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12 mars 2022, 16:00
{ Ὀδυσσεύς }
Une pensée passa. Nuage de cendres voué à disparaître ; rien n'est éternel, après tout. Une pensée comme un autre, une pensée-arbre peut-être, s'élevant depuis le sommet de la Grande Tour. Elle s'envole comme le Phénix vers les Astres, et elle laisse une traînée de Poussière. Seule la poussière dure éternellement disait Keene. Cette pensée c'est un fragment, une goutte, une molécule composée d'un on-ne-sait quoi qui s'extirpe de la matière grise. Cette pensée est un miracle qui deviendra Parole, ou pas. Parviendra-t-elle jusqu'au papilles et, une fois qu'elle aura un goût, désunira-t-elle les deux continents, Lèvres de terre ?

Non, l'Apprentie se taisait. Tu tentait inconsciemment de ralentir le rythme de tes pensées, et pour une fois, car ce vœu n'était pas formulé par ton Esprit directement, il semblait y avoir en effet une légère baisse du nombre de pensées. Le paysage de ton cerveau apparaissait plus dégagé, le Vent du Messager était en train de chasser au loin les Nuages, laissant apparaître Séléné. Cette dernière — ce dernier ? — était radieuse. Elle avait attendu longtemps, avec patience, comme à l'accoutumée en somme — chaque jour durant douze heures elle subissait l'éclat ravageur du Soleil.

A l'image du soleil (tiens, ôtons-lui une Majuscule, peut-être que son arrogance se dissipera, qui sait), il semblait que la culture anglo-saxonne ait envahi l'espace des autres cultures ; véritable culturophage. Tu t'étonnais de cette progressive invasion de cette langue qui, d'après toi, n'était pas spécialement belle, du moins n'était-elle pas plus jolie que les autres langues. A force qu'elle dévorait les autres, elle détruisait la matière sacrée de différentes civilisations. Elle effaçait l'histoire. Bien entendu, tu n'avait rien contre la langue anglaise ; tu aimais d'ailleurs la parler, la déposer sur le papier, la chanter. Mais tu ne supportais pas cette idée de conquête culturelle et linguistique au nom de l'universalité.

« C'est bien dommage, ils ont tant à nous apprendre... »

Tu avais désormais une certitude, alors que ton Regard agrippait celui du Messager : la première langue que tu apprendrais serait l'allemand. Cette la musicalité de ce poème t'avait enchantée ; la douceur des mots qui invitent au voyage, au rêve.

« Si vous pouviez partir maintenant, où iriez-vous ? »

𐌔

12 mars 2022, 18:31
{ Ὀδυσσεύς }
Renvoyé dans les souvenirs des quelques séjours en Allemagne effectués aux côtés de Opa pour assister à des représentations artistiques données en leur berceau, par des interprètes incarnant leur propre patrimoine, Hjúki s’accordait de penser que son constat était nuançable, un nerf résistant existait évidemment. Néanmoins, qui sillonnerait les rues d’une ville allemande sera immédiatement frappé des mises en avant manifestes de sorties culturelles américaines ou britanniques voire allemandes mais anglophones au point d’en oublier que nous serions sur la terre de la littérature germanophone. L’exception était sans doute l’art sans paroles où leur ‘Geist’ était préservé dans leurs propositions. Ce n’était pas tout à fait comparable au phénomène français dont Paris avait historiquement été en diverses époques le carrefour des influences d’où naissaient des synthèses ; mais une approche allemande était perceptible, déclinée en nombre de variantes selon les régions. Après ses deux unifications opérées en les derniers siècles successifs, ce pays était toujours empreint de cet aspect d’identités multiples. Après l’enfermement des dernières années, le voyage lui manquait, sachant bien qu’il y avait encore pléthore à découvrir. Sa moue nostalgique apparut pour confirmer le dommageable de la situation qu’il tenta de préciser à l’aune de ce qu’il avait capté sur place.

« La langue n’est pas la culture entière et leur esprit ou plutôt Geist se sent encore sur leurs scènes. Tout n’est pas perdu, soit, mais cette composante qui se fragilise mérite notre attention. »

Partir ? La hâte bouillonnait si fort en lui que la question alliait le naturel parce que cela arrivera et l’énigme du fait qu’il n’avait toujours pas dessiné un plan de route bien précis. Il était certain que Poudlard représentait une entrave de l’emprise britannique qui le mènera à éviter toute résidence au Royaume-Uni à l’avenir. Le comportement du conseil des sorciers à l’égard de sa patrie qui avait très lourdement payé le prix de liberté le révulsait et le poussait même à se rattacher plus fermement au versant de la Coupole, où au moins la souveraineté de la République d’Irlande était nettement reconnue. Côté magique, ce n’était qu’approximativement le cas : les décrets britanniques étaient applicables aux enfants Irlandais car fréquentant l’école sise en leur territoire, et il était même permis à des transfuges originaires de sa patrie de siéger en tant que décisionnaires d’un gouvernement étranger, sans compter que ses concitoyens pouvaient s’inscrire au registre du sang alors que cette lubie crasse n’était en rien universellement reconnue par la confédération internationale. Sa lignée irlandaise était un héritage personnel, jamais il n’envisagera de soumettre son identité et celle de sa famille aux glauques analystes d’une contrée voisine. L’adolescent ne se considérait même pas comme un indépendantiste à proprement parler, l’Irlande était censée être déjà autonome depuis un bon moment mais le comportement de la communauté magique était une insulte au combat mené pour se détacher des institutions de contrôle extérieur. Plus d’un siècle après avoir quitté le Commonwealth, le gouvernement sorcier actuel du Royaume-Uni faisait comme s’il s’agissait d’une annexe, sur le papier que l’Irlande soit désignée comme alliée – aussi répugné soit-il par cette adhésion, il reconnaissait que la résistance n’était une alternative donnée à tous – devrait prouver une souveraineté mais le jeune Anastase la sentait à peine respectée. Ses ressentis ne mentaient pas, il était purement un étranger, et ses racines étaient la Liberté. Se proclamer ‘Saorstát Éireann’ au commencement n’avait pas été anodin. La liberté était une valeur qu’il tenait à clamer haut et fort, il avait grandi au rythme de cette musique narrant les chaînes rompues ou à briser, ce qui avait rendu son séjour au château d’autant plus douloureux. Où ira-t-il lorsqu’il aura l’opportunité de trancher les derniers liens avec cet espace de restriction et petitesse où il avait été contraint d’évoluer ? La vastitude lui avait toujours souri, et si dans sa jeunesse ses rêves impliquaient plutôt d’impressionnants galions ou trois-mâts dignes de pirate, Hjúki n’avait jamais totalement dérivé de ses vœux de navigation. Fuir éperdument les limites.

« Sur les fleuves de ma terre natale. L’océan à perte de vue, c’est certes saisissant, mais l’exploration de la terre par ses eaux intérieures m’attire plus encore. J’ai ce regret de ne pas avoir été assez là où j’aurais dû grandir. Ensuite, ce sera l’Europe, l’immensité est également en des cours comme le Danube ou la Volga dont la musicalité a tout comme Goethe inspiré des compositions. »

27 août 2023, 19:05
{ Ὀδυσσεύς }
Plume de Hannah Hardhoke a écrit :
« Le virus du savoir pour le savoir va jusqu’à donner à ses porteurs une sorte de jouissance quand ils voient démenties des convictions qui leur étaient chères ; il a donc quelque chose d’inhumain »
Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, I, IV, p.91


Ce fut sans amertume ni rancœur que tu admis l’erreur commise en élargissant démesurément l’importance de la langue au sein d’une culture. Tu n’avais qu’un désir : connaître. C’était comme si quelque force extérieure t’avait insufflé le Sapere aude kantien ; ton courage était digne du Cronide pour affronter les obstacles plus ou moins imposants sur le chemin du Savoir. Il y avait beaucoup de grâce et de vie dans la voix de ce Maître, à quoi il fallait greffer la beauté de la vérité. Ne pas penser, surtout, au caractère éphémère de cette discussion, alors que des pensées éparses suggéraient l’hypothèse odieuse d’un fantasme intellectuel. Peu importait : c’était presque une variante du pari de Pascal, tu avais tout à “gagner” (bien que ce terme soit assez inconvenant lorsqu'il est question d’apprentissage) en croyant à la réalité matérielle de cet instant. Au pire, cela serait la promesse d’une nuit fort paisible ; au mieux, cela pouvait être un instant capital dans ton parcours d’élève ; preuve que même au sein d’une Institution mondialement connue pour sa prétendue excellence, la rencontre avec des esprits forts pouvait s’avérer parfois plus déterminante qu’un cours pourtant passionnant sur tel ou tel sortilège. Loin de mépriser la qualité des professeurs de Poudlard, tu regrettais le cloisonnement des savoirs et le déracinement absolu qu’ils induisaient pour les élèves moldus, car malgré les heures consacrées à l’étude des Moldus ceux-ci demeuraient constamment observés par le prisme sorcier… En posant tes valises dans ce château, tu avais rapidement compris qu’il valait mieux délaisser ces années passées dans l’Autre Monde. C’était révoltant, mais tu n’y pouvais rien.

D’un hochement de tête, tu fis part à ton interlocuteur de ton approbation : bien sûr, aurais-tu pu ajouter, mais une des premières leçons que t’avait enseigné l’expérience des conversations avec tes Semblables était de ne point abuser des mots, d’en user avec parcimonie, lorsqu’ils s’imposaient. Tu n’avais pas honte devant ta maladresse, tu ne craignais pas grand chose, étrangement.

Il y avait quelque chose d’assez peu compréhensible dans le recul, par exemple, de la langue allemande face à l’anglais. Tu ne saisissais pas, sans doute naïvement, l’intérêt que pouvaient trouver des peuples à laisser leur langue sans papilles… Une belle langue, comme un souvenir agréable, ne s’abandonne pas, n’est-ce pas ? Quel intérêt aurais-tu, par exemple, à abandonner les vers fébriles mais sensibles que tu notais dans ton carnet presque quotidiennement ?


« Pourquoi ? Pourquoi font-il cela ? N’aiment-ils pas leur langue, ou bien y a-t-il une autre raison qui m’échappe ? »

L'arrachement d'un enfant à la terre, quel tragique destin. Tu avais dans une moindre mesure connu ce drame, lorsque tu avais dû rejoindre les couloirs de la Forteresse en abandonnant la campagne verdoyante, modeste et généreuse, d'Ashurst. Embrasser le monde magique en quittant celui des Moldus, avec la peur irrationnelle de ne jamais retrouver tes parents, ta chambre, le tableau périodique des éléments sommairement accroché au-dessus de ton bureau, la chaleur de ton lit, l'émerveillement, la tendresse. En quittant le foyer qui t'avait vue grandir depuis tes premiers jours, la sensation d'avoir trahi avait mordu ton cœur.

Tu peinais donc à imaginer la frustration que pouvait représenter l'impossibilité de grandir là où on a vu le jour. Cela devait être un choc d'une violence inouïe, peut-être n'en avait-il jamais eu conscience pendant de nombreuses années. En tout cas, les récits traitant du retour « aux racines », à la terre dont on vient, étaient fort nombreux. Tu les lisais avec délectation, non seulement parce qu'il te consolaient de l'éloignement de tes parents, mais aussi en raison de ton goût prononcé pour le Voyage. Et dans le secret de la nuit tapissée d'étoiles dont tu ne connaissais guère le nom, un Maître te faisait visiter le monde de ses paroles ailées.


« Je n'ai jamais lu Gœthe, par quoi faut-il commencer ? »

Tu brûlais d'en lire davantage, d'ouvrir un ouvrage de cet auteur pour humer ses mélodieuses paroles.
Tu brûlais aussi de rejoindre la campagne anglaise, car cet échange ravivait le souvenir douloureux du manque.
Une image passa, vague et pourtant si familière. quelconque et diablement singulière : l'herbage vert pâle après une nuit fraîche, dont les brins sont recouverts de givre ou de rosée, les arbres encore ankylosés par la nuit, que l'Aurore aux ailes de safran réveille d'un baiser tiède. Plus loin, le murmure imperturbable de la rivière, l'odeur inchangée du temps qui passe, les semelles d'eau dans le ciel percée par Hélios. La fenêtre entrebâillée, la sensation de vivre, d'étreindre un fantôme d'oxygène.


« Ma famille et mon village me manquent affreusement. »

Tu parlais la rosée au coin des yeux.
~

Ses Perles-de-Nótt teintées d’une sincère curiosité se posèrent sur l’enfant alors qu’elle assimilait la suite de questions. Aussi suivies soient-elles, il en tira le constat que l’on s’en posait moins dans les jeunes années. Même si les interrogations avaient l’air nombreuses et fourmillantes, en prenant de l’âge et en élargissant ses horizons, l’adolescent s’était rendu compte de déterrer les premières réponses ne faisait qu’élargir le champ à défricher. Jusqu’à devoir apprendre lesquelles laisser sommeiller dans un recoin, et lesquelles permettre d’affleurer. La langue a-t-elle à être aimée ou n’est-elle qu’un outil ? Les mots, il faut les apprendre, mais Hjúki n’avait pas l’impression que répliquer des images, des odeurs, des mélodies dans sa tête ait été enseigné strictement. Ça se produisait tout seul. La raison pour laquelle des productions en anglais étaient composées par des germanophones, il pensait la saisir et l’exprima.

« J’imagine que certaines personnes souhaitent toucher un plus large public, ou un nouveau… d’autres sont étonnées que la langue des signes diffère d’un pays à l’autre et ne soit universelle, comme si être dans une autre culture n’influençait pas la façon d’appréhender son monde. C’est compliqué, je suppose. De vouloir à la fois être compris du plus grand nombre et s’exprimer dans sa langue ou sa manière. »

Le jeune Anastase mit en suspens la réflexion. La première variable ne le concernait pas réellement. Trop arrogant, trop égoïste, peu importe, s’exprimer selon son désir valait plus que d’être limpide à tous. Il emploierait une autre langue que si elle s’avérait parfaite pour ce qu’il souhaitait transmettre, pas pour viser une audience. Comme certains termes plus adaptés en retournant à leur source primitive, parfois mythique. Du moins à ses oreilles. Un frisson le parcourut lorsqu’il invoqua silencieusement car purement mentalement Hécate. Revenir aux noms rendait parfois les concepts plus puissants. Elle n’avait pas d’emprise, alors il attendit que ce mirage d’ombre passe. Une autre invocation l’éclipsa. Goethe. Le poète allemand.

Hjúki se tut, comme s’il avait besoin de se décider. Ce n’était pas le cas, le titre lui brûlait déjà l’esprit de ses lettres de feu, cela ne l’empêcha de regarder les secondes et d’autres vers défiler. Plein d’histoires, comme des voiles pour dissimuler le héros séduisant, obsédant. C’était évident, pourtant ses doigts commencèrent à tapoter contre sa jambe quelques rythmes de Lieder de Schubert. Le Roi des Aulnes, les Citronniers, Iphigénie. Des poèmes étaient poignants, néanmoins pas assez puissants face à…


« Faust, c’est percutant. En réalité c’est une très vieille légende, Goethe n’en est pas le premier auteur. Il y aussi des poèmes, des correspondances, des romans, des tragédies, même des travaux scientifiques. Faust reste… puissant. »

Le récit, le héros ? L’adolescent ne comptait pas démêler l’ambiguïté. Plus tardivement, il y avait le Docteur Faustus, où il était assurément bien plus question de la figure que de Goethe. Ce n’était toutefois pas le genre de roman que Hjúki intégrerait dans une conversation avec une enfant, cette version avait une dimension bien plus… horrifiante. Il n’avait pas trouvé le Faust terrifiant, l’adolescent espérait ne point prodiguer un conseil décalé dans l’univers des histoires accessible à une jeune mage par une erreur de jugement.

« Goethe a aussi écrit des contes, pour un début plus doux. »

Se remémorant une belle histoire de passage entre deux rives, l’image du pont qui lui était si aisé d’invoquer, le mage esquissa un sourire. Découvrir l’auteur de façon plutôt bousculante ou caressante, libre à elle décider maintenant. Son regard se braqua sur les cieux quand elle parla de manque. Il n’en connaissait pas de remède magique, c’était le genre d’affection que les pouvoirs ne pouvaient combler que de façon artificielle. Hjúki savait également n’avoir ni l’expérience ni le doigté pour être une véritable source de réconfort. Quand Opa lui manquait… ça lui poignait sans disparaître si aisément.

« Ils partagent le même ciel, n’est-ce pas ? Il m’arrive de regarder un point dans l’Ouranos, un Astre, en me disant que la personne à laquelle je pense le vois également, en même temps. Sauf Sol qui peut nous brûler de jour, tu peux choisir la forme que tu souhaites et… peut-être que tu auras l’impression qu’ils ne sont pas si loin. »