Le cours de botanique du matin n’avait été pour Bad qu’une mission d’éclaireur. Le sujet du jour était passé au second plan pour le préfet qui avait suivi les directives de Mr Featherstone sans réellement prendre conscience de ce qu'il faisait. Un élève-automate qui n'avait qu'une seule et unique idée en tête : localiser les ingrédients manquants à sa potion.

Cela faisait plusieurs jours que le Serdaigle avait pris la décision de mettre au point du Polynectar. Cette préparation à l’aspect de vase épaisse avait pour objectif de lui faire prendre l’apparence d’une Poufsouffle. Un choix qui n’était pas arbitraire. Depuis qu’un collier de ronces était apparu sur le cou de sa petite amie Lilly, moins d’un mois plus tôt, la jeune fille avait perdu une grande partie de sa bonne humeur. C’était pour tenter de lui redonner le sourire que Bad souhaitait lui faire la surprise de s’introduire discrètement dans son dortoir. Il connaissait les risques mais Lilly les valaient tous. Quoi qu’il lui en coûte, il réussirait son Polynectar. Faire disparaître ces ombres d'inquiétude et de tristesse du visage qu'il aimait tant était de son devoir.

Sa prospection du matin avait été un franc succès. Mais ce n’était que la partie facile. Après un repas rapidement englouti, Bad, son sac de cours sur l’épaule, avait pris la direction des serres de botanique sans piper mot à quiconque de ses projets secrets et interdits. C’était sa mission à lui et à personne d’autres. La capuche de son sweat relevé sur sa tête, le Serdaigle s'était avancé à pas de loups vers son objectif. La première serre, celle où cueillir les Sisymbres, n'avait été qu’une formalité. Après avoir arraché le plus discrètement possible les plantes et les avoir glissées dans son sac, Bad avait rapidement détalé vers son prochain objectif. Plus que des touffes de Polygonum et c’est bon !, s’encourageait le préfet de Serdaigle en frottant la terre accumulée sur son pantalon au niveau des genoux.

Le professeur Featherstone n'avait pas dans ses habitudes de déjeuner copieusement. Manger, à quoi cela servait ? A part à le couper dans ses travaux de recherches, le botaniste n'y voyait qu'une perte de temps. Ainsi trouvait-il dans son bureau de quoi faire quelques sandwichs qui lui permettaient de casser la croûte à midi.

Ainsi réfugié dans son cabanon, le récemment nommé directeur de Serdaigle pouvait poursuivre son travail tout en mangeant en tranquillité. A cette heure-ci, rares étaient les élèves à venir dans les serres : tous préféraient se réunir dans la Grande Salle pour les repas ou se divertir ensuite dans le Parc.

Mais ce midi-là, le calme des serres sembla être interrompu par une intrusion. Szirhagna, l'araignée du professeur, avait l'habitude de s'agiter quand l'on pénétrait dans les serres, ce qui indiquait la présence d'un élève au professeur. La charmante Heteropoda jouait le rôle d'alarme, ou de chien de garde à huit pattes. Intrigué par une visite à cette heure inhabituelle, le botaniste quitta ses plantes et délaissa son sandwich pour sortir du cabanon. Le professeur se dirigea alors dans les allées de la serre pour y trouver l'origine de l'intrusion et se retrouva devant le préfet de Serdaigle, Bad Eaven.

Bad Eaven ne faisait pas partie des élèves qu'affectionnait le professeur. C'était Amy Holloway, l'ancienne directrice, qui l'avait nommé préfet ; un choix que le professeur de botanique n'aurait sûrement pas fait. Le Serdaigle ne semblait pas méchant, mais son manque de discernement et son manque de réflexion avait déjà pu agacer le professeur lorsqu'il avait perdu son araignée, quelques mois plus tôt. Archibald s'estimait heureux d'avoir Amelia Winder comme deuxième préfet : la troisième année lui était bien plus brillante que son collègue.

Inspectant le jeune garçon, le professeur remarqua sans peine la terre qu'il portait sur ses vêtements. Qu'avait-il bien pu faire dans la terre des serres ? Peu probable que Miss Loewy lui ait commandé un bouquet de fleurs pour Aude Luneau.

« Bonjour Mister Eaven. Vous recherchez quelque chose ? Demanda le professeur suspicieux. »

Noms en gras pour AfdM.

Le visage qu’il craignait tant de voir apparaitre s'afficha sinistrement face à lui. Bad resta paralysé un court instant tandis qu’un frisson glacial lui parcourait l’échine. Non … Il allait falloir réagir vite et bien. Chaque choix et microdécisions qu’il allait prendre dans les secondes à venir auraient un impact important sur son avenir. S’il décidait de mentir, il prenait le risque d’aggraver sa punition dans l’éventualité où Mr Featherstone finissait par apprendre la vérité. S’il avouait les réelles raisons de sa présence et sa volonté claire de contourner le règlement de l’école, il acceptait d'aller à l’échafaud sans se battre. Y avait-il un compromis possible ?

Lentement, Bad leva les yeux vers son nouveau directeur de maison en retirant dans le même temps la capuche de son crâne. Il tenta de maîtriser ses émotions comme s'il s'entraînait à lancer un nouveau sortilège. L'enchantement du Bluff. Il fallait un sentiment de normalité, une gestuelle naturelle, un ton clair et limpide, visualiser le professeur accepter ses paroles et une bonne dose de concentration. Oui, c'était bien une forme de sortilège. Tachant de réussir au mieux l'exploit de ne pas être découvert, Bad finit par ouvrir la bouche.

« Bonjour Mister. Je … heu … Il m… Allez Bad ! Il fallait que je récolte des Sisymbres. Mais ne vous inquiétez pas, c’est terminé, je pars. »

Le Serdaigle tourna les talons, le corps rigide, et s’apprêta à faire quelques pas pour ressortir des serres. Il croisait mentalement les doigts pour que le professeur de botanique le laisse partir sans un mot.

Le jeune Serdaigle commença par quelques bredouillements. Le professeur l'observa en haussant un sourcil, attendant la suite des propos. Se déchargeant vite de ce qui le tracassait, le préfet de Serdaigle, son préfet à lui depuis qu'il était devenu directeur, indiqua simplement qu'il récoltait un peu de Sisymbres et qu'il s'en allait.

Le professeur soupira légèrement. Cela valait bien le coup qu'il indiquât par certains panneaux qu'il ne fallait pas récolter les plantes. Que se passerait-il en cas s'il s'était trompé de plante ? Et puis, l'hiver n'était pas propice aux bonnes récoltes... Le professeur ignorait l'usage que voulait en faire Bad, mais cela ne promettait rien de bon.

Aussi, quand le Serdaigle commença à prendre le chemin de la sortie, le botaniste prit sa baguette et, d'un petit mouvement, ferma les portes de la serre en la verrouillant, avant que le préfet pût en sortir.

Le professeur s'avança vers l'élève.

« Mister Eaven, ne partez pas comme ceci. Puisque vous approchez de l'entrée, vous pouvez trouver sur votre droite le panneau d'affichage des serres sur lequel est accroché le règlement que vous avez normalement signé en début d'année. Pourriez-vous me lire le premier paragraphe de l'article 2, s'il-vous-plaît ? »

Le professeur Featherstone avança à nouveau pour suivre le garçon jusqu'au panneau d'affichage, afin de s'assurer de la bonne lecture du règlement. Le vieil homme était assez lassé que les élèves vinssent toucher aux plantes sachant que l'interdiction était expressément indiquée.

Bad, aussi rigide qu'un Nimbus 2001, poursuivit son chemin vers la sortie. Plus que quelques pas et c'était bon.

* Clac ! Clic-clic. *

Zut ... ! Le professeur de botanique venait de mettre fin aux espoirs du Serdaigle de s'en échapper si facilement. Le préfet soupira profondément avant de faire volte-face. L'homme qui lui faisait face, lui indiqua le panneau d'affichage où était placardé le règlement des serres que Bad savait avoir enfreint. Comme un enfant, Mr Featherstone lui fit la leçon et cela irrita le quatrième année. Un état qui pouvait amener au pire ... Sans rien dire mais avec les poils du nez qui lui chatouillaient les narines, Bad s'avança pour déchiffrer l'article 2 en question tandis que le professeur le plus âgé du château vint lui tenir compagnie.

« Vous êtes priés d'avoir un comportement décent dans les Serres de Botanique et d'être respectueux envers les plantes qui y poussent et envers moi-même. Il veut vraiment que je lise tout son laïus ? Certaines plantes peuvent être sensibles, il est donc interdit de les ... de les sermonner et de leur dire du mal. Héhé. N'arrosez pas les plantes sans ma permission blablabla. »

Satisfait de sa petite vengeance, le garçon prit rapidement conscience que son acte n'allait pas rester impuni. Mais qu'il était agaçant ce vieux professeur aussi ... Pourquoi avait-il été choisi pour être directeur de la maison Serdaigle ? Le garçon regrettait Amy Holloway. Il commençait aussi à regretter sa réaction ... Quelle truffe.

Désolé pour ce petit retard Mr

La fermeture des serres ne sembla pas ravir le Serdaigle qui ne cacha pas un soupir. Il se dirigea vers les panneaux d'affichage pour lire le règlement, comme le lui avait demandé le professeur. Mais le préfet décida de ne pas coopérer et changea quelques mots à sa guise. Le professeur regarda l'élève d'un air blasé : comment pouvait-on être aussi peu sérieux ?

« Vous trouvez ça drôle, Mister Eaven ? Demanda-t-il. »

Puis le regard du directeur de maison se posa sur l'insigne de son préfet, lui rappelant les responsabilités auxquelles ils devaient se soumettre.

« Je ne pense pas que c'est le comportement que Miss Holloway souhaitait promouvoir en vous nommant préfet. Avez-vous oublié qu'encore plus qu'un autre élève, il est de votre responsabilité de respecter le règlement intérieur de l'école ? Comment puis-je me fier à vous pour faire respecter des règles que vous ne suivez pas vous-mêmes ?! »

Plus le professeur de botanique interagissait avec Bad Eaven, plus il éprouvait une certaine aversion. Il y avait tant d'autres élèves qui auraient mérité ces responsabilités mieux que lui. Le professeur tendit la main au Serdaigle, non pour lui signifier une réconciliation, mais pour avoir ses récoltes.

« Puis-je récupérer les brins de Sisymbre que vous avez coupés et savoir ce que vous comptiez en faire ? »

Le Serdaigle avait plutôt intérêt à ne pas poursuivre sur la même pente glissante.