C'était pendant ce cours que la passion dévorante de Narcisse était revenue. Certes, elle ne l'avait jamais totalement quitté, après tout, depuis qu'il était à Poudlard, il vivait quasiment pour cette matière. La Défense contre les forces du mal. Mais au-delà de la matière en elle-même, c'était sa prédisposition et son engouement pour la magie en général qui l'animait depuis qu'il s'était découvert sorcier. Désormais, avec la paix et l'équilibre qu'il avait trouvé avec ses parents, en parlant de ce qui s'était passé avec sa mère, et le rapport qu'ils entretenaient avec la magie, il se sentait plus libre et léger que jamais.

Une seule petite ombre au tableau : il ne progressait pas le moins du monde avec le sortilège du bouclier. Il n'avait jamais cessé d'essayer, pas davantage qu'il n'avait ralenti ses nombreux entraînements, pour garder son niveau et surtout se surpasser. Faire partie des meilleurs de sa promotion dans cette matière n'était qu'un détail pour lui, cela n'alimentait pas sa motivation. Mais de temps à autre, pouvoir aider ses camarades était toujours très gratifiant.

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, il sentait que son esprit avait besoin de davantage. Il aimait bien le nouveau professeur, même si Miss Valerion lui manquait, bien évidemment. Certes, plusieurs fois, il avait déjà discuté avec lui à la fin des cours, comme il le faisait très souvent, pour approfondir une question ou un sujet, mais là, il savait que la question pouvait mal tourner. Enfin, mal tourner...

Il ignorait totalement comment le prof allait réagir quand il lui demanderait des conseils sur Protego. Mais cela ne l'empêcha pas d'à nouveau se tenir face à son bureau, le visage déterminé et souriant, le regard scintillant.

"Excusez-moi M'sieur, vous auriez un p'tit instant, s'il vous plaît ?"

Déjà voir s'il avait du temps, avant de dire qu'il avait une question, on ne savait jamais.

Cela allait faire deux mois que Dominic était revenu à Poudlard pour y enseigner. Il avait certes été difficile de s'habituer – ou plutôt, de se réhabituer – au rythme de vie en internat, mais cette difficulté s'estompait un peu plus chaque jour pour laisser place à une routine bien réglée qui ne déplaisait pas à Dominic. Lui qui avait eu un début de vie d'adulte mouvementé appréciait la disposition presque sereine des heures à l'école de sorcellerie, où chaque chose avait sa place – même les incartades au règlement commençaient à devenir prévisibles.

La seule chose qui posait vraiment problème à Dominic en tant que professeur, c'était le fait d'être arrivé en cours d'année. Il avait lui-même pris le parti d'aménager la transition avec sa propre façon de faire en douceur, pour ne pas brusquer les élèves qui s'étaient attachés à leur ancienne professeure pendant plus de deux ans. Pourtant, il sentait bien chez certains élèves une résistance, qui n'avait rien à voir, du moins l'espérait-il, avec sa pédagogie.

Une résistance qui demeurait cependant absolument inexistante chez un élève : Narcisse Brando. Si ce deuxième année regrettait peut-être la présence de sa prédécesseure au poste de professeur, il n'en montrait jamais rien. Dominic avait rarement vu autant de passion, autant de fougue, autant de désir brut d'apprendre concentrés dans un élève aussi jeune. Le trentenaire appréciait les questions du jeune Brando à la fin de ses cours, qui lui permettaient parfois de dépasser le simple état de faits pour aller au-delà des évidences.

C'est donc avec un amusement non dissimulé que Dominic accueillit la venue de Brando à son bureau, venue qui présageait du temps de discussion devenu rituel au fil des semaines. « Bien sûr, Monsieur Brando. Dites-moi ce qui vous questionne cette fois-ci. » Le professeur termina de ranger les parchemins qu'il avait ramassés le jour-même avant de reposer son menton sur ses doigts entrelacés ensemble, un fin sourire aux lèvres.

Le sourire de Narcisse devint presque malicieux, ou triomphant, un mélange des deux. Mais dans tous les cas, son sourire s'élargit d'une façon immédiate, et si ses pupilles étaient noires, ce n'est pas ce qui les empêchaient de scintiller d'étoiles. Discuter avec les professeurs étaient toujours positif à ses yeux, et si certains pouvaient peut-être s'en lasser, Khan ne le démontrait en rien. Même s'il ne l'aurait évidemment pas remarqué, son intuition ne lui soufflait rien, cette fois-ci, simplement qu'il pouvait profiter de ces enrichissantes discussions sans se soucier de rien. Et le visage du professeur, d'habitude fermé, s'illuminait bien souvent lorsqu'il enseignait. Si Narcisse ne l'avait pas consciemment remarqué, ce partage de cette passion commune laissait baigner son cerveau dans de l'eau pétillante.

Narcisse était tellement petit que du point de vue du professeur, il devait à peine dépasser. Cependant, il ne lui viendrait même pas à l'esprit de s'asseoir sans y avoir été invité. Il demeura donc face au bureau, les mains sur la table, comme pour s'y appuyer, sac à dos enfilé, sur la pointe des pieds par réflexe.

Son air passionné et joyeux se mua quelques peu en embarras et en hésitation, illustré par son regard qui oscillait désormais imperceptiblement.

"Merci beaucoup m'sieur ! Euh..."

Et voilà, ça y'est, les mots qui se mélangent dans sa tête, qui veulent tous sortir dans le même temps, en se bousculant, une pensée remplaçant une autre en un éclair. Il se frotta les doigts nerveusement, avant de finalement braquer un regard de pure détermination sur le professeur.

"En fait, j'm'entraîne à lancer Protego... Euh, je sais que c'est trop tôt, j'l'ai bien vu et on m'la beaucoup dit, mais... j'auras voulu savoir si y'avait un programme ou un entraînement pour s'y préparer, ou une technique, quelque chose, qui m'aiderait, pour quand j's'rai plus grand, vraiment n'importe quoi !"

La passion avait grignoté petit à petit le discours du Poufsouffle, qui semblait désormais luire d'une lueur imaginaire. Si on se concentrait assez, on aurait probablement pu voir les petites étoiles flotter autour de lui.

Dominic ne se départit pas de son sourire en entendant le petit deuxième année s'exprimer. Il haussa cependant un sourcil comme pour marquer son étonnement : persister à vouloir apprendre un sortilège qui ne serait abordé qu'en quatrième année relevait soit de la persévérance, soit du masochisme – ou peut-être s'agissait-il des deux à la fois. Le professeur commençait à bien cerner le Poufsouffle, et il savait que ce dernier avait un entêtement rare pendant les entraînements qui avaient lieu en cours.

« Un programme ou un entraînement, vous dites... » Dominic réfléchissait à la question à haute voix. Bien sûr, il avait déjà une idée de la réponse qu'il pourrait apporter au jeune homme, mais il souhaitait d'abord que ce dernier se mette à l'aise. « Vous avez un peu de temps devant vous Monsieur Brando ? Si oui, je vous invite à vous asseoir. » Joignant le geste à la parole, le professeur leva sa baguette pour amener une chaise derrière son élève, afin que ce dernier n'ait plus qu'à fléchir les genoux pour s'asseoir.

« Je ne m'étendrai pas sur l'impossibilité pour vous de maîtriser ce sortilège, j'ai cru comprendre qu'on vous l'avait suffisamment répétée. En revanche, je peux effectivement vous donner des pistes pour vous entraîner et ainsi éviter que vous épuisiez votre flux magique à force d'essais infructueux. » Dominic fit une pause en posant les mains sur la table, tout en gardant le regard fixé sur le deuxième année. « Je crois que vous avez déjà compris mon dada en matière d'enseignement. Pour apprendre un sortilège, rien ne vaut le fait de l'éprouver avec son corps afin de favoriser l'écoulement de votre flux. Cela passe par les étirements que je vous fais faire à chaque début de séance, mais également par le travail de la gestuelle propre à chaque sort, une gestuelle plus approfondie qu'un simple moulinet du poignet... Est-ce que vous me suivez ? »

Narcisse maintenant son regard braqué droit sur le professeur. Peut-être n'était-ce pas la bonne manière d'agir pour obtenir ce qu'il voulait, mais s'il y a bien une chose que Narcisse ne faisait pas, c'était de calculer ses mots. Certains auraient sans aucun doute mieux cerné l'homme que lui, une immense majorité, même, vu la faible perspicacité de Narcisse pour cela. Et certains se seraient certainement servi de ce qu'ils avaient appris pour ajuster leur comportement, leurs mimiques, leurs paroles, histoire d'essayer d'accroitre leurs chances d'obtenir ce qu'ils voulaient.

Pas lui. De un, parce qu'il ne le souhaitait pas, il n'y aurait même pas pensé, et de deux, car il en était bien incapable, même s'il l'avait voulu.

Aussi, il agissait simplement en accord avec qui il était, sans arrière-pensée, ni stratégie, ni rien du tout. L'impulsivité était son premier trait de caractère, et peut-être son plus grand défaut.

Il hocha imperceptiblement et nerveusement la tête lorsque Mister Khan commença à lui répondre, ses yeux s'écarquillant un peu davantage. Un léger tressaillement de surprise lorsqu'il l'invita à s'asseoir.

"Oh, euh, oui oui, bien sûr ! Euh..."

Le temps que la pensée monte à sa tête, la chaise l'avait déjà rejoint. S'il avait été dans la configuration mentale qu'il adoptait au club de duel, il aurait réagi au quart de tour. Mais en l'occurrence, il se laissait facilement surprendre, quand il ne faisait pas attention. Mister Khan avait d'ailleurs déjà dû remarquer ce genre de choses, vu le nombre de fois où il s'étaient croisés au club. Narcisse hocha la tête en souriant, avant de s'asseoir souplement, sans ôter son sac à dos.

Il avait tout simplement oublié qu'il était sur ses épaules.

"Merci !"

Il entreprit ensuite de soigneusement écouter son professeur, avec une attention toute dévouée, pleine et entière. Un léger rougissement chauffa ses joues lorsque Mister Khan rappela ce qu'il savait déjà, et il baissa imperceptiblement le regard. Mais lorsqu'il mentionna les mots "pistes" et "entraînement", là, ses yeux s'allumèrent de nouveau. Lorsqu'il posa ses mains sur la table, il s'inclina légèrement vers l'avant, comme hypnotisé, la lueur au fond de son regard devenant euphorique, et un peu effrayante.

"Mh-mh !"

Un petit hochement de tête lorsque le professeur lui demanda s'il avait bien compris son dada. Oui, il aurait fallu être aveugle pour ne pas le remarquer, c'était l'une des raisons qui faisaient que Narcisse aimait bien ce professeur. Il l'écoutait attentivement, hochant doucement la tête de temps à autre.

"Oui ! J'vous suis tout à fait ! Ça fait depuis la première année que j'pratique la gestuelle et la formule, et, euh... j'sens bien que c'qui va pas c'est la visualisation et... euh... les, réserves ? J'm'évanouis toujours si j'essaye trop. Mais j'vous suis oui !"

Son visage passa de la passion, à l'embarras, pour revenir à l'engouement.

Dominic eut un petit sourire en constatant à quel point toute l'attention de son jeune élève était porté sur lui, et sur lui seul. Un Éruptif aurait pu fait irruption dans la pièce que le deuxième année ne s'en serait peut-être même pas rendu compte. Cependant, le sourire du professeur s'effaça dès lors que Narcisse mentionna ses évanouissements.

« Des évanouissements ? Je vous ai déjà vu un peu faible à l'issue des sessions d'entraînement du club de duel, il est vrai... Mais j'ose imaginer que vous en avez parlé à l'infirmier de l'école, Monsieur O'Belt ? Il n'est pas bon d'avoir si peu d'égard envers son propre corps, vous devriez le savoir maintenant. »

Les sourcils froncés, Dominic observait l'expression de son élève. Il avait certes deviné après quelques semaines passées au château que Narcisse avait une tendance à en faire toujours trop, toutefois, il ne s'était pas attendu à ce que le jeune garçon ait si peu conscience des dangers qu'il encourait en repoussant ainsi les limites.

« Je me dois de vous avertir, si vous persistez à puiser ainsi dans des réserves déjà à sec, vous risquez de ne pas connaître le jour où vous pourrez lancer le sort du Bouclier. Enfin... » Le professeur hocha la tête, comme pour se retenir d'aller plus loin dans son laïus. « Les techniques que je vais vous apprendre devraient pallier cela. Au début, je voulais simplement vous les donner en guise de conseils, mais maintenant que je sais que vous risquez l'épuisement magique, je vous demanderai de les respecter à la lettre. »

Le trentenaire expira lentement et posa les coudes sur les bras de la chaise, les bouts de ses doigts se touchant toujours légèrement, formant une espèce d'arche devant ses lèvres alors que ces dernières laissaient tomber les mots suivants comme une incantation. « Nous allons commencer par les exercices de respiration dont vous avez l'habitude, maintenant. Avant toute chose, enlevez le sac de vos épaules... Voilà. Fermez les yeux, Monsieur Brando, et faites le vide dans votre esprit. Essayez de repousser toute distraction, toute pensée intrusive. Concentrez-vous sur ma voix, sur ses inflexions... Et respirez profondément, sans trop forcer. »

Le regard de Narcisse se fit immédiatement fuyant, il broncha comme si on venait de lui pincer la nuque, en lâchant un petit "Ih !" Une goutte de sueur roula sur sa tempe, le bout de ses index se frottaient nerveusement l'un l'autre, ses dents se mirent à mordiller l'intérieur de ses joues. Croisant de temps à autre le regard du professeur, devenant de plus en plus rouge, c'est à peine si, désormais, il soutenait les yeux de Mister Khan.

"Hrm... euh... bah... c'est... euh... Je... j'essaye d'faire attention... maintenant, un peu..."

L'angoisse à l'idée de devoir aller voir l'infirmier à chaque évanouissement ou incident de ce genre ne s'était pas arrangé après sa première année. Sa phobie des milieux hospitaliers et tout ce qui y touche n'allait pas trop en s'arrangeant d'ailleurs. Heureusement que Mister O'Belt était vraiment bien, sinon il n'oserait même pas y mettre les pieds !

Il continua de baisser les yeux d'embarras au fur et à mesure des réprimandes de son professeur. L'avertissement lui passa quelque peu au-dessus de la tête. Pour lui, repousser ses limites, c'était bien, non ? C'était un peu comme étirer un élastique, il allait de plus en plus loin ! Si l'on omettait le fait qu'à un moment, il se casse... Idiot. C'est pour cette raison que le changement de sujet lui permit de remonter le regard, et de faire réapparaitre son sourire.

Le vif intérêt qui scintillait au fond de ses yeux brilla de plus belle, et il se pencha en avant pour accorder sa plus complète attention au professeur. Il répondit par un ferme hochement de tête lorsqu'il lui demande de respecter ces indications à la lettre.

"Mh !"

Il mima malgré les mouvements de son professeur en croisant les bras sur la table et en avançant sa tête vers lui, incapable de détacher ses yeux de l'adulte. Cette passion confinait à la folie, mais ça, c'était le moindre de ses soucis. Un hochement de tête, oui, il avait l'habitude des exercices de respiration, il connaissait bien. Avec Mister Kohler, ou sa mère. Un sursaut lorsque le professeur lui demanda de retirer son sac, il l'avait complètement oublié ! En un éclair, le sac se retrouva au sol.

Ok, ensuite, fermer les yeux, il savait faire aussi, pas de souci ! Faire le vide. Aïe, là, bon, ça allait être plus difficile... Pas de pensées intrusives, autant demander à un ours de jouer aux mikados. Se concentrer, allez, on essaye. Clairement, il se donnait à fond dans l'exercice.

Mais ses froncements de sourcils, sa concentration le faisant serrer les poings et les dents, la goutte de sueur naissant à la base de ses cheveux démontraient bien qu'en réalité, au lieu de ne effectivement penser à rien, il pensait :

"Ne penser à rien, ne penser à rien, ne penser à rien..."

Et il y avait une très grande différence. Mais ça, il n'était pas du tout assez malin ni assez mûr pour le comprendre pleinement. Aussi ardu que soient ses efforts, il n'avait pas la nature pour réussir facilement ce genre d'exercice.

Son élève paraissait gêné par la tournure que prenait la discussion, et Dominic se rendit compte qu'il n'allait arriver à rien s'il continuait de persister dans sa démarche de mise en garde. De toute façon, Brando était bien le genre d'étudiant à s'acharner bille en tête jusqu'à ce que son corps lâche par lui-même et sans qu'il y prenne garde. Aussi le professeur se sentit-il soulagé lorsque le Poufsouffle ferma les yeux, se pliant manifestement à l'exercice... Mais les froncements de sourcil du deuxième année étaient trop évidents et démontraient d'une trop grande volonté de prise de contrôle pour que la méditation silencieuse puisse faire son effet.

« L'objectif de ne penser à rien, ou du moins, de s'efforcer à le faire, est de supprimer toute pensée parasite qui pourrait vous empêcher de ressentir pleinement que votre esprit est en adéquation avec votre corps et inversement. Mais peut-être va-t-il nous falloir changer de tactique. »

Dominic se redressa sur son siège, plaçant son index replié sous son menton parfaitement rasé.

« Nous allons procéder par étapes, si vous le voulez bien. L'étape de l'émotion me paraît absolument essentielle pour maîtriser le sort qui vous séduit tant, nous allons donc commencer par là. Gardez les yeux fermés, concentrez-vous sur votre respiration... Une fois que vous aurez éprouvé sa régularité, vous allez essayer, tout doucement, d'éveiller en vous un souvenir, n'importe lequel, qui serait susceptible de provoquer ce besoin de protection. Il faut que ce souvenir soit assez puissant, alors prenez votre temps. Qu'est-ce qui, dans votre vie, vous semble important au point d'avoir cet intense désir de protection ? »

Le professeur leva la main comme pour anticiper une réaction de Brando : « Je n'ai pas besoin que vous m'en parliez à voix haute. Je veux simplement que vous vous concentriez là-dessus. »

Je n'avais pas réalisé l'étendue de mon retard, je te présente mes excuses !

Les tics de sa paupière et son visage crispé sous la concentration n'étaient pas partis pour s'atténuer, tandis qu'à l'intérieur de sa tête, les pensées les plus aléatoires s'enchaînaient sans s'arrêter :

*ne penser à rien, ne penser à rien, ne penser à ri... eh, mais, ça veut plus rien dire, rien... rien, rien rien. Oh c'est trop bizarre ! Purée, j'ai pensé à donner à manger à Klee ? Et mon dernier devoir, oh purée je suis sûr que j'ai laissé une coquille là. Et mon t-shirt, il m'a toujours autant serré ? Purééée c'est affreux, j'ai...*

Un brusque sursaut accompagna son inspiration lorsque le professeur reprit les rennes de ses explications, pour vainement tenter de cadrer l'exercice qui posait les plus grandes difficultés à Narcisse. Par réflexe, il rouvrit les yeux pour l'écouter attentivement, avide de découvrir une autre manière de calmer ses pensées incessantes !

"Mh !"

Un hochement de tête, procédons par étapes ! Je vous suis !

Il approuva mentalement l'affirmation sur l'importance des émotions, ce laïus n'étant pas sans lui rappeler celui de Miss Valerion. Se redressant par réflexe, il se contraint à de nouveau fermer les yeux, mains sur ses cuisses, expirant longuement et inspirant profondément. Inspiration, expiration. Inspiration, expiration, et on recommence. Un petit tic du visage lorsque les explications se précisèrent. D'accord, chercher un souvenir.

Le professeur ayant bien anticipé sa réaction, il ouvrit les lèvres avant de brutalement les refermer. D'accord, pas besoin de raconter, oups. Un petit raclement de gorge.

Un souvenir. Un souvenir... Narcisse en avait tant, des souvenirs. Mille histoires et réminiscences se bousculaient dans sa tête, essayant de faire ressortir leur voix par rapport à celle des autres. Un besoin de protection... Se protéger ? Instinctivement, l'image de sa mère apparut, plus forte que les autres. Non, ce n'était pas ça... il s'était toujours senti en sécurité et protégé, jamais il n'avait craint pour sa vie. Elle avait toujours été là pour lui, et elle serait toujours...

Un infime mouvement de sa lèvre supérieure.

Elle serait toujours là pour lui ?

Sa colonne vertébrale fut agitée d'un désagréable picotement, qui remonta jusqu'à sa nuque, pour ramper dans sa poitrine. Il avait peur de quelque chose. Il ne savait pas pourquoi, mais il savait qu'il détestait aller à l'infirmerie, ou rentrer dans un hôpital, l'idée d'être dans ces lieux...

Ses narines s'agitèrent doucement sous son expiration saccadée.

Il la voyait désormais distinctement, cette scène qui avait hanté sa vie depuis qu'il y avait assisté. Cette chambre d'hôpital, aux draps et aux murs trop blancs, seulement déteints par un tâche de sang. Au silence trop assourdissant, dont seuls les sons électroniques des appareils auxquels sa mère était rattachée, pouvaient perturber. Tous les détails de ce souvenir étaient trop vifs, trop précis, trop réels. Son cœur accéléra dans sa poitrine, et sans s'en rendre compte, ses doigts se serrèrent, sa mâchoire se crispa.

C'était là. Juste là.

Ce souvenir, cette terreur. L'idée qu'à si peu de choses, à un rien, sa mère aurait pu ne jamais revenir. C'était ça. Sa respiration se fit tremblante, et malgré le fait que ses paupières soient closes, elles n'empêchèrent pas les larmes de ruisseler sur ses joues. Sans un sanglot, dans un calme et un silence absolu. Sa concentration était absolue, son dévouement sans faille et sa détermination d'acier.

Il ne voulait pas protéger les autres, il en avait besoin. Il ne voulait pas que si un jour, sa famille se retrouve en danger, il ne soit que celui sur lequel on soit obligé de veiller, au mépris de sa propre personne.

Sa mère avait veillé toute sa vie sur lui, il était temps de lui rendre la pareille.

Sans essuyer ses larmes qui commençaient à goutter sur ses mains tremblantes sous la crispation de ses articulations et la tension de ses épaules, il hocha imperceptiblement la tête.

"Et après ?"

Même sa voix lui apparut comme différente. Elle était si vide et plate. Calme et silencieuse, aussi lisse que la surface du lac noir.

Excuses acceptées sans difficultés ! Je suis très heureux de pouvoir écrire ce texte héhé !

Ce dont Brando ne se doutait peut-être pas, c'est que Dominic faisait ce chemin de réflexion à ses côtés, et non à quelques mètres devant. Lui-même ne savait pas comment satisfaire ce besoin insatiable de connaissances qui habitait le deuxième année. Il avait rarement été confronté à une telle soif inextinguible, qui tendait vers le « toujours plus ». Pour le professeur, sa mission était de l'aider à accomplir son objectif, et à ce stade de l'apprentissage, il fallait avant tout préparer le terrain. D'où ce petit exercice, dont les modalités se précisaient selon les réactions de Brando. Petit à petit, à force de tâtonnements, d'erreurs et de petites victoires, ils parviendraient peut-être, ensemble, à mettre au point un protocole pour protéger au mieux le flux magique du jeune homme. Fort heureusement, il était possible de lire en ce dernier comme dans un livre ouvert.

Malgré tout, Dominic se redressa, surpris, quand il vit les larmes commencer à couler sur les joues de son élève. Pas si prévisible, donc. Fidèle à lui-même, le Poufsouffle sembla ne pas vouloir en tenir compte. L'instinct de Dominic lui soufflait qu'il valait mieux faire confiance à Brando – aussi étonnant que cela puisse paraître : s'il pensait pouvoir poursuivre l'exercice en dépit du bouleversement qui avait été provoqué par ce souvenir en particulier, alors l'entraînement continuerait.

Il prit soin de garder un ton neutre quand il poursuivit l'énoncé des consignes, lui-même à présent entièrement happé dans l'exercice.

« Maintenant, je vais vous demander encore un peu de concentration. Je constate que vous avez votre esprit focalisé sur ce souvenir, gardez-le bien en tête encore un moment. J'aimerais travailler avec vous votre intuition et comment elle peut influencer votre magie. J'imagine que vous êtes assez bien renseigné sur ce sort précis pour en connaître la gestuelle. Je vais vous demander de faire fi de cette connaissance préalable et de faire un geste spontané, en lien avec l'émotion provoquée par votre souvenir. Ce peut être un brouillon de geste, une esquisse, ou bien une gestuelle franche. L'important est que vous sentiez, au plus profond de vous, qu'il s'agit de celui qui est le plus à même de répondre à votre besoin. »

Dominic fit une pause, observant l'effet que ses mots avaient sur le jeune homme. « Car c'est bien sur cette dimension de besoin que j'aimerais que vous travailliez, Monsieur Brando. Vous cherchez quelque chose, et votre corps, par le biais du catalyseur, peut vous permettre de l'obtenir. L'idée ici est faire le parallèle entre votre vie profonde, intérieure, et l'extérieur, à savoir votre bras. Si vous avez eu l'occasion d'acheter votre baguette chez Ollivander, il s'agit en fin de compte du même exercice. »

Le professeur savait qu'en règle générale, les comparaisons aidaient les élèves à se représenter d'une meilleure façon les attentes d'un entraînement. À voir si celle-ci serait aussi fructueuse qu'il l'espérait. Tout comme le sentiment de manque, nourrissant celui de besoin, était une émotion primaire, l'expérience de tenir son premier catalyseur dans sa main était une expérience primordiale et fondamentale à tout sorcier occidental.

Plaisir partagé, même si mon grand retard est à nouveau à déplorer !