Déjà mars. Le Temps passait trop vite. Les mois s'enchaînaient trop rapidement, tout comme les semaines, les jours, les heures, les minutes, les secondes. Il semblait s'effilocher, près de se casser, et pourtant, il tenait bon. Le fil du Temps était fin et fragile, et pourtant, il tenait. Il ne s'était pas cassé, en morceaux. La Tapisserie continuait d'être tressée ; inlassablement. Le Temps était comme ça. Inlassable. Trop long et trop court. Vaste et restreint.

Ellana avait terminé un cours de vol, quelques minutes plus tôt. Elle détestait les cours de cette matière, le vol lui procurant une sensation qu'elle n'aimait pas. Elle aimerait voler, mais pas comme ça. Là, elle avait surtout le vertige et la nausée, un peu comme si elle était perchée en haut d'un toit. Elle attendait sa troisième année avec impatience, pour pouvoir arrêter de suivre ces cours. Et là, la jeune fille n'avait pas envie de penser à ses cours. Elle en avait assez. On était lundi, mais elle était déjà lasse de la semaine qui venait de commencer. Elle voulait se détendre, et oublier le Temps. Oublier celui qui semblait contrôler sa vie, et oublier tout ce qu'elle devait faire. Elle ne voulait pas travailler. Pas maintenant. Alors, elle ne le ferait pas. Elle ne se forcerait pas. La petite avait déjà franchi les limites que sa force lui avait imposées, et elle ne le referait pas. Elle ne referait pas cette erreur, de se mettre à bout, et de s'épuiser, lasse de tout.

La jeune brune se dirigea donc dans le parc, après être retournée dans son dortoir. Elle aimait cet endroit, avec sa pelouse verdoyante, et ses petites fleurs qui le parsemait, ici et là. Et elle aimait observer le ciel, bien qu'azur, parfois nuageux. Elle aimait se perdre, dans les confins de ses pensées. Elle fit quelques pas, touchant le parc de ses pieds. Ellana s'arrêta, regardant autour d'elle. Le soleil, à cette heure-ci, bien qu'on soit en mars, éclairait la verdure et certains arbres semblaient déjà s'être parés de fleurs. Une idée germa dans la tête de la jeune fille, comme une petite pousse.

Rapidement, la fillette remonta au dortoir. Elle prit le nécessaire pour tracer des lignes sur du parchemin et mit tout ça dans un sac. Elle redescendit alors, passant dans les couloirs lumineux. Une fois en bas, elle s'écarta un peu du monde qui était dans le parc, pour être isolée. Elle s'assit alors, et sortit son parchemin et sa plume. Elle prit un support, et trempa la pointe de la plume dans son encrier. Elle commença alors à tracer des lignes sur le papier.

Ellana fit grossièrement le dessin d'une fleur. Ce n'était pas très joli, mais qu'importe. La jeune fille n'avait pas beaucoup dessiné dans sa vie, et elle avait eu l'envie soudaine d'essayer. Elle avait voulu essayer pour se divertir, ne plus penser, changer d'activité. Elle en avait marre, de son rituel de tous les jours, entre les cours, les devoirs, la musique. Bien qu'elle aimait ces activités, elle aimait aussi varier, et le dessin était quelque chose qu'elle ne faisait que très rarement. Alors, ayant du temps libre durant une après-midi, elle avait essayé de tracer à l'encre des dessins. Elle n'avait pas de matériel pour le faire, mais peu lui importait. Elle voulait seulement essayer un autre type d'écriture.

La jeune fille pénétra dans le parc, un large sourire aux lèvres. Elle venait de finir son cours de vol et était particulièrement contente. Elle n'aimait pas vraiment ces cours, qui lui procuraient toujours beaucoup de stress et ne servait pas à grand chose pour elle. Elle n'avait nullement besoin de répertorier les règles de quidditch dans sa tête. En tout cas, elle avait réussit à se contrôler à peu près ce jour-là. Le lundi après-midi, Canelle venait donc naturellement dans le parc, sans raison particulière à part celle de se vider un peu la tête.

Ce jour-là, la jeune fille avait décidé de dessiner. Faire de nouvelles conceptions à l'aide de son pinceau et de ses crayons l'aider quand elle ne se sentait pas très bien. Ce n'était pas le cas ce jour-là, mais après deux heures de vol, il fallait qu'elle se vide un peu la tête. C'était pratique, elle n'avait même pas besoin d'emprunter des feuilles ou des crayons aux autres, sa situation pécuniaire lui permettant de pouvoir s'offrir ce genre de petits plaisirs. Pour ça, elle ne pouvait nier que son père servait à quelque chose.

Se posant à côté d'un arbre, la jeune deuxième année admira quelques secondes le paysage qui était de toute beauté. Vivre à Poudlard était bien pratique de ce côté-là, elle voyait toujours un environnement agréable.

La jeune fille s'adossa donc contre un arbre, regrettant de ne pas avoir amener ses beaux feutres en plastique. Sa soeur les lui avait offert pour Noël et Canelle y tenait tout particulièrement. En plus, les couleurs étaient bien plus variées que celles de ses crayons de couleurs ce qui lui permettait de faire de plus jolis dessins. C'était dommage, la fillette aurait apprécié les avoir. Cependant, elle ne remonterait pas à son dortoir pour ça, ça n'en valait certainement pas la peine.

Alors qu'elle allait commencer à faire un croquis, son crayon à papier dans une main, la jeune fille aperçut Ellana, une de ses camarades de dortoir. Elle la connaissait assez bien pour ne pas être trop gênée en sa présence.

-Salut, sourit-elle en enjambant les quelques mètres qui la séparaient de sa camarade. Je savais pas que tu dessinais.

Les deux Serdaigle ne se connaissaient pas particulièrement bien, cependant, assez pour que la jeune fille puisse tenir une discussion sans trop bégayer. De toute façon, Ellana devait commencer à avoir l'habitude.

Canelle sourit donc doucement à sa camarade, attendant patiemment sa réponse. Elle espérait qu'elle ne la dérangeait pas et que celle-ci avait un peu envie de discuter avec elle. Si ce n'était pas le cas, la blonde se contenterait de retourner dans son coin pour dessiner.

Ellana leva les yeux au ciel. Elle se perdit quelques instants, au milieu des nuages, dans un rêve de liberté et de légèreté. Elle voulait être semblable aux petites gouttelettes flottantes, mais elle ne l'était pas. Et elle n'était pas non plus un oiseau. La fillette avait fini par l'accepter, bien que le trouble se voyait sans nul doute sur son visage et l'envie de voler vers le firmament aussi. En revanche, une question l'obsédait. Pourquoi voulait-elle tant voler si haut, pourquoi voulait-elle être un oiseau ? Elle s'était rendue compte, après une année et demi passée dans le monde des sorciers, qu'elle avait peur de tomber, quand elle était sur un balai, qu'elle avait peur du vide. Ce dernier l'oppressait et la jeune brune ne savait nullement comment faire pour remédier à cela. Elle avait tout simplement peur ; y a-t-il quelque chose qui ne lui fasse pas peur ? Et cette dernière question hantait l'esprit de la petite, celle-ci se posant encore trop de questions. Et ces dernières n'avaient généralement que peu de réponse, mettant Ellana dans un état de stress à cause de ce manque.

Néanmoins, en cette journée de mars, la petite ne voulait pas désespérer. Elle ne voulait pas être triste ni être énervée. Elle voulait seulement être heureuse ; pour une fois. Ses pensées dévièrent, comme dévie le vent, et une image se peignit dans la tête de l'Aiglonne. *Etoile* Son Etoile. Son bonheur. Stella. La Bleue aimait cette fillette. Elle l'aimait, ne savant pas mettre d'autres mots. Ce n'était pas de l'Amour, seulement de l'amitié, mais l'amour était tout de même présent dans les yeux de la brune quand elle regardait son amie. Tout comme quand elle y pensait. Et, en plus, la joie illuminait le regard trop souvent triste et sombre d'Ellana quand elle pensait à Stella. D'ailleurs, cela faisait presqu'un an que les deux fillettes s'étaient rencontrées dans les toilettes, mais la brunette ne voulait pas célébrer cette date, car bien que mémorable et importante, la nuit passée n'avait pas été de tout repos, et la jeune fille n'était pas d'humeur à repenser à ça.

Replongeant son regard sur la feuille de papier, Ellana traça un soleil, puis prit quelques crayons de couleur. Là, elle commença à remplir de couleur le soleil, d'un jaune pâle. Elle voulait symboliser la joie, derrière cette pâle représentation de la réalité, mais cela lui importait peu. Avoir dessiné le bonheur lui apportait plus que la couleur, ou même la forme. Seulement, avoir mis des traits sur des pensées libérait la fillette de lourds poids. Le renouveau de la liberté et de la légèreté prit d'assaut le corps faible de la jeune fille, et, cette dernière, emportée dans une vague claire, se sentit comme un lapin, dévalant plaines et collines. Elle se sentait libre, sans les poids qui lui pesait trop sur les épaules.

Une fille, à la chevelure rayonnante comme le soleil arriva alors. C'était Canelle, une des camarades de dortoir d'Ellana. Elle lui adressa la parole, et un petit sourire se peignit sur son visage. La brune lui sourit en retour, voilant ses autres pensées que la joie qu'elle voulait ressentir.

- Salut. J'ai jamais dessiné avant aujourd'hui, j'voulais essayer.

La jeune fille avait réussi à sortir des mots compréhensible, et, malgré le fait qu'elle soit un peu en colère d'avoir été dérangée, elle appréciait la compagnie de Canelle et ne se sentait pas de la rejeter. Une douce couleur rouge teinta les joues de la fillette. Elle porta à la bouche le crayon qu'elle avait dans la main et se mit à le mâchouiller. Pas qu'elle avait faim, ni même par gourmandise, les crayons n'étant pas délicieux, seulement le stress qui l'envahissait, Ellana n'osant pas demander à la blonde si elle trouvait son dessin joli, par peur de se faire elle-même rejeter. Néanmoins, la petite enleva lentement le crayon de sa bouche et le reposa avant de murmurer, en lui tendant le dessin avec la fleur et le soleil.

- Tu l'trouves joli ?

Les joues de la brune, déjà rouges, virèrent à l'écarlate. Elle se sentait comme un animal pendant une chasse ; traquée. Par qui ? Elle ne savait pas vraiment. Pas par Canelle, la fille était plutôt gentille. Non. Elle se sentait traquée par ses sentiments, chassée par ses pensées. Ellana avait peur. Et elle appréhendait. Elle espérait, dans un coin de sa tête, que la blondinette de l'abandonnerait pas. Pas maintenant.

La jeune fille sourit. Elle comprenait que sa camarade puisse vouloir essayer, le dessin était quelque chose que les gens aimaient bien généralement. Ca permettait d'extérioriser un peu ses émotions, pour les gens qui comme elle n'aimait pas parler de ce qu'ils ressentaient. Canelle le savait, ses dessins étaient différents en fonction de son humeur. Quand elle était joyeuse, la blonde faisait des choses lumineuses et joyeuses, alors qu'elle avait plus tendance à dessiner des choses sombres avec des couleurs tristes quand elle ne se sentait pas très bien. Il lui était arrivé de dessiner le château sous la foudre et la pluie quand son humeur était plutôt orageuse. Elle ne faisait même pas exprès, ce n'était qu'après qu'elle se rendait compte de ça.

Posant ses yeux bleus sur Ellana, la deuxième année remarqua que celle-ci avait l'air assez perdue. Ou dans ses pensées peut-être. En tout cas, elle semblait être préoccupée par quelque chose qui n'avait sans doute aucun rapport avec le dessin. Mais Canelle ne lui demanderait pas ce que c'était. Elle savait que c'était agaçant quand les gens se posaient des questions, ou étaient trop intrusifs. Si sa camarade de maison avait besoin de parler, elle le ferait. Ce ne serait en tout cas pas la blonde qui la pousserait à parler, surtout si elle n'en avait pas envie. La Serdaigle n'était même pas sûre que sa camarade soit préoccupée par quelque chose.

-Ah, c'est...c'est cool, déclara-t-elle. T'aimes bien ?

Oui, la jeune fille n'avait trouvé que ça à dire. Mais en même temps, si sa camarade essayait le dessin pour la première fois, c'était probablement afin de savoir si ça lui plaisait ou non. En tout cas, quand Canelle testait de nouvelles choses, c'était surtout pour voir si elle aimait bien ça. Sinon, ça n'avait aucun intérêt à part celui de faire comme les autres. Et ça, la blonde n'appréciait pas vraiment. Elle savait très bien qu'elle le faisait, se préoccupant trop du regard des autres, mais elle se disait que si elle aimait quelque chose ou non, ça ne regardait qu'elle. Elle ne courait pas pour faire plaisir aux autres, non elle courait juste pour elle. Ca lui faisait plaisir.

Alors qu'elle avait commencé à sombrer doucement dans ses pensées, la voix de sa camarade la tira de ses rêveries. Elle lui demandait si son dessin était joli. Sentant que sa camarade était un peu gênée -elle avait posé sa question tout pas, Canelle afficha un large sourire sur son visage avant de se pencher pour attraper le dessin que sa camarade lui tendait. Les joues de celle-ci s'étaient teintes d'une jolie teinte rosée, preuve de plus que sa camarade était mal à l'aise. Une fleure et un soleil étaient dessinés sur la feuille. Ce n'était pas moche, pas magnifique non plus, mais une impression de joie se dégageait des teintes colorées que sa camarade avait utilisé. C'était assez joli.

-Oui, répondit-elle en relevant la tête après quelques secondes. C'est sympa, j'aime bien.

Puis elle retendit la feuille à sa camarade de dortoir, imaginant bien que celle-ci ne devait pas avoir envie de lui offrir. Grâce au dessin, la blonde se disait que finalement sa camarade ne devait peut-être pas être si préoccupée que ça. Les couleurs qu'elle avait choisi était rayonnante, joyeuse. Ce n'était pas des couleurs qu'on utilisait quand on était inquiet, en colère ou même apeuré. Ellana ne devait donc être aucun de ces adjectifs, ce qui rassurait un peu Canelle. Elle n'aimait pas quand les gens n'étaient pas bien, alors si sa camarade était heureuse, elle l'était aussi. Pas besoin d'être très proche des gens pour se réjouir de leur bonheur.

Canelle regarda durant quelques instants le dessin d'Ellana, avant de lui dire qu'elle le trouvait joli et de le lui rendre. La brune lui en était reconnaissante de ne pas être partie, de ne pas avoir fait de remarques quant à la couleur écarlate de ses joues, de ne pas l'avoir rejetée. La fillette avait fait un effort pour se montrer gentille envers la blonde car cette dernière était loin d'être méchante, et n'était pas non plus intrusive comme le sont parfois les gens. Leur échange était composé de quelques mots, et Ellana n'attendait pas plus que le nécessaire ; elle avait d'ailleurs horreur des personnes qui ne parlaient que pour parler, à longueur de journée, et qui salissaient inutilement la toile du silence.

Réfléchir était une chose que la petiteeDuchêne aimait faire. Elle aimait penser, pensant que tout n'était pas dans la logique, et que les songes étaient parfois bien plus importants que de suivre un chemin déjà tracé. Néanmoins, elle aimait tout ce qui se rapportait aux sciences car ces dernières étaient sources de connaissance, choses dont la brune raffolait. Ainsi, tout ce qui se rapportait aux plantes ou aux étoiles l'intéressait. D'un côté, son dessin représentait cela, mais sa camarade de dortoir n'aurait pas pu le savoir, ne connaissant sûrement pas parfaitement l'aiglonne pour le savoir. Et puis, les couleurs vives employées semblaient montrer un certain apaisement. La jeune fille s'était exprimée, derrière ce tableau de couleur et de lignes, à la fois abstrait et concret. Elle avait dévoilée au papier ses émotions, les peignant de couleurs et de bonheur, les faisant ressortir sur une toile auparavant sombre. C'était un un rayon de soleil, au milieu de la nuit ; une chose improbable et pourtant présente.

- C'est agréable. J'me sens plus légère.

La fillette se sentait libérée, comme si sa prison de sentiments s'était enfin relâchée autour d'elle, comme si sa geôle s'était ouverte, et que maintenant, elle ne se sentait plus étouffée. Dessiner lui avait fait arrêter de penser à trop de choses, l'avait aidée à s'exprimer, autre que par les mots. Elle avait pu se concentrer sur elle-même et ses émotions, oublier le vaste décor qui tournait trop rapidement pour elle. Un autre mot sortit la barrière de ses lèvres ; un remerciement sincère envers Canelle, qui lui avait, peut-être menti, mais qui lui avait dit qu'elle aimait bien son dessin.

- Merci

La Bleue se sentait comme une pousse de muguet florissante, qui se déploie et montre sa blancheur au monde, ne semblant pas accepter le malheur. Les petites clochettes qui symbolisaient la joie de vivre, chose qu'Ellana avait retrouvée avec un peu de repos. Elle s'était fatiguée inutilement, pendant le mois où elle avait refusé de dormir. Elle n'avait pas voulu affronter ses peurs, durant son sommeil, elle avait craint de les voir, et par cette crainte, s'était refusé de dormir. Alors, pendant des longues nuits, elle avait compté. Les nombres s'étaient succédés, parfois pendant toute la nuit, d'autres fois entrecoupés par le sommeil qui emportait la petite. Néanmoins, si elle avait retrouvé un certain sommeil, d'au moins six heures par nuit, l'enfant se trouvait être toujours fatiguée, et les cernes noires qui étaient présentes depuis novembre ne l'avaient toujours pas quittée, bien qu'elles s'étaient sans doute atténuées.

Ainsi, étant moins épuisée depuis la fin des vacances de noël, Ellana avait entrepris de profiter du temps libre qu'il lui restait avant ses examens. Et ce jour-là, elle avait voulu découvrir le dessin. L'assemblage des couleurs et des teintes, les formes pour symboliser les émotions. Cet art était beau, avec toutes ses facettes différentes. Une question germa dans la tête de la brunette, à l'intention de Canelle. Elle ne voulait pas la déranger, mais peut-être que la blonde pourrait lui donner quelques conseils ?

- Tu sais dessiner ?

La jeune fille sourit, hochant la tête. Elle comprenait parfaitement ce que sa camarade pouvait ressentir en dessinant. Canelle comprenait bien mieux ses émotions quand elles étaient couchées sur du papier, plutôt que dans dans sa tête. Dessiner était généralement sa porte de sortie quand elle n’allait pas très bien, ou justement quand elle était vraiment heureuse. De réalisations sombres jusqu’aux dessins lumineux, la blonde était passée par tout. Son humeur était en même temps bien trop changeante pour qu’elle n’ait pas eu l’occasion de faire toutes sortes de dessins. Plus ou moins jolis d’ailleurs.

La jeune blonde était plutôt modeste. Elle n’avait pas vraiment l’habitude vanter ses talents, que ce soit ses bons résultats en cours, la course ou encore le dessin. Elle-même ne se trouvait jamais assez douée et voulait toujours atteindre la perfection. Ce qui, malheureusement, n’était pas toujours possible et qui était à l’origine de son manque de confiance en soi. A chaque fois que quelque chose arrivait, qu’elle n’avait pas prévu, ou qui ne correspondait pas à ses attentes, elle avait tendance à se remettre la faute dessus même quand elle n’y pouvait bien. Même quand c’était les autres qui faisaient des erreurs, elle s’en voulait de leur avoir fait confiance.

Souriant à sa camarade, elle répondit timidement:

-Je comprends c’que tu veux dire… ça fait tel..tellement de bien.

Un léger silence s’installa entre les deux jeunes filles après que sa camarade l’ait remercié. Pour une fois, celui-ci n’était pas vraiment gênant et Canelle n’avait aucune envie de le couper. Ellana semblait plongée dans ses pensées, ce qui ne dérangeait pas du tout la blonde. Elle se revoyait, la même expression sur le visage, le regard comme perdu. La jeune deuxième année ne connaissait pas très bien sa camarade, mais a l’instant, elle avait vraiment l’impression de partager de nombreux points communs avec celle-ci. Peut-être qu’une nouvelle amitié était envisageable ?

Laissant son regard se perdre sur l’étendue de la pelouse du parc, la jeune fille observa les élèves aller et revenir pendant quelques minutes. Personne n’était seule. Personne n’apprenait à apprécier le bonheur d’être avec la seule personne qui ne nous trahira jamais: soi-même. Les rires et les paroles des groupes d’amis arrivaient à ses oreilles comme une légère brise tandis que la jeune fille se demandait comment les gens pouvaient être si heureux de passer du temps en groupe. Canelle savait que la solitude était mauvaise par moment, ressassant les mauvais souvenirs. Mais pourquoi toujours l’éviter ? Pourquoi toujours s’entourer de personnes qui de toute façon finiront par nous trahir ?

Les réflexions de la jeune fille furent rapidement interrompues par la douce voix de sa camarade qui lui posait une question.

-Euh.. oui, hésita-t-elle. J’aime bien dessiner, je..je le fais souvent.

Puis elle sourit, regrettant d’avoir bégayer. Elle connaissait Ellana, pourquoi fallait-il qu’elle bégaye ? Tout se passait pourtant bien jusque-là.

Désolé pour ce retard

C'était étrange, comme on pouvait exprimer ses pensées à travers une simple image. Derrière les nombreux tableaux qu'elle avait vu en allant au musée avec ses parents, derrière les coups de pinceaux et les peintures plus ou moins joliment dessiné, y avait-il toujours une signification ? La jeune brune n'y avait jamais fait attention, ne prêtant pas beaucoup d'importance à la peinture... et pourtant, là, dans le Parc d'une école qu'elle fréquentait depuis près d'un an et demi, sans raison apparente, elle venait de soulever le voile d'un monde. A travers le fin drap posé dessus, on ne pouvait rien voir, la toile était fine mais opaque. Mais, si on le soulevait, si on savait comment s'y prendre, un nouvel aspect s'offrait à ses yeux et à ses sens. Est-ce qu'à travers les dessins de paysages, de personnes ou de scènes, à travers ces représentations, l'auteur se dévoilait aux personnes regardant son œuvre ? Elle n'en savait rien, mais maintenant qu'elle y réfléchissait, les tableaux avant sans doute un sens. A quoi bon peindre quelque chose sans idées ?

Le regard perdu dans le vide - Canelle devait s'y faire, à présent, au vu du nombre de fois où la brunette divaguait dans un même instant - la jeune sorcière prit une autre feuille, et commença à tracer quelques traits, dessinant rapidement les contours d'un chat assis sur un pétale d'une fleur. Drôle de représentation, qui ne signifiait pas grand-chose, si ce n'est qu'Ellana aimait les chats, mais peut-être y avait-il une signification plus profonde à ce qu'elle avait dessiné, qu'elle-même ne parvenait pas à saisir ?

- Est-ce que tu saurais m'donner des conseils pour mieux dessiner ? J'aim'rais apprendre, mais j'sais pas comment faire...

Lui montrant du doigt son "œuvre d'art", l'Aiglonne invita la blondinette à lui dire ce qu'elle en pensait. Ses traits n'étaient pas très arrondis, sortant des courbes de l'animal pour faire quelque chose de plus "pointu". Epais, les traits ne seraient pas facile à effacer, et ça, elle le savait bien, mais n'arrivait pas à dessiner quelque chose d'acceptable sans appuyer. Si on regardait les proportions, la tête du chat semblait bien grande par rapport à son corps, et il semblait menu, comme s'il avait été trop nourri, rondelet. La fleur, quant à elle, irréaliste par sa taille - à moins que ce soit le chat qui soit bien petit ? - était peut-être mieux dessinée que l'animal au premier plan, le pétale où le chat était assis recourbé et se poursuivant jusqu'au "cœur" de la fleur qui descendait sur une tige faite d'un trait épais et droit. Coupée au niveau de cette tige par le cadre de la feuille, la fleur s'arrêtait là, décentrée. Au final, ce n'était peut-être pas si mal, si on ne regardait pas la créature disproportionnée. Encore une esquisse de ce qu'elle voulait faire, le dessin était dénué de couleurs. La jeune fille préférait d'abord avoir un avis extérieur, avant de colorier ce qu'elle avait fait, car, malgré ses traits épais, le crayon restait plus simple à effacer que la couleur.

La jeune fille sourit, voyant sa camarade commençait à se perdre dans ses pensées. La blonde n’avait pas envie de l’en sortir, sachant très bien que parfois, on pouvait en avoir besoin. De plus, le silence qui s’était installé n’était pas vraiment gênant. La jeune Serdaigle ne ressentait aucun besoin de le rompre, contrairement à d’habitude. Peut-être était-ce parce qu’elle connaissait quand même un peu Ellana ? Elle n’en avait aucune idée. Toujours était-il qu’à cet instant-là, l’absence de paroles ne la dérangeait absolument pas. Surtout que ce n’était pas le bruit qui manquait dans le parc. Le vent venait faire bouger les feuilles des arbres, produisant un léger bruissement. Les élèves riaient et couraient un peu plus loin d’elle. On pouvait même distinguer les légers clapotements de l’eau du lac au loin. Non, ce n’était pas les sons qui manquaient.

Un sourire se dessinant sur son visage, la jeune fille observait le parc tout en attendant que sa camarade sorte de ses pensées. Elle ne réalisait pas toujours la chance qu’elle avait d’être scolarisée à Poudlard, dans un cadre aussi beau et avec des gens aussi gentils. Les profs étaient supers, ses camarades pour la plupart sympas, et le château incroyable. Canelle aimait vraiment être ici, elle s’en rendait un peu plus compte à chaque jour qui passait. Et ce jour-là, cette sensation était à son apogée.

Quelque peu étonnée par la requête de sa camarade quand celle-ci reprit la parole, Canelle acquiesça tout de même. Elle n’était pas particulièrement douée en dessin, mais elle pouvait toujours donner quelques conseils à Ellana. Et puis, ce serait l’occasion d’apprendre un peu plus à connaître sa camarade de dortoir, et qui sait peut-être deviendraient- elles amies ?

-Euh, oui bien sûr, répondit-elle. Je suis pas hyper forte alors je vais peut-être te dire n’importe quoi mais si tu veux, je peux.

Puis la jeune fille, suivant du regard le doigt de sa camarade, analysa le dessin. A vrai dire, il était plutôt bien fait pour quelqu’un qui ne dessinait pas très régulièrement. Il y avait quelques traits un peu maladroits, mais c’était plutôt bien bien que peu réaliste. Peut-être était-ce voulu en même temps.

-Hum, hésita-t-elle. C’est plutôt bien. Tu visais quelque chose de très réaliste ou plutôt abstrait ?

Canelle aimait beaucoup parler de sujets qui la passionnaient. Elle avait tendance à tout de suite beaucoup parler, ayant des choses à dire. Et puis, elle était vraiment impliquée et intéressée dans la conversation. Des étoiles brillaient dans ses yeux, et un large sourire lui complétait le visage. Elle espérait juste ne pas avoir l’air trop enthousiaste à l’idée d’aider sa camarade. Elle ne voulait pas l’effrayer.

Toutes mes excuses pour le retard

Elle regardait son dessin, essayant de ne pas lui trouver mille défauts. Elle avait appris à voir, à regarder, à contempler, et pourtant, elle ne savait pas mettre ce qu'elle imaginait sur le papier. Elle imaginait, et dans son esprit, tout prenait l'allure qu'elle voulait, tout était parfait, idyllique. Dès qu'elle commençait à vouloir coucher ses images intérieures sur le papier, elle avait l'impression que tout était changé. Et elle ne pouvait s'empêcher de voir ce qui n'allait pas, de vouloir faire mieux... sans pour autant savoir y remédier.
Ellana n'était pas parfaite - pas autant qu'elle ne l'aurait voulu. Calme mais rêveuse, perfectionniste au point de ne jamais être contente d'elle-même, elle n'avait pas une très bonne estime de son corps. Elle ne s'arrêtait pas avant d'être satisfaite, continuant, persévérant. Alors, elle continuait de viser la Lune pour espérer y arriver un jour, sans tomber dans les étoiles.

Pour le dessin, elle n'avait jamais eu la patience nécessaire, s'énervant quand elle ne parvenait pas à faire ce qu'elle voulait. Depuis petite, elle avait essayé d'y remédier, essayé de s'accrocher et de ne pas tomber du train en marche, sans que cela n'ait beaucoup d'effet : elle avait toujours fini par abandonner, préférant se laisser emporter dans la joie de faire sortir les sons des instruments de musique ou dans celle de lire des romans d'aventure, pour s'échapper de son quotidien parfois trop monotone.

La brunette aimait bien la compagnie de Canelle : celle-ci n'était pas trop bavarde, et ne cherchait pas à combler le silence par des paroles "inutiles". La deuxième année tenait beaucoup à préserver le silence, à garder intact les fines toiles de l'absence de bruits parasites. Elle l'avait trop perdu en allant à Poudlard, n'ayant plus ses moments où elle pouvait demeurer plusieurs dizaines de minutes sans émettre le moindre son, simplement à rêvasser et à se concentrer sur les bruits inaudibles.
De nature pas très sociable, la jeune fille préférait rester enfermée dans sa bulle, ne pas s'ouvrir au reste du monde. Parfois, rien que de montrer un peu de sa personnalité aux gens lui faisait du bien, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. L'avis des autres avaient sans doute toujours compté pour elle : avant, c'était celui de ses parents, celui de Lyna. Maintenant... elle ne savait pas vraiment ce que ça pouvait être.

- J'sais pas trop... 'Faut avoir un but précis quand on dessine ?

Rougissant, elle détourna le regard. Peut-être avait-elle honte de sa question. Peut-être avait-elle honte de ne rien y connaître. Peut-être avait-elle honte de demander de l'aide, des conseils. Elle avait appris à se débrouiller seule, appris à ne compter que sur elle-même. Pourquoi, d'une seconde à l'autre, se mettait-elle à poser des questions qu'elle n'aurait jamais posé à un autre moment ? Qu'est-ce qui, dans cette blonde, lui donnait ce sentiment de pouvoir dire ce qui lui passait par la tête ? Elle ne connaissait même pas bien Canelle ! Perdue, elle se demandait si un jour, elle arriverait à se retrouver.
Et pourtant, la blondinette semblait ravie de l'aider, des étoiles illuminant son regard.

La jeune fille adressa à sa camarade un sourire gentil tandis que celle-ci rougissait. La blonde ne voulait pas qu’elle se sente gênée par ses questions, elle avait parfois du mal à se rendre compte que tout le monde ne dessinait pas aussi souvent qu’elle. Quand elle rentrait dans son dortoir, dès qu’elle avait un peu de temps libre, la jeune Serdaigle passait le plus clair de son temps à coucher ses sentiments sur du papier. Vu qu’elle n’était pas vraiment douée pour les communiquer, c’était sa façon à elle d’extérioriser ses émotions. C’était son havre de paix à elle, l’endroit où elle se sentait le mieux. Ou plutôt le moment.

Se plongeant dans ses pensées, la jeune blonde repensa à quand elle avait commençait à dessiner. Elle était jeune, très jeune, mais ne se souvenait plus l’âge exact et rentrait de l’école moldue. Elle avait eu sa toute première mauvaise note et en l’annonçant à son père, celui-ci avait commencé à crier et lui répéter qu’elle ne valait rien. La Serdaigle avait alors écouté ses remontrances sans dire un mot, ayant envie de pleurer puis était remontée dans sa chambre quelques minutes plus tard. Arrivée là-haut, aucune larmes. Mais à ce moment-là, elle a commencé à dessiner et c’est comme si tous ses mauvais sentiments partaient en même temps que l’encre. Quand elle avait fini, elle se sentait beaucoup mieux. Depuis, elle n’avait jamais vraiment arrêté de dessiner.

-Non, pas du tout, rassura-t-elle. Tu peux faire juste comme tu le sens sur le moment.

Un sourire sur le visage, la jeune fille observa sa camarade. Elle ne voulait pas que celle-ci se sente gênée de lui poser des questions. La brune avait de longs cheveux ondulés qui lui retombaient sur les épaules, et ses yeux étaient grands et de la même couleur. Canelle ne connaissait pas super bien Ellana mais les jeunes filles s'entendaient généralement bien quand elles discutaient. Etant de la même année et de la même maison, il était difficile qu'elles ne se voient pas souvent. Les deux Serdaigle se croisaient donc régulièrement et la blonde ne voulait pas que sa camarade ne soit gênée en sa présence. Elles allaient probablement passer sept de leur vie à se voir tous les jours, il fallait bien s'habituer les uns aux autres.

-Après, le principal c'est que toi tu aimes, fit-elle. Si les autres aiment c'est juste un plus.

La jeune fille avait beau dire ça, elle savait qu'elle-même n'appliquait pas son propre conseil. Elle avait un peur atroce du regard des autres et détestait montrer ses dessins à des gens qu'elle ne connaissait pas bien. Si jamais ils n'aimaient pas ou ils lui disaient qu'elle n'était pas douée, ça lui faisait remettre en question tous ses talents, pas seulement le dessin. Canelle passait donc le plus clair de son temps à dessiner dans des endroits discrets, afin d'éviter d'être dérangée et jugée par les autres élèves. Elle détestait la sensation de ne pas être à la hauteur, et d'être une moins que rien par rapport à d'autre. C'était la pire chose qui existait pour elle.