La réponse à ma question paraissait sincère. Évidemment, l’attrait pour la magie, comme la magie d’ailleurs, pouvait fluctuer. Ce n’était jamais constant, mais il m’était encore difficile d’accepter un entre deux. Ma vision n’alternait qu’entre le noir ou le blanc, il n’y avait pas d’équilibre, pas de milieu, pas d’alternative. A la suite de sa réponse, ce n’était pas une autre question sur mon ressenti qu’elle m’offrit, mais une recherche à laquelle j’assistais. Je la regardais, les sourcils froncés d’intérêt, fouiller dans sa poche. Mes pensées ne me laissaient pas patienter et m’assaillaient d’hypothèses : allait-elle sortir sa baguette ? Lancer un sort et me montrer ses talents ? Quel était l’intérêt ? Non, à la place, elle me présenta un petit sachet dont elle en sortit une espèce de boule marron. Lorsqu’elle me la tendit et me demanda si j’en connaissais l’existence, je haussai les épaules.

Intrigué par son petit rire, je saisis légèrement au ralenti ce qu’elle me tendait. En l’observant de plus près, cela ressemblait étrangement à un petit hérisson et je me demandai soudain sur l’intérêt d’un tel échange.

- C’est un bonbon ?, hésitai-je en le passant sous mon nez pour sentir l’odeur qui s’en dégageait, et pour m’assurer qu’il était bien comestible. Sans attendre sa répondre, je croquai une petite bouchée dans ce qui s’avérait clairement être une sucrerie.

Après deux bouchées, sans que je ne comprenne pourquoi, je ressentais dans mon ventre, puis dans ma gorge l’envie soudaine de rire. Un premier rire, puis un deuxième, et voilà que je me tordais presque de douleur sur le sol . Une douleur amusante, une douleur qui me voulait du bien : un fou rire. Je riais à gorge déployée et ne pouvais même pas vérifier si Éli était soudainement prise de la même convulsion. Heureusement, l’effet prit fin après ce qui me parut être deux longues minutes, et je repris mon calme. J’essuyais mes larmes de rire, souriais encore un peu et regardai mon amie en quête de réponse.

- C’est toi ? C’est ce que tu m’as donné qui m’a fait ça ?, demandai-je d’un ton encore essoufflé par l’effort du fou rire.

Il était plutôt méfiant face à ce que je lui tendais, c'était bien normal et je me réjouissais d'avance de voir qu'il ignorait tout de ses bonbons, leurs effets serait d'autant plus efficace.
Je savais bien que ce n'était qu'une façon de détourner le problème pendant quelques minutes. La peine et la colère qu'il avait l'air de ressentir ne passeraient surement pas avec de simple sucreries d'hilarité, mais j'étais bien trop jeune pour encaisser d'une traite toutes les émotions qu'il avait besoin de faire exploser.
Je ne faisais que gagner du temps, peut-être un peu pour chercher une façon de l'aider.

Je ne faisais que l'observer, espérant qu'il ose tout de même croquer dans l'inconnu, et il osa.
Un petit sourire en coin et les yeux rieurs, j'attendais le point de non-retour. Ce moment ne mit pas longtemps à arriver et un soupir de décharge me parcourut, le voir rire me soulagea instantanément. Un soulagement de façade bien sûr, mais je ne l'avais jamais connu si froid et fébrile, et face à cette version de lui je me sentais un peu perdue.

Le fou rire qui le tenait, presque insolent face à la lourdeur de la conversation, avait l'air de lui faire tout de même du bien, et sur l'instant, j'apaisais ma conscience d'avoir agi ainsi. Je n'étais qu'une enfant cherchant la facilité dans une réflexion d'adulte. Son rire communicatif me prenait également, faisant voler mes appréhensions, dans un éclat franc et libérateur.

Les minutes ou l'effet du bonbon l'avaient maintenu dans cette bulle protectrice, rien ne pouvait l'atteindre, mais l'efficacité s'estompa bien vite. Les larmes qu'il essuya n'avaient rien de mélancolique, son regard croisant le mien, était lui, rempli d'interrogations comme je m'y attendais, mais il n'avait pas l'air énervé de ma ruse, c'était déjà ça. Il n'attendit pas, et sans prendre vraiment le temps de se remettre, il m'interrogea sur ce qui venait de lui arriver.

- Désolé. j'avais mon petit air effronté qui lui signalé bien que mes excuses n'étaient que pour la forme. oui c'est des bonbons aux épines de noueux. Quand je suis un peu triste ça m'aide, et j'ai pas aimé te voir comme ça alors... Tu m'en veux ? je ...ne savais pas quoi faire d'autre, j'suis pas douée pour réconforter les gens. D'habitude, je me contente de les serrer fort dans mes bras mais bon ... avec mes amies et ma sœur c'est... plus facile. mes phrases étaient un peu décousues et maladroites, mais c'est tout ce que je pouvais lui offrir.

Je scrutais de nouveau le lac, laissant Lukas réagir comme il le voulait. Je n'avais pas envie de le forcer à me parler, mais j'avais l'espoir qu'il le fasse.

@Lukas Sharp

Ses excuses me firent aussitôt comprendre que tout cela avait bien été intentionnel. En écoutant la suite de ses explications, sa confession me toucha et fit disparaître les dernières onces de colère qu'il me restait. J'aurais jugé maladroite cette tentative si elle n'était pas venue d'elle, mais me remémorant nos premières discussions, je pouvais prendre cela comme une réelle aide, une réelle amitié. Je lui souris lorsqu'elle me demanda si je lui en voulais.

- Non. J'étais juste pas habitué, mais non je ne t'en veux pas, répondis-je en me plaçant devant elle. J'avais envie d'oublier cette colère, oublier Narcisse pour un moment et tenter de ne pas teinter mon esprit de la même couleur que le lac. Ca te dit qu'on rentre ?

Rester dehors avait été mon envie première en sortant du cours, mais maintenant que l'air commençait à se rafraichir, et que la colère n'était plus là pour me réchauffer, il me fallait rentrer au château pour tourner la page. Cet événement appartenait maintenant au lac, et je n'avais plus besoin d'y rester.

En chemin, je lâchai un petit rire en sa direction et annonçai un dernier point avant de clore le sujet.

- Par contre, si on pouvait ne plus réitérer l'expérience, ça m'arrangerait, fis-je amusé, montrant que cet épisode était déjà derrière moi. Et merci, Eli.

Finito