Inspire, et... eeeexpire. Voilà, comme ça. Lorsque Narcisse rouvrit les yeux, le sol s'offrit à son regard. Le garçon, renversé en poirier, se tenant droitement sur la paume de ses mains, expérimentait sa nouvelle manière de se préparer à une intense activité. Faire descendre le sang jusqu'au cerveau, accroître son équilibre, renforcer ses articulations et ses chaînes musculaires n'étaient là que quelques uns des très nombreux avantages de faire le poirier. Et ce n'était pas parce qu'il se tenait au milieu de la salle de classe de son professeur qu'il allait s'en priver.

Mister Khan avait eu l'infinie amabilité, suite aux demandes plus qu'excitées et débordantes d'impatience de Narcisse, de leur prêter, à lui et Alyssa, sa salle de classe.

Mais pourquoi donc, pourriez-vous demander ? Et bien, il s'avère qu'au détour d'une de leurs nombreuses conversations, Narcisse s'était aperçu qu'Alyssa souffrait d'une grande lacune dans le programme de troisième année. Oui... parce que ce psychopathe avait déjà lu le programmes de toutes les années ! Fada va. Et ainsi, il réalisa qu'un cours, une leçon, avait littéralement traumatisé son amie. L'épouvantard.

Elle ne s'était pas étendue, elle n'avait pas développée, il n'avait pas cherché à creuser. Non, tout ce qu'il avait entrevu, c'était une occasion d'aider son amie, et de s'entraîner lui-même ! Le sortilège était accessible à partir de la troisième année, mais sa détermination et sa motivation, il se faisait la réflexion qu'il ne lui était en aucun cas interdit de s'essayer lui-même à l'exercice. Et plus important encore, il comptait bien accompagner son amie dans cette épreuve terrifiante et difficile. L'assister lui apparaissait comme l'évidence suprême, l'abandonner n'était même pas de l'ordre de l'envisageable.

"Fiouu..."

Une nouvelle expiration. Se tenir en équilibre droit sur ses mains n'était pas encore pour lui chose parfaitement aisée. Mais en attendant sa camarade, il se disait qu'un petit échauffement ne pourrait pas lui faire de mal. Il s'était habillé d'un jogging large et de son t-shirt de compression noir, ultra-classique pour lui. Dans le doute, il voulait toujours être prêt !

Sa tête se tourna vers la grande armoire installée au milieu de l'estrade pour l'occasion. Une vraie crème ce professeur. Clairement, Narcisse aura une petite attention pour lui, après cette séance. Un sourire énigmatique se dessina sur ses lèvres, tandis que l'adrénaline commença à parcourir ses veines. L'excitation d'origine inconnue qui s'esquissait à l'intérieur de son corps accéléra les battements de son cœur.

L'appel de l'inconnu, la soif de nouvelle expérience, le frisson du danger, le pari du risque. La sensation délicieuse, l'impatience de pouvoir affronter une nouvelle créature de ce monde magique... Une expiration plus saccadée que les autres s'échappa de lui, et on aurait presque pu voir de la vapeur d'eau sortir de sa bouche tant sa température corporelle s'éleva brusquement.

En ce début de soirée d'un dimanche, Alyssa avait beau se diriger tout droit vers la salle de défense contre les forces du mal -à savoir l'une de ses matières préférées, pour retrouver Narcisse -qui était devenu ces dernières semaines cher à son cœur, son enthousiasme était loin d'être au rendez-vous. Il était même difficile d'en discerner ne serait-ce qu'une once alors que sa main gauche triturait avec anxiété sa baguette qui menaçait de filer sous ses doigts. Ses baskets, dans un pas pressé, résonnaient dans le couloir du premier étage presque désert à cette heure.

Bien sûr, ni Narcisse, ni Alyssa, n'avaient cours un dimanche après-midi, et heureusement ! Sinon on aurait entendu la blondinette rouspéter jusqu'en haut de la tour d'astronomie... Au moins ! D'ailleurs la troisième année n'était pas en uniforme, mais elle était tout de même vêtue d'un t-shirt rouge couleur Gryffondor associé avec un jean ample : elle allait avoir besoin au minimum du courage d'un lion pour ce soir. Car si Alyssa retrouvait son ami aujourd'hui, c'était tout de même pour s'entraîner à un sort lui posant tout particulièrement problème, un sort qu'elle n'avait pas retravaillé depuis l'automne dernier, au temps où Miss Valerion leur faisait encore cours. La jeune fille avait toujours apprécié les enseignements de cette sorcière mais les séances qui avaient porté sur Riddikulus lui étaient complètement restées en travers de la gorge.

Mais par Merlin, pourquoi avait-elle laissé échappé au détour d'une conversation avec Narcisse qu'elle était complètement incapable d'affronter un Epouvantard ! Elle en payait le prix fort aujourd'hui car son ami avait complètement organisé une séance d'entraînement à ce sort que lui-même n'avait pas même encore vu en cours. Ceci dit, cela n'était plus qu'un détail lorsqu'on connaissait ne serait-ce qu'un tant soit peu le petit Poufsouffle et sa soif de connaissance, notamment en défense contre les forces du mal. Bref... L'heure tournait et l'horloge sonna pile 17 heures lorsqu'Alyssa posa sa main sur la poignée de la porte de la salle de cours, son estomac se repliant déjà sous une angoisse naissante.

Désert... Elle tourna la tête pour voir des... Pieds en l'air ? Baissant le regard, la jeune fille se rendit compte qu'il s'agissait simplement de Narcisse la tête en bas. Alors que son humeur était morne quelques instants auparavant, elle ne put retenir un sourire devant le visage rouge de son ami, bien que ce dernier semblait parfaitement à l'aise à l'envers. Il avait cet étrange pouvoir de lui redonner un peu de baume à son cœur.

- J'suis là..., annonça-t-elle d'une voix inhabituellement basse, un peu inutilement, avant qu'elle ne lâche sur le ton de la plaisanterie : T'essaye de voir tes peurs différemment ?

Mais Narcisse, avait-il vraiment des peurs ? Le cerveau d'Alyssa la ramena brusquement quelques mois en arrière, alors qu'elle avait vu son ami débouler dans les escaliers le visage blême, marqué par l'angoisse, à la recherche de sa Klee disparue. Oui, il devait bien en avoir. La blondinette, laissant promener un instant son regard clair sur la salle d'un air songeur, se mit à espérer que les peurs du Poufsouffle allaient lui être moins dures à surmonter que ses propres chimères.

Tandis que Narcisse reprit sa respiration en tentant de se mouvoir sur les mains, ne serait-ce qu'un petit mètre, l'arrivée de son amie interrompit brusquement sa concentration. Et alors qu'il tourna le visage dans sa direction, un immense sourit naissant sur ses lèvres, sa phrase se coupa une petite seconde au moment où il rebascula souplement sur ses pieds. Il se projeta en poussant sur ses mains et en envoyant valdinguer le bas de son corps, comme pour bondir avant de se réceptionner.

"Yo ! Haha, non, c'est juste un truc que j'ai voulu essayer ! Maman aime bien l'faire parfois, elle dit qu'ça l'aide à s'concentrer, et puis ça fait travailler plein d'trucs !"

Il se tapota les mains pour en chasser les picotements et les éventuelles poussières qu'il aurait ramassé. Toujours premier degré, il avait une infinie difficulté à comprendre le sarcasme et la plaisanterie qui comptait sur le comique de situation. Aussi, s'empressa-t-il de corriger sa camarade, en estimant qu'il l'avait induite en erreur, et que c'était vraiment petit de sa part ! Enfin, il posa ses poings sur ses hanches, en pivotant en direction de la grande armoire enjolivée, agitée de soubresauts à intervalles plus ou moins irréguliers. Quelque chose à l'intérieur tapait sur les portes, et ne demandait qu'à être libéré pour gronder et se déchaîner.

Le sourire de Narcisse s'étira d'une façon presque lunatique, une euphorie pouvait se lire sur son visage lorsqu'il retourna son regard en direction de la blonde.

"Alors ? Prête ?"

Emballé à l'idée de se lancer, dévoré de curiosité et rongé par l'adrénaline, il cligna brusquement des yeux en revenant sur terre, avant de se positionner juste à côté de l'armoire pour s'y installer. Dégainant sa baguette, il interrogea son amie d'un hochement de tête.

"T'inquiètes, j'reste avec toi !"

A la réponse très terre-à-terre de Narcisse, Alyssa ne put réprimer un petit gloussement alors que son ami revenait justement les pieds sur terre. Il ne semblait pas avoir perçu son ton semi-blagueur mais la blondinette ne lui en tint pas rigueur ; de un elle était habituée, de deux c'était bien plus amusant de le voir répondre super sérieusement à ses questions frôlant le sarcasme.

Mais cela ne laissait pas un quelconque ascendant à Alyssa sur la situation et même ; il y avait peu de chance qu'elle eut essayé d'en profiter aujourd'hui. Car ce qui se préparait dans cette salle était bien loin de la ravir. En totale contradiction, Narcisse semblait bien pressé de s'y mettre, lui, alors qu'il se dirigeait déjà vers l'armoire semblant installée pour eux. La Gryffondor se mordit les lèvres inconsciemment, elle était bien loin de se sentir prête à en découdre ; le fait qu'elle soit restée plantée devant la porte maintenant fermée dans son dos ne pouvait qu'en témoigner.

Au même instant où le Poufsouffle lui demanda si elle était prête, un bien trop large sourire sur son visage, l'armoire fut agitée d'un soubresaut particulièrement fort qui arracha un sursaut à Alyssa.

- Heu... Ouais ouais..., souffla-t-elle en s'avançant, s'efforçant de puiser du courage dans le contact fort de sa main gauche avec sa baguette, ne quittant plus un instant cette armoire des yeux, clignant des yeux à chaque mouvement de celle-ci.

En parallèle de son apparente concentration qui s'apparentait plutôt en une tentative désespérée de ne pas s'enfuir à toutes jambes et à oublier la mission qu'elle s'était donnée avec Narcisse -ou plutôt que le garçon avait convenue pour eux deux- son cerveau fonctionnait à plein régime dans un fol espoir de retarder encore un peu ce moment. Elle offrit un mince sourire aux paroles d'encouragement de son ami ; oui, s'il n'avait pas été présent elle n'aurait clairement pas mit ne serait-ce que la pointe de ses baskets ici.

La lumière dans sa tête s'alluma soudainement. Avant de lancer un sort, il fallait bien s'entraîner à la gestuelle, la prononciation, tout ça... C'était généralement une partie qui barbait au plus haut point le naturel impatient d'Alyssa, mais pour une fois cela lui semblait être la meilleure solution pour reculer ne serait-ce de quelques minutes cette cruelle échéance de paix. Car là, elle n'était pas le moins du monde impatiente de passer à l'action.

- On pourrait p't'être s'entraîner un peu avant ?, suggéra-t-elle. Connaissant Narcisse, ce dernier s'était sans aucun doute longuement exercé, mais c'était clairement aux antipodes d'Alyssa qui était venue aujourd'hui sous la contrainte. Revoir rapidement la gestuelle, la formule, et... Heu... Faut penser à quelque chose qui transforme sa peur en un truc marrant.

Ce dernier point ? Alyssa ne l'avait nullement travaillé. Pourtant, elle connaissait parfaitement l'apparence de son Epouvantard, et c'était quasiment sûr qu'il n'avait pu changer en quelques mois.

Narcisse guettait avec impatience la réponse de son amie, se tenant prêt à ouvrir la porte d'un coup de baguette. Il avait lui-même étudié de fond en comble les Epouvantards, avant de venir l'accompagner pour cette séance. Il avait même pris la peine d'apprendre la théorie du sort ! Après tout, on ne savait jamais, et puis, c'était bien l'une des deux matières où il pouvait être en avance sans la moindre difficulté. Le temps qu'il avait passé à la bibliothèque, pour lire et relire les histoires, les annales, les anciennes leçons, les programmes, et même les notes de ses camarades plus âgés qu'il empruntait sans hésiter, il ne le comptait plus. En cet instant, il était tout aussi au point sur le sortilège Ridikkulus qu'un troisième année qui sortirait du cours.

Si l'on omettait la pratique, cela allait de soi.

Aussi, à l'instant où Alyssa exprima sa volonté, répondant par un simple "Ouais ouais" il ne lui en fallu pas plus ! Et immédiatement il brandit sa baguette dans un sourire ravageur et une lumière inquiétante scintillant au fond de ses yeux.

Stop ! Il s'immobilisa brusquement, la pointe de son catalyseur posé sur la poignée, bloquant même sa respiration. Son regard pivota en direction de son amie, il avait le visage choqué. Il ne s'était pas préparé à ça ! Elle expliqua, elle hésita, il réfléchit. Oui, elle avait raison... mieux valait s'entraîner un peu avant ! On apprenait beaucoup mieux et beaucoup plus rapidement à deux ! Quelle génie cette Alyssa, et lui qui allait se précipiter, évidemment qu'elle allait l'entraîner également, une vraie amie ! Son sourire revint, il expira de contentement, avant de se décaler de l'armoire pour revenir aux côtés de la blonde.

"Ah ouais, t'as raison sapristi ! Ok !"

Il agita les épaules et les bras pour s'échauffer, avant de se mettre en position. Légèrement de profil, main gauche levée au niveau de la poitrine, la main en avant, bien campé sur ses appuis, le regard toujours tourné sur son amie, un grand sourire aux lèvres. Il laissa même échapper un petit "hm-hm" d'amusement.

"Ok ! Alooors, déjà, parlons du sort !! Alors alors, euh, déjà, il faut insister sur le CUL de RidikKULus ! J'me suis entraîné à la prononcer plein d'fois, j'me mordais tout l'temps la langue !"

Il éclata de rire en rougissant, sa main libre venant frotter sa nuque alors qu'il se désengageait peu à peu de sa position de combat pour reprendre une posture plus neutre. En posant sa main tenant sa baguette dans le creux de son coude, il leva l'index de son autre main, jetant un regard amusé à Alyssa.

"Ensuite, le geste, c'est une sorte de creuset, comme ça là... Et, euh, ensuite, le SOUVENIR, alors ça, trop FACILE ! J'en ai plein ! T'as trouvé l'tiens toi ? On peut l'trouver ensemble sinon ?"

Dans l'émotion, la frénésie de savoir partagé, l'excitation et le plaisir du moment, il ne pensa même pas à demander d'autres informations, ni même à présenter ses informations sous une quelconque forme autre que la pure dégringolade de mots.

L'enthousiasme de Narcisse était visiblement contagieux car au grand sourire qu'afficha son ami à sa proposition, un petit se traça sur les lèvres d'Alyssa. Le garçon se mit à faire une série d'échauffements tandis que la blondinette se contenta de sobrement sortir sa baguette de sa poche et de raffermir son contact dessus ; en d'autres circonstances nul doute qu'elle se serait montrée plus engagée dans l'exercice mais même l'intense gaieté du petit Poufsouffle ici présent n'était pas suffisante pour lui occulter ce qui l'attendait.

Alors que ses yeux ombragés d'une nouvelle inquiétude soudaine s'étaient pointés une fois encore vers l'armoire grinçante, ils pivotèrent brusquement vers Narcisse pour demeurer interdits quelques instants... Avant qu'Alyssa ne se mettent à glousser, une main sur sa bouche, ses joues rosissant fortement. Elle ne se souvenait pas de ce détail de prononciation avec Miss Valerion mais accompagna de bon cœur son ami dans son rire, tout en agitant sa baguette en répétant à son tour :

- RiddiKULus !

Elle hocha ensuite la tête à la gestuelle que lui montra son cadet, cela collait bien avec ses souvenirs. Heureusement qu'il l'aidait à réviser, et sans aucun doute sans le savoir ! En revanche, à l'évocation du souvenir à trouver, le sourire d'Alyssa se fana doucement. Elle ne put s'empêcher de demander, l'air surpris :

- T'en as tant que ça ?

Au moins l'épouvantard fera moins peur, songea-t-elle avant de réaliser ce que Narcisse lui avait demandé. La Gryffondor s'exclama alors à toute vitesse :

- Non c'est bon, j'ai le mien !

Mais quel mensonge... Il était cependant impensable pour la jeune fille de révéler à son ami la forme qu'allait sans aucun doute arborer son épouvantard -cela négligeant le détail que Narcisse allait de toute manière bientôt la découvrir. Pour se donner contenance, Alyssa répéta la gestuelle et l'incantation du sortilège plusieurs fois avant de se retourner vers Narcisse, sa résignation presque visible :

- T'es prêt ?

La blondinette ne doutait pas un seul instant de la réponse de son ami. Quand à elle... Eh bien, il ne lui restait plus que quelques instants pour trouver un bon "souvenir".

Narcisse éclata de rire en même temps que son amie gloussait. Il faisait tous les efforts du monde pour ne pas rire à chaque fois qu'il se souvenait de ce détail, mais vraiment, cette prononciation était trop drôle. Instinctivement, il se faisait la réflexion que c'était une excellente chose que ce sortilège soit aussi hilarant, cela rendait le combat contre les Epouvantards encore plus simple ! Il hocha la tête à sa prononciation, approuvant d'un pouce en l'air, tout heureux, elle avait l'air prête !

"Mh... J'en ai pas mal mais..."

Il ne put finir sa phrase lorsqu'elle le questionna sur ses heureux souvenirs, sans même réaliser qu'il venait une nouvelle fois de confondre les Epouvantards et les Détraqueurs ! Il ne savait pas trop pourquoi les deux étaient aussi similaires dans sa tête, mais dans tous les cas, il avait de la chance que le moyen de les vaincre soit quasiment identique pour les deux. Bref, quoi qu'il en soit, il revint à la réalité lorsque la blonde lui affirma qu'elle était prête ! Un immense sourire déforma ses lèvres et il bondit en arrière en gardant sa baguette en main, se tenant collé à l'armoire. Un hochement de tête et un regard pétillant.

"Ok ! Ça roule ! Allez, on y crois, un... deux... trois !"

Bien évidemment qu'il était prêt, il était prêt depuis qu'il avait eu l'idée de faire ce petit cours avec son amie. Il attendait avec une impatience non dissimulée l'apparition de cette créature, ou plutôt de cette non-créature. Son existence était assez floue aux yeux du né-moldu, encore novice de ce monde, qui n'en maîtrisait que peu de codes, et qui n'attendait que de pouvoir en explorer davantage !

Un geste souple de sa baguette, il fit un pas en arrière, les genoux pliés, gardant les yeux rivés sur la scène se déroulant devant lui, prêt à intervenir à tout instant. Quelle allait être la forme de la pire peur d'Alyssa ? Il était tellement curieux, il n'en pouvait plus, son sourire euphorique frôlait l'hystérie, et flirtait avec la folie.

A en voir le sourire presque extatique de Narcisse sans compter ses yeux sombres mais pourtant si pétillants, oui, ce dernier était prêt. Alyssa n'eut pas même besoin d'entendre sa confirmation orale alors que le garçon s'était élancé vers l'armoire pour comprendre que le moment tant redouté était dorénavant bel et bien imminent. Les doigts de la jeune fille se resserrèrent presque inconsciemment sur sa baguette alors qu'elle pouvait maintenant observer l'image de sa fine silhouette serti de son visage soudainement bien pâle renvoyée par le miroir de cette armoire.

Ses yeux clairs restaient fixés sur le meuble, n'accordant pas un seul regard à Narcisse et à son visage rayonnant qui se tenait pourtant juste à côté, tout son esprit était à présent uniquement focalisé vers ce qui allait apparaître... Et ce qu'il s'était passé la dernière fois. Ou plutôt ce qu'il ne s'était pas passé comme Alyssa n'avait simplement pas été capable de lancer Riddikulus lors de ce cours de Miss Valerion. Ses souvenirs étaient bien flous, elle se rappelait avoir failli se cacher sous un pupitre... Elle ne l'avait tout de même pas réellement fait, n'est-ce pas ?

Le garçon ouvrit alors la porte de l'armoire, une action qui interrompit à point nommé le flot de pensées qui inondait Alyssa. Et durant un bref instant, un très bref instant, il ne se passa rien. Jusqu'à ce qu'un tourbillon de poussière se forme, se muant en quelques secondes en une sorte de géante sphère d'eau sombre, quasiment opaque. Des mains squelettique, putrides, en dépassaient, leurs longs doigts verdâtres ondulant dans un geste menaçant, comme si elles voulaient se saisir d'Alyssa ; ainsi que deux tentacules qui ressemblaient étrangement à celles du calmar géant, ondoyant en direction de la jeune fille. Et sans compter ce bruit... Un bruit sourd qui entrait dans les oreilles d'Alyssa et semblait s'insuffler dans toutes ses veines, l'empêchant de réfléchir correctement alors que ses yeux clairs restaient grands ouverts sur ce monstre informe qui avançait progressivement en sa direction. La scène était insupportablement lente, qu'il s'agissait des mouvements de l'épouvantard ainsi transformé qui avançait dans un rythme funèbre ou d'Alyssa qui restait clairement sans aucune réaction. Mais l'être progressait, et bientôt il arriverait à la hauteur de la Gryffondor.

Alyssa avait beau avoir, en prévision, ancré ses pieds dans le sol et armé sa baguette. Elle avait beau s'être entraînée avec Narcisse à la prononciation et à la gestuelle du sort. Mais elle semblait maintenant rapetisser sur place, son bras retomba mollement le long de son corps, son catalyseur manquant de glisser de ses doigts. Ce fut d'un spasme qu'elle la garda en main mais la terreur l'avait complètement possédée, bloquant son esprit, obstruant ses sens, ralentissant les battements de son corps pourtant au plus intense. Mentalement, elle se noyait.

Un trait glacé fut décoché et traversa de part en part la poitrine de Narcisse à l'instant où la masse informe s'échappa de l'armoire. Un pressentiment effroyable. Le spectre de la peur pure, de l'essence de la terreur, s'était insinué entre son amie et lui. Il la sentit plus qu'il ne la vit disparaître derrière cet écran d'effroi absolu, face auquel il n'était que poussière étrangère. Il n'était pas la cible de cette créature. Mais là il où aurait dû ressentir du soulagement, il ne sentit qu'une lourde pierre choir au fond de son estomac.

Que venait faire la déception dans tout ça ? Cette impression de passer à côté de quelque chose, de... ce sentiment grisâtre et noirâtre, aspirant toute lumière, raclant les veines et longeant les os, aspirant la chaleur de son organisme, qu'est-ce qu'il faisait là ? L'impatience. Une impatience pure, un frisson, l'excitation avide de frissons et de progrès, d'affrontement et d'amélioration. Ce côté là de lui, cette part plus que sombre qui semblait sommeiller derrière les centaines de couches de protection, en cet instant, il eut l'impression de devenir sa mère.

Puis l'instant d'après, il redevint son père. Et la vision qui s'offrit à lui lui glaça le sang, qui était déjà bien refroidi.

"Oh beurk !"

Alors, c'était donc ça, la peur d'Alyssa ? L'eau ? L'inconnu ? Le noir ? La noyade, peut-être ? Maintenant qu'il y pensait, il ne l'avait jamais vu à proximité du lac, il n'avait jamais pu aller courir avec elle en longeant la rive. Son regard était rivé sur la masse informe et contre-nature qui flottait en trempant les alentours. Et le bruit... le bruit. Un nouveau frisson le parcourut, il se redressa, détachant sa main de l'armoire, incapable encore une fois de se détacher de cette vision.

Extraordinaire.

Un sourire euphorique se dessina sur ses lèvres en étirant timidement ses commissures. Quelle allait être la nouvelle forme de cet adversaire, une fois défait ? Comment son amie allait-elle...

"Aly ?"

Qu'est-ce qu'elle attendait ? L'être avançait, comme en témoignait la large flaque d'eau progressait petit à petit dans la direction de la blonde, qu'est-ce qu'elle faisait ?! Cette dernière était totalement figée. L'urgence tira l'alarme, les instincts de Narcisse s'allumèrent violemment, l'adrénaline explosa dans ses veines. Danger !

Elle ne pourrait pas le faire, il le sentit, il le pressentit, il le devina. Et il le vécu comme une trahison. Il avait l'impression d'être une personne abominable, pour ne pas réussir à faire ainsi confiance à son maie, mais l'évidence lui sautait aux yeux.

Il devait faire quelque chose, et vite.

L'idée d'aller chercher Mister Khan dans la pièce d'à côté l'effleura, mais il rejeta immédiatement cette idée, tandis que ses pieds dérapaient sur le sol. Il ne le savait pas encore, mais son corps avait commencé à agir selon ses réflexes. Son esprit, lui, réfléchissait toujours.

Pouvait-il tenter lui-même de jeter le sort ? Il s'y était exercé, après tout, et il avait l'impression d'être assez grand, d'avoir assez de talent et d'avoir assez de réserves magiques pour réussir au moins une fois bon sang !

Un nouveau pas.

Non, c'est bon, laisse faire, je gère. Ah, voilà, pourquoi se compliquer la vie, quand on pouvait juste écouter son Instinct ?

Dans un courant d'air, Narcisse bondit sans hésiter dans la direction d'Alyssa, traversant au passage la glaciale bulle d'eau qui le trempa sans pitié. Son bras en travers du visage, il ignora les abominables contacts des bras squelettiques et des tentacules visqueux. Toute son attention était dédiée à la blonde, qu'il atteignit en un éclair. Il pouvait lancer deux fois le sort, si besoin, mais dans le doute...

"Aly !"

Tant pis, le monstre était presque au contact. Au moment où rejoignit Alyssa, elle se figea et tremblota. Elle était prête à changer de forme spontanément, pour essayer de s'en prendre aux deux peurs des deux enfants. Mais il n'allait certainement pas lui laisser ce répit. Son bras droit agrippa son amie pour la coller contre lui, il fit un pas en avant.

Les doigts de sa main gauche s'agitèrent, sa baguette pivota, la pointe le visait lui et son amie. Un sourire presque mauvaise peignait ses traits, alors qu'une goutte de sueur roula sur sa tempe.

"Rictusempra !"

Après tout, c'était le rire qui vainquait un Epouvantard, en soi. Pas Ridikkulus.

La faiblesse ultime de Narcisse face à ce sort se changea en son plus grand avantage. Même si Alyssa ne se mettait pas à rire, lui, de son côté, éclata d'un rire tel que cela suffirait. Ce fut tout juste s'il ne s'effondra pas au sol, en se tenant les côtes, plié en deux, des larmes de rire roulant sur ses joues.

Une fois l'Epouvatard repoussé et acculé, de retour dans son armoire, Narcisse se redressera en essuyant ses larmes, pour demander à Alyssa :

"Fiou... purée, ça va ?"

Ses genoux seraient tremblants, son visage blanc, et sa respiration courte. Le prix à payer pour avoir réussi à écouter et suivre son instinct, et ses réflexes. C'était efficace chez lui, ces derniers le trompaient rarement, mais demandaient une grande quantité d'énergie. Et toute l'émotion lui revint à la gueule, toute la peur et l'hésitation qu'il avait renvoyé tout au fond de lui réclama son dû et refit surface.

Son visage se couvrit de sueur sous le coup des frissons qui se répandirent dans son corps, mais son sourire demeurait malgré tout.

Le corps d'Alyssa était bien présent dans la salle de Défense contre les forces du mal mais son esprit semblait à mille lieux d'ici. Il se trouvait dans les profondeurs du lac, emprisonné dans les eaux troubles et glacées, alors que les pupilles dilatées de la Gryffondor fixait le monstre aquatique, vides de toute expression. Elle ne voyait plus, ou plutôt n'avait plus aucune conscience de ce que sa vision lui renvoyait. Seules des ombres troubles et sans sens ondoyaient devant ses yeux alors que ce bruit des enfers avait brouillé absolument tous ses sens.

Une terreur absolue habitait Alyssa, si puissante qu'elle ne la ressentait même plus. Un effroi qui balayait toutes les autres peurs qu'elle avait pu ressentir durant cette année, les rendant soudainement bien plus insensées les unes des autres ; les menaces de Niks, la potentielle perte d'Onyx, l'harcèlement de Redose... Il ne restait plus que cette phobie inqualifiable des abysses qui semblait avoir envahi tout l'espace. Et alors que la jeune fille demeurait figée sur place, la monstruosité s'avançait toujours, alors que les premières gouttes d'eau s'écrasaient sur ses cheveux de blé.

Alyssa n'entendit pas l'appel de Narcisse, elle ne le vit même pas directement traverser cette marée du cauchemar. Mais le contact soudain du garçon qui la colla à lui fut comme une décharge électrique alors qu'elle se consumait sous une peur glaciale. Son regard eut un sursaut de vie, alors qu'elle voyait brusquement à nouveau le monstre qui n'était plus qu'à deux pas d'eux, elle prit une inspiration... Avant d'être prise d'un éclat de rire.

Et il fallait dire qu'un fou rire se mélangeant à une terreur sans nom, c'était un drôle de mélange. Alyssa riait à s'en fêler les côtes, les bras repliés contre son ventre alors que son corps aussi tendu par la peur essayait desespérément de se relâcher. Elle avait la sensation qu'une centaine de petites plumes s'étaient données comme seul but commun de la faire pleurer de rire. Des larmes ruisselaient sur son visage, laissant s'échapper autant des éclats que de la douleur. Puis la sensation s'estompa, autant la menace que les chatouillis.

Il était parti. Il était vraiment parti ? Les jambes d'Alyssa se dérobèrent finalement sous son poids et elle se laissa tomber au sol, la respiration sifflante, prise d'une soudaine quinte de toux qui lui enflammait les poumons. Les côtés douloureuses, une main plaquée sur son cœur, il lui fallut quelques instants pour que son corps se calme ; comme si ce dernier même peinait à croire qu'ils se trouvaient seulement dans une salle de classe avec tout danger écarté.

La jeune fille entendit vaguement la question de Narcisse et tout ce qu'elle put répondre, ce fut un murmure :

- Attends... Laisse moi deux secondes, s'il te plait...

Doucement, les yeux fixés sur le sol de pierres d'une régularité rassurante, dessinant des lignes qui ne lui semblait pourtant n'avoir aucun sens, Alyssa reprenait sa respiration. Son visage était livide, ses cheveux trempés, ses épaules tremblantes et son dos couvert d'une sueur froide. Elle n'avait pas dépensé une seule once d'énergie magique et pourtant, toute force semblait s'être retirée de son corps. Reprendre contact avec la réalité était long, douloureux, et elle peinait encore à réaliser ce qu'il avait bien pu se passer.

Mais la première chose qu'elle ressentit réellement à nouveau, c'était la présence de son ami face à elle. Au prix d'un effort lui semblant monumental, Alyssa leva les yeux vers Narcisse, sa vision s'efforçant de rendre la petite silhouette nette. La première chose qu'elle vit, ce fut le sourire sur le visage du garçon. La deuxième chose qui ne tarda pas à suivre, malgré le trouble encore bien présent chez la Gryffondor, c'était l'état que lui renvoyait le Poufsouffle. Son visage pâle, ses membres frissonnants, son visage marqué d'une émotion qu'elle connaissait que peu chez lui.

- Toi... Ca va ?

Sa voix sonna à ses oreilles comme celle d'une étrangère, étrangement lointaine ; mais il s'agissait bien de la sienne. Alors qu'elle reprenait contact avec le présent, elle avait eu la sensation que l'ensemble de ses émotions avaient quitté son corps, mais une inquiétude sincère commençait maintenant à poindre pour son ami.