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22 févr. 2022, 17:10
Rose  PRIVÉE 
.oOo.

[ 22 DÉCEMBRE 2046 ]
Worcestershire, Angleterre
Quelques heures après l’arrivée du Poudlard Express à King’s Cross



Charlie, 17 ans.
5ème Année


{இ}ڿڰۣ-ڰۣ—



Ce soir, la Lune est le joyau des loups-garous, toute pleine, toute ronde. Affamée d'hurlements qui s’élèvent à travers le monde en guise d’offrandes.
Mais le ciel et son unique œil menaçant, Lunaire, fascinant, est très capricieux.
De son regard borgne, borné à se montrer égoïste quant à son halo nacré, le ciel déteste disperser sa lueur de façon chaotique. Altruiste.
Certes, le ciel est méticuleux, aussi précis qu’une aiguille, brouillant la vue des humains en des pâtés de nuances de gris, et endormant la nature de sa couverture humide.
Le ciel est un grand enfant au regard unique, il se concentre avec sa seule pupille sur les hurlements les plus puissants, les plus profonds, ceux qui le nourrissent. Ainsi, en cette soirée à l’atmosphère nacrée, ce ne sont pas les loups-garous qui détiennent la pleine puissance, ce n’est pas non plus le ronronnement de la marche des montagnes, ni la boursoufflure du feu des dragons lunaires.
Rien de tout cela.
Dans les prémices de cette nuit, l’unique œil du ciel est obsédé par un certain hurlement silencieux.
Un hurlement d’une puissance telle qu’il ne fait aucun bruit, aucun désordre, aucune vague. Le projecteur lunaire a sa lueur qui se fascine pour un espace étroit, juste là, à l’intérieur de l’habitacle d’une imposante voiture noire ; au silence terrifiant, à l’hurlement de plomb.

D’aucuns diraient que ce calme relatif est comparable à l’œil d’un cyclone, car à l’exception de cet habitacle bercé par le silence de trois respirations, tout l’extérieur est un véritable vacarme.

Le moteur qui vrombit de sa vigueur, dégageant dans son sillage une étouffante odeur d’essence brûlée, consommée à surrégime tant le véhicule foncefoncefonce à travers les routes du Worcestershire.
Depuis Londres, la même litanie des pneus chainés se fait entendre contre la neige du Buckinghamshire, de l’Oxfordshire et du Warwickshire. Un boucan qui fait plus de bruit encore que n’importe quel hurlement de loup-garou. Une longue agonie qui traverse l’Angleterre en crissant ; brûlant et vrombissant.
Pourtant, la lune n’a que faire de ce hurlement-là, il n’est pas réel, il n’est pas nourrissant.

Ralentis chéri, la déviation est proche.

En revanche, le hurlement silencieux de l’habitacle…

Mh-mh.

…est en train de percer la croûte de la lune jusqu’aux tréfonds de son noyau. Excitée, son projecteur fixé.
Et l’imposante voiture noire ralentit.

Adam…

Un peu de sincérité pour une fois, dans la voix de Charlie Paya, alors qu’elle plisse ses paupières avec plus d’intensité, cherchant à mieux percevoir à travers le gigantesque océan de neige qui s’étale à perde de vue, sur la droite, vers le Nord.
Enfin, la voiture s’arrête complètement au beau milieu de cette route déserte du Worcestershire.

C’est pas qu’la carte n’était pas à jour, c’est juste qu’y’a pas d’route du tout, soupire Adam d’un ton résigné — et pas tant étonné, comme s’il avait déjà prédit cette réalité depuis longtemps.

Les deux regards — l’un saphir, l’autre émeraude ; et tous deux de gris en cette nuit — toisent la vaste esplanade de neige sombre, à l’allure charbon, à perte de vue.
Derrière eux, sur un des sièges arrières, un autre regard émeraude observe cette neige d’un air indicible. Invisible. Ombrée par l’habitacle, et se cachant de la lueur lunaire qui frémit ; c’est de ce regard-là que le hurlement provient, tellement silencieux, un silence de chape, au poids de plomb.
Et la lune en frémit.

On ne pourra pas passer ma belle.

Le cuir du siège gémi lorsque la mère se tourne vers sa fille — le visage pointé sur la neige-charbon. Une seconde s’écoule. Puis deux secondes s’enlacent. Puis la troisième seconde s’en joint.
Aucune réponse, aucun remous.
Et la lune en sourit.

Utilise ta magie pour dégager c’te neige ? déclare Adam d’une voix posée, sans y intimer le moindre soupçon d’ordre, telle une simple suggestion.

Mais le regard de sa femme ne cille pas, celui-ci est planté sur le visage détourné de Charlie, sa fille, sa chair, son sang. Elle attend une réponse, alors que l’intensité du hurlement se fait un peu plus brûlante ; tant de mots n’ont pas été prononcés entre ces deux-aux-mêmes-yeux. Et toutes deux se sentent toisées de la même manière, comme jugées, malgré leur rapprochement indéniable depuis des mois.
Un rapprochement encore chancelant, fragilisé par l’incompréhension de l’une envers l’autre.
Pourquoi cette fille est si importante ? D’un côté.
Pourquoi j’suis si peu importante ? De l’autre côté.
Une préoccupation similaire, trop lourde, que seuls quelques mots auraient suffi à alléger. Mais les Mots sont trop durs avant même d’être prononcés, trop lourds sans même de poids ; ils blessent avant même de frapper, ils ravagent avant même d’exister.
Et le silence hurle, hurle encore en se nourrissant de cette masse-d’incompréhension, prenant toujours plus d’ampleur. Bientôt, la marche des montagnes ne sera plus qu’un vulgaire sifflement face à ce hurlement-là.

Adam soupire, étant fatigué de devoir toujours prendre le rôle de celui qui concilie, mais qui n’en est pas moins fier. Il est bien le seul à trouver la satisfaction de son importance au sein de cette famille. Il a du pouvoir, lui, quelque-part.
Sûrement parce qu’il est doté d’une capacité de résignation totalement insolente.

Réponds à ta mère, Charlie.

Une inspiration plus forte détonne dans le silence assourdissant de l’habitacle. Les poumons de la Rouge et Or se gonflent à ras-bord, aussi fluidement que de l’eau, puis le silence retombe durant une seconde.
Une toute petite seconde avant de se faire briser.

J’ai dix-sept ans, j’peux aller passer l’permis toute seule, prononce Charlie d’une voix calme, presque mielleuse.

Et son émeraude vrille vers celui de sa mère, tout en langueur, frappant l’autre-regard-à-la-même-nuance.
Enfoncement.
Charlie Paya en perd sa respiration.
Elle est face à un regard-de-chape, tellement lourd qu’un frisson lui déchire le dos.

Jamais. Ô grand *jamais* sa propre fille l’avait regardée comme ça.
Ça, c’est un éclat d’émeraude en fusion. Une torpille qui perfore le voile de la nuit, décidée à marcher à même la neige pour atteindre ce qu’elle veut. À nager dans cette même neige comme si c’était un océan de nacre.
Un regard qui défonce.
Un regard qui pousse sa propre mère à se demander : « Est-ce bien là ma fille, ma chair, mon sang ? ».

je suis Là ᚨ

27 févr. 2022, 11:50
Rose  PRIVÉE 
22 décembre 2046
Domaine Bristyle — Worcestershire
6ème année



Je pose ma joue sur mes genoux et resserre mes bras autour de ces derniers. Mes paupières sont lourdes, comme mon estomac après m’être régalée de la cuisine de Zakary. Mon regard se perd d’ailleurs dans sa direction. Là-bas, au loin, après la table de la salle à manger, après le bar, mon grand frère est adossé au plan de travail ; il discute avec Narym. Régulièrement, il rejette la tête en arrière et part en un grand et long éclat de rire qui vogue sans mal jusqu’au salon où il fait tourner certaines têtes.

Narym est davantage dans la retenue. Il pouffe en baissant les yeux sur ses mains. Assis devant le bar, sur l’un des tabourets, il ne me tourne cependant pas le dos. Il est de profil et j’aperçois de temps en temps le regard qu’il lance dans notre direction. Parfois, il me sourit. Je ne lui souris pas en retour. Non pas parce que je ne ressens pas le sourire intérieurement, je le ressens bien, mais parce que je suis fatiguée et que je ne pense même pas à étirer les lèvres — cela serait inutile, Narym doit bien se douter que si je ne grimace pas, c’est parce qu’au fond je souris sans le montrer. Et s’il ne s’en doute pas, cela ne m’importe pas. En attendant, j’essaie de ne pas croiser le regard de mon immense grand-frère. Zakary serait capable de m’envoyer une réflexion de sa lointaine cuisine si j’osais ne point donner de réponse aux sourires qu’il m’enverrait certainement.

Quelques minutes passent durant lesquelles je ne cesse de les observer jusqu’à ce qu'une voix claire m'attire à elle. Je tourne la tête vers le canapé où maman est assise en compagnie de Natanaël. Mais elle ne m’appelle pas, pas plus qu’elle ne me regarde. Maman n’observe que son cher fils, stagiaire depuis quelques mois dans le même service qu’elle. J’aimerais me redresser, être capable de réveiller mon esprit endormi pour participer à leur conversation mais je n’ai pas le courage de faire l’effort nécessaire pour cela. Je préfère écouter. En écoutant, j’en apprends suffisamment pour savoir qu’ils font référence à un patient qui est dans leur service depuis quelques temps et dont le futur est incertain. Il est question de magie accidentelle. Je note tout cela dans un coin de mon esprit ; peut-être le retranscrirais-je plus tard dans mon carnet.

Mon regard papillonne et se perd sur le profil de maman, sur la pâleur de sa peau, l’obscurité de ses cheveux courts, et parfois le hasard veut que son regard de glace croise le mien ; mon coeur sursaute mais cela ne persiste pas. Le croisement de regards n’est qu’un hasard et bientôt, maman ramène sa glace sur le visage étroit de son fils. Regarder Maman me rappelle ma directrice. Je me retrouve à les comparer, à leur trouver des différences et surtout de malheureux points communs. De toute façon, mes pensées sont aussi lourdes que mes paupières. Elles glissent avec force contre mon esprit, laissent une trace baveuse contre la surface de ma conscience et finissent par s’échouer quelque part dans un gouffre obscur duquel elles ressortiront sans doute un jour prochain.

« Tu en veux, Ely ? »

*Merde*.
Moi qui espérais que personne ne m’arrache à mes pensées qui pèsent des tonnes. Mon prénom réveille maman qui tourne ses yeux vers moi, véritablement cette fois-ci, avant de les ramener sur l’objet de toutes ses attentions. Je me redresse vaguement, difficilement, pour observer papa, installé sur le fauteuil de l’autre côté de la table basse. Il me tend une tasse dont s’échappent quelques volutes de fumée. Chocolat chaud. L’odeur sucrée m’attire et me révulse en même temps : je suis incapable d’avaler quoi que ce soit. Je secoue la tête de droite à gauche. Non merci, laisse moi tranquille, va demander aux autres. Ce qu’il fait effectivement. Lui a encore la force de se lever.

« Je vais voir si Aodren en veut, dit-il après avoir servi ses deux plus grands fils dans la cuisine ; son regard croise le mien lorsqu’il se dirige vers les escaliers.
Et Zikomo aussi, intervient Natanaël (finalement, il a réussi à se souvenir qu’il existait un monde en dehors de sa mère).
Zikomo, ricané-je en laissant tomber ma tête contre le dossier du fauteuil. C’est un Mngwi, tu crois vraiment qu’il boit du chocolat chaud ? »

Natanaël tourne son visage blafard vers moi. Sans doute se serait-il énervé s’il avait croisé mon sourire ou si ma voix contenait une quelconque once d’agressivité mais ce n’est pas le cas. Alors il hausse les épaules :

« Bah j’sais pas, moi.
Non, il en boit pas. »

Et je m’adresse plus à papa qu’à lui. Papa qui rétorque qu’il lui en proposera tout de même pour la politesse et qui disparaît dans les étages, direction la chambre d’Aodren dans laquelle ont disparu lui et mon cher ami bleu depuis de trop, trop longues minutes pour que je n’en éprouve pas un piquant et dérangeant sentiment qui me tord les entrailles. Cela fait quelques heures à peine que je suis revenue de Poudlard et voilà que Zikomo disparaît déjà avec l’un des membres de ma famille. Je sais, parce qu’il me l’a dit, qu’Aodren lui manque. Ils avaient l’habitude de se croiser régulièrement lorsque mon frère était encore à Poudlard. Et à peine le repas terminé, nous venions tout juste de nous installer dans le salon qu’Aodren s’est exclamé qu’il avait quelque chose à montrer à Zik (il l’a appelé Zik, putain !). Et les voilà disparus à l’étage. Foutu Aodren.

Mes yeux dégringolent du monde jusqu’à tomber sur mes propres genoux finement resserrés contre moi. Je laisse tomber mes paupières et accepte d’être bercée par la conversation de maman et de Natanaël, et celle plus lointaine de Nar et Zak. J’ai du mal à accrocher mes pensées, ce soir. J’ai du mal à simplement penser. Je me laisse porter, apaisée et perdue en même temps. Heureuse et complètement délaissée par mes propres repères. J’ai de plus en plus de mal à revenir à la maison sans en éprouver des sentiments ambivalents. Cette fois-ci, ce n’est pas lié à Elowen. Les vacances ne dureront que deux semaines, je sais que je la retrouverai bientôt. Non, c’est lié à moi-même. Je ne sais pas de quoi sera fait demain et cela me déplaît. Alors j’entreprends vaguement et lentement de faire mon emploi du temps dans ma tête : un réveil matinal, un petit-déjeuner, mes devoirs, un déjeuner, mes devoirs, mes recherches, un dîner, mes recherches, mes lectures. Oui, voilà. C’est rassurant de savoir son avenir bien rempli. C’est rassurant.

20 juil. 2023, 00:00
Rose  PRIVÉE 
Et la lune se mord sa bouche-sans-lèvres.

Est-elle inquiète ?
Certes, sans le moindre doute ; mais pas moins prête.

Elle sait ce qu’il se trame juste là, face au regard qui pousserait n’importe quelle mère à remettre en question non pas sa fille — surtout pas — ni l’éducation que celle-ci lui aurait prodigué, mais bien, et uniquement, elle-même. Une faille, un véritable cratère de doute qui rejoindrait le sifflement constant des montagnes qui se taisent.
Silence, dans cet habitacle, car l’autre émeraude est tout aussi puissant.
Face à celui qui défonce, qui bouillonne et qui fusionne, l’autre est si calme. Il n’y a aucune question qui perle dans celui-ci, pas la moindre interrogation. Là, juste devant, c’est bien elle : Charlie, sa fille, sa chair, son sang ; elle se verrait presque dedans.

Et la lune fulmine d’impatience, elle se met à baver d’excitation même, car l’émeraude est bien trop occupé à être en fusion pour remarquer l’affreux sourire que porte l’autre, sa propre mère.

Flop.
Une fugace distorsion de l'espace ; un transplanage réussi à la perfection, laissant l’unique regard anxieux d’Adam qui, lui, a vu cet affreux sourire.
Comme un réflexe, il détourne les yeux vers la route, voyant sa femme et sa gigantesque silhouette à l’extérieur ; dominant l’océan de neige de son ombre, alors que le silence se fait plus doux, mais les pensées plus expansives. « Des Sang-Purs ?! » comme un remous, portant son carcan d’intonation. Il savait qu’il y avait un problème, sa femme avait accepté beaucoup trop facilement après que Charlie aie parlé du rang des Bristyle, de la spécificité de leur sang. C’était bien trop simple, il n’était pas naïf. « Des Sang-Purs ?! », avec cette exclamation qui se répète encore dans sa tête, avec une intonation presque satisfaite. Un véritable étau pour son cœur. Sa femme n’acceptait rien avec une facilité aussi déconcertante.
Si elle avait dit : « Vraiment ? Les Bristyle sont des Sang-Purs ? Mais il fallait commencer par là ! Alors aucun problème ! On y va de suite même, vous allez voir, on va vraiment bien se marrer. » que cela aurait pareil.
Identique à son intonation.
Alors il savait que Charlie Paya montrait une fausse image, son sourire affreusement satisfait se dessinait d’ici, dans la raideur d’un silence de chape, sur la buée qu’expiraient les pores enflammés de Charlie, sa petite protégée.

Et la lune se décroche de son piédestal pour se rapprocher un peu, suffoquant de chaleur.

Flop
L’habitacle frémit un instant au retour de Paya, encore en transplanage parfait. La précision de cette magie-là chez elle forçait l'admiration, les composantes de celle-ci étaient dosées à un fabuleux niveau de maîtrise, comme si elle s'était entraînée toute son existence à cette unique magie : le déplacement. Un parfait moyen de prendre la fuite avec une certaine excellence, mais aucune élégance.
Ainsi, si son élégance aussi flagrante que dégoulinante devait avoir un point faible, ce serait sans nul doute celui-ci.

C’est dans cette direction chéri, prends vite par là, alors même qu’elle parle, le silence reste de chape, aussi plombé qu'un cadavre troué — nous sommes déjà assez malpolis comme ça d’arriver aussi tard.

Et le monotone bruit électrique de la vitre passagère semble risible comme point final à sa déclaration. Absolument tout dégouline de préméditation dans ses mots sifflés, mais Charlie est bien trop occupée pour en entendre la moindre once.
C’est sa mère — sa propre mère seigneur ! — son pilier, son modèle, son sang. Elle est en sécurité avec elle — même si elle ne se l’avouera sûrement jamais.

Le bras de Paya s’engouffre dans l’extérieur, sa baguette sombre fricotant avec les dents glacées qui trainent un peu partout dans l’air, et d’un sortilège informulé, elle fait décoller une immense étendue de neige ; dénudant les brins d’herbe glacés, privés de leurs habits poudreux.

Chéri ?

Les yeux de saphir font un rapide aller-retour sur l’herbe découverte et le visage de sa femme, avant de faire racler les chaînes sur le goudron en un bruit d’enfer. Tout s’entend à présent, avec cette fenêtre ouverte : le grognement rébarbatif du moteur, le sifflement fantomatique du vent, et même l’apnée sèche de la lune.
Pourtant, Charlie ne tremble pas une seule seconde malgré le froid ; elle porte deux capes, et un volcan en elle.




La neige s’envolait de part en part depuis plusieurs minutes déjà, l’épaisse voiture noire la découpant comme un chirurgien, avec autant de précision que le permettait la grossière magie de Paya. Baguette en main, concentrée à faire valdinguer sa magie abondamment pour permettre de traverser cet océan de nacrrrr

Là, comme un souffle, mais de celui qui hérisse tout le corps.
Comme un soupir dans la nuque, glacé, humide, ignoble. *Qu… !*. À la même fraction de seconde, les deux Charlie se crispent. L’une lance son bras pour fendre l’air, à la recherche de son arme, pendant que l’autre resserre sa baguette comme s’il en allait de sa vie entière.
Puis, enfin, vint la réaction d’Adam, un instant trop tard.

L’immense bolide venait de traverser un dôme d’invisibilité magique.

Là, juste en face, comme dans un rêve, une gigantesque maison apparaît de nulle part. Là.
En plein milieu de .
Pas un seul cri, pas le temps.


CLAC. TACRATAC. TAC. TACRRRR.

Les trois corps s’écrasent contre les ceintures à l’unisson, tel un seul diapason, en une seule note de cœur. Le bras de Paya vient frapper violemment le cadre de la vitre ouverte, la main de Charlie n’atteint pas sa baguette qu’elle valdingue déjà dans l’autre sens, s’écrasant dans le vide, et Adam se crispe sur le volant, s’efforçant à le garder bien droit, la mâchoire tassée.

RTAC. TACRTACRACAT. RRRRRSSSSSSSSSSSSS

Et en moins de trois longues secondes, les freins arrêtent leurs à-coups assourdissants.
D'un coup d’un seul. Comme s’il ne s’était rien passé.

La voiture est à l’arrêt.
En silence, accompagnant la danse muette de la nuit.

L’illusion du contrôle est presque parfaite.
Seul un minuscule détail montre l’étendue de ces trois secondes : de profondes traces laissées par les chaînes des pneus-neige avaient labouré le sol, la neige et tout ce qu’il pouvait y avoir avec ; que cela soit vivant ou mort.
Là, l’éclat de la nuit montre un véritable carnage devant le porche du Domaine. Et les pleins phares qui écrasent sa façade de leur lumière éblouissante n’arrangent rien au tableau.
Sans parler de la forte odeur de chaleur qui se mélange aux effluves dentés, presque souriants, du froid glacé.

je suis Là ᚨ

20 juil. 2023, 13:32
Rose  PRIVÉE 
Sur l'écran de mes paupières fermées, les bruits deviennent des images floues et très lumineuses. Les voix de maman et de Natanaël deviennent des dessins incandescents, des traits verticaux, des formes indistinctes auxquelles j'offre une vie : j'imagine un lit, un couloir, deux silhouettes qui discutent, une baguette magique, le fuseau d'un sortilège. Et ma respiration s'approfondit doucement. Au loin, Narym et Zakary ; la grande voix de Zak, le ton plus doux de celle de Narym. Tous ces éléments font partie de ma vie depuis toujours. Cette scène que je suis en train de vivre, sur laquelle je m'endors, et d'une telle banalité que je me demande si je trouve cela profondément navrant ou rassurant. Je me laisse porter et puisque je vogue dans mes pensées, je rencontre quelques souvenirs qui me déplaisent ; être à la maison me fait penser à Poudlard. Sentir l'odeur de la cuisine de mon frère, l'odeur de la maison, du bois qui fume dans la cheminée, entendre le craquement du feu et les voix de ma famille, cela me fait songer à mon quotidien dans le salon jaune des Poufsouffle et aux courants d'air glaciaux qui se promènent dans les couloirs, même durant le jour.

Dans un flash qui claque comme un coup de tonnerre, je sens le poing de Delphillia qui percute mon visage et croise son regard quand elle goûte dans mes yeux à ma souffrance. Mon coeur sursaute si fort que j'ouvre les yeux, la gorge nouée. Autour de moi, rien n'a bougé. La même scène se joue, encore et encore, insensible à ma présence ou à mon absence. Je laisse tomber ma tête sur le dossier, un soupir dévalant le bord de mes lèvres et j'affirme ma prise sur mes genoux. Doucement, je m'enfonce dans des pensées cotonneuses.

Un hurlement strident fracasse le silence.
Jamais je n'ai vécu de réveil plus douloureux. Je me lève en sursaut, les battements de mon coeur comme des coups d'enclume dans mon corps. Mes yeux écarquillés, mes tremblements soudains. D'un regard, j'englobe une nouvelle scène : maman debout, baguette en main ; Natanaël, pâle comme la neige, tétanisé sur le canapé ; Zakary, les yeux écarquillés ; Narym qui déjà se déplace vers le centre de la pièce. Une seconde plus tard, alors que nos oreilles pulsent sous le vacarme de l'alarme qui résonne dans toutes les pièces de la maison, papa déboule dans le salon. Son regard accroche aussitôt celui de maman. Aodren le suit de près mais personne ne le voit. Personne ne fait attention à lui car à cet instant une puissante lumière traverse les fenêtres du salon.

La peur est un monstre qui prend possession de tous mes sens. Il ne provient pas du néant : il naît de toutes les catastrophes qui m'ont conditionné à réagir avec peur à l'inconnu. L'alarme est synonyme de drame : danger ! danger ! crie-t-elle. Et cette lumière qui vient me heurter hurle : j'ai pénétré tes barrières et je vais te—

« Maman ! » glapit Natanaël.

Il se lève, trébuche, saute par-dessus le fauteuil et s'éloigne des fenêtres. Il n'a même pas sorti sa baguette. Il est si pâle qu'on dirait qu'il va s'effondrer.

« Aelle ! » La voix de maman tonne comme un coup de tonnerre ; je lui lance un regard éperdu. « Éloigne des fenêtres, maintenant ! »

Je me précipite pour lui obéir. Je me rends compte que j'ai déjà ma propre baguette vissée dans ma main. Dans mes oreilles vibre une peur que j'essaie en vain de contrôler. Je rejoins Natanaël. Papa lève sa baguette et enfin, l'alarme s'éteint. Nos silences respectifs sont encore plus douloureux que le bruit. Et la lumière extérieure, inconnue, qui inonde la pièce donne un sens encore plus accablant à ce moment : il y a quelqu'un dehors. Il y a quelqu'un dehors !

« Y'a quelqu'un ! » Natanaël, encore. Il s'essouffle, il panique. « Y'a quelqu'un ! Y'a quelqu'un qui... Mais la barrière !
— Tais-toi, Natanaël, » ordonne maman d'une voix de pierre.

Sa main s'enroule autour du bras de mon frère, elle plonge ses yeux dans les siens. Puisque je suis juste à côté deux, je peux voir que dans ses pupilles sombres brillent une détermination et un pouvoir qui me calment instantanément. Natanaël, lui, hoche frénétiquement la tête sans réussir à dire quoi que ce soit.

« Tout va bien, énonce papa à la cantonade. On a pas fait enlever la barrière magique mais vous savez bien qu'on ne risque plus rien. Tout va bien, avec votre mère on va aller voir ce qu'il se passe.
Je viens. »

C'est Aodren. Il ne ressemble plus du tout au jeune homme que j'ai connu, tout à coup. Il est grand, il est déterminé. C'est un étudiant de la Grande École de l'Art du Duel.

« Non. Tu restes avec ton frère et ta sœur. Narym aussi. Calmez-vous !s'exclame-t-il en s'efforçant de sourire. Je sais que c'est effrayant mais nous ne courrons aucun danger. »

Je me demande ce qui lui permet de l'affirmer. Cela dit, le monde ne s'entre-déchire plus comme il y a quelques années. Les guerres se déroulent loin de chez nous. Moi-même je commence à me trouver ridicule d'avoir ressenti une aussi grande vague de peur. Et pourquoi ? Pour une alarme ? Je glisse ma baguette dans ma poche — à tous les coups, c'est cet agaçant Gontag qui vient rendre visite à maman. C'est tout. Je m'accroupis pour récupérer Zikomo entre mes bras ; le Mngwi se glisse sur mes épaules tandis que la maison s'organise pour aller accueillir ces drôles d'invités-non-invités qui ont réussi à franchir les barrières qui protègent notre maison.

J'aurais bien aimé aller voir à la fenêtre mais je sens que si je bouge, maman m'épinglera de sa voix et je n'en ai pas envie. Quand elle donne des ordres de sa voix dure comme la glace, elle me fait songer à Loewy et je n'ai pas envie de penser à elle ce soir. Alors je laisse faire, j'attends sans bouger contre la porte des toilettes, un Natanaël palot et tremblant à mes côtés, tandis que maman, papa et Zakary passent dans le vestibule pour sortir.

Narym et Aodren viennent près de nous. Le premier sourit, nous rassure. Sa voix n'atteint pas les niveaux les plus élevés de ma conscience. J'ai le regard braqué sur cette lumière qui frappe les façades de la maison et qui s'immisce par les fenêtres. Cette lumière qui éblouit et qui cache sans que j'en ai conscience la pire chose qui pourrait m'arriver ce soir.

*


La porte claque dans leur dos. Les trois silhouettes se détachent sous le regard sévère de la lune. La neige crisse sous les bottes ; le froid tenaille, ce soir, mais aucun des trois Bristyle ne le sent réellement. Car dans le jardin, après le cabanon, après la petite serre, dans ce qui est en plein été un champ et qui n'est aujourd'hui qu'une vague étendue neigeuse, se trouve...

« C'est une voiture ? chuchote Zakary. Mais c'est quoi ce bordel, Merlin ! Vous attendiez personne, non ?
Non, répond sa mère. Maintenant, tais-toi. »

Elle avance à grands pas, baguette pointée vers l'avant ; Zile est plus raisonnable. Il suit plus lentement, méfiant, mais la baguette sagement tenue le long de la jambe. La lumière des phares les aveugle. Cela n'arrête pas Arya qui lance un puissant Lumos Sagitta. Une boule de lumière brillante s'échappe de sa baguette et s'approche de la voiture.

« Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? »

Sa voix tonne et s'élève dans le ciel pour frapper les inconnus dont on devine la silhouette dans la voiture. Les prénoms des connaissances d'Arya défilent dans son esprit ; collègues, anciennes connaissances, amis, famille... Mais personne, personne n'est propriétaire d'un tel engin moldu. Alors elle lève sa baguette en prévention et ordonne d'une voix sans appel :

« Sortez de la voiture. »

20 juil. 2023, 22:19
Rose  PRIVÉE 
Tac. Tic. Tac. Tic. Tac. Tic. Un léger cliquetis incessant, régulier, trompe le silence apparent.

Paya redresse son dos, puis son torse, et enfin sa nuque ; le tout en quelques craquements qui accompagnent le cliquetis. « Hhhaa… », un gémissement rejoint le tout, la main d’Adam est plaquée sur son front.
Jetant un coup d’œil à son mari, Paya lui donne un coup sec du dos de la main. « Arrête… j’ai l’crâne en vrac… ».
Parfait, il réagit encore.

Éclair : sa fille !

Charlie ! gémit-elle en faisant vriller sa nuque, craquant toute sa colonne vertébrale.

Elle n’avait pas bougé, juste là, silencieuse, son regard plissé vers l’imposante demeure, et le souffle encore chamboulé par ce freinage d’urgence — comme une légère difficulté à respirer « Chérie, regarde-moi ! » ordonne sa mère en se torsionnant pour poser ses mains sur le visage de l’émeraude. Celle-ci ne bronche pas, son regard est vissé sur l’édifice, elle penche même distraitement sa tête pour avoir une meilleure vue que le gros bloc d’inquiétude qui lui fait face.

Ça va, d’accord, ça va…, continue à marmonner l’autre émeraude alors qu’elle relâche sa prise sur sa fille, se retournant vers le saphir caché de son mari. « Adam ? » comme un mot jeté au visage d’un inconnu, un prénom, certes, mais au ton négligent. « Adam ! » encore une fois, plus dur, mais le saphir a l’air déboussolé.

‘me sens pas bien… grogne-t-il mollement.

Ne fais pas l’enfant et éteins ses pha…

Clac.

Une porte qui résonne dans l’immensité de la nuit — à en faire sursauter la lune baveuse — et dégueulant trois sorciers en formation de combat, surtout celle qui mène, la figure de proue à l’allure sévère. Son pas est tellement déterminé que Paya le ressent d’ici, dans la sécurité relative de son habitacle. Cette femme arrive pour défoncer leur minuscule iceberg.
Et si un sourire pouvait se transformer en une œuvre parfaite, ce serait celui de Charlie Paya. Tout ruisselait de perfection dans son rictus, tout se passait exactement comme elle l’avait prévu.

Charlie, derrière, ne clignait plus des yeux, accrochée à ses silhouettes, et sa respiration reprenait des notes de normalité. Aussi bien que peut l’être un cœur tambourinant encore, et encore de normalité. Sa poitrine gonflait et dégonflait abondamment, ses courants intérieurs s’entrechoquaient.
Sa main se lève soudainement, tentant de se protéger d’une soudaine lumière aveuglante.
C’est à leur tour d’être éblouis par un sortilège d’une puissance et d’une finesse rare, de la réelle chirurgie. « Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? ». Alors que la main de Paya se dirige déjà vers la poignée de la porte, grimaçant légèrement à la douleur qui lui engourdit son bras encore sous le choc. « Sortez de la voiture. » ponctuant le tout à l’unisson avec le clic caractéristique d’une portière qui s’ouvre.

Viens, souffle Paya à sa fille avant de s’extirper très doucement, avec une précaution calculée, en dehors du gigantesque bolide cliquetant.

Par réflexe, d’autant plus que ses yeux clairs augmentent drastiquement sa sensibilité à la lumière, elle lève lentement sa main au niveau de son visage pour se protéger de l’écrasante luminosité. Lorsque la pointe de son talon touche le sol, celle-ci est étouffée par un mélange de neige et de terre, alors qu’elle se redresse enfin, et s’allonge longuement jusqu’à donner l’impression de chatouiller le menton de la lune.
Avec ses escarpins, elle dépasse facilement les deux mètres de stature. Le seul détail qui fait transparaître un tant soit peu de fébrilité, se limite à ce reste de frémissement prodigué par l’adrénaline du freinage, qui crissait encore au fond de ses membres.
Tout comme Charlie.
Clic.
Sa propre portière arrière s’ouvre, elle aussi.

Je vous présente mes plus sincères excuses pour cette arrivée impromptue, déclare presque mielleusement Paya, gardant sa main au niveau de son visage, sa baguette était déjà rangée dans son manteau. Contre ces trois-là, elle se savait tout à fait incapable de riposter. Se défendre ne serait que plus de trois secondes était totalement impensable. Et même chose si le jeune Bristyle était venu tout seul, cela ne changeait rien.
Alors elle adopte cette attitude nonchalante, propice à la suspicion, comme une véritable invitation à ce qu’ils se montrent agressifs. Et au fond, c’est tout ce qu’elle souhaitait. Seulement, et uniquement cela. Il suffirait simplement d’une déferlante plus mordante que ce froid.
Puis, un seul transplanage hors d’ici, à tout jamais. C’est certain, la baguette est vraiment inutile en cet instant.

Sa main libre se pose d’ailleurs sur sa fille qui vient de la rejoindre, prête à transplaner au moindre doute. Pourtant, comme si c’est exactement ce qu’elle attendait, elle utilise ce geste comme mobile de sa phrase : « Nous sommes la famille Paya-Rengan », alors que sa poigne se fait un peu plus forte sur l’épaule de sa petite. « Et voici ma fille, Charlie, elle est en cursus à Poudlard comme vot… ».


J’ai besoin d’Aelle, coupe-t-elle d’insolence, d’impatience, tel un sabre d’émeraude. Tel un crachat à la figure de ces quatre-là qui ne sont qu’un obstacle de plus à traverser.
Elle ne les voient même pas, d’ailleurs. Son Regard est uniquement braqué sur la façade cramée par la lumière des phares.


𝄞



Bordel.
J'essaie de voir s'il y a quelqu'un qui regarde à travers une fenêtre, mais rien.

*Elle n’est pas là*. J’espère pas. *Bien sûr qu’elle n’est pas là*. J’espère tellement pas. *’me suis trompée ?*. Bon Dieu de bordel de merde, j’espère tellement qu’elle ne soit pas là.

je suis Là ᚨ

21 juil. 2023, 12:21
Rose  PRIVÉE 
Une portière s'ouvre. Arya affirme sa prise sur sa baguette magique. Elle a beau avoir acquiescé aux paroles apaisantes de Zile, elle n'en ressent pas moins la tension parcourir son corps. Les et si ? sont foule dans son esprit. Pourtant, elle peine à imaginer qui pourrait leur vouloir du mal, qui pourrait avoir ainsi mis tant d'effort à traverser un champ enneigé avec une voiture pour venir les voir, eux, famille de sorciers isolée.

Son estomac se noue lorsque la première sort. Une grande femme, bien plus grande qu'elle, elle le remarque malgré la distance. Une femme qui a ce quelque chose dans le regard ; un quelque chose qui rappelle à Arya... La seconde porte s'ouvre. Les yeux méfiants de la sorcière passe de l'une à l'autre. Une mère et sa fille, semble-t-il. Maintenant, c'est son coeur qui agit brutalement en s'affolant : Arya ne connait ni l'une ni l'autre. N'est-ce pas ? Pour la première fois, elle doute : comment pourrait-elle le savoir, elle qui oublie d'une semaine à l'autre le visage des patients qui quittent son service ?

Elle sent Zile s'approcher dans son dos. Il se place à ses côtés et Arya remarque que sa baguette est toujours baissée mais qu'elle est bien sortie. Zakary est dans leur sillage, évidemment. Grand jeune homme qui ne comprend rien à la situation, mais qui se positionne en figure de soutien. Arya se sent plus forte accompagnée de son mari et de son fils. Et sa poigne sur sa baguette s'affirme encore un peu plus. Elle en a besoin.

Elle en a besoin pour accuser le coup de cette voix qui s'exprime. Arya n'est pas une femme à se laisser aisément intimider. Elle est plutôt du genre à intimider ceux qui l'entourent ; d'un regard froid, d'une crispation des lèvres, d'un mouvement du menton — il existe tant de façons de faire comprendre aux autres qu'ils ne nous inspirent rien de bien positif sans même avoir besoin de s'exprimer. Arya ne saurait dire pourquoi mais cette femme qui plante le bout de ses talons aiguille sur son terrain a la même envergure qu'elle — et évidemment, cela lui déplaît beaucoup.

Arya sent son coeur se durcir. Elle se fiche des excuses, elle se fiche des présentations. Elles sont sur son terrain, sur son domaine ! Aucune sorte d'excuses lui fera oublier cet irrespectueux comp—

« Nous sommes la famille Paya-Rengan. »

Les lèvres d'Arya d'abord se pincent. Paya ? Inconnu. À la fois dans l'esprit d'Arya et dans sa connaissance des familles sorcières britanniques qu'elle tient du lavage de cerveau qu'ont voulu lui faire subir ses parents durant son éducation. Paya est aussitôt relégué au second plan ; pour revenir tout à coup au premier quand Arya comprend et intègre le second nom évoqué. Il tombe comme un coup de massue.

Un coup de massue qui explose trois cœurs à la fois. Notamment celui de l'homme au coin des yeux ridés, là, celui qui se tient tout près de sa femme et qui blêmit tout à coup lorsque ses yeux se posent sur le plus jeune visage qui lui fait face. Rengan, on connait par ici, n'est-ce pas ? C'est un nom que l'on a parfois crié, d'autres fois chuchoté. C'est un nom qui a hanté leur famille il y a de cela quatre ou cinq ans. Un nom qui s'accompagne d'un prénom qui est régulièrement revenu dans leur bouche de parent ; et aussi dans celle de Zakary qui, en sa qualité de grand frère, a toujours pris soin de fourrer son nez dans les affaires de sa petite sœur et donc de s'inquiéter en apprenant qu'elle était sous l'emprise d'une autre jeune petite personne qui, elle, portait le nom de...

« J’ai besoin d’Aelle. »

Cette déclaration s'accompagne d'un silence qui ferait même frémir la neige. On entend d'ailleurs ses craquements discrets. L'éclat de la lune semble s'accroître lorsque Zile se crispe et qu'enfin sa main d'arme se soulève de quelques centimètres ; et le froid s'accentuer quand Zakary se tourne tout à fait vers la maison pour surveiller que nul visage blafard n'apparaît derrière la fenêtre ; surtout, la tension monte d'un cran au moment où Arya Bristyle fait un pas en avant.

« Charlie Rengan, fait-elle comme si son coeur ne venait pas de se prendre la foudre. Je me souviens de toi. »

Trop de compliments pour une jeune femme qui a fait de leur fille ce qu'elle est aujourd'hui — une personne que l'on ne peut pas regarder avec seulement de la fierté dans les yeux, il y a toujours une lueur inquiète dans les pupilles d'Arya quand elle observe sa fille, une lueur inquiète et colérique. Mais c'est la vérité, Arya se souvient d'elle. Comment l'oublier ? Elle l'observe très attentivement. Oui, elle reconnait ce regard même si Charlie ne la regarde pas. Elle reconnait cette forme du visage. Et c'est tout... Et Arya ressent un plaisir indicible à analyser tous ces changements chez sa jeune patiente. Qui aurait cru que leur intervention, des années et des années plus tôt, donnerait ce résultat- ? Oh, elle a des questions ! Des centaines de questions ! Son envie fébrile est rapidement mouchée par ses devoirs de mère, cependant. Parfois, les devoirs de mère deviennent plus importants que le reste. C'est rare, mais cela arrive.

« Ça ne pouvait pas attendre ? »

C'est la voix doucereuse de Zile, qui s'impose à son tour. Il n'a pas la dureté de sa femme, mais sa douceur est imprégné d'acide. Dans son coeur combattent divers sentiments. Le prédominant hurle quelque chose : elles doivent partir, elles doivent partir ! Maintenant ! Il est difficile de se souvenir que sa fille est majeure à présent et qu'elle est censé pouvoir décider de ses fréquentations. Zile se sent profondément trahi. Il pensait qu'Aelle en avait terminé avec Charlie.

« Vous venez tout juste de rentrer de Poudlard, poursuit-il en posant sur la jeune fille un regard qui ne se détourne pas. Qu'est-ce qui est si important pour que vous preniez le risque d'abîmer votre voiture en venant jusqu'ici ? »

Ses yeux se tournent alors vers la mère et ils prennent une teinte plus sévère. Qu'est-ce qui peut expliquer qu'une mère se soumette aux étranges et déraisonnables envie de sa fille ?

*


« Tu crois que c'est le Conseil ? gémit Natanaël.
Qu'est-ce que viendrait faire le Conseil ici ? soupire Aodren.
Et si c'était des brigands ?
Des brigands ? Naël, on est pas dans un roman d'aventure !
Et si c'était pour... » Il baisse la voix, mais je l'entends parfaitement puisque je suis juste à côté d'eux. « Et si c'était pour Zikom...
Eh ! interviens-je en le foudroyant du regard. T'insinues quoi, là ?! »

Aodren soupire, comme seul peut le faire un jeune homme habitué aux disputes de ses frères et soeurs, et se place entre nous deux, les mains levées en signe d'apaisement.

« Il n'insinue rien, pas vrai Naël ? »

Naël grommelle, hausse les épaules et s'excuse du bout des lèvres. Je lève les yeux au ciel et ramène mon regard vers les fenêtres toujours éclairées par ces rayons brutaux de lumière. Quelques minutes sont passées. Aucun bruit ne se fait entendre de l'extérieur. Je jette un coup d'oeil à Narym, dont les mains crispées sur le dossier d'une chaise de la table à manger laissent voir ses phalanges blanchâtres. Doucement, je me détache du duo agaçant d'Ao et Naël. Attendre ici est insupportable, j'aimerais mieux...

« Aelle, murmure Narym en me jetant un regard désolé, on ferait mieux de rester loin des fenêtres, tu sais.
Ça va, Nar, tu crois pas qu'il se serait déjà passé quelque chose s'il avait dû se passer quelque chose ? »

Il renâcle visiblement à me donner raison, mais je devine qu'il hésite. À ma plus grande surprise, c'est lui qui se déplace pour traverser le salon.

« Je vais jeter un coup d'oeil. Restez là-bas. »

Il se faufile discrètement et soulève un morceau de rideau pour pouvoir passer la tête devant la vitre. Il reste un long moment à regarder une scène que je ne pourrais pas imaginer, même dans mes cauchemars les plus douloureux.

« Il y a deux femmes. Je les connais pas. Maman leur parle. »

La tension qui nouait encore mes muscles retombent tout à coup. C'est tout ?

25 juil. 2023, 16:02
Rose  PRIVÉE 
Impossible qu’elle soit là, elle est déjà beaucoup trop . Il n’y a plus de place dans mon crâne.
Et même ma bouche s’y met. *’juste impossible* Ma bouche l’a dit, bordel. Ma bouche a vraiment prononcé son prénom.

Maintenant qu’il est vautré sur mes lèvres, il n'y a plus de retour possible. Et je ne m'y ferais jamais, même après tant d’années.
Alors j’attends. Là. J’attends.
Je me demande aussi, comme je l’ai appelée devant mes parents et ses parents, est-ce qu’elle va enfin apparaître ? Est-ce qu’elle est comme une incantation de démon où il suffit d’oser le nommer pour sentir son souffle dans ma bouche, et dans toutes mes entrailles ? Peut-être. C’est sûr. C’est parfait. *’j’me trompe pas*. Je suis au bon endroit.
Mais…
Je ne sais plus quoi faire.
Alors j’espère. Là. J’espère.
J’espère si fort que je sens tout ce qui m’entoure tourner au ralenti. Tout est si lent que je les ressens comme des informations sans consistance, périmées.
Je n’entends pas le rire du temps, mais je sais qu’il est là, quelque-part.
Je ne sens pas la caresse du vent, mais je sais qu’il est là, autre part.
Je ne vois pas la magie des Autres, mais je sais qu’elle est foutrement là. Partout, ici et là-bas.
Et je ne sais pas quoi faire de ces informations ; tout comme mes émotions, je n'en comprends aucune. Il y a les 88 notes de mon âme qui gueulent toutes en même temps. Comment est-ce qu’elles veulent que j’y comprenne quelque-chose moi ? Ça me remplit de tout, ça me donne l'impression que je suis tout, de rien. Incapable de décortiquer le moindre truc. Je ne perçois plus les ensemble.
Sûrement parce que là, je ne suis pas un ensemble. Chaque petite partie de moi a l’autorisation de s’exprimer, de crier, de pulser, même si je n’y comprends rien.
Je suis tellement moi, tout autant que je ne me ressens pas du tout.
Je suis silencieuse, tout autant que ma voix explose mes tympans.
Je ne me vois pas, tout autant que le miroir me crève les yeux.
*’arrête de t’cacher… ?*, comme pour me rappeler que c’est moi qui aie le contrôle. Même si je ne sais pas si c’est réellement moi.
Tout ce que je sais, c’est que j’ai décidé de faire. Et que plus rien ne pourra m'arrêter. Pas même moi-même.
Alors je dois courir.
Courir sans m’arrêter jusqu’à rattraper la course de la mort. La main de Maman m’écrase l’épaule, comme si elle savait très bien que si elle me lâchait, ne serait-ce que la moindre foutue seconde ; je me mettrais à courir tout droit, courir à m’en déchirer les muscles.
Dans quelle direction ? *’vraiment cachée ?*. Je n’en sais foutrement rien.
Là-bas, peut-être ? Vers les fenêtres qui me regardent d’un air sans-cœur ? Ces petites cachotières qui planquent cette *elle* qui n’est pas là ?
Ou alors je prendrais le sens inverse. Courir jusqu’à traverser tout l’océan de neige, toute la clarté de la nuit, bondir par-dessus Londres pour atterrir directement chez Darcy et lui enfoncer mon poing si fort dans sa petite gueule que je lui décollerais ses orbites.
Ouais. Je ne sais pas vraiment quelle direction je prendrais. Mais je sais qu’elle ne doit pas me lâcher, Maman.
Je ne déborde pas. Tout est foutrement à sa pla…




Les regards ne mentent pas.
Et ce que voit Paya dans ces regards-là est une cruelle trahison. Certes, celle-ci n’est ni la première, ni la dernière, mais se prendre la gifle du mensonge à travers les yeux de trois inconnus est particulièrement abject. Sa petite fille — SA CHAIR, SON PROPRE SANG — lui a menti.
Elle voit bien que tout le monde la connait ici. Paya est même persuadée que le bois de la maison, ainsi que toute la forêt, et même la neige d’ici se rappelle de sa petite fille.
Tout le monde sait. Sauf elle.
Elle se sent comme une cerise sur un titanesque gâteau, que l’on rajoute à la fin avec un sourire satisfait, prête à être dévorée dès la première bouchée.
Et cela ne lui plait pas, mais alors pas du tout.

Ses doigts se sont inconsciemment serrés en un véritable étau sur sa fille. Le temps de prendre le recul nécessaire sur cette situation qu’elle découvre malgré elle, qu’elle déteste de tout son cœur de grande. Son esprit lui souffle des idées à glacer le sang, qu’elle prend la peine d’analyser à une vitesse folle, ne rejetant aucune possibilité.
Tout se percute dans sa conscience. D’autant plus lorsque sa propre fille casse le silence en prononçant le prénom de cette inconnue, imposant un silence encore plus grand. Plus lourd. Plus étendu à en donner le vertige au ciel.
C’est alors que le regard empli d’accusation — ayant du mal à se contenir — de Paya crisse jusqu’au visage de sa fille. Qui ne la regarde pas un seul instant, ses prunelles à elle voguent dans une contrée bien lointaine.
Alors, que doit faire Paya maintenant ? Que doit-elle faire pour arrêter cet engrenage qui va finir par tous les broyer ?
D’un geste lent, celle-ci effleure sa baguette à travers son long manteau.
Doit-elle punir Charlie comme elle ne l’a jamais punie ? Qu’est-ce que cela changera ?
Doit-elle transplaner hors d’ici, le plus loin possible de cet endroit de malheur ? Qu’est-ce que cela résoudrait ?
Doit-elle effacer tous ses atroces souvenirs, la retirer de Poudlard et déménager dans un autre pays ? Peut-être était-ce la meilleure solution ?
Mais elle n’était pas certaine que cela changera quoi que ce soit. Celle qui se tient devant elle, au regard qui lui donnerait presque envie de pleurer, c’est sa fille ; et elle la connait, jamais elle ne lâchera.

Alors peut-être tenter d’attaquer l’autre côté, l’autre partie, l’autre moitié ?
Qui est cette créature — certes, elle ne pouvait pas croire qu’elle était humaine, n’est-ce pas ? — qui rend sa fille si triste, si déterminée, si excitée, si insolente, si insistante… en somme, qui l’empêche d’être elle-même ; voilà ce qu’en pense Paya. Cette créature abominable empêche sa fille de devenir l’extraordinaire sorcière qu’elle doit être ; voilà exactement ce qu’elle en pense.
Elle-même a gâché — un rictus fugace, haineux, fait sursauter sa joue — certes, elle a gâché sa vie alors qu’elle était bien trop jeune. Et jamais elle ne laissera faire, ni autorisera, ni acceptera que sa propre fille en fasse de même.
Voilà tout ce qu’en pensait sincèrement Charlie Paya.

Charlie Rengan, et la lune siffle, éructe en gargouillis ricanant.

Cela sonne comme une évidence aux oreilles de Paya, elle a déjà tout compris. Les regards ne mentent pas, jamais.
Cela sonne comme une agression aux oreilles de Charlie, elle ne comprend pas. Pas le moins du monde. Son émeraude solidement planté sur la façade immaculée tressaille ; son cœur a sursauté. « Je me souviens de toi. » Il lui faut une seconde.
Puis une deuxième, bien trop longue.
Et l’instant d’après, la lame de son regard crisse en éventrant toute la façade de cette imposante maison, toutes les cimes des arbres au loin, tout le scintillement du manteau de la nuit, toutes les arabesques des flocons de neige, pour enfin se planter dans les deux globes qui servent de yeux à cette femme-là.


𝄞


*Mais toi, t'es qui, toi ?*.
Avec sa manière bizarre de prononcer mon nom. Sa manière figée de se tenir comme si elle était prête à tout. Sa manière tordue de me regarder comme si j’étais un rat ou une bestiole qui *’rien à foutre*.
Elle, elle est juste ma témoin ce soir. Et c’est tout ce qu’elle sera pour moi, ce soir. *’arrête…*. Mais mon cœur me cogne la gueule. *’c’est…*. Je ne sais pas pourquoi il accélère autant devant…
doDOM.
Il rate un battement. *Dieu d’yeux !*. Son regard ! *C’quoi ça ?!* Pourquoi il me fait ça ?!
Arrête !
Mes ongles s’enfoncent profondément dans ma main gauche. Et dans le concert philharmonique qui me berce le crâne, j’entends un petit cri.
de Douleur.




Le regard froid de Paya voit sa fille détourner à nouveau les yeux pour se concentrer sur cette unique cible qui semble l’intéresser aujourd’hui : la façade opalescente. Elle n’a pas passé plus de trois secondes sur ce qui semble être la mère de cette dangereuse créature, c’est un manque de respect total ! Ce n’est pas ainsi qu’elle l’a éduquée ! Voilà ce qu’elle en pensait. Même pas un bonjour, ni une salutation, ni une excuse. Elle a dû la voir beaucoup de fois, sans qu’elle, sa satanée — propre — mère n’en sache rien.
Un véritable couteau en pleine colonne vertébrale, à lui en paralyser la parole.
Et elle est tellement noyée par ses propres émotions qu’elle n'a rien senti, ni vu du cœur de sa petite qui venait de chavirer dans des eaux préoccupantes.

Pourtant, tout cela devait et devra attendre. Il y a des enjeux bien plus cruciaux qui s’élèvent dans cette nuit de flammes.

Ça ne pouvait pas attendre ? et elle s’entendrait presque elle-même quelques heures plus tôt, face à Charlie, sur les quais bruyants de King’s Cross ; une véritable furie. La police moldue avait même procédé à un contrôle d’identité sur Adam.
Et la suite de sa phrase ne fait qu’amplifier le sentiment qu’elle partage tout à fait avec — son émeraude quitte enfin la vue amère de sa fille pour se diriger vers — celui qui semble être le père de la créature.
Au milieu de ces lumières croisées contrastant durement avec la nuit lunée, Paya distingue mal le regard qui lui fait front, là-bas. Dans son esprit, ce sont des yeux qui cherchent à comprendre ; alors elle y cherche de la compassion, puisqu’elle se retrouve complètement piégée.

Lancer un sortilège à sa fille pour qu’elle perde connaissance, et enfin pouvoir parler avec franchise à ces gens-là est impensable. Charlie lui en voudrait beaucoup trop, sûrement définitivement vu les émotions qu’elle exhibe pour cet endroit. Paya a mis des années à enfin se rapprocher de son unique fille, la prunelle de ses yeux, son elle miniature ; alors, ce soir, elle ne prendra aucun risque de perdre ne serait-ce qu’une seule once de son terrain.
Elle en oublierait presque que sa fille a 17 ans.

Exprimer directement ce qu’elle pense au fond d’elle-même concernant toute cette mascarade est tout autant impensable. Puisque si cela se passe mal — et elle n’est plus sûre de rien, tous ses calculs ont été démoli — elle sait pertinemment que Charlie lui en voudra personnellement. Rien de bien engageant.

Pourtant, elle ne veut plus entendre le moindre mensonge. Elle se retrouve donc au milieu d’une ruelle mal éclairée, une impasse devant elle. Une autre derrière elle. Et des gouffres infinis dans toutes les directions où son émeraude peut se tourner.

Ainsi lui reste-t-il cette compassion à gagner, à aller fouiner et à déterrer dans un regard qu’elle cherche à drainer. Sa voix se drapant de teintes rigides malgré elle : « Je vous prie de m’excuser le déplaisir de cette prise d’otage que nous subissons tous », elle ne quitte pas le regard de cet homme à l’air si sage — n’est-ce pas ? Ou y a-t-il de l’amertume dans ses pupilles ?
Ce n’est pas le moment de s’en inquiéter. Sa main se serre encore plus fermement sur l’épaule de Charlie lorsqu’elle sent un frisson la parcourir ; frisson qu’elle partage. « Néanmoins, vous savez très certainement ce qu’elles peuvent être insistantes à cet âge-là ». Et non, elle ne parlera pas du fait que cela fait des mois, et des mois que cela dure.
Non, elle ne parlera pas de la torture que c’est pour elle de voir sa fille mettre tant d’énergie dans cette relation qu’elle n’approuve pas.
Non, elle ne parlera d’absolument rien de tout cela ; ou même de tout ce qu’elle pense d’autre.
Préférant transpercer l’homme de ses grands-yeux-aux-reflets-étranges en cette nuit d’éclats lunaires ; cet homme qui a tout à fait l’âge d’être son père.

Charlie, de son côté, n’écoute plus rien.
Son regard est pétrifié par cette petite tête qui vient d’apparaître, tout là-bas, sur la façade de blanc cramé.

je suis Là ᚨ

01 août 2023, 16:50
Rose  PRIVÉE 
Les lèvres d'Arya se pincent sans la moindre subtilité quand le regard émeraude se pose sur elle. Le regard de l'enfant, pas de la femme. Bien malgré elle, son coeur rate un battement. C'est qu'elle se souvient de ce regard-là — qu'il était différent à l'époque ! Mais la lueur est toujours la même. Pas cette drôle de lumière qui rend le regard avide, mais cette couleur, plus verte que tout ce qu'elle a toujours connu, qui font de ces yeux ce que l'on appelle une chose troublante. Personne ne peut croiser un regard aussi clair sans en ressentir un sentiment d'irréalité.

Le combat qui se déroule dans le coeur d'Arya, très différent de celui qui a lieu dans celui de son mari, est vain. Oui, elle peut s'inquiéter pour sa fille. Oui, elle peut être en colère que les drôles de comportements de son enfant soit responsables de la rencontre qui a lieu ce soir. Oui, elle peut s'angoisser que la résurrection du prénom « Charlie Rengan » crée des remous dans sa famille à la tranquillité déjà bien troublée. Elle peut, mais cela ne changera absolument rien au fait que Charlie Rengan, avant d'être la fille qui a changé son enfant, est sa patiente. Un nom dans un dossier. Un dossier qui ce soir, n'a pas besoin d'elle, mais de sa fille. C'est anormal, non ? Ses patients ont besoin d'elle et de personne d'autre, et c'est dans l'ordre des choses. Après tout, n'est-elle pas guérisseuse ?

Les yeux émeraude se détournent d'elle, mais Arya continue de regarder. Elle explore ce grand corps ; si grand ! Pas aussi grand que celui de sa mère, mais un jour ce sera sûrement le cas. Tandis qu'elle observe, des frissons courent sur sa peau. Arya aimerait beaucoup que tout le monde s'efface autour d'elle ; la maison, les paysages, la neige et les arbres, son mari et son fils, cette grande femme qui darde sur elle un regard calculateur, pour que ne restent que l'enfant et elle. Le dossier et la guérisseuse. Arya a besoin, autant que Charlie semble avoir besoin de sa fille (foutaises !), de passer sa baguette le long du corps de cette enfant pour pour saisir toutes les subtilités de sa magie.

Zile sait bien ce qu'il se passe dans le coeur de sa femme. On ne peut pas être marié depuis presque trente ans avec une personne sans comprendre ses pensées. Aussi serre-t-il les poings, agacé que sa femme se questionne sur cette enfant alors que le problème est assez simple : des étrangères sont sur leur terrain et l'une d'elles souhaite parler à Aelle. Aelle, son Aelle. Sa petite fille, sa petite dernière. Qu'il ne comprend pas la plupart du temps, mais qu'il refuse de voir s'éloigner de nouveau de lui.

Zile ne flanche donc pas quand la grande femme prend la parole et que sa voix se couvre de teintes sévères. « Cette prise d'otage que nous subissons tous » ; l'homme tourne vaguement les yeux vers Charlie avant d'en revenir à sa mère. « Inconsistantes », voilà donc la seule explication qu'elle a à lui donner ? Une mère, victime de sa fille inconsistante qui exige de voir alors que la nuit est déjà bien avancée une personne avec laquelle elle partage des secrets qui n'ont jamais été dévoilés. Tout à coup, Zile se demande si la mère de Charlie sait. A-t-elle cette chance d'avoir su, d'avoir compris ce qu'il s'est passé à l'époque entre Aelle et Charlie ? Son coeur se serre malgré lui. Il est pourtant rarement victime de jalousie. Le sentiment disparaît rapidement, balayé par la culpabilité de fomenter de telles pensées. Ce n'est pas le moment ! se gourmande-t-il.

Le coin de ses lèvres se soulève légèrement. Ce n'est pas de la joie, ce n'est pas de l'assentiment. C'est rien d'autre qu'une grimace polie qui lui a échappé.

« Oui, je sais, » s'entend-il répondre.

Ce n'est qu'après une longue poignée de secondes qu'il réussi à forcer son bras à réagir à ses ordres : il range lentement sa baguette dans sa poche et se redresse. Il inspire profondément avant de s'avancer. Ses bottes crissent dans la neige. Il tend la main devant lui ; Zile n'a jamais été un homme particulièrement méfiant.

« Zile Bristyle, se présente-t-il. Je suis le papa d'Aelle. »

Ces derniers mots sont adressés à Charlie. D'ailleurs, il la regarde et se déplace pour être plus proche d'elle que de sa mère.

« Voici ma femme, Arya. » Un geste vers Arya, restée en arrière, les lèvres toujours aussi pincées. « Et l'un de mes fils, Zakary. »

Zakary hoche la tête, la baguette basse. Il ne bouge pas, mais ses lèvres s'ouvrent en un sourire un peu ironique — comme s'il trouvait particulièrement amusantes ces salutations effectuées au beau milieu d'un champ recouvert de neige.

« Pourquoi... »

Zile se racle la gorge et cherche à croiser le regard de la très grande jeune fille. Il ne pensait pas que Charlie Rengan ressemblait à ça. Il ne l'imaginait pas aussi grande, il ne l'imaginait pas aussi... Pas tant... Aelle l'aime-t-elle ? La question s'incruste sous son crâne. L'aime-t-elle ?

« Pourquoi as-tu besoin d'Aelle ? demande-t-il d'une voix douce. Pourquoi ce soir ? »

Impossible pour un homme comme celui-ci de retenir la vague de questions qui veut le noyer. Elle percute la porte de sa conscience et il n'a pas la force de la contenir : un père normal aurait-il fait rentrer les Paya-Rengan dans la maison ? leur aurait-il offert une tasse de thé ? aurait-il invité Aelle à se joindre à la conversation ? se poserait-il toutes ces questions ? Un père normal craindrait-il qu'une enfant fasse du mal à sa famille, alors que son besoin n'est qu'une preuve de son mal-être ? Un père normal se serait plutôt assuré qu'elle aille bien, non ? En tout cas, un homme normal l'aurait fait, lui.

*


La tête brune de Narym semble détachée de son corps, ainsi cachée derrière ce voile qui sépare le monde intérieur du monde extérieur. Je regarde mon frère en frémissant de frustration et d'un agacement qui a remplacé la peur ressentie plus tôt quand l'alarme s'est déclenchée. Quoi qu'il se passe dehors, cela ne me concerne pas. Pourtant, cette chose qui ne me concerne en rien m'empêche de profiter de la soirée comme j'escomptais le faire. À partir de là, plusieurs possibilités : me laisser emporter par l'impatience grandissante des autres, ou du moins d'Aodren, et aller voir par la fenêtre ce qu'il se passe dehors — envers et contre les ordres de mon frère ; ou me laisser tomber sur le fauteuil le plus proche de moi, celui qui est face à la fenêtre mais de l'autre côté de la pièce, et attendre que le temps passe en retournant à ma lecture.

Logiquement, j'aurais choisi l'une ou l'autre des possibilités. Je l'aurais fait si Aodren ne s'était pas soudainement avancé, me cachant un bref instant la vision de la tête fantomatique de Narym cachée derrière son rideau. J'accommode sur l'ancien Serpentard, les sourcils froncés. Aodren décale une chaise et s'assied sur la table, dos à la fenêtre. Ses jambes battent l'air. D'un coup de baguette, il éloigne une seconde chaise.

« Viens t'asseoir, Naël. Ça sert à rien de rester planter comme des idiots. À tous les coups c'est une connaissance de maman, c'est tout. »

Pâle comme la neige, le grand jeune homme acquiesce et se met en mouvement.

« Pourquoi ce serait une connaissance de Maman ? » demande-t-il d'une petite voix en s'asseyant à son tour sur la table.

Son regard se tourne vers moi, mais je ne bouge pas.

« Y'a que maman pour avoir des amis assez impolis pour se pointer comme ça à pas d'heure. »

Aodren a choisi la mauvaise cible s'il pensait que Natanaël rirait d'une moquerie visant sa chère mère. Il retrouve aussitôt son énergie et fusille notre frère du regard.

« C'est pas vrai, Maman a des amis très respectables !
Ouais, c'est ça ! » Le rire d'Aodren ressemble à un aboiement. « Bon, peu importe. On saura bien vite ce qu'il se passe. »

Je les laisse tous les deux et me dirige vers le fauteuil qui me permet à la fois de les regarder et de surveiller Narym qui espionne pour notre compte mais qui ne sait vraisemblablement pas rendre compte. Je me laisse tomber dans le siège et Zikomo grimpe sur le dossier. Si je m'approche de la fenêtre, Narym va se plaindre ; et si je reste plantée devant Ao et Naël, c'est ce dernier qui finira par se plaindre et par me prendre la tête.

« Alors Narym, tu vois quoi ? lui lancé-je puisqu'il ne dit rien.
Rien de plus qu'il y a trente secondes, Aelle. Papa tend la main je crois que... »

Je me redresse, le coeur battant d'une curiosité toute enfantine ; la même qui envahit le coeur de tout ceux qui se réjouissent quand des événements, peu importe lesquels, arrivent.

« Il veut les saluer. C'est que ça doit bien se passer. »

Narym hausse les épaules et récupère sa tête. Il cache le fait que la plus jeune des femmes s'est tournée vers lui et l'a aperçu ; et que pourrait-il en dire, puisqu'il ne sait pas qui elle est ? Comment comprendre toutes les subtilités d'une scène qui se déroule devant nous quand il nous manque la moitié des informations ?

Je soupire en posant le menton dans le creux de ma main. Merlin, c'est bien ce que je pensais. Il ne se passe rien de bien intéressant dehors. Bientôt, Zakary rentrera, ennuyé par les connaissances de nos parents. Puis nos parents rentreront et moi, je fuirai dans ma chambre : je n'ai aucune envie de supporter la présence d'inconnus chez moi, je n'ai pas que cela à faire. D'une formule magique, j'ordonne à un livre de venir me rejoindre ; quitte à attendre qu'une réponse nous soit donnée, autant s'occuper.