Précédemment, dans les couloirs.

La jeune fille, qui suivait à présent la tornade qu'était Orla contre son gré, haleta :

- Où est-ce qu’on va exactement ?

Orla répondit au détour d'un palier :

- À la bibliothèque, si Merlin me prête force !

Orla dévala les escaliers quatre à quatre, la main de la jeune fille dans la sienne. Elle n'avait aucune idée du temps qui avait passé entre sa sortie de la salle commune et l'instant présent, mais au vu des rayons du soleil rasant, la bibliothèque était sur le point de fermer. Elle fit tomber ses affaires plusieurs fois dans le couloir, ce qui ralentit considérablement leur course effrénée, laquelle n'était pas des plus recommandées. Mais au diable les avertissements ! Elle n'avait tout simplement plus le temps pour de la marche rapide. Leurs pas résonnaient sourdement sur le marbre du rez-de-chaussée, et ce son portait l'adrénaline que ressentait Orla à son paroxysme.

Elles parvinrent finalement à l'entrée du lieu tant convoité. Orla prit un temps pour reprendre sa respiration, puis, lâchant la main de la jeune fille, poussa la porte en bois.

L'odeur de parchemins et de parquet fraîchement ciré la calmèrent instantanément. Elle inspira un grand coup en fermant les yeux, et oublia pendant quelques instants qu'elle avait une enquête à mener, et accessoirement, un devoir de Botanique à rendre.

Elle tourna les yeux vers la jeune fille qui l'accompagnait et lui fit un sourire en mettant un doigt sur ses lèvres. Toujours un peu essoufflée, Orla se fraya un chemin parmi les rayonnages jusqu'à parvenir à celui dédié à la Botanique. Tout en cherchant frénétiquement du regard le Guide d'Herbologie de Gawshawk, elle lâcha de but en blanc à sa partenaire de course :

- Alors, tu peux me dire pourquoi tu m'as suivie ?

Levis trébucha violemment contre une dalle de pierre, se sentant entraînée en avant. Elle ne réussit que de justesse à se redresser, le sang battant aux tempes. Hélas, trop occupée à se rétablir, elle avait raté la moitié de la réponse de la tornade qu’elle suivait :

- …Merlin me prête force !

“Génial.” pensa la jeune sorcière, un brin ironique. Elle n’était pas plus avancée, et il aurait été mal vu de lui demander de répéter sa réponse. De toute manière, si elle ouvrait encore une seule fois la bouche, elle risquait de s’affaler une nouvelle fois par terre. Elle préférait suivre le rythme effréné de la course dans les couloirs en silence, du moins, avec pour seul son leurs deux respirations haletantes et le bruit de leurs chaussures claquant sur le sol.

Au détour d’un couloir, la jeune fille devant elle fit tomber ses parchemins, ce qui leur permit de souffler un instant. Levis voulut alors lui demander la raison de temps de précipitation, la marée d’élèves étant à présent loin derrière eux. Mais la jeune fille aux cheveux courts lui reprit la main aussi fermement et l’entraîna à nouveau à sa suite sans qu’elle n’eut le temps de seulement réfléchir à la formulation de sa phrase.

Les deux apprenties sorcières arrivèrent enfin devant une grande porte en bois. La fille lâcha la main de Levis, et poussa le battant, révélant une vaste salle éclairée par les rayons orangés du soleil couchant. Une certaine pénombre y régnait, mais les rayons de livres étaient éclairés par des cierges magiques, flottant dans l’air comme ceux de la Grande Salle. La bibliothèque.

Levis s’engagea à la suite de la fille au matériel d’écriture, d’un côté ravie d’avoir trouvé la bibliothèque, d’un autre un peu déçue d’avoir été prise sur le fait lors de sa filature. L’adrénaline retombait, la remplissant d’un calme étrange, celui d’une bibliothèque.
Elle s’engagea dans un rayon à la suite de la jeune fille, mais n’arriva pas à déterminer le sujet sur lequel il portait, les étagères étant trop sombres pour y voir distinctement les livres, malgré les bougies enchantées.

- Alors tu peux me dire pourquoi tu m’as suivie ?

Levis se figea aussitôt, son cœur recommençant à battre la chamade. Comment avait-elle deviné ?!

- Je..je ne te suivais pas, je..je me rendais juste à la bibliothèque, marmonna-t-elle, maudissant sa voix tremblotante.

Elle lui tourna le dos et fit sembler de s’intéresser à un livre à la reliure blanche, mais elle espérait juste qu’ainsi, elle ne lirait pas le mensonge sur sa figure.

Orla observait du coin de l'œil sa camarade qui lui tournait le dos. Elle qui doutait encore de son accusation jusqu'à peu, le langage corporel de sa voisine ainsi que sa voix tremblante lui laissaient deviner qu'il y avait anguille sous roche.

Orla réfléchit un instant, laissant son regard errer sur le livre à la reliure blanche qui semblait passionner la jeune fille. Si elle n'avait pas été à Poudlard, elle aurait sûrement continué à poser des questions jusqu'à ce que sa camarade avoue tout, ou bien craque et s'enfuit. Il lui était arrivé à de nombreuses reprises de blesser sans le vouloir, du fait de son caractère envahissant et de son incapacité à se mettre à la place des autres. Mais depuis son arrivée à l'école de sorcellerie, Orla était devenue plus renfermée sur elle-même. Tout ce temps passé seule dans le château ou dans le parc lui avait donné l'occasion de réfléchir à sa personnalité et à la façon elle était perçue par les autres. Appelez ça l'âge de raison ou bien la pré-adolescence, il reste qu'Orla avait envie de changer la façon dont elle interagissait avec ses camarades. Être plus à l’écoute, moins « rentrer dans le lard ». La course lui avait donné un goût de sa personnalité d’avant Poudlard - la spontanéité, l’impulsivité, tout ce qui faisait d’elle une enfant joyeuse mais parfois casse-pied. Orla se rendait compte à présent que la jeune fille qui lui tournait le dos n’avait aucune envie de répondre à sa question parce qu’elle ne voulait pas être ridiculisée, et cela, elle pouvait le comprendre.

Elle regarda le livre de Botanique qu’elle avait à présent entre les mains. Comment faire pour que sa camarade se sente plus à l’aise ? Orla se mordit la lèvre, signe d'une réflexion intense. Elle reporta son attention sur le livre que regardait sa compagne et lut sur la tranche son titre : Les Hommes qui aimaient trop les dragons. Elle laissa échapper dans un murmure :

- J'adore les histoires de dragons, ça me donne l'impression de vivre une aventure quand j'en lis.

Elle se retint d'en dire plus : elle avait une légère tendance à divaguer.

- Dis, comment tu t'appelles ? Je crois pas t'avoir déjà croisée.

Orla trouvait cette entrée en matière affreusement plan-plan, mais elle se disait qu'une présentation en bonne et due forme pourrait aider sa camarade à se décontracter.

Levis resta immobile, ses doigts crispés sur la reliure du livre blanc. Tout en essayant de paraître détendue, elle farfouillait énergiquement dans sa tête à la recherche d’une autre excuse plausible si la jeune fille la questionnait encore. Que pouvait-elle inventer d’autre ?

Une voix murmurante la ramena à la réalité :

- J'adore les histoires de dragons, ça me donne l'impression de vivre une aventure quand j'en lis.

Étonnée, Levis se tourna dans sa direction. Pourquoi ce changement soudain de sujet ? Elle suivit son regard et lu la reliure du livre qu’elle agrippait : “Les Hommes qui aimaient trop les dragons.” Pendant un moment, Levis envisagea de lui répondre qu’elle aussi adorait les romans, les contes et les histoires, pour rebondir sur le sujet et écarter celui qui la gênait. Mais elle parla pas, retrouvant une certaine timidité.

Le visage de son interlocutrice était plongé dans l’obscurité, l’éclairage vacillant des bougies éclairant à certains moments son cou, voire son menton, mais jamais plus loin. Il lui était donc difficile de deviner ses intentions en observant son visage. Essayait-elle de la piéger ? Voulait-elle qu’elle aborde le sujet pour après lui dire quelque chose comme : “ Pourquoi sembles-tu aussi pressée de changer de sujet ? Me mentirais-tu ?”

Non. Il fallait qu’elle arrête un peu d’angoisser pour rien. Elle devenait trop paranoïaque, la fille devait simplement avoir lâché l’affaire.

- Dis, comment tu t'appelles ? Je crois pas t'avoir déjà croisée.

A ça, elle pouvait répondre sans crainte. Faisant à présent complètement face à la jeune fille, elle lui répondit, sans aucune réserve dans la voix :

- Levis Krats. Je suis une première année. Et, je crois qu’on est dans la même maison.

Réflexion complètement stupide quand l’écossaise avisa les uniforme qu’elles portaient, tous les deux aux couleurs de Poufsouffle.

- Et toi ?

Orla sourit en voyant la jeune fille se retourner vers elle. Enfin, on va pouvoir discuter ! Elle apprit que Levis était elle aussi en première année et qu'elles étaient dans la même maison. Orla fut tentée d'ajouter qu'elle connaissait déjà ce dernier détail, ayant aperçu Levis dans la salle commune environ une heure plutôt, mais elle se retint, comprenant que la filature était un sujet sensible. Elle était trop contente de pouvoir engager la conversation avec une camarade de maison pour gâcher ce moment !

Elle se contenta donc de tendre la main et de dire :

- Moi c'est Orla, Orla LeFer ! Je suis en première année et à Poufsouffle aussi.

Elle attendit que Levis lui serre la pince, mais à ce moment-là, elle entendit la cloche sonner. Oh non, c'est qu'elle avait laissé le temps filer avec toutes ces émotions ! Il devait être quoi, 18 heures passées ? La bibliothèque fermait à 18h30, et elle n'avait pas 1) emprunté le livre qu'elle cherchait, 2) ni cherché à placer le livre sur les dragons dans le bon rayon – malgré des accès de bordélitude aiguë, Orla était une personne relativement organisée et aimait que les choses soient à sa place (cette règle excluait sa chambre).

Orla regarda un temps le livre de Botanique qu'elle avait dans les mains et se résolut à le ranger sur son étagère : elle n'en voyait pas vraiment l'utilité, et à une heure aussi avancée elle n'aurait pas le temps de le parcourir. Elle s'adressa ensuite à Levis :

- Je vais ranger le livre sur les dragons à sa place, tu viens avec moi ?

Levis, encore un brin inquiète, vit ses doutes restant disparaître quand la fille en face d’elle lui tendit la main avant de se présenter :

- Moi c'est Orla, Orla LeFer ! Je suis en première année et à Poufsouffle aussi.

La jeune écossaise salua de la tête la jeune fille sur laquelle elle pouvait à présent mettre un nom. Orla. Plutôt rare comme prénom, pas comme « Alicia », « Lili » ou « Jane ». Enfin, « Levis » n’était pas un nom particulièrement courant non plus. Elle s’apprêta à lui rendre sa poignée de main quand une cloche sonna brusquement, résonnant de part et d’autre du château pour annoncer la fin de la journée de travail. Elle sursauta brusquement, étant peu habituée au bruit assourdissant qu’il en résultait. Tout en calmant les battements de son cœur affolé, Levis vit Orla baisser les yeux sur le livre de Botanique qu’elle tenait dans la main.

- Je vais ranger le livre sur les dragons à sa place, tu viens avec moi ? lui demanda-t-elle

La Poufsouffle hocha la tête avec enthousiasme, ravie de pouvoir explorer un peu plus la bibliothèque et mettre pour de bon de côté cette gênante histoire de filature.

- Bien sûr, j’ai vu qu’il n’était pas rangé à la bonne place, sourit-elle

Elle parcourut des yeux les rangées d’étagères qui se dressaient, éclairée par la lumière jaunâtre des bougies. Devaient-elles ranger le livre dans la partie « romans », « animaux fantastiques », ou « livres scolaires » ? Elle devait avouer qu’elle n’en savait rien. Elle ne connaissait même pas le genre du livre.

- Une idée de l’endroit où ça se range ?

« – Une idée de l’endroit où ça se range ? », demanda Levis à Orla.

Orla prit un air pensif, observant la quatrième de couverture. En relisant le titre, elle pensa que le livre pourrait appartenir au rayon dédié à l'Histoire de la Magie. Il s'agissait peut-être de portraits d'hommes et de femmes un peu dingues, qui avaient joué avec le feu (sans mauvais jeu de mot) et qui n'avaient pas pris les précautions nécessaires avant de s'occuper de dragons ? Oui, ça devait être ça. Sans même feuilleter le livre, Orla releva ses yeux vers Levis, un sourire aux lèvres.

– Je crois savoir. Viens avec moi.

En commençant à marcher, Orla se dit que Levis en avait peut-être marre d'être trimballée par elle à travers tout le château. Elle se retourna brièvement vers sa camarade pour vérifier sa réaction, mais elle ne semblait pas être dérangée outre mesure. Si Levis se sentait brusquée, elle le lui dirait certainement, n'est-ce pas ?

Orla continua de marcher d'un pas plus ou moins décidé et atterrit bien vite dans l'allée principale. En fronçant les sourcils, elle déchiffra les écriteaux qui indiquaient les matières tout en longeant les rayons. Vol, Astronomie, Divination, Runes, Étude des Moldus... Ah, Histoire de la Magie !

– C'est ici !, dit-elle à Levis, qui la suivait toujours.

Orla regarda la tranche des livres disposés sur les étagères, mais aucun ne portait sur les dragons. Perplexe, elle se décida à ouvrir le livre et vit qu'il s'agissait en fait d'une sorte de mode d'emploi pour ceux qui possédaient des dragons. « En voilà, un titre mensonger ! », pensa Orla, avant de se retourner vers Levis, en lui adressant un sourire désolé.

– Bon, c'est pas ici. C'est un mode d'emploi pour s'occuper des dragons, ça doit être dans le rayon des livres sur les Soins aux créatures magiques.

Elle dépassa Levis et revint... à leur point de départ, puisque l'étagère des livres sur les Soins aux créatures magiques se trouvait juste en face de l'étagère de Botanique. Elle rangea le livre à la lettre « H » et vit qu'il était déjà 18h15, ce qui voulait dire que la bibliothèque fermerait d'une minute à l'autre !

– Maintenant que c'est fait, il faut qu'on file !

Levis suivit Orla, se tordant le coup à chaque tournant pour en voir un peu plus de l’immense bibliothèque. Elle reviendrait bien y faire un tour, mais de jour cette fois. Alors qu’elles étaient sur le point d’arriver dans l’allée principale, Orla se tourna brièvement vers elle, comme pour la dévisager. Levis fronça les sourcils d’un air interrogateur, lui demandant silencieusement ce qui n’allait pas. Mais sa camarade ne dut pas voir sa question, car elle se retourna et reprit son chemin.

Les deux jeunes filles longèrent les rayons, jusqu’à s’arrêter devant un, qui, aux yeux de Levis, ne présentait aucune différence avec les autres. « Comment sait-elle que c’est ici ? ». Elle eut bien vite sa réponse en avisant les écriteaux disposés au début de chaque rayons. Comment avait-elle pu ne pas les voir ? Elle était vraiment fatiguée aujourd’hui.

- C'est ici ! s’exclama-t-elle

Pourtant, quand elle s’avança dans le rayon, aucun livre ne semblait correspondre à celui que sa camarade de maison tenait. Levis s’apprêtait à suggérer que ce n’était pas le bon rayon, quand Orla la prit de vitesse :

- Bon, c'est pas ici. C'est un mode d'emploi pour s'occuper des dragons, ça doit être dans le rayon des livres sur les Soins aux créatures magiques, lui dit-elle, un sourire désolé aux lèvres.

Levis hocha la tête, et les deux filles revinrent à leur point de départ, le bon rayon se trouvant en fait juste en face de celui dédié à la Botanique. Orla rangea le livre - « Une bonne chose de faite ! » -, puis, s’exclama :

Maintenant que c'est fait, il faut qu'on file !

Les deux filles sortirent de la bibliothèque, et Levis, après maints débats intérieurs se décida enfin à proposer à Orla se qui lui trottait dans la tête :

- On pourrait peut-être aller manger, non ? Il est déjà presque 18:30…

Les deux jeunes filles prirent le chemin de la sortie. Orla traînait un peu plus le pied à mesure qu'elles approchaient de la porte, et ne put s'empêcher de regarder derrière elle vers le rayon de Botanique. Elle espérait qu'elle n'aurait pas besoin d'informations supplémentaires pour son devoir. Après tout, elle n'était qu'en première année, ça ne devait pas poser beaucoup de problèmes. Son envie de bien faire fut bien vite éclipsée par la réalité : il était beaucoup trop tard pour emprunter un livre, et elle n'aurait pas le temps de rédiger un parchemin de six pieds de long. Elle allait devoir se contenter d'un devoir digne d'un Effort Exceptionnel, voire d'un Acceptable si vraiment l'inspiration venait à lui manquer.

Une fois sorties de la bibliothèque, Orla se demanda ce qu'elle pourrait bien faire. Devait-elle retourner dans son dortoir pour finir son devoir une bonne fois pour toutes et ne plus y repenser ? Ou bien valait-il mieux faire un crochet par la Grande salle pour choper un morceau de pain et reprendre des forces ? C'est qu'elle se sentait positivement épuisée après cette course et ces allers-retours dans la bibliothèque.

Levis semblait avoir lu dans ses pensées puisqu'elle lui proposa qu'elles aillent manger. Étant donné l'heure, c'était peut-être plus raisonnable. Orla acquiesça et répondit :

– Ouais, t'as raison ! On a qu'à y aller maintenant, je finirai mon devoir plus tard.

Orla entoura les parchemins qu'elle portait encore de ses deux bras (elle ne les avait tenus que d'une main pendant tout le temps qu'elles avaient passé à la bibliothèque) et se dirigea vers la Grande salle qui n'était qu'à deux pas. Elle ne put réfréner un petit sourire : une nouvelle rencontre valait bien un Acceptable en botanique ! Elle avait hâte d'en apprendre plus sur Levis au moment du repas.