La tête appuyée sur ma main, je mange lentement en essayant de suivre les conversations qui m’entourent. Écouter, c’est déjà pas mal ; on verra un peu plus tard pour y participer activement. C’est fou ça, comme je suis contente d’avoir retrouvé tout le monde, mais que le simple fait qu’il manque une personne me mine le moral. Il faut dire que ce n’est pas pareil sans lui, que ce soit au niveau des cours - avec pourtant certains que je n’avais encore jamais eus - ou même simplement de mes passages en Salle Commune. Partout, je le cherche du regard sans même y penser.

Relevant ma tête pour couper un morceau de viande, le commentaire de la fille assise à côté de moi me fait tourner les yeux vers elle. Son visage ne me dit rien, ou alors ma morosité de ces derniers jours m’a fait rater des choses. Non, quand même, elle n’a pas l’air d’être en première année, et je l’aurais su si quelqu’un d’autre était arrivé dans la maison.

Malgré moi, mon regard la détaille un instant suite à ses paroles. Alors que moi, a-t-elle dit ? « Ça va ? », hésité-je, la fourchette encore à la main, « Je dirais pas que t’es grosse du tout. » Je n’ai aucune idée de si c’est ce que l’autre fille voudrait entendre, mais ça a l’air de la perturber, à mon avis. Mes yeux reviennent vers mes couverts. À vrai dire, je ne crois pas avoir un jour pensé qu’il me soit facile de manger - en général, j’apprécie ce que je mange, c’est tout.

Relevant les yeux, je vois ma voisine de table hésiter avant qu’elle ne m’explique finalement le détail de ce qui la tracasse. Arrêter de manger parce qu’elle pense qu’elle est trop grosse ? Et même, jusqu’à s’en évanouir ? Ébahie, j’en ouvre grand les yeux. « Oh. », ne peux-je m’empêcher de lâcher dans un souffle, n’ayant jamais été confrontée à une telle situation, n’ayant même probablement jamais entendu parler de quelque chose de similaire, « Hé bien… »

C’est à mon tour de m’interrompre, peu certaine quant à quoi dire. Je ne suis pas tout à fait sûre d’avoir compris le problème, en réalité, même si j’ai cru saisir par sa tirade qu’elle demandait mon aide - est-ce que c’est bien le cas, d’ailleurs ? Spontanément et encore dans ma réflexion, je commence à lever une nouvelle fois ma fourchette vers ma bouche, mais je m’arrête cette fois à mi-chemin et la repose sur mon assiette. J’ai plutôt envie de comprendre un peu mieux, avant de reprendre mon repas. Je tourne la tête vers l’autre fille.

« Mais… Qu’est-ce que tu veux dire, t’as oublié comment manger normalement ? », reprends-je donc en fronçant les sourcils, car c’est vraiment ce point qui m’interloque particulièrement, « Je sais pas trop, mais peut-être que je peux… T’aider ? » Je dois toutefois admettre que je ne suis pas bien sûre de comment.

Alors que je garde mon regard tourné vers l’autre fille qui est visiblement en train d’hésiter, je la laisse réfléchir à ce qu’elle souhaite répondre. J’ai un peu de mal à saisir ce qu’elle veut dire, donc celle-ci m’aidera certainement, je suppose. Et cette réponse me fait justement acquiescer pensivement. Bien sûr, elle n’a pas oublié les gestes ou comment croquer sa nourriture, mais de mon point de vue, ça ressemble plus à une peur de celle-ci - ou en tout cas, comme elle le décrit.

« Et si… », commencé-je, très incertaine, en pensant aux peurs de mes frères ou des camarades que je connais. Ce n’est peut-être pas l’idéal, mais j’ai l’impression que c’est la situation la plus proche que je suis capable d’appréhender. « Je sais pas du tout si ça peut t’aider ou si tu as déjà essayé, mais avec un peu de chance… »

Brassant un peu d’air avec mes mains tandis que je cherche une meilleure formulation, je finis par reprendre ma fourchette et désigner ma voisine avec celle-ci. « Et si quelqu’un te distrait, que tu parles d’autre chose, est-ce que ça te permet d’avoir moins peur ? », demandé-je, prenant enfin une bouchée de mon plat tout en faisant attention à garder mon coude près de mes côtes pour ne pas importuner mon interlocutrice - déjà que mes propos sont peut-être un peu étranges. Je ne dirais pas que la viande a un goût de paradis non plus, mais je crois qu’elle est bien préparée, et je me rends peut-être un peu plus compte que j’apprécie bien ce qu’il y a dans mon assiette.

« On peut discuter de pleins de trucs, si tu veux. De… » Je prends le premier exemple qui me vient à l’esprit en voyant un verre de lait un peu plus loin, riant presque à cette idée. « Traire les vaches, même ! » Qui boit du lait à cette heure, d’ailleurs ?

Ma voisine semble moyennement enthousiasmée par mon sujet de conversation porté sur les bovins, mais reprend immédiatement avec d’autres idées qui me plaisent moi aussi bien plus. Remarquant qu’elle a l’air de manger assez instinctivement pendant qu’elle me parle, je ne l’interromps pas pour lui répondre et continue donc mon repas tout en l’écoutant attentivement. Souriant à la mention de son animal, je note qu’elle a l’air de beaucoup l’apprécier, et finis par me demander si mon intonation change aussi de cette manière lorsque je parle de Vargli.

Lorsqu’elle se rend finalement compte que la quantité de nourriture présente dans son assiette a bien diminué, mon sourire s’élargit. « Je sais pas du tout, mais là ça avait l’air d’aller tout seul, comme une plume sur un parchemin, c’est vraiment chouette ! », hoché-je la tête avant de reprendre naturellement sur le même sujet, « Posaris tu as dit ? C’est joli comme nom, et elle a l’air toute mignonne, comme tu la décris ! J’ai un animal aussi, c’est une petite rate grise qui s’appelle Vargli. » Mes mains reposent quelques secondes mes couverts afin de mimer approximativement la taille du rongeur. « Elle a juste une tache blanche sur le ventre, elle. »

Je prends moi aussi une bouchée - il ne faudrait pas qu’à force de parler, j’en oublie de manger et me retrouve à la traîne. Je n’ai pas de cours directement après manger aujourd’hui, mais quand même.

« On peut continuer sur le Quidditch aussi, si tu veux ! », enchaîné-je, « Tu joues dans l’équipe de ta maison, toi ? Moi non mais je suis dans les Hel’s Angels ! » Tout en continuant mon propre repas, j'alimente également la discussion afin de distraire ma camarade. Arrivée à la fin de celui-ci, je lance un regard réjoui à la Serpentard : ça a l'air de ne pas trop mal fonctionner, en tout cas.