sa mère pendant son enfance.

Ne sachant pas trop comment interpréter le sourcil haussé de sa camarade, le ventre du garçon se contracta légèrement, de peur d'essuyer une critique. Renfermé de nature, Eridan s'était encore plus replié sur lui-même après avoir essayé des moqueries au cours de sa première année, mais la jeune fille ne fit aucun commentaire et attrapa même sa plume pour prendre des notes, ce qui détendit légèrement le garçon. Eridan commença à jouer avec le coin de son livre, le temps qu'elle termine de noter les différentes informations, ne levant les yeux que lorsqu'elle brisa le silence pour le questionner un peu plus.

Eridan resta silencieux quelques secondes encore, le temps d'organiser ses pensées et sa réponse. La fréquence et la transmission de la lumière avait passionné le garçon lorsqu'il était plus jeune, mais c'était un sujet aussi complexe à expliquer qu'il était passionnant. « En fait, la RITM utilise la technologie moldu, qui a été détourné⁽¹⁾. Et oui, la radio utilisent les ondes électromagnétiques pour transmettre les informations. En gros, la fréquence c'est le taux auquel le courant change de direction par seconde et le hertz, abrégé Hz, c'est son unité de mesure. 1 hertz c'est un cycle par seconde. » Eridan s'interrompit quelques instants pour farfouiller dans son propre sac et attraper son petit carnet bleu marine où il notait questions et notions qu'il souhaitait approfondir à un moment ou un autre de sa journée pour expliciter son propos à l'aide d'un schéma. Il traça la ligne du temps en abscisse, l'intensité en ordonnée et commença à dessiner l'onde sinusoïdale en reprenant la parole. « Les ondes électromagnétiques, elles oscillent comme ça, de façon plus ou moins importante -l'amplitude- et plus ou moins rapidement -sa longueur d'onde. Et là, la courbe elle revient 2 fois à son état d'origine. Mettons que ça, ça soit une seconde, » poursuivait le garçon en traçant les traits pour représenter respectivement le premier cycle et une seconde, « là j'ai dessiné une fréquence de 2 Hz. »



Là, c'était sûr, il avait perdu la jeune fille et elle devait le prendre pour un grand malade. Elle qui voulait y voir plus clair devait surtout être embrouillé par toutes ces informations. N'osant pas trop relever les yeux vers elle, il poursuivit, d'une voix plus hésitante. « Mais je pense pas que tu as besoin de savoir tout ça en vrai. C'est un peu hors sujet de l'Astronomie, c'est plus de la physique... Retiens juste que la lumière des étoiles est une onde électromagnétique qui transmet un signal, une information, dans notre cas, la lumière, sur une longue distance et à grande vitesse dans le vide. Et que l'intérêt de la transmission hertzienne c'est l'absence de support matériel. Je pense c'est déjà très bien et complet comme réponse. »

Se taisant brusquement, le garçon se tassa un peu plus sur sa chaise, signe de son malaise d'avoir parlé autant. N'osant toujours pas lever les yeux dans la direction de la Gryffondor, Eridan s'empressa de parcourir les notes de la jeune fille qu'elle faisait glisser dans sa direction, trop content d'avoir une autre occupation qui ressemblait à un échappatoire. Bien qu'il manquait beaucoup d'informations à son goût, c'était correct et il hocha de la tête pour lui signaler. La jeune fille le dévisageait silencieusement et si cela n'était pas fait méchamment, cela ne faisait que renforcer son embarras. De plus en plus tendu par le silence qui s'éternisait depuis quelques secondes, il lui posa la première question qui lui passait par la tête. « Pourquoi tu as gardé l'Astronomie si tu n'aimes pas ça ? »

(1) total invention de ma part, 100% spéculation & honnêtement, j'espère pas dire trop de la merde, j'suis pas une spécialiste, je prends ça beaucoup trop à coeur ...

Le garçon avait l'air intimidé. Est-ce qu'il avait peur de Siobhán, ou bien était-il hésitant quant à quelle réponse donner ? Si elle ne s'était pas fait la promesse de rester concentrée jusqu'au bout (et cela impliquait de n'amener sur la table que le sujet de l'Astronomie, et rien d'autre) elle aurait déjà sûrement relevé l'incertitude saupoudrée sur chacune des phrases du garçon. Mais au lieu de ça, pour la raison évoquée et parce qu'elle n'était pas d'humeur taquine, elle ramena ses yeux sur son carnet et se contenta de se questionner sur ce qui pouvait mettre Eridan dans un tel état, tout en s'appliquant à compléter ses notes avec les informations complémentaires qu'il lui présenta - en son for intérieur, elle était à la fois stupéfaite et agacée : malgré l'ébahissement face légitime face à un tel déballement de savoir, c'était aussi et surtout là un énième rappel qu'elle ne connaissait rien sur rien.

Elle ne saisit pas l'intégralité de son explication, mais les définitions générales lui suffisaient - après tout, c'était là un cours d'Astronomie, et retenir les fondamentaux du cours était déjà une trop grande épreuve en soi pour qu'elle y ajoute des notions adjacentes si celles-ci n'étaient pas nécessaires, encore moins si ce choix était appuyé par le bon (elle en avait l'impression, s'il n'avait pas l'air sûr de lui, il semblait sûr de ce qu'il racontait) conseil du garçon. Parce qu'il s'interrompit brusquement, elle releva la tête, prit un léger recul en appuyant son dos sur l'arrière¹ le rassura :

- Ça m'a l'air oui, je pense avoir compris le principal alors c'est bon. Merci !

En relevant la tête, elle était forcée de le regarder (il aurait été malpoli, malvenu, pas sympa de détourner subitement le regard) et ainsi elle lui signifiait qu'il avait son attention. La question ne l'étonna pas, et elle répondit expressément :

- Je ne sais pas quoi faire plus tard alors je me suis dit que c'était mieux que je garde les matières principales et que je m'améliore dedans. Et je ne voulais pas aller dans la filière avec juste un peu de tout, parce que c'était déjà compliqué de me débrouiller un peu partout en première et en deuxième année, donc ça aurait été une mauvaise idée de choisir un parcours avec encore plus de matières. T'es en quoi toi déjà ?

¹Le dossier, mais comprenez que la juxtaposition de "dos" et "dossier" était trop désagréable.

Eridan hocha de la tête, restant silencieux alors que la jeune fille lui disait qu'elle avait eu assez d'explications comme ça. Il espérait avoir été assez clair dans son discours, bien conscient d'avoir tendance à s'éloigner du propos initial quand il s'élançait dans les méandres de son esprit. Si Eridan avait une bonne mémoire et était curieux de tout, expliciter de façon concise ses connaissances n'était pas dans son champ de compétences. Mais il lui semblait qu'il ne s'était pas trop mal débrouiller pour une fois. D'ailleurs, la jeune fille ne lui avait pas même fait une seule remarque relativement acerbe quant au fait qu'il était définitivement un Serdaigle et qu'il ne pouvait s'empêcher d'étaler son savoir.

Le silence s'installa entre les deux élèves. Ce n'était pas un silence gênant ni pesant, mais cela suffisait à rendre mal à l'aise Eridan qui n'en menait pas large, d'autant plus qu'elle continuait à l'observer. N'y tenant plus, il lui posa la question la première question qui lui venait et cela ne sembla pas perturber la jeune fille qui lui répondit tout à fait normalement, comme s'ils étaient de bons copains et que c'était absolument normal de discuter après lui avoir donné un coup de pouce en Astronomie.

Il hocha à nouveau de la tête à la réponse de la jeune fille, comme s'il ne savait faire que ce geste. Il comprenait le choix de la jeune fille, lui non plus ne savait pas quoi faire après Poudlard, en même temps, ils étaient encore jeunes, ils avaient le temps d'y réfléchir non ? Le garçon avait toujours trouvé cela extrêmement frustrant de devoir choisir si tôt, cela avait une véritable source d'angoisse pour le garçon de s'orienter et arrêter son choix.

« Totale » lâcha le garçon du bout des lèvres avant de poursuivre, une grimace un peu désolée étirant ses lèvres, réalisant combien il était un véritable cliché vivant. « Comme je m'intéresse à tout et que je sais pas trop non plus ce que je veux faire... J'ai préféré tout suivre... Et je m'inscris dans les options, pour assister à des cours en plus, quand j'ai le temps et l'occasion... » Tout au long de sa tirade, les yeux noisettes du garçon fuyaient ceux de la jeune Gryffondor trahissant sa gêne grandissante à parler autant de lui. « Tu es en filière complète c'est ça ? » demanda le garçon pour s'assurer d'avoir bien déduit d'après ses explications. Sans trop savoir pourquoi et alors que ça ne lui ressemblait pas du tout, il posa une nouvelle question se surprenant lui-même de son audace en poursuivant la conversation plutôt que de s'enfuir pour poursuivre la lecture de son livre. Il osa même faire une petite blague dans un sourire plus que timide qui allait surement faire un flop monumental dont il se souviendrait jusqu'à la fin de sa scolarité. « Tu as une matière préférée ? En dehors de l'Astronomie bien sûr... »

Il avait répondu, puis bondi derrière un buisson de gêne et de honte, ce qui tracassa Siobhán qui n'eut cesse de se demander ce qui chez elle, ou chez lui, pouvait provoquer une réaction si viscérale. « Il n'y a que des fous en filière Totale. » s'était-elle dit auparavant

Enfin, de ces élèves qui n'avaient que l'école dans leur vie, tristes comme la mort jusqu'à ce qu'atterrisse sur leur table un devoir de métamorphose pour leur rendre le sourire, quitte à s'enfermer volontairement dans une frénésie obscure mais d'apparence savante. Les mêmes qui prenaient le plus malin des plaisirs à jeter des regards hautains (bien que Siobhán fut déjà plus grande que la majorité d'entre eux) lorsqu'un autre élève se noyait dans l'humiliation d'une mauvaise réponse.

Mais le fait était qu'Eridan n'avait en rien l'air de tout ça, ce qui piqua la curiosité de la jeune gryffonne qui, plume posée et tête reposée, voulut s'enquérir d'un surplus de détails :

- Exactement, en filière Complète... Et tu fais des trucs en dehors des cours ? Ou tes options remplissent tout ton emploi du temps et tu... elle balaye la bibliothèque de sa main libre - tu passes ta journée à réviser et faire tes devoirs ? Enfin ça c'est ce que je vois en regardant les gens comme toi mais peut-être que t'as d'autres occupations.

Elle l'avait vu sourire faiblement, ce à quoi elle avait répondu d'une risette radieuse et honnête, encourageant son camarade à poursuivre. Parce qu'il semblait terrifié à l'idée de croiser son regard, elle laissa ses pupilles errer d'un côté à l'autre de la bibliothèque qui se profilait derrière lui, et croisa ses mains derrière sa tête avant d'ajouter, mine de rien mais soucieuse du malaise qui avait si rapidement pris son camarade :

- Si tu veux regarder quelqu'un mais que t'es pas à l'aise pour regarder dans les yeux, ma belle-mère dit qu'on peut regarder les ailes du nez, ça donne l'impression que tu regardes dans les yeux mais c'est moins intimidant. Ou alors entre les deux yeux, ça doit marcher encore mieux je pense.

Si le début confirma à Eridan sa supposition, la suite de sa phrase le vexa comme il ne l'avait jamais été de toute sa vie. Lui qui avait tenté une blague dans un timide sourire, qui avait essayé de lancer une conversation badine voir amicale... Il n'était pas près de recommencer de si tôt. Oh que non. Il sentit le rouge lui monter aux joues. C'était donc ainsi qu'elle le voyait ? Que les autres le voyait ? Il savait bien qu'il n'était pas populaire, on l'avait déjà affublé de sobriquet peu flatteur d'ailleurs, le traitant de rat de bibliothèque plus d'une fois, mais qu'on lui demande, balancé sur le ton de la conversation, s'il avait d'autres occupations que passer ses journées à réviser et faire ses devoirs... C'était inédit. Les gens comme toi. La phrase résonna dans son esprit, lui broyant le ventre et le coeur au passage. Elle ne s'en rendait pas compte, elle ne l'avait surement pas voulu, mais les propos étaient violent à entendre pour le garçon.

Qu'est-ce qu'elle croyait ? Qu'il était un parfait crétin qui avait besoin de travailler nuit et jour pour obtenir des bonnes notes ? Oui, ses occupations principales consistaient à lire, et alors ? Il se cultivait, apprenait des tas de choses -qu'ils n'apprenaient pas forcément en classe par ailleurs- où était le mal dans cela ? De pire en pire, la jeune fille, qui n'était pas dupe et avait bien remarqué sa difficulté à la regarder dans les yeux, lui donnait quelques astuces pour surpasser sa timidité. Le but était adorable mais cela froissa encore plus le garçon qui rougit davantage se sentant humilié.

Blessé, il répondit bien plus sèchement qu'à dans son habitude. « Oui, je fais des choses en dehors des cours. Des tas même. Et non je ne passe pas mes journées à faire mes devoirs. Je lis beaucoup, certes, mais parce qu'il existe bien d'autres sujets passionnants que ceux qu'on aborde à l'école. » Il se leva alors de sa chaise, prêt à partir, lui lâchant une dernière phrase, d'un ton tout aussi froid, les mâchoires un peu serrées, crachant presque le dernier mot : « si tu n'as plus besoin de moi, je retourne à mes occupations. »

Siobhán était tombée de son haut cheval, et ainsi désarçonnée elle était restée figée, bouche-bée et les sourcils haussés par la surprise : qui aurait cru qu'une simple remarque induirait une telle réaction ? Il avait l'air en colère, le cramoisi des tomates confites collé aux joues.

Elle resta ainsi immobile quelques secondes. Pourquoi était-il en colère contre elle ? Qu'avait-elle dit ? Qu'avait-elle fait ? Rien de méchant, elle en était certaine : c'était un malentendu. Problème de communication, il avait mal compris, mal interprété. Et voilà qu'il ramassait ses affaires et s'apprêtait à partir - eeeeh attends ! J'ai pas fini l'astronomie !

Alors elle s'empressa de faire glisser toutes ses fournitures dans son sac, qu'elle jeta sur son épaule droite. Elle contourna la table, trébucha et manqua de peu d'embrasser le sol de la bibliothèque, et les deux-tiers du contenu de son sac se déversèrent sur les pavés. Siobhán fixa les cahiers échoués l'air dépité, puis releva la tête, croisa les bras et demanda :

- T'es vexé ?

Elle avait mise à la porte la circonspection qui l'avait habitée et souffla du nez l'air contrarié, faisant également mine de réfléchir à un terrible dilemme (auquel elle réfléchirait vite, très vite).

- Tu veux que je m'excuse ? Parce que franchement je ne vois pas de quoi je devrais être désolée. Mais j'ai encore un peu besoin de toi alors - elle concéda : dé...

Non, elle n'allait tout de même pas s'excuser alors qu'elle n'avait rien fait de mal ?! Personne n'avait été envoyé à l'infirmerie par sa faute, Eridan ne pleurait pas, alors elle n'avait aucune raison de s'excuser.

Mais elle n'était pas non plus prête à lui lâcher la grappe, alors plus... conciliante ? elle fit marche-arrière et reformula :

- En fait tu veux pas m'expliquer pourquoi t'as été... tout comme ça d'un coup ? Je sais pas, énervé ? T'étais pas aimable dans ta dernière phrase.

Elle adressait à Eridan un regard inquisiteur et inéluctable, auquel il ne pourrait (elle pensait) se soustraire.

Cela ne lui ressemblait pas de réagir aussi brusquement et peut-être que sa réaction était exagérée mais ça avait été plus fort que lui, il avait été véritablement blessé par la remarque de la jeune fille. Sans lui prêter plus d'attention Eridan commença à s'éloigner de la petite table de travail d'un pas rageur. Le troisième année ne se retourna qu'en entendant le bruit de livres s'écraser sur le sol et c'est à ce moment-là qu'il remarqua que Siobhán le suivait. Il baissa les yeux vers les fournitures éparpillées à leurs pieds, comprenant alors qu'elles appartenaient à la jeune fille et que son sac avait dû lui échapper dans sa précipitation, avant de relever brusquement la tête à la question de la jeune fille. Question qui ne semblait pas en être une puisqu'elle poursuivait, un air contrarié sur le visage. Les lèvres pincées, il lança un regard courroucé à la jeune fille.

De rouge de colère il devient blême alors que la jeune fille continuait de parler. Elle était sérieuse ? Mais pour qui se prenait-elle ? Elle s'excusait juste parce qu'elle avait besoin de lui ? En fait non, elle ne s'excusait même pas. Elle l'insultait à demi-mot mais ne voyait pas le problème. Eridan ne s'était jamais senti aussi humilié de toute sa vie. « Pourquoi je ne suis pas aimable ? » répéta le garçon qui avait bien du mal à contenir sa colère et desserrer les dents. Il continua, essayant tant bien que mal de maintenir sa voix à un niveau de décibels acceptable pour la bibliothèque qui imposait le silence. « Mais tu t'entends parler ? Pourquoi je serais aimable avec les gens comme toi hein ? Pourquoi je continuerais à t'aider ? Tu m'as collé une étiquette sans même me connaitre, insinué que je ne faisais rien d'autre de mes journées que mes devoirs et tu vois pas pourquoi tu devrais te sentir désolée ? » Le regard flamboyant, Eridan défiait la jeune fille d'oser répliquer.