La culpabilité la rongeait.

Elle dormait mal en ce moment. Les images d’Eileen avec une tête de citrouille tournaient dans sa tête comme un film qu’on aurait passé en boucle. Ce qui la perturbait surtout c'était le fait qu'elle aurait pu tout éviter, que tout était de sa faute. Ah, son égo était vraiment trop grand ! Colombe lui avait dit que cet orgueil lui attirerait des problèmes un jour.

Lydia, après quelques jours de doute et d’angoisse, s’était décidée à venir à l’infirmerie pour s’excuser. Elle avait hésité à amener un bouquet de fleurs. Elle était allée dans le parc, espérant tout de même trouver des fleurs en ce mois de novembre. Elle avait trouvé de petites fleurs violettes, à longue tiges. *J’espère que ça ira.* Elle se trouvait devant l’infirmerie depuis plusieurs minutes. *Je rentre ou je rentre pas ?* Elle savait qu’Eileen lui en voudrait, c’était très prévisible d’ailleurs.
Peut-être qu’elle n’allait jamais récupérer sa tête ? Non, c’était heureusement impossible. La petite Holmes avait envoyé en urgence une lettre à Marguerite pour lui demander si la potion s’estompait et celle-ci avait affirmé que la rouquine allait être dans son état normal après quelques jours.

Lydia se massa la nuque. Elle avait l’impression qu’en poussant cette porte, elle basculerait du bord d’une falaise vers un grand Vide. Et ce trou béant lui faisait peur, elle estimait que l’âge de 11 ans était trop petit pour qu’elle puisse mourir.

Elle arrêta de toucher son cou – sa peau était devenue rouge tellement elle avait appuyé dessus – et ouvrit la porte. Tout était blanc à l’infirmerie. Chaque coin de la pièce prenait une nuance différente en fonction de l’éclairage. Ici, c’était du blanc cassé. Là, plutôt du blanc-gris. Et à cet endroit, le blanc était complètement immaculé, comme un drapeau de paix qu’on aurait tendu devant les guerriers ennemis.

A cet endroit, aux couleurs d’un blanc immaculée, se trouvait Eileen.

Lydia reconnut tout de suite ses cheveux roux étendus sur l’oreiller. Elle s’approcha vers elle, son ridicule petit bouquet à la main. Elle posa les fleurs sur la table de nuit, espérant que sa camarade n’y ferait pas trop attention.

Elle regarda d’abord ailleurs. Confronter le regard d’Eileen était difficile, un exploit à réaliser, et elle ne se sentait pas encore d’attaque. Après quelques secondes, sentant qu’elle était ridicule, la petite Holmes prononça quelques mots. Tout doucement, comme si elle avait peur de réveiller les malades de la pièce.

- Je…

*J’suis désolée, Merlin. Tu as été la victime d’une mauvaise blague et j’aimerais m’excuser, vraiment, mais pour l’instant j’y arrive pas. Mon égo est trop grand ; je le sais et à cause de lui tu t’es retrouvée avec une tête de citrouille.

Je suis désolée, pardonne-moi s’il te plaît.*

Elle étouffait d'être encore ici, dans cette pièce trop blanche, trop silencieuse, trop lumineuse. Elle voulait juste sortir, oublier l'épisode de la citrouille qui avait recouvert sa tête. Les cours lui manquaient presque, même ceux de Sortilège, de Défense Contre les Forces du Mal, de Métamorphose et de Vol, et Merlin sait qu'elle détestait ces matières. Elle sortait le lendemain, c’était l'infirmier qui lui avait dit, ce matin. Elle sortait demain. Plus qu'une nuit à tenir, une petite soirée à s'occuper comme elle pouvait, et une bonne nuit à dormir encore ici. Ensuite elle retournerait dans son dortoir, en cours, comme tous les autres élèves.

Elle s'était mise à compter les dalles sur le sol et les murs, à compter le nombre de plis sur les rideaux, les draps, pour faire passer le temps. Le temps qui avançait beaucoup trop lentement à son gout. Le temps qui s'écoulait d'une telle lenteur qu'elle aurait voulu elle-même bouger les aiguilles des horloges pour que tout aille plus vite. Elle ne savait plus quoi faire pour s'occuper, pour tuer le temps, pour oublier qu'elle était à l'infirmerie juste à cause d'une mauvaise blague.

Ses cheveux roux étaient éparpillés autour de son visage, ressortant sur le blanc du lit sur lequel elle était allongée. Elle fixait le plafond, les deux trois fissures du plafond. Elle en avait marre. Le seul livre qu'elle avait trouvé dans la zone de détente, elle l'avait déjà fini, et n'avait aucune envie de le relire. Il ne lui avait pas tant plus que ça, avec toutes ces choses incompréhensibles dedans... Alors elle continuait de fixer le plafond, s'imaginant des fleurs surgir des quelques fissures du plafond. Des fleurs, encore et encore, juste pour colorer un peu cette salle trop blanche, trop monotone. Des fleurs de toutes les couleurs, toutes sauf le orange, elle avait eu sa dose.

Elle entendit la porte de l'infirmerie s'ouvrir. Sûrement quelqu'un qui venait voir l'infirmier pour une raison qui lui était parfaitement inconnue, et qu'elle n'avait pas envie de connaître. Mes les pas se rapprochaient de là où elle était. Qui cela pouvait bien être ? Rose ? Ou quelqu'un d'autre ? *Rose elle serait venue le voir plus tôt quand même*. Elle se releva, s'assit en tailleurs sur le matelas. C'était Lydia. *Pourquoi ?*

Eileen fixait la petite brune en fronçant les sourcils. Elle avait à peine fait attention aux fleurs qu'elle avait posé sur la table de nuit. Elle ne savait pas quoi dire, encore moins quoi faire. C'était un peu de la faute à la Serdaigle si elle était là, maintenant, mais bizarrement, elle n'arrivait pas à trop lui en vouloir. Et c'était la même chose pour Yesenia. Elle n'était pas en colère contre elles, au final, juste un peu -beaucoup- déçue. Parce qu'elle les aimait bien les filles, elle ne s'était jamais disputé avec elles, et pourtant c'était la rouquine qui avait hérité de la mauvaise blague... Pour quelle raison ? Elle n'en savait rien. Pourquoi elle et pas quelqu'un d'autre ? Elle n'en savait rien non plus.

- Oui ?

Lydia sentit petit à petit tout le courage qu'elle avait essayé d'emmagasiner auparavant, elle le sentait partir en courant et se réfugier bien loin d'elle.
Lui dire pardon n'allait vraiment pas être facile.
La rouquine s'était redressée sur son lit et venait de s'asseoir en tailleur. Elle avait l'air plutôt en forme et aucune trace de citrouille n'était visible sur son visage. Tant mieux. Elle fronça les sourcils quand elle aperçut Lydia et l'estomac de la brunette fit un saut périlleux, comme si lui aussi désirait s'enfuir à toutes jambes. *Tu... Tu m'en veux ?* Sa peau blanchisssait de seconde en seconde. Bientôt elle pourrait se fondre entièrement dans les murs de l'infirmerie. Son corps serait de la même couleur que les draps et elle pourrait s'y cacher sans aucun problème. *Arrête de rêver, ça arrivera jamais.* Rien ne pouvait l'aider dans cette situation, elle devait s'excuser auprès d'Eileen et seulement cet acte permettrait d'apaiser ses remords.

Jones répondit un « Oui ? » à son balbutiement. C'était elle la malade mais elle semblait pourtant avoir les idées bien plus claires que la petite Holmes. Sa parole avait été prononcée d'un ton curieux. Comme si Eileen demandait implicitement ce que Lydia faisait dans cet endroit, à son chevet. *Sérieusement ?*

Le 'oui' l'avait quelque peu rassurée. Elle ne semblait pas trop en colère et n'avait pas l'air d'avoir la démangeante envie de transformer le corps de Lydia en betterave. La brunette n'osait pas songer que si elle avait été la victime de cette farce, elle aurait réagi de manière beaucoup moins clémente et aurait sagement médité pour composer une vengeance. Une vengeance appropriée si bien ficelée que même le célèbre détective dont elle portait le nom - Sherlock Holmes - n'aurait pas pu deviner le coupable. Bon effectivement, son égo, malgré l'épisode de la tête de citrouille, n'avait toujours pas dégonflé.

Lydia restait là, à se balancer d'une jambe sur l'autre. Elle avait souvent l'impression d'être une funambule ; que le moindre faux pas la ferait tomber du mauvais côté. Alors, elle essayait de se rattraper le plus possible pour marcher droit devant sur la poutre et ne pas chuter.

- Je voulais voir si...

Elle laissa sa phrase en suspens. Elle hésitait beaucoup dans ces instants cruciaux et l'aise oratoire qu'elle avait généralement s'évanouissait en un clin d'œil dans les moments gênants.

- Je voulais voir si ça allait, si t'étais guérie.

La bombe était lâchée. Plus qu'à voir dans quelle direction elle allait exploser et quels dégâts fera-t-elle.
La petite Holmes attendit la réponse de la rouquine. Elle pensait que celle-ci lui répondrait d'un ton froid, marquant sa rancune. Encore une fois, elle avait dû mal à concevoir qu'Eileen ait pu l'excuser si facilement. Il y avait une part de challenge dans ce moment d'ailleurs : allait-elle la pardonner, oui ou non ? Et comment Lydia parviendrait à la convaincre ?

Ses doigts trifouillaient le drap, et ses yeux fixaient la petite brune qui se balançait d'une jambe à l'autre, visiblement mal à l'aise. Eileen aurait aimer la rassurer, lui dire que ça aller allé, qu'elle n'avait pas besoin d'être aussi mal comme cela... mais cela paraissait tellement insensé qu'elle s'abstenait de dire quoi que ce soit, résignée à attendre que Lydia parle à nouveau. C'était elle qui était censée être mal à l'aise, n'est-ce pas ? après ce que Lydia et Yesenia lui avaient fait. C'était elle qui aurait du ne pas aller super bien. Mais ce n'était pas le cas. Elle allait bien, Eileen. Le seul bémol c'était qu'elle s'ennuyait, seule dans l'infirmerie, et qu'elle était déçue des deux filles. Mais cela n'empêchait pas le fait qu'elle ne voulait pas que Lydia soit mal à l'aise comme ça, parce que ça l'a mettait énormément mal à l'aise elle aussi. Et elle n'aimait pas ça...

Elle s'était mit à fixer les plis des draps qui se formaient sous ses draps, au lieu de fixer Lydia. Peut-être que comme ça elle irait plus vite ?

La rouquine releva les yeux lorsqu'elle entendit de nouveau la voix de Lydia. Mais elle semblait hésiter, comme si elle redoutait la réaction d'Eileen ensuite. *Si ça allait, si t'étais guérie*.
Eileen baissa le regard, se remettant à fixer ses doigts, et hocha la tête, doucement. Oui elle était guérie, puisqu'elle sortait demain. Et oui elle allait bien, si étonnant que cela puisse paraitre après ce qu'il s'était passé.

- Ouais ça va

Elle releva les yeux, pour les rebaisser aussitôt. Un soupir s'échappa de ses lèvres.

*Pourquoi moi et pas quelqu'un d'autre*.
Cette question la taraudait.
Elle voulait comprendre, pourquoi c'était à elle que c'était arrivé, alors qu'elle n'avait rien demandé ? Pourquoi c'était elle que les filles avaient choisi pour tester leur potion ? Elle ne leur avait jamais fait de mal. Yesenia, c'était à peine si elle la voyait de temps en temps, comment avait-elle pu lui faire quoi que ce soit ? Et Lydia, elles étaient dans le même dortoir, et il ne s'était jamais passé quoi que ce soit, tout était toujours calme, et Eileen faisait même parti des plus discrètes du groupe.
Ça aurait pu tomber sur quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui leur avait vraiment fait quelque chose, à l'une des deux. Mais non, c'était tombé sur elle, alors qu'elle n'avait jamais rien fait, alors qu'elle n'avait jamais rien dit quoi que ce soit sur elles. Qu'aurait pu-t-elle dire de toutes façons ? Elle ne les connaissait pas assez pour lancer de stupides rumeurs, et puis elle n'aimait pas ça.

- Lydia... ?

Elle s'en voulait presque d'avoir commencé à parler. Oui elle voulait comprendre, juste comprendre, mais elle n'avait aucune idée de comment demander. Cela parraissait simple pourtant, elle n'avait qu'à dire la question qui tournait en boucle dans sa tête depuis ses quelques jours. Mais elle n'y arrivait pas, elle ne voulait pas le dire comme ça, et elle ne savait même pas pourquoi.
Ses doigts cessèrent brusquement de trifouiller le tissu.

- Pourquoi vous l'avez donné à moi la potion ?

Elle aurait voulu que ce ne soit pas d'un air déçu que sa bouche prononce cette phrase... Mais pourtant c'était ce qu'elle était, déçue, pourquoi le cacher alors que la brune devait sans doute s'en douter ?

La rousse fixait les plis du tissu. Les draps ondoyaient, formaient des vagues, des volutes d'ombre sur une surface blanche. On pouvait apercevoir des formes dedans : là le profil d'une jeune femme, ici les flammes montant haut dans le ciel quand on fait un feu de camp. Eileen devait chercher sa réponse parmi les plus comme la petite Holmes le faisait bien souvent en regardant le ciel. L'atmosphère était tendue, les deux fillettes étaient funambules sur le fil instable que tenait leur conversation. Pardon... C'était si difficile à dire.

Elle allait bien. C'était déjà ça, elle semblait guérie. Aucune tâche d'orange ne subsistait sur sa peau - il n'y avait d'orange que ses cheveux - et la ressemblance avec une citrouille s'était évanouie. Tant mieux. Lydia n'avait rien à se reprocher si sa camarade était soignée. Rien à se reprocher si ce n'était de lui avoir fait boire la potion, de l'avoir honteusement trompée. Elle avait abusé de sa confiance, avait fait tout ça pour impressionner une petite Serpentard. Peu glorieux, vraiment peu glorieux. Certains enfants, quand elle était à Bath, faisaient ce qu'on appelle un mur de gloire. Ils mettaient sur un tableau en liège tous leurs exploits. Généralement, les exploits n'étaient pas dignes de figurer dans l'Odyssée ou l'Illiade mais les gamins étaient heureux de faire ça, fiers de leurs actions. Lydia, ce qu'elle avait fait à Eileen, cette transformation honteuse et strictement interdite par le règlement de Poudlard, n'était pas fière de la scène qui s'était déroulée quelques jours auparavant. Elle ne l'aurait jamais mentionné sur son mur de gloire - si elle en avait un. Elle avait honte, terriblement honte.

Jones l'appela. Elle laissa sa phrase en suspens et fit traîner sa voix. Mal à l'aise, la brunette se mordait la lèvre. Qu'allait-elle dire ? Lui en voulait-elle finalement ? Elle s'était cru tirée d'affaires pendant quelques temps mais la peur des représailles était revenue.

Le mauvais pressentiment qu'elle avait était justifiée. Eileen lui demandait pourquoi c'était à elle qu'on avait donné la potion. Pourquoi c'était elle qu'on avait transformé en citrouille, alors qu'Halloween était passé depuis longtemps.

- J'suis désolée.

Elle avait réussi à le dire. Elle avait réussi à s'excuser, c'était un exploit. Pourtant la vague de remords ne la quittait pas et la boule installée dans son ventre était en permanente expansion *comme l'univers*.
Elle s'approcha du lit de la malade. Elle se trouvait sur le côté, près de la table de nuit.

- C'est de ma faute, j'ai...

Elle avait fait une erreur. C'était tout ce qu'il y avait à dire. Mais comment l'exprimer ? Elle en était incapable.

- Paniqué.

De la panique qui l'avait submergée ou un égo trop grand qui l'avait étouffée ?

Et le pire dans tout ça c'était que Lydia semblait vraiment désolée. Si elle n'avait pas été pleine de remords, peut-être cela aurait été plus simple pour Eileen de l'accepter ? Ou peut-être cela aurait été d'autant plus pire que maintenant qu'elle s'était excusée. Elle n'en savait rien, évidemment. Comment aurait-elle pu le savoir ? Ah moins de voler un retourneur de temps, repasser ces quelques jours depuis le moment où la potion qu'elle avait bue avait été créée. Et encore, elle ne savait ni où les filles l'avaient concocté, ni quand, et encore moins comment se servir d'un retourneur de temps. Elle savait à peine ce que c'était car elle en avait quelques trucs dans un livre.

Elle inspira profondément. Lydia s'était remise à parler. *C'est d'sa faute... Comment ça c'est de sa faute ?*. Ses doigts avait recommencé à trifouiller le draps, comme pour canaliser la déception et la tristesse qui l'envahissaient peu à peu. Et si cela continuait, elle allait finir par se noyer dedans tellement elles montaient vite.

*Paniqué.*

Paniqué. Elle avait paniqué.

Ses sourcils se froncèrent légèrement. Que s'était-il passé avant qu'elles dissimulent cette fichue potion dans du jus de citrouille ? Comment avait-elle pu paniquer si Yesenia et elles avaient monté tout cela ensemble ? *Ou alors elles voulaient pas le faire ensemble à la base... ?* A vrai dire elle n'était pas sûre d'avoir envie de comprendre. C'était déjà assez dur de se dire qu'on avait été victime d'une mauvaise blague, mais alors rajouter en plus le fait qu'on était peut-être pas le destinataire voulu...

Son esprit était embrouillé, trop. Elle se perdait dans les dizaines de questions qui la tiraillaient. Tous ces pourquoi auxquels elle n'avait pas de réponse, tous ces comment auxquels il n'y avait aucune solution...

Elle haussa les épaules.

- Ok...

*Ok...* C'était tout sauf ce qu'elle aurait voulu dire. Elle aurait tellement voulu avoir le cran de dire qu'elle était déçue, triste, que c'était bien parti pourtant ! mais que tout ça avait tout fichu en l'air... pour les deux. Mais c'était ce *ok* qui avait franchi la barrière de ses lèvres. Ce *ok* d'une voix un peu plus cassée que d'habitude.

- Après maintenant c'est fait c'est fait hein... on peut plus vraiment revenir en arrière

Eileen tentait plus de se persuader elle-même, que ce n'était pas parce qu'elle avait fait quelque chose à l'une des deux si elle s'était retrouvée avec une citrouille à la place de la tête, que s'adresser à Lydia.

Elle soupira, ferma les yeux quelques instant pour faire le vide dans son esprit trop embrouillé. Elle voudrait réussir à ne plus penser à rien, à laisser son esprit vagabonder à sa guise sans avoir à subir le flot de pensée qui déferlait sur elle. En elle.
Elle rouvrit les yeux.

- Mais il s'est passé quoi pour que tu paniques autant ?

Son esprit semblait embrumé. Etait-ce une des conséquences de la potion ? Oh non, vraiment Lydia ne l'espérait pas. Elle ne voulait plus aucune trace de cette aventure. Elle voulait qu'après cette visite à l'infirmerie, cette veille au chevet de la rousse, on ne parle plus de cette histoire honteuse. Qu'on oublie tout, qu'elle puisse manger un plat à la citrouille sans problème. Sans voir la tête de Jones dans sa soupe - parce que c'était vraiment terrifiant.

La rouquine haussa les épaules. *Elle... Elle s'en fiche ?* Non, ce n'était pas possible. Cela ne pouvait pas se finir comme ça. Elle lui poserait d'autres questions, d'autres paroles que ce ok sans âme, fade et sans couleur, sortiraient de sa bouche. Il ne pouvait en être comme ça, même si c'était le souhait le plus cher de Lydia.

Jones répondit qu'on ne pouvait plus revenir en arrière. *Mais, ça va vraiment se finir comme ça ? C'est pas possible, j'y crois pas.* Elle devait sembler intelligente avec ses grands yeux bleus écarquillés de surprise. Elle qui s'attendait à des cris et des larmes, une fille détruite par la farce qu'on lui avait jouée...

Cependant, car il y a tout le temps un mot pénible qui vient contrarier un récit qui se passe bien, cependant, elle lui demanda les raisons de son immense panique.

Sa bouche s'entrouvrit. Elle aurait préféré des cris et des larmes plutôt que cette froideur, cette absence de rancoeur.

- Ben, je... Euh...

Elle se concentra pour recomposer ses mots en le moins de temps possible.

Que s'était-il passé ? Courrier de Marguerite. Annonce d'une surprise. Lydia contente devant ce cadeau inattendu. Les toilettes abandonnés puis la rencontre avec Yesenia : ce qui avait tout gâché. La panique qui l'avait prise quand elle n'avait pas su quoi répondre. L'incompréhension de ses propres actions.

Puis la stratégie, de mettre la potion dans le verre de Yesenia. Ce qui n'avait pas abouti, elle avait constaté son erreur, effrayée et avec des sueurs froides coulant dans son dos. La tête de citrouille qui avait poussé par dessus les épaules d'Eileen...

Et enfin, la Coda, le final. Qui se déroulait là, dans la pièce aux nuances trop blanches. Elle devait dire pardon. Lydia l'avait fait. Mais voilà maintenant qu'elle devait expliquer, dire les raisons de sa panique. Comment faire ?

Elle sourit, tristement.

- Un truc qui a mal tourné.

C'était le cas de le dire !

- Mais c'est entièrement de ma faute.

Une main qui lui arrachait le cœur et qui le tordait dans tous les sens. Voilà ce qu'elle ressentait.

- Tu... M'en veux ?

La main continua de serrer le cœur entre ses doigts, sûrement parviendrait-elle à faire exploser l'organe.

Lydia hésitait. Et Eileen était de plus en plus mal à l'aise.

Il lui semblait que c'était la dernière question à poser, la seule qu'elle n'aurait jamais du prononcer. Elle aurait très bien pu garder ces interrogations pour elle, puisque ça n'aurait pas changé grand chose à sa vie de le savoir... mais non. Il fallait qu'elle sache, qu'elle comprenne, n'est-ce pas ?
Ok, Lydia avait paniqué, et avait dit son prénom parce que c'était le premier qui lui passait par la tête. Ok, c'était sa faute, à Lydia, et personne ne pouvait revenir en arrière... *on a pas de retourneur de temps*. Mais le pourquoi du comment n'était pas si compliqué à dire, si ? C'était juste une farce qu'elles lui avaient faites, une farce qui avait paniqué la petite brune avant de la réaliser. *Alors pourquoi ?* Pourquoi tout ça semblait si dur à sortir de la bouche de Lydia ?

La tête d'Eileen se pencha légèrement sur le côté alors que Lydia souriait, tristement. Ses dents s'étaient enfoncées dans sa lèvre, comme souvent dans ces moments-là. *Un truc qui a mal tourné*. Elle inspira, expira, baissant le regard vers ses mains presque immobiles, alors que les bouger l'auraient aidé à penser plus clairement...

*Mais c'est entièrement ma faute*.

Eileen ne savait pas quoi dire, quoi faire, quoi penser... rien. Elle ne pouvait rien. C'était comme si son cœur se retournait dans tous les sens sous sa poitrine. Non pas qu'elle était malade, juste qu'elle ne comprenait toujours pas ; mais en voyant le visage tristounet de Lydia, elle n'avait pas envie d'insister. Cela ne servirait à rien de toutes façons, elle n'avait pas l'air d'avoir envie de tout dire, Eileen n'allait pas la forcer. Elle savait ce que cela faisait d'être forcée à avouer quelque chose, elle l'avait un peu trop souvent vécu avec Thalia. Alors elle n'insista pas, replaça juste une mèche rousse qui était tombée devant ses yeux derrière son oreille, pour seule réponse.

- Tu... M'en veux ?

Elle haussa les épaules.
Oui. un peu. Comment ne pas lui en vouloir ? A elle comme à Yesenia. Eileen n'avait rien demandé, n'avait rien fait à aucune des deux filles, encore moins à Lydia, puisque c'était elle qui - à ce qu'elle avait compris - avait dit son nom. Eileen ne faisait jamais rien à personne de toutes façons, elle connaissait déjà si peu de gens, pas besoin de s'en mettre à dos...

- Un peu

Elle sourit aussi, tristement.

- A Yesenia aussi

Elle sentit que ses yeux s'embuaient ; mais elle ne voulait pas pleurer... Elle ne l'avait pas fait depuis que sa tête s'était transformée en citrouille.
Elle essuya ses yeux avec le revers de sa manche et appuya ses mains derrières elle sur le matelas.

- Enfin bref

*J'veux passer à autre chose maintenant*.

Elle lui en voulait.

Un peu.

Le mot ‘peu’ était assez traître. On ne savait jamais réellement ce qu’il voulait dire ; je t’en veux beaucoup ou je ne t’en veux pas vraiment. Non, c’est juste un peu. On ne sait pas. C’est un entre-deux bizarre. Lydia n’aimait pas les ‘un peu’, les entre-deux. C’était soit blanc, soit noir. Ce n’était pas gris. D’ailleurs, quand elle n’était pas revêtue d’une robe de sorcière, les couleurs étaient bien tranchées. Du blanc ou du noir – soit l’un soit l’autre. Elle se savait paradoxale, voire très paradoxale, dans sa personnalité. Alors au quotidien et dans des choix qui pouvaient sembler futile, elle tentait d’annihiler ce qu’elle considérait comme un défaut. Peut-être qu’ainsi elle serait plus droite dans ses bottes, qu’elle saurait où aller ?

Eileen avait souri. Pas un vrai sourire, pas un de ces arc-en-ciel qui se dessine sur vos joues et qui illumine votre visage. Non, quelque chose de triste. De morne. Un sourire qui invitait à dire « qu’est-ce qu’il ne va pas ? Tu peux me le dire, tu sais. Je suis digne de confiance et peut être là pour toi. »
Lydia aurait bien aimé faire cette promesse à la rouquine. Seulement, c’était inutile et du plus mauvais goût car elle savait pertinemment bien ce qu’avait la rouquine, et si elle se sentait mal c’était de sa faute, à elle et son satané orgueil.

La fillette se recula du lit. Elle avait vu sa camarade s’essuyer les yeux juste après avoir parlé de Yesenia. Il y a des gestes qui ne trompent pas. Le service que Lydia pouvait rendre à Eileen – après lui avoir plus que desservi – était de la laisser retrouver de la dignité en s’en allant. C’était plus agréable d’être seule quand les larmes coulaient sur les joues.

« On passe à autre chose du coup. Je suis encore désolée… »

Devait-elle ajouter quelque chose ? Elle savait pourtant que le rapport entre les deux filles allait être différent, plus gênant et plus compliqué qu’il ne l’avait été durant le début de l’année. Et dire qu’il lui restait six années et demie à passer à ses côtés !

« A bientôt en tout cas. »

Promesse pour se revoir. Pour se dire que Lydia penserait à elle et ne tiendrait pas coutume de cet épisode. Enfin, essaierait de ne pas y attacher trop d’importance.

Elle tourna les talons. L’infirmerie était blanche. Les peaux des malades et des lits la marquaient moins que quand elle était arrivée mais elle ne s’y était pas encore vraiment fait. Elle préférait le bleu.

Dans un lit blanc, cependant, il y avait une peau blanche encadrée de cheveux roux qu’elle reconnaissait maintenant très facilement. Une boule se logerait dans son ventre quand elle verrait passer ce visage mais bon, au moins Eileen avait semblé lui pardonner.

Les têtes de mules qui transformaient leur camarade en tête de citrouille comprenaient parfaitement le sens du mot ‘remords’.

Fin pour moi, merci Pumpkinette ! On en a enfin fini avec cette histoire