Adossée à un des arbres qui bordaient le Lac Noir, Susan semblait contempler l'horizon. Un air maussade sur le visage, des soupirs réguliers traversant la barrière de ses lèvres, et surtout, aucun livre ou carnet ouvert à côté d'elle, ce qui était pour le moins inhabituel. Elle était juste là, son sac à dos lâché avec peu d'attention à côté d'elle, à moitié retourné. Le dos vouté et les cheveux un peu en bataille, elle pensait.

C'était une journée particulièrement compliquée. Elle en avait déjà eu des comme ça, où ses symptômes revenaient à la charge en pleine puissance, secouant son corps frêle de multiples secousses. Tantôt les bras, tantôt les sourcils ou la bouche. C'était insupportable pour l'enfant qu'elle était. Pourquoi est-ce qu'elle n'était pas comme tous les autres ? Pfff, quelle injustice.

En plus, juste avant la période des examens, c'était vraiment pas ce qu'il lui fallait pour se concentrer sur ses révisions. La Lionne n'était pas en retard dans son travail, ça c'est sûr, mais ce n'était sûrement pas le moment de relâcher l'attention alors que tout débutait la semaine suivante. Seulement voilà, sa maladie était là, et elle devait faire avec, même à l'aube de ses premiers examens. Même quand elle aurait préféré s'amuser ou même travailler. Même quand il faisait une chaleur à tuer un cactus !

Non mais c'était quoi cette météo à tuer un Écossais ? Il faisait au moins quarante degrés dans ce parc, quelle horreur ! La native d'Inverness avait une sainte horreur des températures de l'été. Autant elle supportait très bien l'hiver, autant la saison du soleil lui semblait bien plus compliquée. Manquerait plus que quelqu'un vienne lui chercher des ennuis, et ce serait le pompom de la pomponette pour cette journée !

Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres tandis qu'elle s'avachissait un peu plus, les larmes lui montant aux yeux. Elle en avait marre. Que faire ? La jeune fille tira un peu sur le col de sa robe, l'uniforme d'été de l'école, pour essayer de faire passer l'air. Puis se leva d'un coup, la mine triste et fatiguée. Jetant un œil à son sac à dos abandonné comme une vieille chaussette, elle détourna rapidement la tête pour reporter son attention sur l'étendue d'eau qui lui faisait face. La solution était là.

Susan s'avança lentement, les bras ballants et le pas lourd en direction du Lac. Le visage tourné vers le sol et toujours les larmes aux yeux face à ses pensées maussades, son teint cireux de jeune fille qui n'avait pas dormi, et sa chevelure chocolatée en bataille, elle continuait d'avancer inlassablement, d'une démarche presque mort-vivante. Ses pieds atteignirent bientôt le bord de l'eau, et elle retira rapidement ses chaussures, les balançant sans vergogne un peu plus loin vers l'arbre qui l'avait précédemment abritée. Puis elle reprit son chemin, ses mollets rapidement enveloppés par l'eau fraîche. Puis ses genoux. Puis ses cuisses.

Sa démarche était toujours la même, l'allure également. Le regard à présent fixé au loin sur l'horizon, elle avançait vers l'eau toujours plus profonde, sans même penser que quelqu'un pouvait la voir.

- Chaleur de crotte, va te faire voir ailleurs si j'y suis...

Narcisse avait à peine susurré ces mots, trop obnubilé par son combat contre la chaleur. À l'ombre d'un grand arbre, affalé plus qu'adossé à son tronc, perché sur une branche pour pouvoir profiter au maximum de la légère brise, il tentait de demeurer le plus immobile possible. C'était un exercice fort ardu pour lui. Lui qui avait tant l'habitude de sauter partout, de se dépenser à longueur de journée, en faisant tout et n'importe quoi. Malgré tous ses efforts, son pied tressaillait et il avait des fourmis dans les jambes. Mais cette foutue chaleur... Vraiment, il détestait l'été. Il ne comprenait pas cet engouement autour de la saison. Impossible de sortir en paix, les nuits étaient un calvaire, un four dans lequel on se retournait dans sa propre sueur. Il préférait l'hiver, la bonne neige bien épaisse, même le printemps, avec ses pluies et ses températures agréables. L'automne faisait office de saison favorite à côté de l'été.

Seule Klee semblait échapper au calvaire. Broutant un morceau d'écorce à côté de lui, posée sur son épaule, elle contemplait le vide. À l'observer, on pourrait penser qu'elle se plongeait dans une réflexion philosophique sur la vacuité de l'existence et le caractère illusoire du bonheur. Cela fit pouffer de rire Narcisse. Et il paya immédiatement cet effort léger par une poussée de sueur dans son dos. Il tapa le tronc en levant les yeux au ciel et en grognant, tournant son regard du côté du lac, hésitant à s'y baigner entièrement.

Son regard fut attiré par une élève, semblant partager son envie. À la différence qu'elle était en train de... de s'immerger tout habillée !! Mais ! Qu'est-ce qu'elle faisait ! Oh mince, et si elle était tombée dans l'eau !! Le sang de Narcisse ne fit qu'un tour, et empoignant Klee, bondissant de sa branche en atterrissant en roulade sur le sol, laissant tomber sa robe de sorcier au sol, il plongea à la suite de la jeune fille. Soulevant des gerbes d'eau, il empoigna le col de l'inconnue pour ensuite passer son bras sous ses épaules en la tirant hors de l'eau.

Ignorant sa potentielle résistance, il mit en œuvre toute sa force pour la ramener sur la berge, avant de se tourner vers elle en l'attrapant par les épaules, plongeant son regard paniqué et inquiet dans le sien.

- Bon sang ça va ?? Qu'est-ce qui s'est passé ?! Tout va bien ?

Klee était devenue une boule de poils collés à son corps, trempée, choquée. Elle lança un regard furieux à Narcisse, avant de se détourner de lui pour bondir dans l'herbe et se rouler dedans afin de se sécher.

Toujours concentrée sur la délicieuse fraîcheur de l'eau qui enveloppait à présent ses jambes toutes entières, enfin soulagée un peu de cette température harassante, Susan ferma les yeux un instant pour savourer la vague de bien-être qui la submergeait. Elle savait que le Lac abritait plusieurs autochtones qui pouvaient se montrer dangereux, mais pour le moment le seul danger imminent qui lui venait à l'esprit était qu'elle risquait de s'embraser si elle restait encore dans cette canicule.

Poussant un soupir de soulagement, les yeux toujours fermés, elle n'avait pas du tout remarqué que Narcisse, un élève de sa classe, était présent un peu plus loin à lui aussi souffrir de la chaleur. Elle n'avait pas vu non plus lorsqu'il avait sauté de sa branche pour enlever sa robe et venir à sa rescousse. Elle avait seulement entendu un boucan d'enfer lorsqu'il avait commencé à courir dans l'eau pour la rejoindre, éclaboussant tout sur son passage, et c'est à ce moment qu'elle ouvrit les yeux pour se retourner. L'espace de deux ou trois secondes, elle vit son corps s'avancer vers elle comme au ralenti, lui rappelant les scènes que lui contait sa grand-mère lorsqu'elle racontait avec nostalgie une série Moldue qu'elle aimait beaucoup et dont elle avait plusieurs posters. Alerte à Malibu, quelque chose comme ça.

Narcisse, en short et tee-shirt, qui courait avec son boursouflet rose sur l'épaule - que l'on pouvait considérer d'ailleurs comme la bouée de sauvetage de Mich Buchannon, en poussant la comparaison - était un spectacle assez surprenant. Mais la Lionne n'eut pas vraiment le temps de se remettre de cette vision qu'elle se retrouvait complètement ensevelie sous l'eau un court instant, à deux doigts d'avaler de l'eau, surprise. Mais pas le temps de ressortir de l'eau qu'elle sentit le bras de son camarade sous ses épaules qui la tirait vers la sortie, tout en la tenant par le col. Alors qu'elle prenait une large inspiration pour remplir ses poumons, une des gerbes d'eau que soulevait Narcisse lui arriva en pleine tête, lui faisant cette fois littéralement boire la tasse.

Elle se laissa amener sur la berge, étant tout frêle et petite, il ne servait à rien de lutter. Et puis elle était tellement surprise par ce qui venait de se passer qu'elle n'était ni en l'état de se débattre, ni de réfléchir à tout ça. Elle se retrouva avec le visage du Poufsouffle tout proche du sien tandis qu'elle toussait en reprenant l'air qui lui manquait, il la regardait dans les yeux d'un air terriblement inquiet, ce qu'il confirma par ses questions.

Une fois sa respiration calmée, la jeune brune regarda autour d'elle. Le petit boursouflet rose ressemblait à un petit chat mouillé en train de se rouler dans l'herbe pour se sécher. Ses vêtements à elle étaient trempés, et Narcisse également. Les deux enfants avaient les cheveux en bataille, tout emmêlés par la scène de haute voltige qui venait de se dérouler. L'air à la fois ahuri et complètement perdue, Susan mit un moment avant de répondre à Narcisse qui devait se demander si elle avait perdu sa langue.

- Euuuuh... J'voulais juste... M'mouiller les jambes... Trop chaud...

La voix encore un peu saccadée et secouée de quelques quintes de toux, les yeux rougis par l'eau, la Gryffonne observa un moment Narcisse. Le pauvre, il a cru qu'elle se noyait ? Alors qu'elle était debout dans l'eau ? Bon elle aurait pu enlever sa robe aussi, mais le moindre mouvement lui coûtait avec cette chaleur. En repensant à la scène digne d'un Alerte à Malibu sorcier, Susan ne put s’empêcher de sourire. Puis un léger rire passa ses lèvres, pour se transformer petit à petit en fou-rire, la faisant s'écrouler sur le sol, le dos contre l'herbe à présent mouillée d'éclaboussures.

- Oh mais toi... réussit-elle à articuler entre deux éclats.

Elle ne voulait surtout pas le vexer, ce n'était pas un rire moqueur, mais un véritable fou-rire. Celui qu'on arrivait pas à arrêter. Qui donnait mal au ventre et les larmes aux yeux. Elle pensait aux posters de sa grand-mère, avec un monsieur super musclé qui courait sur la plage au ralenti et bandait ses muscles à qui voulait le regarder. Elle voyait le boursouflet avec ses poils tous collés, lisses et qui semblait particulièrement mécontente de cette aventure, ce qui réalimenta ce fou-rire qui lui faisait tellement de bien en cette journée désagréable.

Narcisse reprit sa respiration sans se soucier du fait qu'il était dorénavant trempé. Il n'avait pas non plus réagi à la différence de température entre l'extérieur et l'eau, qui malgré la chaleur, demeurait d'une fraicheur presque douloureuse. Elle mit longtemps à lui répondre, et Narcisse commença à s'inquiéter d'une potentielle blessure, et son anxiété s'accru encore d'un niveau. Alors qu'il s'apprêta à la questionner, elle lui répondit.

Et en un éclair, il passa de l'inquiétude à l'embarras, le haut de ses joues rougissant brutalement sous le coup de l'émotion. En plissant les yeux, on aurait presque pu distinguer la vapeur d'eau qui s'échappait de lui alors que la chaleur de sa gêne pourrait évaporer l'eau qui le touchait. Il avait cru qu'elle avait un problème, et il n'avait pas réfléchi ne serait-ce qu'une seconde. Est-ce que Klee venait de souffler de la truffe ? Ou bien n'était-ce que son imagination ? Cette dernière s'approcha du pied de la Gryffondor pour lui renifler d'un air désintéressé, avant de commencer à la mordiller. Narcisse allait la retirer, mais l'éclat de rire de sa camarade les surprirent tous les deux. Klee bondit en arrière, tandis que Narcisse, faible face au rire, se mit à son tour à rigoler, sans hésiter.

Plus elle riait, plus il riait, au point qu'il termina plié en deux, s'appuyant sur ses genoux, avant de se redresser en essuyant une larme de rire au coin de ses yeux.

- Oouh... Oh purée, j'suis désolé. Sapristi, t'as dû rien comprendre ! Mais j'ai cru que... Enfin, j'ai cru qu't'avais un problème, et j'ai pas réfléchi désolé.

Il secoua sa main gauche pour essayer de retirer un peu d'eau avant de la tendre en direction de la gryffondor.

- Yo ! Moi c'est Narcisse, Narcisse Brando ! Tout bai... Pfrt, tout baigne ?

Il avait simplement voulu demander comment elle allait, mais le mot "baigne" le fit pouffer de rire de manière incontrôlable, et il se mordit les lèvres, les joues gonflées, attendant la potentielle poignée de main.

Entre ses crises de fou-rire, la Lionne ne put qu’apercevoir le moment de gêne de Narcisse, qui finalement se joint à elle volontiers pour partager une belle partie de rigolade. Ils étaient là, deux enfants sur l'herbe brûlante mais à présent humide, au bord du Lac, à se bidonner comme des fous. Tandis que Narcisse expliquait pourquoi il était allée la chercher, Susan essayait d'arrêter de rire, se contentant d'afficher un grand sourire et se mordant un peu la lèvre inférieure. C'est bien ce qu'elle avait compris, il avait cru qu'elle était dans le pétrin. Bon, c'est vrai qu'elle ne devait pas avoir la tête d'une fille qui voulait juste se baigner, toute habillée, avec une tête de trois pieds de long et l'air fatigué qu'elle traînait depuis le matin.

- T'inquiète... Au moins tu m'as bien fait rire !

Elle répondit avec plaisir à sa poignée de main lorsqu'il se présenta. Son bras fût animé d'une légère secousse, la faisant rater une première fois la main tendue, mais elle corrigea rapidement la trajectoire. Il n'avait pas dû la reconnaître. Ils partageaient certains cours de première année, mais il est vrai qu'elle n'avait jamais été dans ses groupes ou assise à sa table. Susan savait qu'elle était très physionomiste, et souvent elle reconnaissait les gens alors qu'elle les avait seulement croisé une fois.

- Moi c'est Susan, Susan Kline !

La jeune fille éclata à nouveau de rire avec son camarade lorsqu'il demanda si tout allait bien à sa façon. La tournure de la phrase était vachement bien trouvée ! Une fois son rire apaisé, elle posa son regard sur le petit boursouflet rose qui était vraiment mignon, même avec ses poils encore mouillés. Souriant un moment, son corps semblait reprendre son fonctionnement normal une fois la stupeur du moment passé, et ses tics revenaient comme avant l'incident. Ses sourcils bougeaient de façon désordonnée, sa tête se tournant brusquement sur la gauche à un rythme presque régulier, et son sourire disparût. La tranquillité avait été de courte durée.

- Désolée... C'est une sale journée.

Lançant un regard dépité à son camarade en lui faisant comprendre avec les yeux qu'elle parlait de ses spasmes, il semblait que toute la joie de vivre qui l'avait secoué quelques instants auparavant avait disparu pour laisser place à une certaine amertume. Un soupir franchit ses lèvres, et elle se mit à jouer avec des brins d'herbes du bout des doigts.

- Au moins... On est bien rafraîchis tous les deux !

Elle adressa à Narcisse un sourire un peu triste, tentant de détourner l'attention sur autre chose que ses violents tics, que même la personne la plus polie ne pouvait manquer de relever. Une grimace s'afficha sur le visage enfantin de Susan, alors que sa main droite frappa le sol à plusieurs reprises, de façon incontrôlée. Aïe, elle avait senti son doigt craquer sous l'impact, son poing étant fermé lors du mouvement. Manquait plus que ça, elle n'allait quand même pas se casser un doigt juste avant les examens non ?!

@Narcisse Brando

Narcisse adorait serrer la main des gens. Il mimait toujours la position que sa mère prenait quand elle le faisait, se tenant droit et la main dans le dos, le visage sérieux. Mais lui, il souriait. Après avoir apprécié la poignée de main, il s'ébouriffa les cheveux en secouant la tête pour en sortir le maximum d'eau. Un petit sort pour sécher les choses, ce serait fort pratique sans le moindre doute. Il hocha ensuite la tête.

- Yo Susan !

Il suivit ensuite le regard de sa nouvelle amie sur Klee, et il se pencha pour la récupérer. Il ne vit pas les premiers tics de la Gryffondor, encore accroupi au sol en train d'essorer doucement sa boursouflette, qui léchouillait agressivement son visage en guise de vengeance. C'est pour cette raison qu'il ne comprit pas pourquoi elle s'excusait. Encore accroupi, il releva la tête vers elle, éloignant Klee de son visage, la laissant s'agiter dans le vide en couinant agressivement, alors qu'il arqua un sourcil de perplexité.

- Euh, oh mais t'inquiète, t'as pas b'soin d't'excuser. J'vois même pas pourquoi tu d'vrais t'excuser haha !

Il ne comprit pas non plus son regard dépité alors qu'il se redressait, tenant toujours Klee dans ses mains. Puis il hocha à nouveau la tête dans un sourire, déposant sa boursouflette sur le sommet de sa tête.

- Oh que oui ! Ça fait du bien purée.

Mais lorsque la main de sa camarade frappa le sol, son expression changea, et il s'accroupit à côté d'elle, le visage inquiet.

- Oy ! Ça va ? Mais qu'est-c'qui t'prends ?

Sans réfléchir plus en avant, il agrippa doucement la main de Susan, son attention pleinement concentrée sur le doigt qu'il venait d'entendre craquer. Ses lèvres formaient une moue pensive. Il manipula tout doucement le doigt avec ses pouces.

- Attends, ma mère m'a appris des trucs pour reconnaître une fracture. Déjà, si j'appuie là, ça t'fait mal ? Beaucoup ? Tu peux plier l'doigt ?

Il espérait que ce n'était rien de grave, mais il se tenait prêt à devoir foncer jusqu'à l'infirmerie malgré sa phobie. Hors de question de laisser un amie dans un tel état. Il retourna la main de Susan en continuant d'observer le doigt.

Son camarade s'était penché sur sa main meurtrie, sa boursouflette sur le sommet de son crâne, ce qui amusa un instant Susan malgré la douleur. Il lui demanda ce qui lui prenait de taper comme ça contre le sol... C'était une bonne question, tiens. Qu'est ce qui prenait à son corps de s'énerver tout seul comme ça et d'avoir ces spasmes ? Aaaah, elle aurait tellement aimé le savoir. Les médicomages aussi, sûrement, ça leur permettrait de découvrir un traitement pour soigner ça. La jeune brune haussa les épaules à sa question, ajoutant d'une petite voix ;

- J'fais pas exprès...

Elle le laissa prendre sa main, son corps se crispant un peu de peur d'avoir mal quand il manipulerait ses doigts. Il appuya sur son index, qui était celui qui avait craqué quelques instants plus tôt, ce qui provoqua une grimace sur le visage enfantin de Susan. Aïe, oui, ça faisait un peu mal. Elle hocha vivement la tête pour répondre à sa question, sans prendre la parole.

En parallèle de l'analyse corporelle de son camarade, ses tics continuaient de la secouer, son visage se déformant régulièrement, et sa main bougeant un peu dans celle de Narcisse. Un gros mouvement incontrôlé lui fit lâcher sa prise, et la petite main blessée atterrit contre le ventre de Susan, qui lâcha un "Aïe" mi agacé, mi douloureux. C'était pas possible, quelqu'un lui avait lancé un mauvais sort ou quoi ? Elle en avait assez de ses membres qui bougeaient tous seuls et qui la faisait ressembler à un pantin désarticulé !

- J'arrive pas trop à plier l'doigt, en vrai... Mais c'est pas cassé non ? Quand même, j'ai pas tapé sur une pierre !

Oh non, elle n'avait pas envie d'aller à l'infirmerie maintenant... Elle se mit à stresser à nouveau. La Lionne avait réussit jusque là à éviter les médicomages et leurs salles d'examens depuis le début de l'année, c'était pas le moment de commencer à quelques semaines des vacances d'été non ! Jusqu'ici, si elle s'était déjà cognée, il n'y avait jamais eu de séquelles graves, tout au plus quelques hématomes ou des membres courbaturés, rien de plus. Elle était d'ailleurs étonnée, en y repensant, que sa mère n'ait pas informé l'infirmier qu'il devait absolument suivre Susan pour vérifier que ça allait. C'était son genre, de vouloir la surprotéger alors qu'elle était loin. Mmmh. A la pensée de devoir aller faire vérifier son doigt, une bouffée de chaleur de stress envahit l'élève, sans compter une bourrasque de vent très chaud qui leur souffla en plein visage.
De nouvelles gouttes de sueur perlèrent sur son front, et elle se renfrogna.

- Tu crois qu'c'est grave ?

Sa tête bringuebalait de gauche à droite en de brusques mouvements, et sa main gauche tapotait sur sa cuisse à un rythme régulier, bien plus doucement que ce que sa droite avait fait précédemment.

Toujours concentré sur la manipulation douce et lente du doigt de Susan, Narcisse répondit sans lever les yeux.

- J'me doute bien qu't'as pas fait exprès t'inquiète, j'suis pas en train d'te disputer.

Il pouffa de rire avant de retourner sa main pour en observer le dos, avant d'y faire glisser son pouce en tirant le bout de la langue sous la concentration. Son attention ne captait aucun des tics dont son amie était en train de souffrir, jusqu'à ce qu'elle lui retire brusquement sa main des siennes. L'expression de Narcisse devint alors plus inquiète, ses sourcils se haussant tandis qu'il l'observait avec plus d'attention. Mais elle n'y réagit pas. Quelqu'un de plus mature et adulte que le petit garçon serait arrivé à la conclusion qu'elle savait déjà de quoi elle souffrait, sinon elle se serait posé des questions, et ce que n'était pas quelque chose de nouveau. Mais en l'occurrence, il ne fit que s'inquiéter pour elle.

- Oh punaise, ça va ? J't'ai fait mal ? Pourquoi t'as retiré ta main d'un coup ?

Il poussa un soupir lorsqu'elle tenta de le rassurer, mais il était persuadé d'avoir vu un léger creux sur son doigt, synonyme de fracture, ou d'au moins une fêlure. Il n'était pas encore très doué pour repérer ça, mais sa mère lui avait appris les contacts et les sensations possibles, qu'il avait à moitié retenu. Ce qui fait qu'il n'avait que des suppositions, mais son inquiétude prit le pas, et il se redressa, avant de poser ses mains sur les hanches.

- Bon, ça a pas l'air joli, moi j'dit qu'y faudrait mieux passer à l'infirmerie ensemble, ok ?

Il ne put s'empêcher de légèrement grimacer en appréhendant cette visite dans cet endroit qu'il détestait. Il croisa les bras sur sa poitrine, penchant sa tête sur le côté, le regard intrigué.

- Mais, tout va bien sinon ? Enfin, tu fais des trucs un peu étranges, t'as froid ? T'as mal ailleurs ?

La jeune fille sourit quand Narcisse lui précisa qu'il n'était pas en train de la disputer. Il avait l'air gentil, et prévenant. Un enfant plein de bonne volonté, même s'il avait voulu la sauver d'un danger inexistant ! C'est l'intention qui compte comme on dit. Mais sa propre main décida de quitter celles du Poufsouffle, ce qui attisa à nouveau son inquiétude. Il l'observait avec attention, les sourcils haussés, et lui posa plusieurs questions à la fois, se demandant réellement ce qui lui arrivait.

A ce moment là, Susan baissa un moment les yeux sur ses genoux, repliant un peu ses jambes. Elle se sentait un peu hésitante, mi gênée mi culpabilisée. Elle arrivait plutôt bien à accepter sa maladie, mais parfois les gens étaient plus durs et moins compréhensifs. Elle releva ses yeux noisettes sur son camarade un instant, semblant peser le court et le contre dans un moment de silence où seule une petite brise brûlante secouant les feuilles des arbres se faisait entendre. La petite Gryffonne ne répondit pas tout de suite aux questionnements de son nouvel ami, et l'écouta continuer à parler.

Le verdict était tombé, il fallait aller à l'infirmerie. Poussant un petit soupir en observant sa main blessée qu'elle n'osait pas bouger, Susan hocha doucement la tête.

- Oui, ça m'fait quand même vachement mal. Mais t'inquiète, t'es pas obligé d'aller avec moi j'sais où c'est.

Elle avait repéré sa grimace quand il avait dit ça. Et son sentiment de malaise en parlant de l'infirmerie. Ça se voyait qu'il était comme elle, qu'il n'aimait pas aller dans ces endroits là. Alors elle n'allait pas lui demander de venir avec elle alors qu'il avait juste eu la malchance de tomber sur elle ! Non, elle était grande et il fallait qu'elle se débrouille toute seule, elle n'avait pas à embêter les autres avec ses problèmes !

- Oh non j'ai pas froid ! On est dans un four ici !!

La petite brune pouffa de rire à cette question alors qu'on était en pleine canicule. Mais elle savait très bien pourquoi il demandait ça, et tentait pour une raison inconnue de gagner du temps. Gagner du temps avant de prononcer la phrase qu'il attendait, celle qui expliquerait pourquoi son petit corps se secouait dans tous les sens. Après tout, même pour les enfants pour qui l'imaginaire est infini, et les normes parfois floues, les mouvements intempestifs qui la prenaient ne semblaient pas naturels.

La Lionne observa un instant Narcisse, qui semblait sincèrement inquiet. Son visage continuait de se spasmer, à intervalle un peu moins rapide d'ailleurs, sous le coup peut être de l'intense discussion intérieure qui se déroulait dans son cerveau. Elle pouvait lui faire confiance, ça se voyait qu'il n'avait pas de mauvaises intentions. Même si elle ne le connaissait pas vraiment, elle avait en quelques sortes un sixième sens pour ressentir les gens. Il avait fallu du temps pour qu'elle refasse confiance à cette capacité à cerner les gens, puisqu'elle s'était déjà trompée en choisissant ses amis, et qu'elle avait passé une année horriblement seule suite à cela.

- J'ai une maladie qui s'appelle un syndrome de la Tourette. Ça fait que j'fais pas exprès de bouger comme ça mes mains et mon visage, et même que des fois les gens qui ont ça ils crient n'importe quoi et c'est encore pire. Moi j'ai juste ça.

La petite fille avait enroulé ses bras autour de ses genoux pliés, regardant ses chaussures, et avait débité ce flot de paroles d'une traite. Comme quand on arrache un pansement et qu'il faut le faire rapidement pour atténuer la douleur. Pour que ce soit aigu et rapide. Elle n'aimait pas verbaliser sa maladie, parce que ça amenait des questions, parce que ça mettait une étiquette sur ses mouvements intempestifs et que parfois, elle préférait juste que les gens ignorent poliment tout ça. C'était plus simple.

Mais aujourd'hui c'était peut être un peu différent. Peut-être parce que l'année touchait à sa fin, et que celle-ci avait prouvé que les élèves l'acceptaient malgré la maladie puisqu'elle n'avait pas eu de difficulté à se faire des amis. Peut-être aussi parce qu'aujourd'hui, c'était une très mauvaise journée pour Susan avec ses tics, et que ça faisait du bien de partager son fardeau avec quelqu'un. Et puis, peut-être aussi qu'elle n'avait pas tant que ça envie d'aller seule à l'infirmerie, ce lieu qu'elle avait tenté d'éviter au maximum jusqu'ici, et qu'elle aurait besoin d'une présence amicale pour la rassurer. Ou flipper ensemble, vu la tête de Narcisse !

Narcisse se pinça les lèvres en secouant énergiquement la tête sur le côté, le visage décidé malgré son regard effrayé. Hors de question d'abandonner une camarade ainsi parce qu'il avait la phobie de l'infirmerie, et puis quoi encore. Il avait toujours affronté cette peur chaque fois qu'il se rendait à l'hôpital pour voir sa mère, il n'allait pas faire d'exception pour autrui. Alors il s'accroupit à côté d'elle avant de poser la main sur son épaule, plongeant son regard charbon dans le sien, les yeux brillants, un sourire encourageant aux lèvres.

- Oy, oy, hors de question ! T'y vas pas toute seule j'viens avec toi !

Il se mit à rire avec elle lorsqu'elle plaisanta sur la température, et oublia presque pourquoi il lui avait posé la question avant que ses drôles de tics ne reviennent. Cela lui fit pencher la tête sur le côté, froncer les sourcils de curiosité, essayant de comprendre ce qui se passait. Il continua de la regarder dans l'attente de sa réponse, s'asseyant sur ses fesses en posant ses mains en arrière pour le soutenir.

Sa tête se pencha à nouveau sur le côté lorsqu'elle déclama enfin le nom de sa maladie. On aurait presque pu voir le point d'interrogation flotter à côté de sa tête et de ses sourcils froncés de confusion. Il croisa les bras, la tête toujours penchée.

- Tour... touraite ? Comme, comme une tour ? Une petite tour ?

Il fit une moue de réflexion en hochant la tête avant de fermer les yeux.

- Mh...

Puis il les rouvrit en souriant, rougissant, avant de se frotter l'arrière de la tête en tirant le bout de la langue.

- Euh, désolé jamais entendu parler haha.

Il ramena ses mains sur ses genoux croisé.

- Mais c'est quoi ? C'est pas trop grave j'espère !