Dimanche 26 Novembre 2045
Matin
Avec @Eileen Eastwood

Les flocons fondaient sur le nez tiède d'Alice. Elle ne cherchait pas à se débarasser des petites goutelettes de neige fondues qui s'y formaient. C'était une caresse bienvenue que lui offrait en avance l'Hiver tant attendu. Alice aurait bien volontiers passer toute sa matinée à marcher dans le parc, l’herbe gelée craquant à chacun de ses pas. Elle aurait fini par rejoindre les bords du Lac Noir pour observer ses eaux froides.
Mais ce ne serait pas pour aujourd’hui.

Son balai magique bien serrés entre ses doigts, Alice marchait d’un pas déterminé vers le terrain d’entraînement au Quidditch. Un cadeau que lui avait fait Thomas pour ses treize ans. Un drôle de cadeau, pour cette enfant qui s’était toujours arrangé pour ne jamais avoir à enfourcher un balai trop longtemps. « Annihiler nos peurs, c’est briser nos chaînes » avait-il glissé dans le présent. Alice l’avait tout d’abord repoussé, d’une part parce que ce cadeau venait de Thomas, d’une autre car il était hors de question d’enfourcher cette chose. Elle a avait hésité à donner ce balai à Irisia, elle qui aimait tant le Quidditch, ou a frapper Irene Gates avec. Mais force était de constaté qu’Alice ne voulait pas se séparer de ce balai magique, ce Nimbus 2000 comme lui rappelaient les lettres d’or estampées sur son manche.

Le terrain d’entraînement s’étendait sous ses yeux. La jeune fille déglutit. Était-ce une bonne idée, finalement ? Il n’y avait pas monsieur Saunders pour s’assurer qu’elle ne se fasse aucun mal. Il n’y avait même personne ! Une bonne chose, ceci dit : si Alice devait se ridiculiser, elle le ferait sans spectateur.
Son cœur battait fort, si fort qu’elle aurait pu le sentir à travers la peau de sa poitrine. « C’est ridicule » se dit-elle « Ridicule. » Comment pouvait-on ressentir de la peur pour quelque chose que le plus sot des sots pouvait faire les yeux fermés ? Elle en avait vu des abrutis s’élever dans les airs sans craindre ni chute ni ridicule ! Alors pourquoi Alice en était-elle incapable ?

Alice déposa son balai devant elle. Si elle avait bien retenu quelque chose en cours de vol, à défaut d’avoir saisi l’importance qu’il pouvait avoir à savoir voler sur ces engins, c’était qu’il était important de maîtriser son balai.

« Debout » commanda t-elle. Rien ne se produisit. « Debout ! » répéta t-elle avec plus de conviction. Hélas encore, le balai refusait de se relever. Pas encore dans les airs et déjà, Alice faisait face à un échec. Qu’est-ce qui n’allait pas avec ce balai ? Thomas avait-il eu la méchante idée de lui faire une farce, et ce Nimbus 2000 serait en réalité factice ? Il n’avait plus seize ans, tout de même !

« De-bout ! » Le balai s’agita un peu, s’éleva... et retomba. Une colère tordis le visage d’Alice. Il était bien magique, ce balai, mais capricieux !
L’enfant soupira, claqua la langue et brandit sa main au dessus du manche. « Debout ! » Cette fois, le balai vint frapper dans sa paume ! Mais Alice resserra ses doigts engourdis un peu trop tard, et le balai retomba. La Serpentard resta un moment figée, sa main toujours tendue au dessus du balai, l’incompréhension et la lassitude luttant dans son regard clair.
Pas encore enfourché, et déjà Alice haïssait ce balai.

Ce matin-là, il avait beau faire un froid de canard, rien n'aurait empêché Eileen de quitter le confort de la cheminée pour sortir du château afin de prendre un bon bol d'air frais. A force de passer tout son temps libre à étudier, elle avait l'impression de n'être plus l'ombre que d'elle-même et surtout de ne plus respirer. Un comble pour une claustrophobe mais ça lui permettait au moins de réaliser l'importance que la nature avait pour elle. Ce n'était pas un caprice de petite fille mais bien un besoin vital, nécessaire à son équilibre mental, et elle l'avait laissé de côté bien trop longtemps. Ce n'était donc pas le vent qui agitait les branches chargées de neige qui la ferait changer d'avis. Vêtue d'un gros pull bien chaud, d'un bonnet, d'une écharpe et de ses gants, l'adolescente sortit donc pour profiter du parc, appréciant de sentir ses pas craquer dans le tapis blanc qui s'étalait à ses pieds. Il n'y avait pas grand monde pour se promener, ce qui accentuait le calme et la sérénité. Les bruits atténués par la neige donnait une atmosphère relaxante, bienveillante.

L'adolescente se laissa guider un moment par ses pas et jeta un regard sur la surface lisse du lac noir, se rappelant sa rencontre avec Hagrid quelques jours plus tôt. Elle avait hâte de pouvoir se rendre à Pré-au-Lard pour rencontrer le gobelin dont il lui avait parlé mais elle était forcée à la patience puisque le prochain weekend n'était pas pour de suite. En attendant, elle avait fait quelques recherches, d'abord sur les gobelins pour voir comment appréhender la rencontre, puis sur les êtres de l'eau. IL fallait pourtant se faire une raison : seule, elle n'avançait pas beaucoup et ça la frustrait. Surtout quand elle repensait à la souffrance que devait endurer la créature qui l'avait appelée à l'aide. Parce que oui, elle était persuadée que c'était bien ça le message. Elle soupira donc, se sentant impuissante pour l'heure mais d'autant plus résolue à réussir. Ce qui était sûre, c'est qu'elle avait besoin de se vider la tête pour faire le point et quoi de mieux que le terrain de Quidditch pour ça ? Certes, elle n'avait pas son balai avec elle mais les lieux lui avaient toujours apporté des réponses. Un sentiment étrange mais vrai et c'est ainsi qu'elle se retrouva à entrer dans le stade.

A l'approche de l'hiver et vu le temps peu clément de ce jour-là, elle ne s'était pourtant pas attendu à y trouver quelqu'un. Et pas n'importe qui. Impossible de ne pas reconnaître Alice Sangblanc et ses cheveux blancs surtout depuis les évènements qui avaient secoué le château plus d'un an auparavant. Tout comme il était impossible pour une adepte de Quidditch de ne pas comprendre la scène qui se déroulait sous ses yeux. Alors oui, Eileen commençait à grelotter mais peu importe, elle n'allait pas juste faire demi-tour et laisser sa camarade se dépatouiller avec son balai.

"Bonjour Alice. Je peux t'aider ?"

Certainement pas la meilleure approche, surtout à voir l'agacement de la troisième année devant son balai mais Eileen n'avait jamais été la meilleure pour le tact. Restait juste à espérer que la sincérité de sa proposition perce dans sa voix.

Apprendre à vaincre sa peur, aujourd’hui, avec ce froid, c’était certainement une mauvaise idée. Peut-être que son nouveau balai considérait que le vol sous la neige était une mauvaise idée, et cherchait à protéger Alice ?
Non, ce balai était seulement un idiot capricieux. Un cadeau digne de Thomas, en somme.

Une voix féminine fit sursauter Alice. Trop obnubilée par son combat, elle ne s’était pas rendue compte que quelqu’un était là.
D’un regard, elle reconnu le visage et les cheveux roux d’Eileen Eastwood, l’ancienne capitaine des Crochets d’Argent. Précisément la personne qui pourrait la trouver idiote, là, à se battre avec son balai. Mais le ton dans sa voix n’annonçait aucune moquerie.

« Bonjour Eileen. » Alice soupira, ses yeux se posant sur son maudit balai. « Ce n’est pas de refus. Mais je crois que le problème vient du balai. J’ai beau lui ordonner de se mettre debout, il refuse ! ou alors il se lève un peu, me nargue et retombe. »

Ce n’était pourtant pas un exercice compliqué que celui de faire se lever son balai, non ? C’était un B.A-BA ! Preuve en était, en première année, ordonner à son balai de se lever faisait partie du premier cours de vol. Si Alice avait réussi en première année, cela voulait forcément dire que le problème venait du balai, et pas d’elle. Il n’y avait pas d’autre explication.