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25 juil. 2022, 17:31
Je suis venue t'écrire que je m'en vais
1. Aelle


Immobile depuis plusieurs minutes, les fesses vissées sur son grand fauteuil directorial, le dos bien droit décollé du dossier, la plume suspendue au-dessus du papier, Kristen Loewy éprouvait une étrange appréhension à commencer cette lettre. Elle réfléchissait à sa structure, listait mentalement ce qu’elle avait à expliquer et envisageait le ton à adopter. Finalement, elle se lança :
Aelle,

Tu ne seras pas surprise quand, lors du dernier dîner de l’année, j’annoncerai que je ne reviendrai pas à Poudlard en septembre.
Elle hocha la tête, passablement satisfaite de la formulation. C’était assez direct, mais pas trop. Elle écrivit le reste d’une traite, oubliant la raison et ne se fiant qu'aux mots tordus qui parcouraient son esprit :
Tu ne seras pas surprise non plus en lisant cette lettre, je crois, car nous savions toutes les deux que ce moment finirait par arriver. Poudlard était ma tentative de rédemption. J’ai pensé que tu faisais partie de ce processus, que tu étais mon occasion de faire mieux. J’aimerais me dire que je t’ai utilisée dans ce but, mais je serais bien loin de la vérité.

Nous ne sommes pas faites pour vivre entre quatre murs. Je pensais échapper à l’orage en restant sagement assise dans ce bureau depuis lequel j’écris ces mots, mais il gronde toujours à l’intérieur. Je ne peux plus attendre que le danger frappe à ma porte : j’irai au-devant et prendrai tout ce qui est mien.

Mes recherches stagnent. Je pensais que parvenir à effacer l’ultime frontière me suffirait, mais j’en veux plus. Il est certaines barrières que l’on ne peut concevoir ; c’est à leur poursuite que je me lance. Je veux trouver les réponses aux questions que je ne me pose pas.

J’espère que nous nous reverrons, un jour. Quand tu auras trouvé la force de pardonner mon silence. Il y a une probabilité pour qu’à ce moment-là, mon visage te semble changé, mais je ne crois pas être en mesure de corrompre mon âme : tu me reconnaîtras.

Je te souhaite le meilleur dans tes recherches. Explore chaque route et garde le cap.

Plus noire sera la nuit, plus claire sera ta boussole. Quand la Lune ne noie pas les étoiles, l’Ombre contemple l’immensité.

Kristen

@Aelle Bristyle, tu peux écrire dans ce sujet la réaction d'Aelle devant l'abscondité de ces mots si tu le souhaites, mais Kristen ne recevra pas de réponse et évitera tout contact direct jusqu'à son départ : aucune réponse n'est donc attendue.

Nécromancienne - Mère du dragon - Détentrice de la Baguette de Sureau et du Retourneur de Temps
~ if i wasn’t a narcissist i wouldn’t like me either ~

@Mentionnez-moi pour activer le Tabou

04 août 2022, 17:37
Je suis venue t'écrire que je m'en vais
Je te remercie pour cette lettre triste et touchante dont le sens nébuleux finira par rendre folle Aelle.
Excuse-moi pour la longueur un peu aberrante de ce texte. Je le mets sous reducio pour ne pas encombrer ton sujet.
Aelle ne cherche pour le moment pas à contacter Kristen. Peut-être le fera-t-elle cet été mais je me doute qu'elle n'aura pas de réponse.



Reducio
C’est un matin comme il s’en fait tant en Écosse. Le ciel est bas et le brouillard s’agrippe au sol humide, voile brumeux persistant qui recouvre le parc. Bientôt, le soleil se lèvera et la chaleur augmentera mais pas suffisamment pour que je me déleste de la cape qui m’enserre les épaules. Dans la Grande Salle, l’ambiance est chaleureuse. Le bruit de mes camarades me berce. Je dodeline de la tête, les yeux alourdis par la courte nuit que j’ai passée mais heureuse des lectures qui l’ont occupée et du savoir que j’ai emmagasiné. C’est un matin comme il s’en fait peu à Poudlard : je suis apaisée car trop fatiguée pour penser à quoi que ce soit. Je me laisse porter par la matinée, simplement joyeuse à l’idée de la journée à venir. J’espère terminer ma lecture d’ici ce soir et passer un moment privilégié avec Zikomo — peut-être jouerons-nous aux échecs, cela fait longtemps.

Que ce soit un matin habituel ou non, pour l’Écosse, Poudlard ou tout simplement pour moi, je ne m’attendais pas à recevoir un courrier ce matin. Le prénom de mes éventuels correspondants défile dans ma tête sans que je ne puisse deviner lequel m’écrit, j’attends donc patiemment, la tête posée dans le creux de ma main, que la chouette daigne cesser de sautiller pour me tendre la patte. Je récupère machinalement le courrier, avale une gorgée de thé, remercie l’animal du bout des lèvres et quand il prend son envol, j’ouvre la lettre et d’un mouvement oculaire en diagonale, j’analyse à la fois l’écriture, la formule de présentation et la signature.

Mon coeur rate un battement si gros que mon souffle trébuche dans ma gorge.

Je me redresse ; le parchemin se froisse entre mon poing, geste nerveux que je n’ai pas voulu et que je corrige aussitôt en laissant tomber le courrier sur la table. Mon regard trouve aussitôt le chemin vers le siège directorial, éternellement vide contrairement aux fauteuils de certains professeurs. La place de ma directrice semble me narguer alors que je tiens entre mes doigts une lettre qui referme en son sein trois fois plus de mots que je n’en ai reçu de la femme ces six derniers mois.
Les questions s’agitent dans ma tête.
Pourquoi une lettre ?
Pourquoi pas une note ?
Elle m’invite quelque part, c’est ça ?
Enfin, on va travailler ensemble ?
S’excusera-t-elle de son silence ?
Me reprochera-t-elle mon insolence ?

Des question, des questions, des questions qui s’étouffent rapidement face à la joie indécente qui ose s’afficher sur mes lèvres. Enfin, souffle mon esprit. Enfin elle a pris le temps de m’écrire.

J’oublie mon thé et mon porridge, j’abandonne mes camarades, mon banc, la grande salle et munie de mon sac dans une main et de la lettre dans l’autre, je me précipite à l’extérieur du château, incapable de contenir mon excitation jusqu’à mon dortoir. Je sais bien que j’ai l’air ridicule, que je suis trop heureuse, que je ressens trop de choses que je ne devrais pas ressentir mais aujourd’hui je n’ai pas envie de réfléchir. Elle m’a écrit et j’ai tant de choses à lui dire, pas que des belles mais tout de même. J’en ai assez de travailler avec un fantôme.
Et si j’étais courageuse, ce que je ne suis pas, ou mature, ce que je ne suis pas non plus, je m’avouerais que cela n’a rien à voir avec le travail, que c’est seulement une question d’attachement ; et que j’ai besoin de voir Kristen Loewy et de lui parler, comme j’aurais eu besoin de voir n’importe quel ami auquel je serais attachée si fort qu’il me hanterait jusque dans mes rêves.

Cour de la tour de l’horloge. Je balance mon sac près de l’un des murets qui longent les coursives, je m’assied sur la pierre glaciale et là, je prends le temps d’observer les lambeaux de brouillard qui s’enroulent paresseusement autour du sommet de la fontaine avant de commencer ma lecture.

La réalité est une claque amère.
Un coup de poing dans l’estomac, un poignard qui fouille mes tripes. La première phrase m’arrache le coeur tandis que les suivantes s’évertuent à me dépouiller de mon souffle, petit à petit. Si bien qu’à la fin, quand mes yeux tombent sur le Kristen que je ne me suis jamais autorisée à prononcer à voix haute, je suis certaine de mourir bientôt d’asphyxie tant l’air peine à pénétrer dans mes poumons. Je finis par me rendre compte que je suis encore en train de respirer, que je suis bien vivante et que c’est pour ça que j’ai aussi mal dans le corps.

La douleur ne dure pas. Une ou deux secondes plus tard, elle disparaît totalement. Je cligne des yeux, observe la lettre avec un sentiment d’irréalité étrange et relis inlassablement les mots qui ne trouvent pas de sens dans mon esprit. Je ne reviendrai pas à Poudlard en septembre. J’espère que nous nous reverrons un jour. Et que dire des quelques autres phrases abscontes ? Elles me paraissent si déplacées dans une telle situation que je ne cherche même pas à les comprendre. Je déplore seulement le fait que la femme ait si peu de considération pour moi qu'elle ne prend pas même la peine de m'écrire les choses clairement.

J’aimerais hurler. J’aimerais crier de toutes mes forces parce que je comprends instantanément ce qui est en train de se passer. Je le comprends si bien et si fort que je ne parviens pas à l’appréhender en totalité. Je me dit juste que je suis en train de vivre l’un de ces moments. Ces moments qui tordent notre vie en deux pour l’obliger à prendre un tournant que l’on a pas vu venir. J’aimerais faire exploser des choses, m’arracher la peau, montrer au monde que je suis en colère, que je suis pleine d’une rage destructrice qui pourrait me faire réduire en poussière n’importe quoi ou n’importe qui. J’aimerais lui montrer, au monde, faire exploser ces phœnix qui me narguent avec leurs habits de brouillard, balancer ma magie dans la figure de ce gamin qui passe dans la coursive en me lançant des regards curieux, j’aimerais faire exploser le ciel, et puis, et encore, et…

C’est une lettre toute simple. C’est la première fois qu’elle s’adresse à moi avec une telle sincérité. Je sens la fragilité derrière ses mots, la confiance et aussi une certaine complicité. Ces phrases s’adressent à moi et je suis convaincue qu’elle n’en adresse pas des aussi justes et brutalement sincères aux autres, même si je n’en comprends pas la moitié. Elle m’écrit comme à une égale. Elle m’écrit avec abandon. Et c’est exactement ce que c’est.
Tout à fait ça.
Un abandon.

J’essaie d’éloigner ce mot de mon esprit. De ne pas y penser. Le repousser comme je sais si bien le faire. Si je n’y pense pas, il n’existe pas. Mais il existe bel et bien et pour la première fois, je n’arrive pas à ne pas y penser, je ne parviens pas à oublier et à faire semblant. Faire comme si. Comme si ça ne me touchait pas, comme si ça ne me faisait pas mal. Parce que ça me fait diaboliquement mal et qu’une ombre immense est en train de me grignoter le coeur, surtout lorsque je prends conscience que ces prochains mois seront faits de plus de silence encore que ceux qui viennent de s’écouler entrecoupés de quelques notes écrites à la va-vite, de quelques partages destinés à me faire croire qu’elle était encore là dans ma vie — était-ce en préparation de cet abandon qu’elle m’a écrit toutes ces notes ? Pour que son départ me soit moins difficile ?

Je ne sais pas appréhender ça, je n’y arrive pas, je ne peux pas.
Elle aurait dû me laisser dans l’ignorance, m’envoyer quelques notes pour continuer à faire comme si, ou avoir le putain de courage de m’annoncer en face qu’elle comptait faire exactement ce qu’elle m’a dit qu’elle ne ferait pas.

Mon corps reste désespéramment immobile et mes yeux secs alors que la douleur se répand dans mon corps, plus insidieuse qu’un poison puisqu’elle n’a aucune réelle consistance, elle est seulement là et elle appuie à l'intérieur de moi.

La colère retombe aussitôt. On se reverra si je lui pardonne, elle l’a dit, elle quitte seulement le château mais je pourrais la voir dès que je le souhaiterais. Elle reste là malgré tout, quelque part dans le grand monde, présence un peu fantomatique mais bien réelle, n’est-ce pas ? Non, c’est faux, parce que cela ne me convient pas, parce que si elle avait voulu continuer à m’accompagner, elle me l’aurait dit. Dans son silence, elle est particulièrement claire. Elle part et elle me quitte en même temps ; elle brise notre accord tacite, elle…

Je n’arrive pas à réfléchir. Toutes mes pensées s’entremêlent et forment un gros nœud dans ma tête. J’aimerais tellement pouvoir me lever, courir jusqu’à son bureau, faire exploser cette porte qui reste close depuis des mois, pénétrer dans son antre et tout saccager. Je m’y vois comme si j’y étais. Je me lève subitement et cours dans les couloirs, je cours à en perdre haleine, les poumons douloureux et les jambes tremblantes. Je bouscule des corps sur le chemin et je me dis que j’aimerais bien que l’on me bouscule aussi, que l’on me jette sur le sol, que ma tête frappe la pierre pour que l’obscurité m’avale en entier. « Reducto ! » et le chemin s’ouvre à moi. Je la trouve là-haut, assise derrière son bureau, le visage recouvert part les ombres, son visage tout en angles et d’une dureté ingérable. Son regard bleu me pourfend, son menton se dresse si haut qu’elle me parait inatteignable.

« Vous êtes une menteuse ! »

Elle me regarde sans ne rien dire parce qu’elle a compris avant moi que j’avais besoin de crier.

« Vous m’abandonnez ! dis-je comme une enfant. Vous m’abandonnez alors que vous m’aviez promis de… »

Je n’ai rien à dire, rien à dégueuler, la douleur reste inlassablement dans mon corps et ne veut pas s’en échapper. Je suis tellement en colère, je ne comprends même pas pourquoi, tellement en colère et tellement triste. J’oublie que j’ai une baguette et du revers du bras j’envoie balader tout ce qui parsème son bureau : parchemins, coupures d’articles, objets étranges, plumes, pots d’encre, livres. Je détruis tout ce que je peux, je balance mes poings dans les murs, je crie, je m’agace, je tremble, je frappe. Jusqu’à ce que l’épuisement me force à trouver place assise. Dans l’un des fauteuils. Je tombe et aplatis mes paumes sur mes yeux pour ne pas pleurer, je me balance d’avant en arrière parce que je ne peux pas m’en empêcher, parce que je voudrais lui dire de ne pas partir, parce qu’elle va me manquer, parce qu’elle n’est pas une amie, pas une professeure, pas une mentore et moins encore une directrice mais que je tiens à elle, que j’ai besoin de sa présence, besoin qu’elle ait besoin de moi, besoin de sentir son regard sur moi, besoin d’une seule putain de chose équilibrée dans ma vie, besoin de lui faire confiance les yeux fermés, même si c’est une adulte, qu’elle n’est ni ma mère ni rien d’autre pour moi, mais quand même, que j’aimerais bien qu’elle me dise que je compte et que je lui apporte quelque chose. Je retiens toutes ces choses en moi parce que je ne les comprends pas, parce que je ne sais pas pourquoi je suis attachée si fort à une personne comme elle.

Elle vient me retrouver, évidemment qu’elle vient. Dans mon esprit, tout se déroule comme je le souhaite et Kristen Loewy devient la Kristen Loewy que j’attends. Elle se penche vers moi, s’accroupit comme le fait parfois papa, comme ne l’a jamais fait maman. Elle pose une main sur mon épaule et la serre brièvement. Pas d’étreinte, cela nous gênerait toutes les deux. Pas de paroles réconfortantes, elles ne savent pas faire, que ce soit la Loewy dans ma tête ou la Loewy réelle. Juste un regard que j’accepte de croiser et un sourire.

« Viens me voir dès que tu seras rentrée pour les vacances, j’habite au… »

Non, ce n’est pas elle, c’est trop moi.

« Tu crois vraiment que je vais t’abandonner, Aelle ? »

Non, elle l’a déjà fait et elle le sait, elle ne dirait pas les choses aussi frontalement.

« Reprends-toi. »

Déjà mieux.

« Et fais-moi confiance. »

Aussi nébuleux que sa lettre, parfait.

Ses yeux ne me quittent pas, bouées dans l’océan de ma rage entremêlée de désespoir. Dans ses yeux, je devine ses regrets de me laisser mais la nécessité de le faire. Je devine les promesses qu’elle ne prononce pas.

« La prochaine fois, viens avec des réponses… » Là, elle parlerait de l’Élixir. « Et montre-moi que tu as compris ce que je t’ai appris. » Là, ce serait de ce qu’elle m’a montré sur le plateau. « N’avance pas seule, Aelle. »

N’avance pas seule, Aelle.
N’avance pas seule.

Un frisson me secoue et j'atterris brutalement dans la petite cour balayée par le brouillard filamenteux. Je cligne des yeux et me penche pour ramasser la lettre qui m’a échappée. Toute cette scène n’arrivera jamais parce que Kristen Loewy est une femme qui part en silence et qui envoie des lettres pour dire au revoir alors qu’elle habite littéralement à quelques étages au-dessus de moi. Ces moments n’existeront jamais parce que ma directrice est une femme qui n’a pas de réelles attaches et qui n’a surtout aucune réticence à briser ses promesses.
Néfaste, qu’elle dit.
Oui. Et pourtant, cela ne m’a pas empêché de m’attacher à elle.

Elle, cette femme qui m’écrit une lettre bourrée de paroles nébuleuses, comme si elle ne savait que trop bien le mal qu’elle allait me faire et qu’elle préférait dire des choses sans aucun sens plutôt que d’être courageuse et d’affronter les conséquences de ses actes. Une femme qui refuse de faire les choses comme il faut. Une femme qui refuse même d’avoir le courage de préserver ses liens.

Ma haine atteint de telles hauteurs que j’en suis effrayée. Je n'ai ressenti cela qu'une seule fois dans ma vie et je ne voulais plus jamais revivre ça, surtout pas. C’est une haine toute froide qui me glace le coeur et que j’observe de très, très loin dans mon corps calme, sans vague, sans poing qui se crispe et sans cri qui s’échappe de ma bouche. Une haine pleine de désespoir et de mépris. Je la hais. Je la déteste. C’est une vérité toute simple et facile à prononcer.

« Je vous déteste. »

Ma voix me parait très faible comparé au sentiment immense qui grandit en moi.


Si j’étais mature…
Si je n’étais pas dans le déni…
Capable de voir les choses en face, d’accepter la réalité…
Si je n’étais pas aveugle, sans doute aurais-je pu comprendre l’invitation pourtant claire qu’elle m’a faite : quand je ne lui en voudrai plus, nous nous reverrons. Ce ne sont pas des adieux, seulement l’envol d’une femme qui parvient enfin à s’extirper de sa cage qu’elle méprise autant que moi je le fais.
Je ne suis cependant ni mature, ni capable de regarder les chose en face. Je suis en train de vivre le plus gros abandon de ma petite existence et au fond, je crois que ça me convient bien de souffrir de la sorte, d’avoir une raison d’avoir mal, d’avoir quelqu’un à blâmer pour les mois de colère et de rancœur que je vais passer.


Une ou deux heures sont passées. Recroquevillée sur mon muret, j’ai regardé le brouillard s’enfuir, chassé par les premiers rayons du soleil. J’ai senti mes doigts se glacer et les frissons ont depuis longtemps cessé de se balader sur mon corps pour ne laisser qu’un froid piquant qui a rendu ma peau insensible. Le soleil m’a réchauffé et m’a engourdi les mains. La cour a commencé à se remplir. Un groupe de Serpentard qui a chahuté un bon moment avant de partir. Une toute petite fille qui griffonnait sur son carnet en jetant des regards furtifs en direction de la fontaine. Des grappes d’élèves qui passaient dans la coursive derrière moi.

Deux, trois heures peut-être. Tantôt assise, tantôt debout. Recroquevillée ou droite comme un piquet, avachie sur le sol, le dos contre le muret, les fesses mouillées par l’humidité matinale. Les yeux dans le ciel qui glissent paresseusement pour relire la lettre, encore et encore. Parfois, un sursaut d’espoir, un mot qui m’attire, une espérance : « Là, ne veut-elle finalement pas dire que… ! », qui finit de toute façon par s’évanouir parce que non, elle ne veut pas dire que. Elle a été claire. Alors je tangue doucement au bord de mon vide. Je tangue : si je la pardonne maintenant, je pourrais la revoir très vite. Je tangue : je préfère qu’elle meurt plutôt qu’elle me laisse la pardonner. Je tangue : courir pour lui parler, la retenir. Je tangue : l’oublier, immédiatement, parce que j’ai pas besoin d’elle pas besoin d’elle pas besoin d’elle. Je tangue : ne pas penser, plus jamais penser.

Le calme. Mon esprit est un mur sans fissure. Lisse, apaisé. Je ne ressens rien.

Puis soudainement, Zikomo est à côté de moi. Ses yeux dorés se vissent difficilement aux mien. L’inquiétude prend toute la place dans son regard. Je le vois sans le voir.

« Aelle, je te cherche depuis des heures ! »

Oui, nous devions nous retrouver pour l’entraînement avec Nyakane, ce matin.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Ses petites oreilles qui s’aplatissent sur son crâne, sa voix toute douce, son museau tremblant. Je le regarde et je ne ressens rien. Il s’approche, me demande de qui est la lettre que je tiens encore dans les mains. Je ne réponds pas, il pose une nouvelle fois la question. Il finit par refermer ses crocs sur le morceau de parchemin pour le tirer à lui ; je le laisse faire. Ses yeux bougent frénétiquement de gauche à droite tandis qu’il lit et s’imprègne des mots qui m’ont annoncés sans état d’âme que la femme que j’attends de voir et à laquelle je souhaite parler depuis des mois part et qu’elle me laisse ici.

« Aelle… »

Zikomo. Je cligne des yeux pour le regarder.

« Elle quitte seulement ses fonctions, ça ne veut pas dire que… »

Il ne termine pas sa phrase, certainement parce qu’il sait que si, ça veut dire qu’elle m’abandonne.

Puisque les mots ne peuvent que prononcer des vérités qui ne doivent pas l’être, Zikomo s’approche de moi, museau en avant, comme il le fait à chaque fois qu’il veut se blottir entre mes doigts. Je me souviens du réconfort que m’apportent son doux pelage contre ma joue, le rythme de son coeur dans mes oreilles, la caresse de son souffle dans mon cou. Je me recule brusquement et ramène mes bras contre mon ventre. Zikomo se fige et m’observe prudemment. Je ne peux pas, je n’arrive pas à…

Je ne veux pas ressentir, laisse-moi.
Surtout pas, s’il-te-plait.

« Laisse-moi, murmuré-je d’une voix trop calme, beaucoup trop calme.
Ely…
Laisse-moi. »

Je t’en supplie, ne me le fais pas répéter une troisième fois, je t’en supplie, ou ma voix se brisera et… Ne la sens-tu pas trembler, Zikomo ? S’il-te-plait, va-t-en, ne me laisse pas ressentir quoi que ce soit.

Zikomo se recule d’un pas, puis d’un autre. Zikomo a toujours compris ce qu’il fallait faire, il a toujours compris qu’il ne fallait pas insister, qu’il y a un moment pour tout dans la vie. Pourtant, aujourd’hui Zikomo ne comprend pas que s’il n’insiste pas maintenant, il n’aura plus d’occasion de le faire. S’il-te-plait, reste et insiste, reste et insiste, si je pleure très fort maintenant, j’aurais sans doute moins mal plus tard !

« Dégage ! »

Je le regarde s’enfuir en quelques bonds et quitter la cour de la tour de l’horloge. J’ai beau savoir que c’est moi qui l’en ai chassé, je ne peux m’empêcher de songer que je les fais tous fuir, les gens. Peut-être suis-je comme cela. Je suis une fille très intelligente et censée, passionnée, qui a énormément de choses à apporter aux autres et pourtant… Je suis de celles que l’on abandonne. J’enfonce mon visage, ma tête et ma gorge nouée dans le creux de mes bras pour ne plus voir en face ma propre solitude. Pour ne plus sentir la crevasse qui se trouve déjà dans mon coeur s’agrandir peu à peu, en même temps que s’affirme dans mon esprit l’énième abandon que je suis en train de vivre.