CLAC.

Une de mes bottines tapota le sol en pierre de la volière. Ce bruit sec me ramena à la réalité, sortant mes pensées de la torpeur et réveillant mes membres engourdis. J’y étais. Pièce circulaire entourée de hiboux. Ma semelle se posa sur un élément collant-non-identifié, peut-être le produit d’une chouette qui avait fait ses besoins. Ou un chewing-gum écrasé par un élève. *Ou un mélange des deux*

Les bretelles de mon sac glissèrent doucement le long de mon bras et je l’ouvris pour sortir un petite pile de papiers froissés. Blancs. Un peu jaunis sur les bords. Des lignes séparant l’endroit où je devais écrire. Une police hésitante, à l’encre noire, de l’autre côté du parchemin.

Pourquoi étais-je venue, déjà ?

Une matinée libre et une bonne course dans le parc ce matin m’avaient motivée à répondre à la lettre de maman. *De Maman* À sa réception, elle avait tout simplement atterrit sur ma table de chevet parce que je ne *veux pas y penser, veux pas, veux pas, veux pas*. Mais je m’étais résolue à rédiger mes propres excuses et… Je ne savais tout simplement pas quoi en penser. Aucune émotion se dégageait de mon visage, de mes pensées. Je n’étais pas blasée, je n’étais juste… pas là. Comme si je n’étais pas présente, comme si tout cela n’était qu’un rêve, et rien d’autre.

Un coup d’œil à ma montre me rassura. Il me restait quarante-cinq minutes avant le début de mon cours de runes.

J’aimais bien les runes. C’était presque comme la botanique. Un alphabet passionnant, des significations tout aussi intéressantes.

Je préférais penser aux runes qu’aux lettres.

Et pourtant…

Il me restait donc une demi-heure pour décider laquelle, entre ces trois lettres, j’allais envoyer. Une, deux ou trois.

*Respire Eryne, respire…*

Je reculai d’un ou deux pas pour me laisser tomber sur les marches les plus proches et plaçai les trois papiers les uns à côté des autres, à égalité pour choisir lequel envoyer.

*Inspire ; expire*

Ses ballerines frôlant à peine les marches, Renn montait en courant à la volière, la lettre qu'elle devait envoyer à son père froissée dans sa main. Elle ne faisait aucun effort pour ne pas l'abîmer, cette lettre, puisque de toutes façons elle n'avait pas envie de l'envoyer. Mais elle n'avait pas le choix, évidemment. Tout aurait été plus simple si Warren n'avait pas décidé de rapporter au paternel qu'elle avait essayé de sécher le premier cours de botanique de l'année ! Certes, c'était une mauvaise idée de base, de sécher le premier cours de l'année, mais qu'est-ce qu'elle n'avait pas envie d'aller en Bota' ce jour-là... Surtout qu'elle ne l'avait même pas fait finalement, qu'est-ce que ça pouvait lui faire qu'elle avait voulu, si elle y était finalement quand même allée ?

Elle arriva vite en haut, pestant intérieurement contre une fille qui s'était installée dans l'escalier qui avait obligée la Gryffondor à ralentir, puis s'affaira à chercher un hibou de l'école de libre. Son père ne s'était toujours pas décidé à lui en acheter un, alors que tout serait plus simple si elle avait son propre hibou ! Il y avait pas mal de hiboux "en libre services" dans la volière de l'école, mais tout de même, si elle avait le sien, elle enverrait sûrement bien plus de lettres à sa mère. Alors que là, elle n'osait pas trop de peur de "garder pour elle" un des hiboux de l'école.

Sa lettre en vol direction Godric's Hollow, elle fit demi-tours pour sortir de cette maudite volière pleine de fientes, une grimace dégoûtée sur les lèvres. A un moment, elle tourna la tête, son regard s'arrêta sur une fille, assise sur une marche, trois lettres éparpillées devant elle. Son sourcil gauche se leva de lui-même.

- Je te connais toi, tu fais quoi avec tes trois lettres ? Tu dois les envoyer ?

Elle s'approcha de la blonde, son visage lui disait de plus en plus quelque chose au fur et à mesure qu'elle se rapprochait. Une blonde, Poufsouffle... Certes, il y en avait des tonnes de blondes à Poufsouffle, mais bon... Elle cherchait en vain dans ses souvenirs voir si le prénom de cette fille ne surgissait pas par hasard dans son esprit.

@Eryne O'Kieran, et voilà !

C’est très facile de se déconcentrer. Surtout quand on fait quelque chose d’important. Surtout quand on fait quelque chose d’important qu’on a pas envie de faire. Là c’est même pas la flemme qui joue. Si j’avais eu la flemme, je n’aurais pas écrit trois lettres différentes qui disent la même chose mais avec des petites variations parce que voilà, c’est important les détails. De toute façon, la flemme me connaît pas. Bon, ok, si, j’ai souvent la flemme. Mais seulement après avoir fait tous mes devoirs, révisé mes notes, écrit des calculs, préparé mon sac. Ce qui me donne le temps d’avoir la flemme pour… manger et dormir. J’suis maline en même temps.

Donc, bref, je vous disais que c’est très facile de se déconcentrer (la preuve). Mais si en même temps Merlin, les Moires, le Destin et n’importe quelle force extérieure s’en mêle… Le monde est contre moi. Et cette fille qui me parle aussi. Je lève les yeux, et pourrais avoir éclaté de rire si mon hésitation avait été moins lourde. Disons que sa phrase d’accroche est… n’est pas… enfin bref, vous avez compris. Moi aussi je la connais, d’ailleurs. Troisième année, Gryffondor. Un prénom et un nom qui finissaient par N. Peu ou pas d’amitiés en commun. Peut-être des cours ensemble, mais je ne saurais pas dire lesquels.

– Hey.

Mais ce n’est pas une très bonne idée de répondre : on ne va que se déconcentrer encore plus. Vingt-cinq minutes avant le cours de runes, je n’aurais jamais le temps de me décider comme ça.

– Je dois en envoyer une. Je sais pas encore laquelle, je réfléchis.

Très délicate dans sa réponse, la blonde. Renn était frappée par autant de gentillesse dans son "hey". Non vraiment, elle n'avait jamais vu un tel degré de commodité... Bon, véritablement, elle n'avait rien à dire, niveau tact et délicatesse, elle n'était clairement pas mieux, la preuve avec la façon dont elle était arrivée...

Ceci dit, mise à part l'absence de gentillesse dans le "hey" de la Poufsouffle, il y avait une chose que Renn ne comprenait pas : pourquoi elle s'était embêté à écrire trois lettres. Visiblement, elles étaient pour la même personne, vu que la blonde devait choisir. Bizarre, bizarre. Qui faisait ça, sérieusement ? A part elle, forcément. Mais sinon, qui s'embêtait à écrire trois lettres à envoyer à la même personne pour au final devoir choisir entre les trois ? C'était tellement plus simple de tout écrire d'un coup sans se casser la tête et d'envoyer tel quel, enfin ! C'était ce que Renn avait fait d'ailleurs, mais soit, tout le monde n'était pas comme elle.

- Trois lettres ? Tu t'ennuyais à ce point pour écrire trois fois la même chose...

Elle se retint de justesse d'ajouter que la Poufsouffle était bizarre. Elle n'allait pas aggraver son cas, se taire était bien plus prudent. Mais il n'empêchait pas qu'elle trouvait la Poufsouffle un peu... particulière. Ecrire trois lettres pour dire la même chose, non mais franchement quelle idée...

- Nan mais sérieusement, pourquoi ? Tu t'embêtes la vie en faisant ça ! Je te jure ça aurait été tellement plus simple d'en écrire une seule, enfin bref, je t'aide à choisir sinon je pense que demain t'es encore là. Fais voir tes lettres

Renn en prit une, en la froissant un petit peu, et commença à la lire. Elle fit de même avec les deux autres. Elle ne lisait pas vraiment, juste en diagonale, et puis elle n'avait pas vraiment envie de comprendre ce que la blonde avait voulu y dire, ce n'était pas ses affaires après tout.
Une fois la dernière lettre terminée, Renn la posa par terre en ajoutant :

- Mais t'as écrit la même chose dans les trois, t'en prends une au pif ça passe hein, qu'est-ce tu t'embêtes à choisir

Mais oui, bieeeen sûr. J’écris trois lettres à la suite pour le plaisir, j’ai tellement rien à faire que ça m’amuse de faire ça. J’ai pas du tout cours tout les jours, je dois pas réviser et faire mes devoirs, écrire des synthèses, essayer de survivre en passant, parce que la rentrée après deux mois c’est dur, et après j’aime bien passer du temps avec mes amies, donc bien sûr que j’ai que ça à faire.

Parce qu’elle se permet de juger en plus ? J’aurais dû me taire. Je lui épargne un regard noir, trop occupée à fixer les parchemins et-… Pardon ? Je lève les yeux vers elle, immobile. La fille vient de prendre mes lettres comme ça, sans gêne, sans demander ? Mais… Mes mains sont encore suspendues en l’air et mes pupilles écarquillées, tellement le culot de l’envahissante gamine me surprend. Quand j’ouvre de nouveau la bouche pour lui réclamer mes lettres, elle ose en plus faire un petit commentaire dédaigneux. Merlin, mais je rêve ?

Je rattrape mes papiers et les serre contre moi.

– Mais ça va, te gêne pas surtout ? Je t’ai autorisé à les lire peut-être ? Tu t’es pas dit que c’était privé ? Et puis, qu’est-ce que t’as à juger comme ça ? Tu connais pas l’histoire et tu sais pas ce qu’il c’est passé, et tu te permets de me dire d’en prendre une au pif ? Mais t’es pas bien toi !

Je me lève pour remettre à son niveau – autant dire que mon ego prend un coup en voyant qu’elle me dépasse d’une tête – et fulmine des yeux.

– Tu veux peut-être lire toutes mes lettres, mon journal, venir dans mon dortoir, je sais pas ? T’es incroyable Merlin…

Renn ne comprenait vraiment pas les gens, parfois. Non mais sérieusement ! La fille lui demandait de l'aide, et après elle se plaignait du soit disant culot de la brune. On croirait rêver, il faudrait savoir au bout d'un moment ! Renn le regardait, un air d'incompréhension totale sur le visage. Vraiment bizarre elle.

- Tu m'as demandé de t'aider à choisir, je t'aide, te plains pas si tu voulais pas ! dit-elle en haussant les épaules.

Certes, la Poufsouffle n'avait pas réellement demandé de l'aide, mais Renn était trop bornée pour s'en rendre compte.

- Oh et puis si t'es pas contente bah tant pis, hein, t'avais qu'à pas écrire trois lettres si t'es pas capable de choisir après aussi

Elle fit trois pas, puisqu'elle était prête à repartir d'où elle était arrivée, puis elle s'arrête net à la réplique de la blonde. Mais qu'en avait-elle à faire elle de son journal ? Et le dortoir des Poufsouffle, non mais qu'est-ce qu'elle allait y faire aussi, elle était très bien à Gryffondor !

- Euh... J'sais pas ce que t'as mais tu craques complet là, je vais pas aller lire ton journal j'en ai rien à faire moi

Renn s'adossa contre le mur le plus proche, les bras croisé sous sa poitrine.

- Bon du coup, si tu veux aaaabsolument te casser la tête à choisir, t'attends quoi ? Que la lettre que tu dois envoyer elle s'éclaire comme une luciole ?

Désolée pour le retard