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08 déc. 2021, 18:55
Miya Bogale Araya  Solo 
PREMIÈRE LETTRE ENVOYÉE PAR AELLE


7 décembre 2046
Couloirs — Poudlard
6ème année



Frustrée, j’arrache le morceau de parchemin sur lequel je viens de gribouiller et le froisse avant de le balancer par terre. Je plonge la tête dans mes mains, en colère contre moi-même.

Le couvre-feu a pris fin il y a moins d’une heure. Depuis, je suis assise dans ce couloir glacial parce que c’est le seul endroit du château où je peux espérer avoir un moment de totale intimidé. Un samedi matin à sept heures dans un couloir isolé alors que l’hiver frappe à nos portes, de quoi favoriser ma concentration, n’est-ce pas ?

Je ne devrais même pas avoir besoin de me concentrer et pourtant. Je suis censée rédiger une lettre, une seule, une toute petite lettre et je n’ai aucune idée de ce que je peux bien écrire. C’est que je n’ai pas l’habitude, moi, de me présenter à une personne totalement inconnue qui habite à l’autre bout du monde. Et que pourrais-je dire, hein ? Lui raconter ma petite vie, lui parler de mes quatre frères, lui dire que je suis à Poufsouffle, que j'aime la magie, que je vis la magie, que je respire la magie ; que je passe mes journées à étudier, lui parler de mes recherches, de mes intérêts, de ce que je fais de mes journées ? Bordel, mais tout le monde s’en tape, moi la première ! Et je me fiche d’ailleurs de ce que fait Miya Bogale Araya de son coté. Je me fiche de son caractère, de ses passions, de ses centres d’intérêt, de sa famille, de ses amis. Je m’en fiche. Moi, j’ai envie de discuter avec elle de la magie, j’ai envie qu’elle me parle de ce qu’elle apprend. Je veux m’infiltrer dans sa tête pour comprendre comment elle pense, pour voir la magie avec ses yeux, pour saisir la différence entre elle et moi ; parce qu’il y en a une, c’est évident. Sa façon de voir magie et la mienne sont totalement différentes, je veux savoir en quoi exactement. Le reste n'importe que peu.

Je redresse la tête et pose un regard circonspect sur le parchemin qui me sert de brouillon. Ma plume danse entre mes doigts, suivant le rythme lent de mes pensées agacées. Ma jambe tremblote légèrement. Tap, tap, tap. Le bruit que fait le bout de ma bottine à chaque fois qu’il rencontre le sol me berce.

« Miya Bogale Araya…, » murmuré-je comme si cela pouvait m’aider à savoir que lui dire.

Après tout, ai-je réellement besoin de me présenter ? Elle connaît mon identité. Aelle Bristyle, Poudlard. Elle pense toujours que j’ai seize ans puisqu’elle ne connaît pas la date de mon anniversaire. Peut-être que la seule chose qu’elle a besoin de connaître, c’est mon intérêt pour ce qu’elle a dans sa tête et pour son niveau magique, pour ses connaissances ? Peut-être puis-je faire cela, diriger la conversation sur elle pour ne pas avoir à parler de moi et ainsi éviter de perdre mon temps. La prise de mes doigts sur la plume s’affirme. Finalement, ce n’est pas une mauvaise chose que je rédige la première lettre.

J’approche ma plume du parchemin. Par quoi commencer ? Salut est trop familier, nous n’avons pas élevé les hippogriffes ensemble. Bonjour ? Et si elle lit mon courrier quand il fera nuit, hein, que se dira-elle ? Sa première pensée sera : « Ici, il ne fait pas jour » et j’aurais l’air complètement abrutie. Je dois aller au plus concis. Au plus précis. Au plus évident. Je mâchouille ma lèvre, indécise, puis…

« Et merde, » lâché-je en griffonnant sur mon parchemin.

Bonjour,

De toute façon, si elle me juge parce que ne suis pas capable de deviner s’il fera jour ou nuit chez elle quand elle me lira, cela signifiera qu’elle n’est pas digne de moi. Alors autant ne pas me prendre la tête avec des futilités.

Je suis heureuse de correspondre avec une étudiante d’Uagadou. Dans quelle cohorte as-tu été envoyé à ton arrivée à l’école et es-tu familière avec un autre élément que celui pour lequel tu as des prédispositions naturelles ?

Bordel, les premiers balbutiements d'une relation sont les plus ennuyants. Ce que je peux détester ça.

Je veux que nous ayons l’occasion, toi et moi, de partager nos connaissances à propos de la magie et des enseignements de nos écoles. Si tu le désires, je pourrais te partager mes notes à propos d’une branche de la magie que tu ne connais pas si tu fais la même chose en retour.

Clair, net et concis. En quelques mots, j’annonce le but précis que revêt cet échange pour moi. Je mordillle ma lèvre, mon pied tapotant toujours le sol, ma plume en suspension au-dessus du parchemin. Qu’ajouter ? Qu’est-ce qui m’intéresse chez elle ? Son niveau magique, les matières qui la passionnent le plus, son rapport à la magie. Surtout ce dernier point, à vrai dire.

Que représente la magie pour toi ?

Ne pas être trop vague ou elle répondra à côté.

Te considères-tu comme une sorcière douée ? Selon toi, qu’est-ce qui importe : la puissance ou la maîtrise ? Dans quelle branche de la magie te débrouilles-tu le mieux et pourquoi ?

Devrais-je lui demander ce qu'elle attend de moi ? Il est important pour moi de comprendre pourquoi cette personne s’est montrée intéressée par mon école. Qu’est-ce qui l’attire ? Je serais déçue d’apprendre qu’il ne s’agit que de la culture. J’aimerais que ma correspondante soit aussi passionnée que moi par ce qui fait de nous des sorcières. J’aimerais qu’elle soit du genre à tout sacrifier pour comprendre quelque chose, pour acquérir de nouvelles connaissances. J’aimerais qu’elle partage mon amour du savoir. Quelque part, j’ai conscience d’en attendre beaucoup trop. Comme tous les Autres, cette fille sera décevante. Peut-être devrais-je l’accepter dès aujourd’hui, ainsi la chute sera moins douloureuse.

Je baisse ma plume et abandonne mon parchemin le temps d’un instant, plongée dans mes pensées, mes questionnements, mes attentes et mes espoirs. Je me surprends à rêvasser, le regard perdu sur la pierre du château. Derrière mes paupières se dessinent les paysages que j’ai passé des heures à imaginer grâce aux nombreux récits que m’a fait Zikomo de l’école africaine. J’ai envie qu’une élève de là-bas me parle de cette école pour pouvoir comparer son point de vue à celui de Zikomo, de Nyakane et d’Erza.

Cela me motive à poser une dernière question, juste après avoir signé de mon nom la missive.

Je me retiens de poser une question à propos d’Erza. Peu importe qui est cette Miya avec laquelle je vais correspondre, elle n’a pas à connaître ma relation avec sa directrice. Tout comme je trouverais tout à fait déconvenue qu’elle me pose une question sur ma directrice. Même si entre nous, il n’y a aucune raison pour qu’une élève étrangère se montre curieuse à propos de Loewy.

Soulagée d’être parvenue à la fin de ma lettre, je relie entièrement cette dernière, corrige quelques fautes, change une ou deux tournures de phrase avant de la réécrire au propre. Hors de question de la relire plus tard ou de me poser trop de questions. Si je réfléchis, je vais brûler ce parchemin et je devrais tout recommencer du début. Non, je vais aller maintenant dans le bureau de Montmort et lui abandonner ma lettre, voilà ce que je vais faire.

Ne pas réfléchir, agir. Même si ce n’est pas tellement dans mes habitudes. Mais cette situation n’est pas une situation habituelle pour moi. En temps normal, je prends chez les autres tout ce que j’ai besoin de savoir sans avoir à passer par la parole ou l’échange. Il est aisé d’observer le niveau magique de mes camarades quand je les côtoie au quotidien depuis des années. Facile de comprendre que peu d’entre eux portent un intérêt poussé à la magie, il n’y qu’à voir le peu d'ardeur qu’ils mettent dans l’apprentissage des sortilèges ou dans leur concentration durant les cours. Mais réussir à décrypter une personne qui n’est pas physiquement proche de moi, une personne avec qui je dois converser grâce aux mots… Dans une discussion qui sera entrecoupée de plusieurs semaines d’attente et de silence… C’est une première pour moi et je ne suis pas bien certaine d’apprécier cela. Ce n’est guère important. La question n’est pas de savoir si je suis à l’aise avec cette façon de faire ou non, c’est de faire, voilà tout. Converser avec cette étudiante, apprendre d’elle, lui enseigner des choses en retour histoire de pouvoir l’année prochaine traverser mers et terres pour me rendre en Afrique, visiter enfin Uagadou, rencontrer les cohortes des quatre éléments, revoir Erza, peut-être même Zuhri… Passer une semaine entière dans les couloirs d’une autre école, à côtoyer des sorciers totalement différents de ceux que je connais depuis toujours. Saisir la magie d’une nouvelle façon. Voilà tout ce qui m’importe et pour cela, je suis prête à supporter le malaise dans lequel me plonge la rédaction de ces missives.

En quittant le couloir plus d’une heure trente après m’y être installée, je me sens à la fois beaucoup plus légère et beaucoup plus excitée. J’ai hâte d’avoir une réponse, de pouvoir me faire un avis sur ma correspondante. D’avoir des nouvelles d’Uagadou. Peut-être même d’apprendre quelque chose grâce aux quelques mots qu’elle m’aura offert. Je me sens motivée et pleine d’entrain ! Voilà pourquoi, une fois mon courrier délivré, au lieu de me rendre dans la Grande Salle pour prendre mon petit-déjeuner je prends la direction des dortoirs dans l’intention de récupérer mes affaires : je vais m’installer à la bibliothèque et potasser mon devoir de Sortilège — que j’ai décidé, par moi-même, d’approfondir plus que nécessaire pour faire un rapport complet sur le sortilège Aguamenti, ses dérives et ses possibles évolutions au lieu de me contenter de répondre à la simple question posée par ma professeure.


01 mars 2022, 18:27
Miya Bogale Araya  Solo 
DEUXIÈME LETTRE ENVOYÉE PAR AELLE


15 février 2047
Bibliothèque — Poudlard
6ème année



Ma toute première réaction en lisant la réponse d’Araya ? Un froncement de sourcils suivi d’un gloussement étonné. J’étais dans mon dortoir, j’avais séché l’heure du déjeuner pour être au calme et enfin découvrir la lettre soigneusement rangée dans mes affaires depuis le matin, après que Montmort me l’ait confié. Le froncement de sourcil était bien évidemment dû à l’intérêt de la fille pour la Divination. Découvrir cela m’a quelque peu déçue, le temps d’une demi-seconde. Je me suis dit : « N’y a-t-il pas plus intéressant que la Divination, qui est une magie si aléatoire, plus dans la contemplation que dans l’action ? ». Évidemment que si, il y a plus intéressant. Mais une fois cette demi-seconde passée j’ai accepté le fait que cette personne ait ce genre d’intérêt et j’ai sorti mes vieilles notes afin de lui parler comme il se doit de cette matière qui, même si elle ne me passionne pas, me voit tout aussi concentrée que les autres que je suis à Poudlard.


Après le froncement de sourcil, le ricanement. Plusieurs phrases m’en ont arraché, il faut dire. Le « je veux que tu me dises tout sur la Divination » ; le ton de cette phrase m’aurait fait hurler si seulement je n’avais pas emprunté le même dans ma lettre — c’est une preuve de motivation et non pas d’irrespect, dans ce cas précis. Et le dernier paragraphe m’a surprise également. Quel toupet ! Quel courage ! Ou quelle bêtise ? Je n’ai pas encore décidé. Mais qu’elle relève le côté impersonnel de mon courrier, ma confiance en moi... Et cette petite phrase, « mais cet échange n’est pas juste une transaction », m’a beaucoup amusé. Et à ma deuxième et troisième relecture, j’en étais encore à me dire : mais quel toupet !

Après lecture des quelques mots rédigés par Miya Bogale Araya se sont esquissés dans mon esprit ses contours. Flous, incertains mais bien présents. Une fille très intéressée, cela va sans dire, et qui tend à être intéressante — mais je préfère attendre un peu pour être certaine de cela, autant éviter la déception. Araya dit ce qu’elle pense et ce qui lui passe par l’esprit, elle n’hésite pas à demander, voire même exiger, et sa vision de la magie m’a tout l’air de ressembler à la mienne. Le fait qu’elle soit liée à l’air est une bonne chose. J’ai eu un avant goût de la terre grâce à Nyakane, j’ai rencontré un mage de l’eau en Zuhri M'ba ; ne manquera plus que le feu. Sans doute aurais-je l'occasion d'en rencontrer lorsque j'irai à Uagadou. J’ai tellement de questions qui me viennent en tête ! Et qu’a-t-elle dit, déjà ? Oui : la magie est telle que je le désire et telle que j’ai besoin qu’elle soit. Toute autre réponse m’aurait déçue. Celle-ci est parfaite.

Aujourd’hui, quelques jours seulement après avoir reçu cette lettre, je m’installe tout au fond de la bibliothèque, à une table qui ne peut qu’être vide à cette heure très matinale. Munie de plusieurs parchemins qui me serviront de brouillon, de plumes neuves, du brouillon de la première lettre que j’ai envoyé et de celle que je viens de recevoir, je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir écrire.

Je suis plus sereine aujourd’hui que la fois dernière. Je n’ai toujours aucune envie de parler de ma vie personnelle, toujours aucune idée de comment créer des liens, mais cela ne m’importe que peu. Je sais ce que je veux et je pense qu’Araya sait également ce qu’elle veut de son côté. Si le hasard fait que nous nous entendons bien, cela serait parfait, nos échanges n’en seront que plus riches. Sans devenir amies, nous pourrions être des partenaires de savoir et de connaissance. C’est tout ce dont j’ai besoin. Je ne cherche pas des amis, je n’en ai déjà pas besoin à Poudlard, pourquoi en aurais-je besoin ailleurs ?

À vrai dire, cet échange est bel et bien une transaction pour moi. Araya a des savoirs qui m’intéresse, j’en ai qui l’intéressent également. Nous sommes en contact, autant en profiter. De toute façon, je ne saurais même pas comment agir autrement.

Je trempe le bout de ma plume dans l’encre noire et me penche sur mon parchemin, tout en gardant un œil sur les mots de la jeune fille. La fin de son courrier est la première chose à laquelle j’ai besoin de répondre. Autant clarifier les choses dès le début.
Il serait difficile d’avancer dans ce monde sans être sûre de soi. Je sais ce que je veux et où je veux aller. Je pense que toi aussi. Nos écoles nous offrent l’occasion d’apprendre l’une de l’autre, c’est ce qui m’intéresse. C’est cela qui nous permettra de nouer une relation. Je ne vois pas d’autres façons de le faire. Est-ce un problème pour toi ?
Si ma façon d’être et de faire ne lui plait pas, elle ne me répondra pas. Je n’ai aucune envie de me battre pour une personne que je ne connais pas. Par contre, je comprends que cette occasion est unique pour moi. Pouvoir échanger avec une élève d’une autre école, c’est une chance incroyable. Je n’ai évidemment pas envie qu’Araya mette fin à nos échanges. Mais je ne veux pas et ne vais pas me transformer pour cela. Je resterai moi-même quoi qu’il arrive. Je ne sais pas être autre chose que moi-même. Sans doute cela déplaît-il aux gens. La plupart d’entre eux apprécient les hypocrites, parce qu’ils se font un plaisir d’ignorer qu’ils le sont, justement, et préfèrent croire que les autres sont juste aimables et agréables. C’est plus facile d’ignorer l’hypocrisie que de la combattre. Moi, je n’apprécie pas perdre mon temps avec les Autres alors je n’ai aucune raison d’être hypocrite. Quelque chose me dit que cette Araya n’aime pas plus les hypocrites que moi. Enfin, j’en aurais très rapidement la certitude. Ou pas.
J’ai un intérêt tout particulier pour ton école et la magie qu’on y enseigne, pour ses élèves et ses habitants. C’est une chance pour moi de pouvoir te parler et je veux en profiter pour apprendre. Tout comme je t’enseignerai tout ce que tu souhaites. À Poudlard, la Divination est une matière souvent dédaignée. À tort : toutes les branches de la magie sont intéressantes, même si j’excelle plutôt dans tout ce qui demande une baguette. Sortilèges, Défense contre les Forces du Mal, Métamorphose… Mais j’ai un bon niveau dans toutes les matières, je saurais t’aider sans difficulté.

Il me semble que le chamanisme est très liée à la terre et à la nature. La Divination ne l’est pas mais elle fait appel, comme le chamanisme je crois, à une perception de la vie et de la réalité particulière. Il est difficile d’appréhender entièrement cette branche de la magie si nous n’avons pas de don particulier. Je t’en dis davantage dans les notes que j’ai recopié pour toi. Elles viennent de mes cours mais aussi de mes recherches personnelles. Dis-moi ce qui te plait exactement dans la Divination, c’est si large. Est-ce qu’une pratique précise t’intéresse ou souhaites-tu seulement faire connaissance avec cette matière ?
Ces mots ne sont que des balbutiements que je rature, que je supprime et que je réarrange en suivant le cour de mes pensées. Je suis frustrée du format minimaliste des courriers en général. Cela m’a toujours dérangé de devoir faire attention à la longueur de mes lettres. J’ai appris toute jeune que recevoir un courrier de cinquante centimètres de long ne plaisait à personne, c’est mon père lui-même qui me l’a dit, mais je ne comprends pas pourquoi. J’aimerais qu'Araya m’envoie des parchemins long comme une jambe dans lesquels elle me parlerait de la magie. Et moi, j’aurais pu continuer pendant des heures et des heures, pendant des dizaines de centimètres encore, mais j’ai conscience de devoir être directe.

Après avoir parlé d’elle, il semble que ce soit à mon tour. Parler de moi me déplaisant toujours autant, je me laisse aller contre le dossier de la chaise et perds mon regard sur les hautes étagères qui m’entourent. Je réfléchis à ce que je vais bien pouvoir dire. Je réfléchis sans réfléchir, à vrai dire. Peut-être devrais-je tout simplement me contenter de répondre à ses questions. J’en dis de toute manière déjà beaucoup sur moi — si elle sait lire entre les lignes, elle ne pourra qu’être d’accord avec moi. Et si elle ne sait pas, c’est son problème.
L’élément qui me correspond le plus est la terre. J’ai eu l’occasion, il y a longtemps, de rencontrer une mage de la terre qui m’a montré quelques tours.
La phrase s’est échappée elle-même de ma plume. Un sursaut au cœur, je vais pour la barrer mais me retient au dernier moment, le souffle un peu court, les dents plantées dans ma lèvre. Je me suis promis de ne pas parler d’Erza, tout simplement parce que je souhaite protéger les secrets qui nous lient ; aussi parce que l’amitié qu’il y a entre nous ne concerne personne, absolument personne, et que je ne veux pas que qui que ce soit fourre son nez là-dedans, surtout pas une personne qui est aussi proche de la femme physiquement. Mais Araya n’a pas à connaître l’identité de ma fameuse professeure.
Mon rapport à la terre est évidemment différent de celui que vos mages entretiennent avec elle, notre magie est très différente. Voilà pourquoi j’aimerais en apprendre davantage sur cette magie, sur ce qu’elle permet, sur ce qu’elle fait ressentir. Tu n’es pas une mage de la terre mais ton rapport avec ton propre élément, l’air, m’intéresse. Je sais que vos tatouages te permet de contrôler ta magie mais comment ça fonctionne exactement ?

Enfin, je pense que la puissance est une question d’apprentissage mais aussi de prédisposition. C’est inutile de vouloir être puissant sans maîtrise, ça reviendrait à se détruire soi-même. Si on ne peut pas maîtriser sa puissance, autant ne pas l’être. La maîtrise amène la puissance. Chaque jours qui passe j’apprends à maîtriser ma magie. Je ne cherche pas à être puissante, juste à maîtriser, mais c’est en maîtrisant que je peux l’être.
Ce mot me fait frissonner. La maîtrise. Il me rappelle bien trop Loewy et moi, songer à Loewy, ça me fait toujours bizarre. Si je pense à elle, je pense à nos précédentes rencontres, je pense à la douleur, à la peur. La plupart du temps, je préfère songer à elle sans vraiment le faire, je la laisse dans un coin de mon esprit et me contente de la regarder au loin. Exactement ce que je fais dans la réalité, d'ailleurs. J'observe et parfois, parfois seulement, je m'approche.

En déposant le point final de ma lettre, j’hésite à rajouter un post-scriptum, comme la dernière fois. J’aimerais pointer du doigt le fait que la fille n’a pas répondu à la question que je lui ai posé. Quelle frustration ! J’aimerais réellement quelle me parle de son école, de ses endroits préférés. Sont-ils les mêmes que ceux de Zikomo ou de Nyakane ? J’en viens à la conclusion qu’elle n'a aucune envie de me parler de ce genre de choses. Fort bien, nous nous contenterons de parler savoir et connaissance. Cela me convient aussi. Je ravale donc ma frustration. Et roule mon parchemin. J'y reviendrai plus tard. J'ai besoin de laisser passer un peu de temps avant de réécrire ce courrier au propre et de l'amener à Montmort. Et puis il faut que je rédige ces notes dont je parle à Araya. Je sais plus ou moins ce que je vais écrire, ce que je vais lui partager. Je ne fais pas ça gratuitement, j'en ai conscience ; moins encore par plaisir de l'aider. J'ai l'espoir qu'en retour, elle fasse de même : qu'elle m'apprenne quelque chose, en clair. En attendant, passer du temps pour mettre au propre mes notes me fait du bien et me permet de réviser des choses que je connais pourtant par coeur. Une tâche aisée pour me vider la tête.

Quand cela sera fait et quand ma lettre sera parfaitement recopiée au propre, je pourrais aller trouve la sous-directrice pour qu'elle envoie tout cela à l'autre bout du monde.


29 août 2022, 17:58
Miya Bogale Araya  Solo 
CINQUIÈME LETTRE ENVOYÉE PAR AELLE


31 juillet 2047
Domaine Bristyle, Worcestershire — Angleterre
Vacances d'été entre la 6ème et 7ème année



Cela fait quelques heures que la lumière du soleil crève les nuages qui recouvrent le ciel et inonde ma mon lit. J'ai encore oublié de fermer le rideau. Malgré mon état d'éveil, je n'ai eu ni l'envie ni le courage de me lever, que ce soit pour commencer ma journée ou assombrir la chambre. Les heures matinales passent lentement au fil de ma lecture, jusqu'au moment où Zikomo, jusqu'alors allongé près de moi, rejoint d'un bon la table de chevet pour pointer le museau vers la fenêtre entrouverte. Je me redresse laborieusement sur les coudes et le voit échanger un regard (et peut-être quelques paroles ?) avec un joli lézard. La surprise me réveille tout à fait lorsque je reconnais un Messager des rêves ; Erza m'a-t-elle écrit, enfin ? Mon cœur s'affole dans tous les sens tandis que je me bats pour me libérer de mes draps.

« C'est Erza, est-ce qu'elle a... »

J'aperçois le cordon de cuir désormais familier qui entoure le courrier déposé par le lézard : mon espoir retombe brutalement. Je m'assoie au bord du lit pour ravaler ma déception et la rancœur que j'éprouve pour l'africaine — rancœur qui n'est nourrit, je le sais, que par celle que je ressens encore et toujours pour une autre femme qui ne m'écrit pas non plus. Je croise le regard désolé de Zikomo. Lui aussi aurait aimé avoir de ses nouvelles, je le sais.

Le Messager des rêves inconnu disparaît.

« Tu le connaissais ? » soufflé-je au Mngwi d'une voix lasse une fois que celui-ci m'a rejoint, le courrier coincé entre les crocs.

Il me lance un regard accablé.

« Tu crois que je connais tous les Messagers des rêves d'Uagadou ? »

Et bien, il semblerait que non.
Je hausse les épaules et fais la moue en attrapant le courrier d'Araya, puisqu'il s'agit d'elle. Si je suis curieuse de découvrir ses mots, j'éprouve également une certaine réticence. Je ne pensais pas qu'il me serait aussi difficile de converser avec une inconnue sur un format aussi peu pratique que les lettres. Je ne peux jamais poser autant de questions que je le voudrais et l'épistolaire laisse trop de place à l'incompréhension... Comme me le prouvent les mots qui apparaissent devant mes yeux.

Face à la grimace que je tire, Zikomo agite les oreilles, curieux comme pas deux.

« Je crois qu'elle s'est vexée, lui expliqué-je sur un ton hésitant.
Elle aurait eu une raison de le faire ? » demande-t-il en se penchant sur mes genoux afin de prendre à son tour connaissance du courrier.

Je pousse un long et profond soupir. Non, évidemment qu'elle n'a aucune raison de se vexer. Mais les autres prennent toujours tout mal, c'est insupportable ! C'est l'une des raisons pour lesquelles je déteste leur parler, d'ailleurs. Il faut toujours faire attention à tout, c'est agaçant, je déteste ça. Qu'ai-je encore dit pour qu'Araya réagisse de cette façon ? Pour dire de moi que je suis "impertinente" ?

« Qu'avais-tu écris dans ta précédente lettre ?
Attends, » dis-je à Zikomo en rejoignant mon bureau.

Je fouille dans le barda que j'ai transvasé de ma valise après l'avoir vidé en revenant. Parmi tous ces parchemins soigneusement organisés par mes soins se trouve le brouillon des lettres que j'ai écrite à ma correspondante. Mes gestes sont précipités et mes sourcils froncés mais je ne me sens pas en colère, seulement désespérée. Et peut-être bien amusée : je dois avouer que le ton de l'africaine me plait, elle a du répondant même si elle est beaucoup trop susceptible.

« Ah, voilà ! »

Je dépose le parchemin raturé sur le lit et le relis en même temps que Zikomo.

« Je n'ai fait qu'énoncer une vérité, soutiens-je en me redressant. Le chamanisme confère à celui qui sait en maîtriser les codes des savoirs-faire qui sont pas les siens et seront jamais les siens, c'est tout. »

Mon compagnon bleu garde le silence malgré mon regard inquisiteur. Il finit par se redresser également, les oreilles très droites et les babines légèrement pendantes, comme s'il faisait la moue, lui aussi.

« Aelle, tu ne t'es pas montrée très compréhensive et respectueuse dans ta lettre...
Pardon ? m'écrié-je. J'ai rien dit de dérangeant, pourquoi on peut pas parler aux gens sans qu'ils se froissent ?
J'aurais réagit de la même façon à sa place. Et si elle était froissée, elle aurait mis fin à votre échange. Je te dirais bien de t'excuser mais je te connais suffisamment pour savoir...
... que je ne le ferai pas, rétorqué-je en me jetant sur le lit. Je ne l'ai pas insultée, non plus.
C'était pas loin d'être une insulte, » marmonne Zikomo en secouant le museau.

Je l'ignore pour me concentrer sur la lettre que je relis plusieurs fois avant de faire magiquement venir à moi un pot d'encre et une plume.
Loin de moi l'idée d'appeler imposteur une personne que je ne connais pas. Je n'ai fait qu'émettre une vérité, tout en ayant conscience du talent qui doit être le tien pour être capable de faire ce que tu dis pouvoir faire.
Je fronce le nez, agacée de devoir utiliser un centimètre de mon précieux parchemin pour écrire de telles fadaises alors qu'il y a plus important dans la vie : la connaissance, le savoir, la magie, bordel ! La Magie ! Je devrais lui demander de me décrire les rituels chamaniques, de me parler de la relation qu'elle entretient avec Eqqo, l'esprit avec lequel elle a conclut un contrat ; nous pourrions parler d'Uagadou, croiser les souvenirs de Zikomo avec les siens, et je lui raconterais même des choses sur Poudlard. Parler de l'expérience, la vraie, pas s'encombrer de ces foutues codes sociaux qui ne m'intéressent pas le moins du monde.

Perturbée mais désireuse de venir à bout de cette lettre pour que l'africaine puisse en prendre connaissance, je gribouille encore quelques mots, un rictus au coin des lèvres. Les mots filent tout seuls tant je suis convaincue par ce que je dis. Si je viens à rencontrer cette jeune femme... Je me demande comme elle serait face à moi, s'il nous sera aussi difficile d'aligner deux mots sans nous vexer (sans qu'elle se vexe, surtout). Est-elle dure, comme moi, ou plutôt du genre sensible qui laisse sa concentration se faire éparpiller par ses émotions ? J'ai l'espoir qu'elle soit comme moi, un espoir bancal basé sur nos quelques lettres échangées : elle n'a pas évoqué une seule fois l'un de ses proches ni même parlé de sa vie quotidienne. Je pourrais aisément en conclure qu'elle est ce que je veux qu'elle soit si je n'étais pas aussi méfiante.

Arrivée à la fin de ma lettre, et de la sienne, ma bouche se tord désagréablement. Elle évoque Erza, toujours aux mains des Ramdani. J'ai beau avoir confiance en la femme et ses capacités à vaincre ses ennemis, je reste inquiète pour son avenir. Être directrice, c'est être au premières loges, elle est plus en danger qui quiconque et j'espère sincèrement qu'elle quittera bientôt le champ de bataille. Quant à nos directrices qu'elle évoque... Les deux nous ont peut-être sauvé la vie mais ma reconnaissance serait moins souillée de rancoeur si l'une d'elle n'avait pas si lâchement quitté le navire.

Par lettre !
J'ai du mal à m'en remettre. Elle n'a même pas osé avoir une conversation avec moi, comme si les mots suffisaient... N'est-ce pas elle la première qui soutient que les actes comptent plus que les mots ? Cette femme se fout de ma gueule depuis trois ans !

Je desserre lentement le poing que j'ai crispé sous le coup de la colère. Comme à chaque fois que je pense à elle, mon souffle se bloque et ma colère enfle. Bordel, comme j'aimerais lui crier ma rage au visage !

« Tu as fini ? Puis-je lire ? »

Zikomo me ramène au temps présent. Je lui indique d'attendre quelques secondes. Je reprends ma rédaction amère, les sourcils froncés par les mauvais souvenirs.
Notre directrice m'a
Non ! Mon cœur remue douloureusement. Quelle connerie d'écrire cela !
m'a nous a abandonné


La pointe de la plume s'éloigne du parchemin, mon regard vogue dans ma chambre et s'arrête sur les tentacules de Calmar le calmar qui repose sur le couvercle de mon coffre. La directrice a fait beaucoup de chose mais elle n'a pas abandonné le château, elle n'a pas abandonné toutes ces personnes qu'elle n'a jamais sincèrement voulu soutenir — elle n'a fait que quitter une cage qui l'étouffait pour aller vivre la vie qu'elle voulait... En m'abandonnant moi au passage, certes. Rageusement, parce que la tristesse désormais si familière m'envahit, je rature les mots que j'ai écrits.
m'a nous a abandonné
Je n'ai plus la moindre envie de défendre les faits et gestes de cette femme, de lui trouver des excuses. Ce qu'elle n'a fait n'est pas excusable et c'est la seule chose à retenir.

Après lecture de Zikomo et recommandations de sa part (« Tu devrais peut-être réfléchir avant d'envoyer cette lettre, non ? Ne veux-tu pas tempérer tes propos ? Tu es dure. Tu n'as même pas dit bonjour »), je plie le parchemin. Je décide finalement de la laisser de côté pour relecture puisque de toute façon je n'ai pas de hibou disponible pour le moment.

Ce n'est qu'au moment d'écrire sur l'enveloppe, qui contient le courrier que je destine à Araya, le nom de celle qui détient désormais le poste que j'associe encore à une autre femme que je prends conscience que se trouvera à la rentrée une personne bien présente et bien réelle dans la tour directoriale, une personne qui ne me présentera pas une porte résolument fermée, elle.

Effrayée par mes pensées et le chemin qu'elles veulent me faire prendre, je laisse derrière moi ces sujets fâcheux et descends dans la salle à manger pour enfin commencer ma journée.