EVELYN KERNAC'H (personnage joué) Père d'Elian. Sorcier de quarante-sept ans, il est trésorier dans une entreprise de fabrication de chaudrons.

Ce n'est que quand on est bien rentré chez soi que l'on se rend compte qu'on a tout oublié. C'était aussi bien valable pour les courses alimentaires que pour les cadeaux de Noël. Le grand sorcier longeait de nouveau la rue principale du Chemin de Traverse londonien, tout à fait en colère contre lui-même de n'avoir pas pensé à trouver un cadeau à sa mère. Il aurait très bien pu profiter de récupérer son fils à Londres, la veille, pour effectuer son achat, mais son passage à la banque des sorciers l'avait complètement occulté - et puis il fallait dire que le seul fait de retrouver Elian après ces longs mois lui faisait perdre le sens des réalités. Cette année, ils fêtaient le réveillon chez sa mère, à Cardiff. La vieille sorcière ne manquerait pas de lui faire une remarque s'il venait sans les vingt derniers numéros de Sorcière-Hebdo qu'elle lui demandait habituellement. Evelyn Kernac'h avait dû se décider à laisser son petit poussin au nid, seul en compagnie d'une voisine sorcière du hameau de Lavernock, puisqu'il avait neigé durant la nuit et qu'il refusait catégoriquement d'exposer trop longtemps son fils au froid hivernal. Il n'était visiblement pas le seul à braver l'épaisse couche de neige, de nombreux sorciers déjà emplis de l'esprit de Noël se baladaient ou bien étaient en plein rush pour trouver les derniers cadeaux. Il n'était pourtant que neuf heures passées.

En sortant du marchand de journaux, il replaça son chapeau de sorcier et coinça ses nombreux numéros de Sorcière-Hebdo sous le bras. Le temps était ensoleillé et agréable si l'on occultait le froid glacial, il était parfait pour un bon café. La pensée du Chaudron Baveur, toujours en ruine, le troubla. La veille, il avait tout fait pour éviter l'endroit et dissimuler un peu le désastre à Elian. C'était une époque bien étrange, mais au moins les choses semblaient s'arranger de son côté... Il observa un instant le ciel, le soleil se reflétant dans sa longue barbe châtain : Evelyn n'était plus du tout comblé par la solitude. L'idée de trouver une sorcière avec qui partager sa vie avait fini par le séduire. Son meilleur ami, Sigmund, n'était plus aussi disponible pour combler ses lacunes sociales, et son fils devait le quitter pour de longues périodes à chaque nouveau trimestre. Les vacances de printemps qu'Elian avait été forcé de passer loin de lui, dans son école, avait fini par le convaincre de chercher une âme-sœur. Il ne croyait plus réellement à l'amour, mais l'idée de plaire à quelqu'un d'autre que lui-même avait de quoi l'intéresser. Ce n'était un secret pour personne qu'il avait toujours été d'une nature séductrice, bien qu'il s'était quelque peu relâché avec le temps. C'était un sorcier qui prenait soin de lui et qui disposait d'une sorte d'aura autoritaire qui plaisait tant à certaines femmes - bien moins à d'autres. Il avait également cet air malicieux de celui qui a un train d'avance sur tout, et son humour caustique avait, il fallait bien l'avouer, un certain charme. Bien entendu, il avait réfléchi à la question en orbitant autour du principal souci de ses jours : Elian. Selon lui, son fils n'avait pas besoin de sa mère, alors il avait encore moins besoin d'une mère de substitution. La meilleure solution était alors de le tenir éloigné de ce besoin de vie affective. Elian n'avait pas besoin de savoir ce qu'il faisait de ses journées ni avec qui il les passait. Une solution parfaite, qui avait failli se montrer en péril la veille, à la banque.

Evelyn redescendait un peu la rue principale, les mains dans les poches, le dos droit. Il avait des airs d'homme fortuné, bien qu'il ne l'était pas - ou peut-être justement parce qu'il ne l'était pas. Il s'arrêta un instant devant la vitrine de la ménagerie magique pour y repérer les dernières horreurs - il n'aimait pas réellement les bestioles et arborait encore plus le crapaud de son fils - quand il aperçut en reflet la plus angélique des jeunes sorcières. Une beauté sans nom qui lui rappela immédiatement - et pour la seconde fois en seulement deux jours - le souvenir de Poppy Jones dans sa prime jeunesse. Il tourna légèrement la tête tout en restant en face de la vitrine pour mieux admirer la jeune fille. Elle devait avoir le même âge que sa fille aînée, Edith. C'était honteux d'avoir de telles pensées à son âge, mais lui, très croyant, semblait percevoir un signe à cette vision, et il ne put s'empêcher de suivre cette vision angélique. Ce qu'il interprétait comme un signe, en réalité, c'était surtout son attirance pour les femmes blondes. Evelyn n'essayait pas de se montrer discret, à vrai dire, son but était déjà de l'aborder, ne serait-ce que de se présenter à elle pour qu'elle le regarde en retour.

June avançait sur la rue principale du chemin de Traverse d’un pas rapide, du moins aussi rapide qu'elle le pouvait sur les pavés enneigés et glissants. Malgré le soleil, le froid mordant de décembre s’insinuait en elle et elle détestait ça. L'hiver n'était pas sa saison préférée, bien au contraire. Elle avait d'ailleurs presque toujours l'impression d'être frigorifiée quelque soit le moment de l'année, à de rares exceptions près, dans cette chère Angleterre. Elle avait mis sa grande cape d’hiver et ses bottes fourrées mais elle frissonnait malgré tout. Elle redoutait tellement ce Noël en famille qu’elle n’avait encore acheté aucun cadeau. Mais elle n’allait pas arriver les mains vides, et elle ne pouvait plus repousser le moment d’affronter la réalité en face. Le réveillon était prévu chez son oncle et sa tante, dans un petit village à une heure de Londres. Elle entendait déjà les nombreuses questions auxquelles elle aurait à faire face, résonner dans sa tête. "Et alors, quoi de neuf depuis ton diplôme ? Qu'est-ce que tu deviens ? Tu cherches un travail ? Tu as postulé où ?". Autant d'interrogations sans doute légitimes mais auxquelles elle n'avait pas la moindre envie de répondre. Comment leur expliquer qu'elle n'avait plus envie de grand chose. Que faire tel métier ou bien tel autre, lui était parfaitement égal ? Qu'elle ne comprenait pas le sens ni le but de son existence et qu'elle ne savait pas si elle le trouverait un jour. Ce sentiment qui la hantait depuis plus d'un an avait heureusement tendance à s'estomper ces derniers temps. Comme toujours, elle arriverait bien à changer de sujet ou à s'échapper le moment venu. Elle était plutôt douée pour ça.

Elle repensa alors à ses vacances de Noël de deux ans en arrière, sans doute les meilleures de sa vie. Son cœur se contracta douloureusement dans sa poitrine. Le jeune couple qu'ils formaient était allé passer une semaine en Floride dans la famille de Jasper puis une semaine en Guyane chez les parents de June. Ce Noël au soleil était proche de la perfection aux yeux de la jeune fille. Mais cette année, il faudrait se contenter du froid et de la neige de Brickendon. Après plus d'un an et demi de séparation, elle ne parvenait toujours pas à comprendre comment il avait pu partir du jour au lendemain alors qu'ils avaient une relation si forte et profonde. Elle ne s'attendait plus maintenant à le voir revenir à chaque instant, mais ça avait été longtemps le cas. Elle ne parvenait pas à se détacher de lui, quoi qu'elle fasse, même si elle le voulait de toutes ses forces, comme s'il avait gravé une marque indélébile en elle.

Elle arriva devant la porte de la ménagerie magique, ce qui eut pour effet de la sortir de ses pensées. Elle voulait acheter un hibou pour son petit frère Jack. Elle voyait déjà son visage s'illuminer lorsqu'elle lui tendrait la cage. Il n'en avait jamais eu car il avait préféré un chat lorsque ses parents lui avaient proposé de lui acheter un animal. Mais June en avait assez d'attendre qu'il se décide à aller à la poste pour répondre à ses lettres, ce qui pouvait prendre plusieurs mois. Il n'aurait plus aucune excuse à présent. Elle entra dans la boutique et s'approcha des plus petits volatiles. Jack n'avait pas vraiment de place dans sa petite chambre d'étudiant. Son choix s'arrêta facilement sur un hibou petit duc gris aux yeux verts, véritablement adorable. Elle régla son achat et sortit de la boutique sans avoir rien remarqué de l'homme qui l'observait de l'autre côté de la vitre.

La meilleure façon d'aborder l'Ange de la Ménagerie Magique, c'était probablement de lui parler de l'achat qu'elle venait de réaliser, bien que cette idée le répugnait d'avance - crapauds, hiboux, c'était le même combat pour lui. Evelyn Kernac'h était rouillé niveau baratin-à-servir-aux-gentes-dames, il le savait bien, mais il disposait également d'une assurance naturelle qui pouvait certainement se montrer utile dans certaines opportunités comme celles-là. Le tout, c'était de se faire accepter. Il dépassa les deux sorciers qui se trouvaient entre lui et la jeune fille pour se caler à la même allure que cette dernière. Heureusement, ses bottes lui permettaient une telle accélération. « Belle journée n'est-ce pas ? » fit-il un peu ironiquement en désignant les monceaux de neige qui les entouraient, des toitures jusqu'au sol. Il abaissa un peu son chapeau de sorcier en guise de salut, et son sourire narquois se transforma en une expression de surprise :
« Oh, un beau spécimen que voilà ! » Le bougre savait jouer la comédie. Du hibou ou de la sorcière, il avait sa préférence en matière de spécimen. « Laissez-moi deviner ma chère, j'ai le nez pour ça : vous avez tout comme moi oublié de faire un cadeau ! » Le grand sorcier attrapa les différents numéros de Sorcière-Hebdo qu'il avait calé sous son bras pour les agiter légèrement, pour illustrer son propre oubli de cadeau.

A présent qu'il se trouvait à ses côtés, Evelyn pouvait observer la jeune fille de plus près. Elle n'avait pas les yeux verts et fourbes de Poppy Jones, ils étaient plutôt d'un bleu profond tout à fait charmants. Il n'arriva pas non plus à trouver une ressemblance avec sa fille aînée, outre leur jeunesse - et ce fut d'un certain réconfort : bien que le malaise de leur différence d'âge planait toujours quelque part dans son inconscient, Evelyn semblait toujours très intéressé par ce "joli miracle de Noël". Nul doute que, dans son esprit, l'apparence de la fille trouvait davantage un écho à celle d'Elian, le seul être qu'il pouvait considérer comme étant parfait - puisque ce dernier faisait écho à lui-même. Egocentrique, vous avez dit ? Dans tous les cas, il constatait que les traits fins de la jeune sorcière, sa peau claire et ses cheveux immaculés pouvaient lui faire dire qu'elle venait d'un autre monde. Il la dépassa légèrement au coin d'une rue et reposa son bras sur la paroi en pierre, ce dernier faisant ainsi office de barrière, pour la forcer à s'arrêter un instant, à son tour : « Dites-moi, vous ne seriez pas une Vélane par hasard ? » fit-il malicieusement sur le ton du secret. Elle comprendrait aisément le sous-entendu - celui qu'elle était irrésistible aux yeux de n'importe quels mortels -, si elle n'était pas trop sotte ni une née-moldue tenue trop éloignée du monde des créatures magiques. Bien entendu, Evelyn savait bien que ce petit ange de Noël n'était pas une Vélane, il l'aurait déjà su depuis longtemps - bien qu'il n'avait sûrement pas besoin de subir les effets de leurs pouvoirs pour s'attribuer de faux mérites.

June sortit de la boutique tout en réfléchissant à son prochain achat. Pour ses parents, elle était certaine de trouver son bonheur chez Fleury et Bott. Bien sûr, ils avaient déjà tout lu ou presque de ce qui se rapportait à la botanique, mais elle espérait trouver une édition ancienne ou rare. Toute à ses pensées, elle sursauta très légèrement lorsqu’un homme aux cheveux longs commença à marcher à côté d’elle et l’aborda sans se présenter. La jeune fille avait toujours aimé bavarder, peu importait avec qui, et refusait rarement une conversation. Personne n’aurait jamais pu soupçonner la période de déprime qu’elle traversait. D’ailleurs, très peu de personnes étaient au courant, excepté son frère Robin et sa cousine Haley. Elle gardait tout cela bien enfoui au fond d’elle-même. Et lorsqu’elle était en interaction avec les autres, c’était son caractère naturel qui reprenait le dessus. Sans se départir de son sourire à toute épreuve, elle lui répondit donc avec entrain : « J’aurais préféré moins de neige et plus de soleil, mais est-ce seulement possible un jour de décembre en Angleterre ? ». Il s’intéressa ensuite au hibou petit duc qui était posé calmement sur son avant-bras. Il devina aisément que c’était un cadeau de dernière minute.

June se demanda alors pour quelle raison il était venu entamer une conversation avec elle. Les personnes qui engageaient spontanément une discussion de manière totalement désintéressée avec une parfaite inconnue se faisaient rare, surtout dans le contexte actuel. Mais elle préféra ne pas en tenir compte pour le moment et profiter de cette occasion de bavarder un peu. « Vous avez vu juste ! Et je ne suis apparemment pas la seule. Malheureusement, il me reste encore un certain nombre de cadeaux à trouver. Je n’ai pas eu envie de m’y mettre avant, cette année.»

Cet échange, qui avait commencé agréablement, pris un tout autre tournant lorsque l’homme à la longue barbe lui fit soudainement face, l’obligeant à stopper sa marche. Sa question la laissa quelques instants sans voix. Elle comprenait à présent ses intentions. Bien sûr, ce n’était pas la première fois qu’elle se faisait aborder de la sorte, elle qui aimait beaucoup sortir et la plupart du temps seule. Mais elle ne s’attendait absolument pas à ça de la part d’un homme qui semblait avoir le double de son âge. Elle décida de ne pas se formaliser tout en lui signifiant gentiment mais clairement, du moins elle l’espérait, qu’elle n’était absolument pas intéressée. En plus de la différence d’âge, il était loin d’être le type d’homme qu’elle appréciait, notamment pour ce qui était des cheveux longs et de la barbe. Et même s’il lui avait plu, elle ne se sentait pas vraiment prête à entamer une nouvelle relation. Il avait malgré tout un certain charme et semblait tellement sûr de lui qu’il risquait de ne pas lâcher facilement. « Pas à ma connaissance, mais qui sait, peut-être une lointaine ancêtre ? Je suis flattée mais ne seriez-vous pas un peu trop âgé pour poser ce genre de questions à une jeune fille de mon âge ? » dit-elle avec un soupçon de reproche dans le regard.

Discuter du temps qu'il faisait, c'était la première étape fort banale, aucunement créative, du Plan ineffable de la drague de rue - mais dans l'objectif d'entendre ne serait-ce que le son de la voix de la jeune sorcière, il fallait avouer que cette étape se montrait efficace. Cette voix lui paraissait assurée, claire et mélodieuse à ses oreilles. Elle ne semblait pas dérangée par l'intérêt qu'il lui portait et savait même très bien manier l'art de la discussion : un ange, Evelyn l'avait bien prédit. « Ce n'est hélas possible ni en Angleterre, ni au Pays de Galles », regretta-t-il avec elle.
Le grand sorcier nota mentalement qu'elle n'avait pas fini ses achats : cela voulait dire, dans son traducteur universel des femmes, qu'elle ne cherchait pas une fausse excuse pour s'enfuir et qu'ils pouvaient donc continuer tranquillement de remonter la rue principale ensemble.

L'arrêter à ce croisement leur avait fait gagner un peu de temps supplémentaire. Il avait même réussi à la flatter, bien que la sorcière lui partageait sa certaine réticence face à ses intentions, toujours d'une façon absolument charmante. Elle n'était pas dupe et, quelque part, cette constatation ne faisait que renforcer son envie d'en savoir plus sur elle : elle n'était pas seulement jolie, elle se montrait intéressante. Evelyn n'était pas blessé par la mention de son âge, c'était un fait dont personne ne pouvait faire abstraction et sur lequel il pouvait jouer facilement. Il feignit la surprise, amusé : « Trop âgé, moi ? Mais il n'y a pas d'âge pour complimenter une jolie sorcière comme vous. » Evelyn se redressa, abaissant son bras de la paroi et reprenant lentement sa marche devant elle. Qu'aurait-il fait si un sorcier ou un moldu d'au moins quarante ans cherchait à charmer sa propre fille, ou même sa filleule ? Il lancerait un maléfice à un tel homme, c'était certain. Mais il ne pouvait tout simplement pas s'empêcher de penser que leurs chemins se croisaient pour une raison : elle, l'ange d'hiver et lui... Perdu. Esseulé. En perte de confiance. S'il n'était même pas capable d'envoûter une fille comme elle - comme Poppy Jones - c'était qu'il se trouvait définitivement hors-jeu.

Elle n'était pas timide, lui non plus, mais la tâche semblait plus ardue que d'habitude : soit il avait définitivement perdu de sa superbe niveau charisme, soit un potentiel concurrent l'avait devancé. Ce n'était pas difficile à imaginer puisqu'elle devait côtoyer de nombreux étudiants sorciers de son âge. « Je ne me permettrai pas de m'abaisser à ce genre de... Pratiques. Soyez donc rassurée Mademoiselle, j'étais seulement curieux de voir une si jolie sorcière réaliser ses achats de Noël sans aucun petit ami à ses côtés », tenta-t-il pour essayer d'en savoir plus. Le regard en biais, Evelyn scrutait la moindre de ses réactions. Il était plus facile pour lui de remettre son possible échec sur le fait que le cœur de sa dame était déjà pris.
« D'autant plus que l'ambiance du Chemin de Traverse n'est plus de tout repos... » ajouta-t-il en tournant la tête vers le groupuscule de sorciers recouverts de plusieurs couches de tissus qu'ils venaient de dépasser. Froid glacial ou pas, pour lui il était impensable de vouloir à ce point protéger son identité dans un lieu sorcier. Quelques restes de la psychose instaurée par la chasse aux sorcières, sûrement... Il soupira. Les événements le dépassaient et ce monde ne lui ressemblait plus, bien qu'il y trouvait de temps en temps de quoi garder sa foi. Cette agréable rencontre, par exemple ! Bien qu'Evelyn commençait à comprendre que la courtiser serait un exercice hautement compliqué, au moins sa rencontre avec cette sorcière le changeait de son quotidien plutôt passif. De plus, il fallait bien avouer qu'il y avait quelque chose de palpitant dans l'idée d'entreprendre quelque chose n'ayant rien à voir avec Elian, pour une fois, bien que son fils cadet restait constamment le principal objet de ses pensées. Ça, personne ne pouvait y faire quoi que ce soit, pas même son meilleur ami, pas même lui-même.

La remarque de June sur l'âge du sorcier ne le vexa aucunement. Cela ne l'arrêta pas le moins du monde non plus. Il répondit d'un air amusé et renchérit même en évoquant sa beauté, explicitement cette fois-ci. Comme elle s'en était douté, il était loin d'abandonner et commençait même à se renseigner sur sa vie amoureuse. Bien sûr, elle aurait pu inventer un amoureux transi qui l'attendrait tranquillement dans leur appartement de Regent’s Park Road. Mais s'il y avait bien quelque chose qu'abhorrait June, c'était le mensonge. Elle avait le sentiment que mentir ne pouvait apporter que du chaos dans une vie, ou ne serait-ce que, dans une moindre mesure, de l'incohérence. Elle essayait toujours de mener sa vie avec une certaine dose d'éthique. Elle ne mentait que lorsqu'elle ne pouvait pas faire autrement et en général pour éviter de blesser quelqu'un. Cet homme avait l'air solide, il pourrait bien accepter le fait que son refus n'ait rien à voir avec un autre homme dans sa vie, quoi que le fantôme de Jasper fût encore bien présent dans ce même appartement. Cela prendrait sans doute plus de temps de le décourager de cette manière et elle n'en avait guère. Mais puisqu'elle n'avait aucune envie d'aller à ce repas de Noël, c'était une belle distraction, en plus d'une bonne excuse pour arriver en retard. Et puis, c'était loin d'être désagréable de se sentir appréciée, surtout de cette manière-là, qu'elle trouvait plutôt respectueuse et élégante.

Ils avaient repris leur marche. Elle n'était pas sûre de comprendre ce qu'il voulait dire par "s'abaisser à ce gendre de pratiques". Sa démarche était assez contradictoire, il semblait vouloir se dédouaner tout en se renseignant sur un potentiel petit-ami. June lui répondit de la manière la plus franche et sans équivoque possible : « Aucun petit-ami ne m'accompagne pour la simple et bonne raison que je n'en ai pas. Pour autant, cela ne veut pas dire que mon cœur est libre de toute attache. » Elle grimaça légèrement à l'idée d'avoir révélé cette partie de sa vie intime qu'elle cachait obstinément. Ne voulant pas s'étendre sur le sujet, elle lui renvoya la question : « Et vous, n'avez-vous pas une compagne ou même un enfant pour vous aider dans vos achats ? Il est vrai que la rue est bondée, il faut croire que nous ne sommes pas les seuls à devoir faire des cadeaux de dernière minute. »

Se disant qu'ils avaient déjà bien assez bavardé sans connaître leur identité respective, elle décida de lui donner son nom, espérant qu'il ferait de même. Elle ralentit sa marche, se tourna vers lui et lui tendit la main : « Je me présente, June Fleming. »

L'assurance affichée d'Evelyn Kernac'h aurait eu de quoi effrayer n'importe qui, mais sa jeune interlocutrice ne se laissait visiblement pas intimider. Le petit jeu de séduction qu'il avait lui-même instauré se présentait plutôt bien pour le moment, mais cela n'avait pas de quoi étonner le grand sorcier qui reprenait du poil de la bête assez rapidement : finalement, le célibat n'était pas un adversaire à la mesure de son charisme indéniable - ou bien les hommes comme lui étaient trop facilement flattés dès qu'une femme ne les envoyait pas très clairement sur les roses. Un regard bleu profond posé sur eux et ils se pensaient déjà mariés. L'élément le plus complexe dans son entreprise consistait à rester attentif sur ce que lui racontait ce joli minois. L'esprit pragmatique d'Evelyn avait en effet tendance à se concentrer sur ce qui l'arrangeait, laissant de côté un grand nombre d'informations qu'il n'estimait pas plaisantes à savoir pour sa personne. Pas de petits amis encombrants en vue : très bien. Un cœur qui n'est pas sans attache : sans importance. Il n'avait pour ainsi dire réellement saisi que la moitié de la réponse de la jeune fille. C'était fort dommage puisque s'il s'était intéressé à la deuxième partie, il aurait certainement pu se créer une image d'homme compatissant et, dans le même temps, comprendre enfin qu'il n'existait aucun monde ni aucune dimension où une relation comme celle qu'il espérait avec elle pouvait avoir lieu. « Pour tout vous dire, on me dit un peu Legilimens sur les bords et je crois deviner que les jeunes hommes de votre âge ne trouvent pas grâce à vos yeux face à des hommes qui affichent un peu plus de... vécu. » Son regard suggestif ne laissait pas place au doute, il venait bien de réaliser son auto-référence auprès d'elle sur le ton de l'humour - pour le moment. Il se saisit du fin poignet qu'elle lui tendait avec un délice à peine dissimulé. La sienne faisait au moins deux fois sa largeur mais se mouvait délicatement, comme s'il manipulait la plus belle des roses :
« Enchanté Mademoiselle June Fleming, mes soupçons se confirment enfin, vous êtes bien un soleil de mois de Juin au milieu de ce Décembre hivernal. » En revanche, il trouvait le nom Fleming assez courant au Royaume-Uni, elle aurait pu être tout aussi bien Moldue que sorcière, mais il pariait sur le côté magique étant donné le climat délétère du Chemin de Traverse ces derniers temps. « Mille fois merci de me confier votre prénom et laissez-moi vous faire gardienne du mien : Evelyn Kernac'h, pour vous servir. » Il pouvait bien imaginer mille façons différentes de la servir. Quant aux interrogations de la charmante June sur son statut marital - il n'avait encore une fois retenu que ce qui l'arrangeait et avec une très mauvaise interprétation en plus de cela - elles trouvèrent aussi une réponse assez directe, à défaut d'être tout à fait honnête. « Aujourd'hui, je suis bel et bien seul, fit le grand sorcier avec une tristesse un peu exagérée. Vous savez, dans la vie, je suis trésorier pour le compte d'une fabrique de chaudrons... Croyez-moi c'est une sorte de malédiction de n'être attiré que par ce qui a de la valeur, puisque la particularité de telles acquisitions est d'être rares. Vous devez être le premier bijou que je croise depuis de très nombreuses années. » Evelyn avait tenu la promesse qu'il s'était faite à lui-même, celle de ne pas mêler son fils à ce genre d'affaires, mais avec cette information mise sous silence, il était compliqué de ne pas passer pour un vieux garçon qui n'avait aucune expérience avec les femmes ni pour le coureur de jupons de base. Il aurait été pire de mentionner sa fille aînée Edith... Se pouvait-il qu'elles eurent été camarades de promotion à l'école Poudlard ? Passé la quarantaine, il fallait décidément vraiment prendre en compte beaucoup d'éléments en tant que célibataire à la recherche d'une compagnie féminine de qualité. D'autant plus qu'il ne voulait pas n'importe qui, il voulait June Fleming, cette jeune femme qui le faisait rentrer dans un état compétiteur tant elle semblait avoir du cran et l'aura d'une certaine envergure. Après tout, Evelyn Kernac'h n'aurait jamais pris la peine de jouer si le jeu avait été trop simple. Ses yeux calculateurs s'étaient mis en route, guettant la moindre de ses réactions.
« Vous voulez boire quelque chose June ? » lui demanda-t-il innocemment comme s'il ne venait pas de la courtiser ouvertement et alors qu'ils passaient devant un stand offrant des boissons chaudes pour les fêtes.

June regretta aussitôt de s'être présentée et de n'avoir pas été plus froide d'emblée. Cet homme d'âge mur devait probablement penser qu'il avait toute ses chances avec elle, sûr de lui comme il le semblait. C'était pourtant tout l'inverse. Son cœur n'était pas à prendre et même dans ce cas de figure, ce n'était certainement pas lui qu'elle aurait choisi. Pourtant, ce petit jeu l'amusait, et peut-être aussi lui redonnait-il confiance en sa capacité de séduire, qu'elle avait tout simplement effacée de sa conscience.

L'homme continua de tâter le terrain en insinuant qu'elle préférait les hommes plus âgées, ce qui était loin d'être le cas. « Au contraire, mon petit ami avait mon âge, et c'était vraiment parfait, croyez-moi. » Une vague de nostalgie l'envahit soudainement. Les heures lumineuse, amoureuses et insouciantes qu'elle avait passé avec Jasper étaient gravées dans sa mémoire, pour ne pas dire dans sa chair. Arriverait-elle seulement à s'en détacher ? Rien n'était moins sûr.

Le grand blond prit sa main avec délicatesse, la ramenant instantanément sur la terre ferme. Et un compliment sortit de nouveau de sa bouche. Elle l'accueillit avec un sourire mélancolique. Il se présenta à son tour. Son nom avait une sonorité galloise. Il esquiva sa question sur une éventuelle famille. À son âge, s'il n'était pas marié, il devait probablement avoir eu une ou même plusieurs femmes. Vu sa facilité déconcertante à faire du charme, cela ne l'étonnerait guère. Le dénommé Evelyn n'était ni un chevalier ni un poète, mais un simple trésorier dans une fabrique de chaudron. La magie retombait et la conversation devenait de plus en plus terre à terre. June était déjà lassée. Sa dernière allusion à sa beauté parvint à peine à réchauffer son cœur glacé. Lorsqu'il lui proposa d'aller boire un verre, elle se dit qu'il était grand temps de mettre un point final à ses vains espoirs. « Merci pour cette proposition mais je suis attendue et déjà en retard. Vous êtes un beau parleur et vous avez un certain charme, je vous conseille de chercher une compagne de votre âge qui saura l'apprécier. Joyeuses fêtes à vous. » Elle n'attendit pas sa réponse et reprit immédiatement sa marche sans se retourner. Elle savait qu'il ne la laisserait pas si facilement mettre fin à la conversation.