Avril 2047


Sous les cris d’une insupportable beuglante, Chems relisait les fautes de son dernier devoir sur table, isolé sur la table de poufsouffle. À ce stade de l’année, avoir un piètre était un sombre avertissement. Sa négligence avait gardé le garçon de prendre au sérieux l’ombre des BUSES toute l’année. Mais contraint était-il d’admettre que, sur un examen monté de toute pièce sur le format de celui qu’ils passeraient tous en juin, il s’était fait piéger sur des choses de base, incapable d’appréhender de malheureux rappels des années précédentes. Il n’y avait dans ce résultat aucune surprise finalement. S’était-il un jour posé pour se projeter et envisager un avenir après l’école pour adapter ses efforts sur ces objectifs ? Voyant la profondeur du fossé qui le séparait du raisonnement de ses propres amis, Chems aurait presque pu admettre qu’il aurait peut-être dû. En absence de fil conducteur pour le mener vers l'ébauche d'une idée de carrière, au moins pour se dire que ça ne lui fermerait aucune porte plus tard. Conséquemment, le retour de flamme en cas d’échec risquait aussi de lui créer des problèmes à la maison. Ainsi donc, il allait falloir qu’il se mette aux révisions plus sérieusement, et rien qu’à devoir le reconnaître, l’irlandais sentait sa posture croulée sans vouloir assumer le retard qu’il aurait à affronter à deux mois de la date redoutée.

Lâchant sa copie, il se laissa choir sur le banc avec un grognement.

Le ciel artificiel noya son souci dans les nuages colorés par un coucher du soleil tout aussi factice qu’eux tandis que la beuglante tempêtait toujours quelque part. L’irlandais ne pensa même pas à ajouter son regard à ceux qui devaient probablement déjà faire rougir la cible du fléau. Difficile cependant de ne pas entendre la voix masculine, furieuse, déversant son sermon. Pour ne pas l'écouter, Chems se laissa divaguer vers tout ce qui ne lui rappellerait pas son retard scolaire. C’est ainsi que sa correspondance initiée par le programme d'échanges amico commença à imprégner sa conscience.

Qaasim apprécierait surement la projection sous la voûte de la Grande Salle presque autant que les accords mélodieux d’autres ciels noir et bleu¹. Néanmoins, pour cela, il aurait fallu qu’il puisse les entendre, chose impossible à en croire les dires de son dernier courrier. Chems n’avait reçu que deux lettres et il sentait déjà ne plus pouvoir se suffire de mots. Alors qu’il avait intégré ce programme par rancœur par rapport à tous ce que sa mère lui cachait, voilà qu’il s’était pris de considération pour l’outil qui aurait dû contrebalancer ce sentiment désagréable. Il se trouvait même tellement distrait par ce que la distance lui empêchait de transmettre qu'il en oubliait son objectif d'en apprendre plus sur Albaldah.

Une autre salve de reproche lui vrilla les tympans, le faisant grimacer. C'était la beuglante la plus longue qu'il avait eu la malchance d'entendre. Il ne serait pas étonné qu'elle finisse par leur faire office de musique d'ambiance pour le dîner. Pauvre gars. Chems fut à moitié tenté d'attraper une bougie pour mettre le feu à l'humiliation en papier avant l'heure.
Lorsqu'il y pensait, cet objet était doté d'une sacrée capacité. Dommage que son utilisation soit réduite à transmettre des réprimandes.


Dès qu’il repéra le dessus de la tête de monsieur Graham après l’ouverture des portes de la salle, Chems traça droit vers lui. Le chemin vers l’adulte était encore jonché d'instruments après un cours de musique dont il avait l’impression d’avoir attendu la fin depuis plus d’une éternité. Des manches de violon et de guitare dépassaient de l’assise de certaines rangées de chaise, les feuilles de partition volantes à travers la pièce chatouillaient parfois son nez à leur passage, et les étuis posés par terre - ouverts comme fermés - étaient de véritables pièges de chasseur. Chems marchait sur la pointe des pieds tant il craignait de faire subitement s’écrouler tous les trépieds et micros dans ce capharnaüm.

Heureusement, il arriva devant le chef de chœur sans grief.

« Monsieur, j’ai besoin de votre aide. C’est pour un cas de force majeure que je ne peux pas… Est-ce que c’est des pancakes là-bas sur le piano ? »

Le cours d'aujourd'hui avait été particulièrement banal. Il s'était bien déroulé, sans aucun accroc. Chacun avait joué sons rôle, les élèves avaient bien travaillé et donné le meilleur d'eux-mêmes durant ce cours, tandis que Max avait donné les conseils nécessaires à ceux qui en avaient besoin. On aurait pu croire que c'était les cours préférés du chef de choeur, la où tout se passait comme il le souhaitait, mais ce n'était pas le cas. Ce qui amusait Max, dans son métier, c'était les imprévus et les élèves un peu turbulents, vivants.

Ce fut donc plus qu'amusé que ke chef de chœur vit débarquer dans sa salle un Poufsouffle qui semblait assez âgé, plutôt sur de lui. Il traversa toute la salle, sautant entre les instruments pas encore rangés. Décidément, qui que soient les élèves, ils avaient la fâcheuse tendance à ne pas ranger ce qu'ils utilisaient après coup. D'un coup de baguette, Max rangea les instruments dans les étuis, qu'il referma, et déplaça le tout dans un coin de la salle. Il s'occuperait de cela après.
Le garçon semblait bien pressé, et commença immédiatement la conversation. À peine avait-il commencé sa phrase qu'il s'interrompit, mettant Max à cheval entre l'exaspération et l'amusement. Il avait repéré les pancakes. D'un geste de la tête, le chef de choeur lui signifia qu'il pouvait se servir.

-Mangez-les, de toute façon ça ne se conserve pas. Pourquoi êtes-vous venu, mis à part dévorer mes pancakes?

Chems ne se fit pas prier, attrapant un des deux derniers pancakes au fond de l'assiette. Il s'en serait voulu de laisser de la nourriture se perdre. De l'excellente nourriture soit dit en passant.

« Oui, se reprit-il en avalant son énième bouché du gâteau imbibé de sirop d'érable avant que le chef de chœur ne s'impatiente. J'ai besoin d'extraire la partition d'une chanson mais j'y connais rien en solfège ».

Dommage que l'utilisation d'une beuglante soit réduite à transmettre des réprimandes , s'était-il dit la veille, avant le dîner, sans s'attendre à ce que son problème de correspondance merge avec cette réflexion anodine entre le plat principal et le dessert. De par sa faculté à pouvoir porter une voix, une beuglante pouvait devenir sa solution en réalité. Elle était l'équivalent, à quelques propriétés magiques près, d'un appareil de stockage. Si la voix d’Ashlyn Carson n'avait jamais résonné jusqu'en Jordanie, il y avait là un moyen de la faire voyager là-bas. Cependant, et alors qu'il se réjouissait de cette issue qu'il commençait à entrevoir, Chems ne put ignorer les soucis logistiques qui apparurent les uns après les autres, plus tard dans la soirée, au plus il songeait à l'idée de faire passer un morceau d'une chanson de Cesair à travers une beuglante. Allongé au fond de son lit, droit comme Dracula sommeille dans son cercueil, cette nouvelle idée l'avait tenu éveillé bien après que les premiers ronflements des pensionnaires de son dortoir n'aient commencé à trompeter.

S'il voulait que cela fonctionne, il allait lui falloir éclater la chanson, en était-il venu au bout de sa méditation nocturne. Et accepter certaines concessions.

Petit un : s'il parvenait à détourner cette hypothétique beuglante, ça ne serait pas la voix de la chanteuse du groupe, mais la sienne que Qaasim devrait supporter puisqu'il serait celui à écrire les paroles de la chanson sur le papier. Petit deux : en admettant que son chant, amplifié par le parchemin ensorcelé ne résultait pas au trépas des oreilles de son correspondant, il y avait toute une partie instrumentale à ne pas négliger s’il voulait reproduire un semblant d’imitation du morceau original. Et ça, il ne pouvait pas le trafiquer. Taper au hasard sur une gasaa qui résonne bien ne le rendait pas capable de traduire une mélodie en note de musique (ni l'inverse d'ailleurs).

Voilà pourquoi il était devant monsieur Graham aujourd'hui.

« C’est possible de faire ça à l’oreille ? »

Une nouvelle fois, Max sourit quand il vit le Poufsouffle se jeter sur la nourriture. À travers les années et les générations, jamais la réputation de gros mangeurs de la maison jaune ne se dementissait. Au contraire, le spécimen que Max avait en face de lui semblait particulièrement porté sur la gourmandise, engloutissant un pancake en quelques instants.

-Comment vous appelez-vous, déjà ?

Mais cette gourmandise n’empêchait pas le Poufsouffle d’être sérieux. Il semblait savoir ce qu’il voulait, ce qui plut à Max. D’autant plus il lui parla d’essayer d’enregistrer un morceau sur une beuglante. C’était une idée quelque peu étrange, farfelue. Mais à la fois, c’était une magnifique manière de contourner le problème de partage de musique que rencontrait le monde magique. Le chef de chœur sourit donc une troisième fois, séduit par cette idée qui lui paraissait intéressante à essayer.
-Ce n’est pas très difficile, en réalité. En revanche, si vous n’avez pas de bases, jamais vous ne pourrez faire ça avant plusieurs années. Une oreille, ça se travaille. Par ailleurs, je ne vous garantis pas que cela va marcher.

C’était ni un oui, ni un non. Plutôt une manière de signifier au Poufsouffle qu’il allait avoir besoin d’aide. Max était d’ailleurs là pour ça, c’était l’essence même de son travail. D’un mouvement de baguette, le chef de chœur rapprocha donc le piano à queue, sur lequel ils pourraient se poser pour travailler.

- Est-ce que vous avez un peu de temps ? Que nous puissions commencer à dégrossir un peu le travail. Quel est le morceau que vous voudriez transmettre par beuglante, exactement ?

Les bruits de succion que l'adolescent produisait à lécher ses doigts du sirop collant dont ils s'étaient recouvert après avoir touché le pancake s'interrompirent soudainement, alors que de cette demande si simple, l'adulte le rendait - volontairement ou non - conscient de son indécence. Jaugeant le visage de l'homme, Chems déclina son identité avec circonspection. Sans percevoir la frigidité d'une personnalité sévère, monsieur Graham eut le don de le mettre très vite à l'aise, expressif comme il l'était. Rassuré, le poufsouffle ne put que s'emporter après la réponse optimiste de l'homme. « Ah vraiment ?! » Tout ce qui passa après "en revanche" pour tempérer son initiative d'un rappel judicieux, Chems l'entendit comme un bruit de fond abstrus.

Alors que le piano se faisait appâter par magie, il acquiesça de la tête sans l'ombre d'une pensée pour son emploi du temps, plutôt captivé par les sonorités désordonnées qui échappaient de la table d'harmonie de l'instrument en déplacement. Se postant, après son arrêt, à côté du pied avant droit du piano de sorte à être en face de monsieur Graham lorsque ce dernier s'installerait en face du clavier, il éplucha mentalement le répertoire du groupe irlandais qu'il souhaitait faire découvrir à son correspondant. Comme il l'avait déjà fait des centaines de fois, Chems revenait toujours à penser au même titre, autant pour ses paroles que sa mélodie : « Under Skies of Black and Blue de Cesair... Vous le connaissez ? » Sa phrase croula vers la fin d'hésitation. La dernière lettre de Qaasim n'avait pas manqué de lui faire prendre conscience de la petitesse de son univers à Greystones, l'ignorance de l'élève d'Albaldah ayant contrasté si violemment avec ses souvenirs de l'effervescence provoqué par le passage du groupe par chez lui. De ce fait, il s'attendait presque autant à ce que l'adulte lui réponde à la négative, s'apprêtant intérieurement à le fredonner si nécessaire.

Non, Max ne connaissait pas ce morceau. Mais ce n'était vraiment un problème. IL avait ses ressources pour ce genre de situations. A Poudlard, le chef de choeur ne bénéficiait pas de l'immense base de données musicales qu'était internet, qui de toute façon aurait été inutile si le morceau était sorcier. Alors, il avait installé une de ces malles sans fond, dont avaient le secret les artisans sorciers, dans son bureau, et l'avait remplie de dizaines de disques de musique sorcière et moldue. La malle, cachée sous son bureau, était toujours ouverte, permettant ainsi à l'ancien Poufsouffle de lancer un sortilège d'attraction d'où qu'il se trouvait.

-Je ne connais pas, non. Permettez que je l'écoute. Accio, Under Skies of Black and Blue de Cesair.

Un peu d'habilité dans la visualisation lui permettait de lancer le sortilège sans imaginer la pochette. Elles se ressemblaient toutes, et le disque était toujours noir.Le chef de chœur réceptionna au vol le disque, qu'il plaça immédiatement dans un gramophone magique. Puis, s'asseyant sur le banc du piano, il écouta tranquillement une première fois le morceau. Ce n'était pas forcément son style de musique préféré - il n'aimait de toute façon pas vraiment la musique sorcière en général. IL avait déjà entendu, il en était sûr. De même, il connaissait le groupe, relativement important dans le monde sorcier. Mais, en réalité, il n'écouterait jamais ce genre de musique. Sans rien laisser paraitre, une fois le morceau terminé, Max reprit la parole.

-Super, ça me dit quelque chose. Est-ce que vous pourriez commencer à transcrire les paroles? Je vais chercher de quoi travailler sur la mélodie. Vous avez du papier et des plumes sur le piano.

Passé la surprise de voir qu’il existait des vinyles du groupe, Chems leva les yeux sur le cornet¹ géant du vieil appareil de retransmission alors que ce son qu'il connaissait si bien - un peu éraillé sur les bords par quelques grésillements - ressortait de sa bouche en fleur. Le poufsouffle ne put s'empêcher de s'approcher du gramophone durant sa performance pour suivre l'aiguille glissé sur le disque. Pour la première fois, il entendait tous les instruments plus distinctement que jamais en concert, et en découvrait même certains. Pourtant, sans les clappements de main et de talons de son public irlandais, le chant lui parut nettement moins vibrant que dans ses souvenirs. Et que dire de l'absence des inflexions de voix de la chanteuse dans cette version enregistrée ? De la disparition de sa générosité lorsqu'elle tenait une note particulière un peu plus longtemps ou de ses invitations à la suivre pendant le refrain ? Le morceau avait indéniablement perdu quelques-unes de ses couleurs après s'être fait enfermé dans les sillons de son vinyle.

Suivant les indications de monsieur Graham, Chems revint vers le piano pour se mettre à l'écriture des paroles. Il les connaissait bien assez sans avoir besoin d’écoute supplémentaire et donc, silencieusement, forma les mots de ses lèvres tout en les couchant en même temps sur le parchemin. En tout, la chanson comptait deux couplets en plus du refrain. Dissocié de sa mélodie, le sens du texte aurait pu paraître morose pour un morceau possédant une partition musicale si enivrante. Il suivait en somme l’esprit de certains chants anciens des contrées d’Éire, relatant allégrement des récits scarifiés par la misère tout en étant portés par l’euphorie détonnante des vibrations de leurs instruments comme autant de reliques historiques enjolivant un triste passé.

Durant sa tâche, les yeux intrigués du poufsouffle n’avaient de cesse de se balader entre son travail et celui qui occupait l’adulte. Il se savait chanceux que monsieur Graham ait accepté d’accéder à sa requête en mettant à profit un savoir-faire que l’adolescent n’avait ni le temps, ni la patience d’acquérir. Toutefois, l’inaccessible poussant à l’intérêt, Chems se sentit piqué par la curiosité à observer ainsi une personne plongée si intensément dans son art. Qu’est-ce qu’il avait dit déjà… se creusa-t-il la tête en poussant la plume de prêt à écrire un autre paragraphe de la chanson, sa pointe rechignant à se plier à son écriture. Ah oui. « Vous travaillez vos oreilles comment ? Est-ce que c’est une faculté que vous pourriez perdre si vous ne l'entraînez pas régulièrement ? » Désireux d’aller observer comment le chef de chœur s’y prenait avec la partition instrumentale avant qu’il ne finisse, Chems s’épargna la réécriture des segments de la chanson qui se répétaient, les remplaçants par des indices chiffrés entre les couplets, et après une relecture rapide, annonça : « J’ai fini avec les paroles ! » pour pouvoir rejoindre l'homme et examiner plus attentivement cette technique si longue à acquérir.

Après être passé dans son bureau récupérer une bonne plume et du papier à partition, le chef de choeur alla s'installer dans un coin de la pièce, où son magnifique piano droit trônait. Il l'avait emmené avec lui lors de son déménagement à Poudlard, mais ne l'utilisait presque jamais, les pianos à queue de Poudlard étant de bien meilleure facture, malgré la qualité déjà certaine de celui du musicien. Tranquillement, Max se mit donc au travail. Ce n'était pas quelque chose qui lui déplaisait, car retranscrire une partition, parvenir à décrypter ces centaines de notes et à poser sur des lignes tant d'émotions était quelque chose qui le fascinait. Bien sûr, après tant d'années de pratique, il n'avait absolument aucune difficulté dans cette tâche, mais elle n'en restait pas moins extraordinaire. Alterner entre l'écoute et le piano, pour retrouver les notes si nécessaire lui plaisait réellement.
Le Poufsouffle tira Max de sa rêverie, alors qu'il était déjà bien avancé dans sa tâche. Les questions fusèrent, et le chef de choeur s'arrêta quelques instants afin d'écouter ses interrogations.

-J'ai ce qu'appellent les musiciens une oreille absolue. J'ai toujours beaucoup entendu et joué de la musique, depuis ma plus tendre enfance. À 5 ou 6 ans, je pouvais jouer et surtout écouter de la musique deux ou trois heures par jour, parce que ma famille ne faisait que ça. Indéniablement, mon cerveau s'est sculpté dans ce sens. Aujourd'hui, quand j'entends un `son, j'arrive la plupart à identifier les notes qui le composent. Bien sûr, ce n'est pas infaillible, car je ne l'exerce pas autant que je ne le devrais. Le deuxième atout que j'ai, c'est que je suis capable, à partir d'une note donnée, de retrouver parfaitement d'autres si on m'en donne. C'est l'oreille relative, qu'on peut acquérir tout au long de sa vie. Dans les deux cas, je pourrais perdre en efficacité si je ne les utilise pas assez souvent, mais, pour les perdre totalement, il me faudrait au moins plusieurs années.

Max espérait avoir été clair dans sa réponse. L'oreille qu'il avait était bonne, mais ce n'était évidemment pas un superpouvoir. C'était par des années de pratique qu'il avait acquis ces compétences.

-Passez-moi vos paroles, que l'on voie si cela convient avec ma partition. Je l'ai simplifiée, j'espère qu'ainsi le papier beuglante aura moins de difficulté à le retransmettre.

Chems écouta l'adulte décrire ses capacités. Il avait espéré entendre une méthode un peu plus constructive qu'un imprécis "j'écoute et je joue de la musique". Cela dit, il était clair qu'en plus de ses acquis, l'homme pouvait compter sur une sorte de sens inné, si le poufsouffle avait bien compris. « Ça fait beaucoup d'oreille ça » réagit-il sans pousser davantage l’adulte à lui révéler plus de détails sur ce qu'il aurait fallu faire lorsqu'on était doté d'une paire d'écoutilles normale comme la sienne. Sans doute que Monsieur Graham n’était pas au fait du programme d’entraînement pour les oreilles non absolues. En remplissant ses papiers d'inscription aux amico, Chems avait aperçu une école très axée sur la communication à travers la musique. Il suspecta que ses élèves devaient disposer des mêmes capacités. Il y avait aussi son camarade d’un an son cadet, Gray Haros, qui était tout aussi passionné par le domaine. Savait-il tout ça lui aussi ? Probablement. Peut-être même que le guitariste avait des oreilles comme les siennes et, par extension, serait mieux en mesure de l’informer. Décidément, la musique était tout un monde à elle seule ! Disposant de ses principes et de son propre langage. Chems se promit de creuser un peu plus tout ça… un jour. Pour l'instant, il avait une beuglante à réarranger.

Saisis d’une petite appréhension en voyant les symboles qui constituaient les notes de musique, Chems espérait que la beuglante ait la capacité de les lire aussi bien que les lettres. Il masqua son doute en chantonnant ses espoirs. Après tout, si Monsieur Graham avait accepté le test, c’est qu’il devait y avoir quelque part un moyen pour que ça marche. Ainsi, sans perdre une minute de plus, il lui confia son parchemin de parole. « Plus qu’à aligner la ligne de chant avec celle des notes ~ C’est parti… euh » Mais voilà qu’en s’imaginant la suite de l’expérience, Chems réalisait autre chose d’un peu plus problématique. « Attendez, si on écrit une ligne de note en dessous de celle du texte, la beuglante les lira l’une après l’autre non ? Ça sert plus à rien si les paroles ne sont pas superposées à la mélodie ! » Sans toucher à l’aspect immatériel sur lequel s’appuyait l’artéfact magique pour extraire et traduire les sonorités à reproduire, il fallait aussi trouver un moyen de lui faire comprendre que deux lignes devaient être vocalisées simultanément.

Il apparaissait de plus en plus à l’irlandais qu’il souhaitait s’approprier un fonctionnement dont il connaissait à peine le principe de base. Néanmoins, il ne s’en découragea pas. Alors, pendant que l'adulte comparait les deux trames pour trouver un moyen de les assembler, Chems prit le temps de réfléchir à son problème jusqu'à réussir à en venir à une conclusion. Bon sang mais c’est bien sûr ! « Je crois que j’ai compris. La beuglante garde en mémoire l’ordre dans lequel le texte a été écrit c’est ça ? Ça veut dire qu’il suffirait de trouver un moyen d’écrire les notes et les paroles en même temps. »

La petite phrase du Poufsouffle amusa le chef de choeur. Effectivement, ça faisait beaucoup d'oreille. Mais ce n'était pas pour rien que la musique et l'écoute tout particulièrement demandaient beaucoup de travail. Les compétences à acquérir n'apparaissaient pas en un clin d'oeil, mais après plusieurs longs mois de travail tout au moins.

Puis le garçon aborda le point épineux de la question, c'est à dire la manière d'inscrire la musique sur la beuglante.

- L'enchantement d'objets n'est clairement pas ma spécialité. Mais je crois que la beuglante capte aussi le ton et l'esprit dans lequel vous écrivez la lettre. Il faudra donc essayer d'écrire les paroles en pensant au rythme de la musique, je pense.

Max le sentait, ça allait être un processus très complexe. D'autant plus qu'il fallait aussi inscrire la partition des instruments, et ça c'était encore plus complexe. On risquait effectivement de devoir écrire la musique en même temps. Ce fut donc le moment choisi par Max pour mettre ses propres idées sur la table.

-Je vous propose d'utiliser deux plus à papotes. La première noterait ce que vous chanteriez, la deuxième ce que je jouerais au piano. Peut-être qu'ainsi nous arriverons à un résultat plus propre.

Ce n'était sûrement pas le plus simple, mais le chef de choeur trouvait à cette technique d'être celle qui proposerait le plus de précision.