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15 nov. 2022, 12:45
 Worcestershire  Le calmar, le vampire, l'abraxan et le mage noir  OS 
31 OCTOBRE 2038


AELLE - 8 ans
AODREN - 10 ans
ZAKARY - 22 ans
NARYM - 24 ans



« Aelle, tu es sûre que tu ne veux pas changer de costume ? Tu risques de l'abîmer dans la forêt. Les tentacules pourraient se prendre dans les branches des arbres et se déchirer. »

L'enfant au cheveux clairs plantée devant le miroir ne répond pas. Elle remue doucement le bassin pour faire se mouvoir les nombreuses tentacules d'un bleu profond qui terminent le bas de sa robe et qui flottent autour d'elle.

« Tu pourrais mettre le vieux déguisement de magyar de Natanaël, tu ne crois pas ? insiste son père, inquiet d'assister à la déception de sa fille à son retour de balade.
Je veux rester en calmar ! refuse Aelle en tournant sur elle-même. Pis si ça se déchire, tu feras de la magie pour réparer, non ?
Oui, mais...
Laiffe, papa, » intervient un jeune homme au regard doux. Les deux grandes canines magiquement agrandies dépassent de sa bouche et l'empêchent de parler correctement. On fera attenfion à elle. »

Zile a confiance en Narym pour veiller sur Aelle. Il craint davantage les idées farfelues des deux autres. Son regard traverse la pièce jusqu'à trouver les garçons bruyant qui s'amusent de l'autre côté du lit parental. Aodren, petit abraxan exubérant qui cavale sur la moquette — ses ailes battent délicatement dans son dos, ce qui le fait rire ; et Zakary, désormais majeur dans tous les pays du monde, avec ses cheveux gominés, son teint pâle et ses yeux rouges, déguisé dans une mauvaise reproduction d'un quelconque sorcier noir — plus excité que l'autre il s'amuse à faire battre plus vite encore les ailes de son petit frère du bout de sa baguette. Ne manque que Natanaël, le seul des enfants Bristyle étudiant à Poudlard.

Coincés entre le mur et le lit, Narym et son père avisent le spectacle et s'ils ont une moue dubitative sur les lèvres, ils ne sont pas moins amusés par ce qu'ils voient.

« Aelle, tu es prête ? »

La petite fille-calmar tourne encore deux fois sur elle-même avant d'offrir un grand sourire auquel il manque deux dents à son vampire de grand frère.

La troupe se rassemble et quitte la chambre parentale dans le bruit et la bonne humeur. Ça cavale dans les escaliers, ça crie, ça rit, ça se bouscule.

« Faites attention à mes ailes ! Attention !!
Marche pas sur mes tentacules, Zak.
Place à Lord Zakary, le terrible et puissant mage noi...
Merlin, mais avanfez !
Tu veux pas que je diminue la taille de tes dents, Narym ? »

Dans le salon ils tombent sur leur mère, installée au bar. Elle semble les attendre. Mais elle ne fait que sembler : elle est en fait plongée dans un dossier dont elle s'arrache difficilement quand débarquent sa progéniture et son mari. Elle observe les déguisements de chacun.

« Ils sont plutôt réussis cette année.
Regarde Maman ! J'ai des tentacules comme Calmar le calmar. »

Aelle se faufile entre Narym et Aodren. Elle déambule fièrement devant Arya qui n'ignore rien de ce costume puisqu'elle a contribué à son achat. La petite fille porte enfoncé sur le haut de son crâne une sorte de chapeau muni lui aussi de tentacules bleuâtres. Un sourire étire les lèvres d'Arya qui a bien envie de rire devant l'incongruité de ce costume mais elle se retient parce que quand même, il ne faudrait pas se moquer. Elle échange néanmoins un regard avec son mari qui veut dire : elle aurait pu être un vampire comme tous les enfants mais non elle a choisi le calmar.

« Filez maintenant histoire de ne pas rentrer trop tard. Il fera bientôt nuit. Zile, tu leur as donné de quoi grignoter ?
J'allais le faire, répond l'homme en farfouillant dans les placards de la cuisine. Ao, Ely, mettez vos capes. Et écoutez vos frères. Aelle, tu m'écoutes ? »

À vrai dire, non. L'enfant est plongée dans ses pensées et il faut que Zakary la pousse vers l'entrée pour qu'elle se décide à obéir. D'une voix confiante, elle refuse son aide et enfile toute seule le vêtement en passant plus de temps à l'arranger autour de ses tentacules qu'à écouter les instructions de son père.

« Allez mauvaise troupe, en route ! s'exclame ce dernier en fourrant un sac en toile dans les mains de Narym. Soyez prudent. Restez ensemble. Et surtout, écoutez vos frères, les petits ! Aodren, ne t'éloigne pas d'accord ?
Ouiiii, claironne l'abraxan.
Aelle, ne réponds pas à tes frères.
...
Aelle !
D'accord, chuchote le calmar.
Et toi Zak, n'ou...
Papa, tu vas nous faire ça tous les ans ? C'est pas la première fois qu'on sort dans la forêt pour Halloween, râle le mage noir en soupirant. C'est bon, on gère.
Et toi Zak, continue l'homme en souriant à Zakary, n'oublie pas que tu es aussi responsable que Narym, d'accord ?
Ouais, c'est bon, je sais.
On fait une photo ?
Papa, put... Merlin, tu nous laisses y aller ? »

Qu'importe ce qu'en pense Zakary, ils se retrouvent tous les quatre à poser devant la porte du vestibule, des sourires plus ou moins sincères sur les lèvres tandis que l'objectif les mitraille. Une photo, deux photos. Puis Aelle se plaint (« J'aime pas du tout les photos, je veux aller dans la forêt... »), comme Zakary (« 'l'est saoulant... »), et l'excitation d'Aodren atteint son paroxysme (« Je veux galoper ! On y va ? On y va ? On y va ? »). Alors Narym entreprend de les rassembler et de les faire sortir un à un en rassurant son père entre-temps (« Je ne les lâche pas du regard, non je ne vais pas leur faire peur. Évidemment que je vais furveiller que Zakary ne les traumatife pas. Tout ira bien papa. Oui, tu peux me faire confianfe. »).

Aelle échappe à la main qui tente de se glisser dans la sienne et trottine vers sa maman qui, le visage fermé, attend avec impatiente que le salon retrouve un semblant de calme. La gamine est habituellement silencieuse et discrète mais ce soir-là, la perspective de vivre sa soirée préférée avec ses frères habille ses lèvres de sourires et son âme de courage.

« Au revoir Maman ! »

Elle se colle aux jambes de la femme et dépose brièvement la tête sur son bras. Arya lui tapote maladroitement le haut du crâne avant de l'éloigner, un sourire crispé sur les lèvres.

« Oui, Aelle. Bonne soirée. »

La jeune sorcière pose sur elle un regard profond que sa mère peine à décrypter. Elle craint qu'Aelle ne lui sorte une phrase dont elle a secret, celles qui ne devraient pas sortir de la bouche d'une si jeune enfant. Mais non, elle se barbouille un sourire hésitant et s'éloigne à petits pas en lui lançant quelques regards par dessus son épaule. Elle se faufile dans le vestibule pour rejoindre ses frères.

Juste avant de la suivre, Narym croise le regard de sa mère et il ne fait rien pour cacher sa moue désapprobatrice.

« Elle voulait juste un baifer, » lui reproche-t-il avant de quitter à son tour la maison.

Le ciel se colore de plusieurs teintes claires et le soleil disparaît déjà à l’horizon. Au loin, les arbres se détachent de plus en plus difficilement sur la toile bleue. Le temps qu’ils s’enfoncent dans la forêt, la nuit est déjà tombée et c’est exactement ce qu’ils attendaient : pouvoir avancer entre les arbres en n’étant éclairés que par le bout de la baguette des deux plus grands. Zakary ouvre la marche et Narym la ferme. Entre les deux les deux plus petits sont bien encadrés et surveillés ; chaque écart est puni par Narym d’un claquement de langue. Aodren se fait réprimander plusieurs fois mais Aelle ne cherche même pas à désobéir : elle avance silencieusement, le coeur résonnant de la mélodie de la forêt. Chaque année c’est la même chose. Ils sortent vadrouiller pour le soir d’Halloween, afin de ressentir ces frissons dont on ne sait pas s’ils naissent de l’excitation ou de la peur. Aelle ne le sait pas encore mais dans quelques années elle regrettera très fort ces moments passés avec ses frères, tout simplement parce qu’ils n’existeront plus. Elle ne sait pas encore les horreurs qu’elle vivra à cette période de l’année qui assombriront ses souvenirs. Pour le moment, les frissons habillent son dos et l’enfant qu’elle est y croit réellement — elle pense que son bonheur sera éternel.

« Zak ! chuchote soudainement Narym dans son dos. C’était par là ! »

La file s’arrête pour le regarder. À ses pieds, un sentier plus petit encore que celui qu’ils foulent s’enfonce entre les arbres.

« On va pas chasser les géants ?
Non, Aelle, sourit le plus grand. Aujourd’hui, on va vous faire vifiter un nouveau pays, fa te dit ?
Tu sais c’est pas vraiment un pays là où habitent les géants, hein ? En fait c’est encore le Worces.. Worc… Woceshire.
Le Worces-shire ! la corrige méchamment Aodren en la bousculant. Puis heureusement qu’il sait hein !
C’est le Wor-cef-ter-fire, intervient Narym en tirant son frère à lui. Et non, je ne favais pas. » Il fait un clin d’oeil à la petite fille qui le regarde d’un drôle d’air. « Pour moi f’est un autre pays, un pays où il fait bon de f’amuser avec mes frères et ma foeur. »

L’enfant est perdue, elle cligne des yeux et son grand frère la connaît suffisamment pour savoir qu’elle va encore le corriger, comme elle sait si bien le faire. Aelle n’est pas de ceux qui comprennent que l’on peut s’inventer toute sorte de pays — ce n’est pas parce qu’ils sont inventés qu’ils n’existent pas. Narym doute qu’elle comprenne un jour : il n’y a pas plus terre à terre qu’elle.

« Allez, allez, allez ! »

Heureusement, Zakary l’empêche de parler. Il trépigne à l’arrière et les incite à avancer plus rapidement. Il en appelle à leur estomac et menace tout le monde de les priver de bonbons, jusqu’à ce que Narym lui rappelle que c’est lui qui porte le sachet de sucreries. Le faux mage-noir fait une grimace hideuse avant de pousser Aodren qui bouscule Aelle qui se contente d’un regard noir, mais Narym a compris le message.

La petite troupe fait demi-tour. Le plus âgé ouvre la file et Zakary la ferme. Aelle marche davantage à côté de son frère, même si pour cela elle doit ralentir toutes les dix secondes pour éviter les arbres, que derrière lui. La lumière de la baguette la rassure et la fascine, elle la suit en écoutant d’une oreille les idioties de ses frères dans son dos. L’obscurité les entoure totalement, les arbres deviennent des formes étranges dans la nuit et les bruits de la forêt se transforment en grognements d’animaux. Les frissons sur le dos d’Aelle tendent à ne provenir plus que de sa peur. Elle marche à petit pas et ferme ses petits poings très fort pour résister à l’envie d’attraper la manche de Narym.

Elle se souvient alors des articles de journaux qu’elle a lu en cachette sur le bureau de Papa. De la face hideuse du monstre au long nez pointu. Des cauchemars qui ont suivit et qui suivent encore. Comment s’appelait-il déjà, ce garçon qui s’est fait attaquer il y a peu ? Aelle revoit encore son visage dans ses rêves. Nicholas. Oui, Nicholas. Et dire que Naël se trouve encore à Poudlard et qu’il vit à quelques pas de l’endroit où le jeune préfet s'est fait...

« Narym, chuchote-t-elle, Narym. »

La grand garçon baisse la tête vers elle, la baguette toujours brandie devant lui pour illuminer leurs pas. Aelle peine à croiser son regard alors Narym pose une main sur son épaule même s’il sait qu’elle n’aime cela qu’une fois sur deux — heureusement, cette fois-là semble être la bonne.

« Tu crois que… Non rien.
Dis-moi, Ely.
Tu… Tu crois qu’il y a des Er… »

Elle se tait, figée par la peur mais Narym n’a aucun mal à comprendre ce qu’elle a voulu dire. Ses entrailles se nouent brutalement et un poids obstrue sa gorge. Il se force à avancer, à ne pas se laisser envahir par la peur irrationnelle qui essaie de l’envahir. Surtout, il essaie de ne pas penser à son petit frère encore à Poudlard pour lequel il a parfois si peur qu’il ne parvient pas à trouver le sommeil. Du coin de l’oeil, il aperçoit l’étroit visage d’Aodren, pâle comme la mort. Au-dessus, le regard inquiet de Zakary — tout le monde a entendu la question d’Aelle et tout le monde attend une réponse de sa part. Alors il déglutit, repousse sa peur comme il a apprit à le faire et réponds d’une voix pleine de confiance feinte.

« Non, évidemment que non, Aelle. Il n’y a pas d’Erkling dans fette forêt-là, ne t’en fais pas. Ils ne vivent pas ici, d’accord ? Ce qui est arrivé à Poudlard n’était qu’un accident. Il ne nous arrivera rien ici. »

La voix est rassurante, le ton également, mais cela n’empêche qu’ils sont en train de marcher dans une forêt alors que le jour est tombant et que les ombres sont effrayantes. Les quatre Bristyle se rapprochent subtilement les uns des autres. Les deux adultes sont bien en peine de cacher qu’ils ont aussi peur que les deux plus petits mais c’est leur rôle après tout alors ils camouflent leurs frissons et Zakary résiste à regarder derrière lui plus de deux fois toutes les trente secondes. Il a l’horrible sensation d’être suivit ou observé. Et si l’une de ces terribles petites créatures se cachait derrière un arbre et qu’elle attendait pour venir enfoncer ses petits doigts dans… ? N’y tenant plus, Zakary se retourne soudainement. Son coeur bat à toute allure contre sa cage thoracique. Rien derrière lui, si ce n’est une obscure et épaisse forêt aux bruits étranges.

La marche prend une tournure inquiétante et il faut une bonne dizaine de minutes pour que les tensions s’apaisent, notamment grâce à Narym qui entonne un vieux chant moldu, bientôt repris en chœur par un Aodren tremblant et un Zakary peu sûr de lui. Aelle garde le silence, emprisonnée qu’elle est par sa peur : elle a lu dans un grimoire que les Erklings étaient des mangeurs d’enfant et elle se demande qui d’elle ou d’Aodren mangerait cette créature si elle se retrouvait face à eux.

Les esprits finissent par s’apaiser totalement lorsque Zakary retrouve sa voix et qu’il braille des blagues à tue-tête, faisant rire à gorge déployée le petit abraxan. Même Narym glousse de temps en temps et il jurerait avoir vu Aelle esquisser un petit sourire. La balade retrouve sa légèreté et heureusement car ils arrivent là où ils devaient aller.

Il s’agit d’une petite clairière à peine éclairée par la lumière du ciel. De grands arbres épais la bordent. Au centre, l’herbe haute grignote un petit groupe de rochers. Zakary a repéré cet endroit la semaine passée lorsque lui et Narym préparaient la soirée de ce soir. Les deux plus grands s’avancent sans crainte dans la clairière, rapidement suivit des deux plus petits qui sont soulagés de retrouver un peu d’espace et de visibilité.

« C’est ça le nouveau pays ? demande Aelle avec une moue dubitative.
Oui ! répond fièrement Narym.
Ça ressemble quand même au pays des géants. »

Ce n’est pas faux. Le lieu de leurs jeux quotidiens est effectivement une clairière comme celle-ci, quoi qu’un peu plus grande et recouvert de plus de grosses pierre qui constituent la base des cabanes qu’ils construisent en arguant qu’il s’agit là de la maison des géants qui hanteraient depuis des millénaires leur forêt.

« Peut-être mais ici c’est l’endroit où vivent… » Zakary laisse sa phrase en suspend le temps que tout le monde le regarde puis éclaire son visage en plaçant sa baguette sous son menton. « Les esprits des géants morts dans d’horribles circonst…
Zakary !
Pardon, maître Narym. Des géants morts au combat.
Morts pendant la Grande Bataille des Rochers ?! » demande Aodren d’une voix excitée.

Il a parfois tendance à oublier que toutes ces batailles légendaires, ces pays et ces monstrueux êtres supposément censés haïr les Bristyle au point de leur faire la guerre ne sont que l’invention de Narym. Il a passé des heures lorsqu'il avait encore l'âge d'Aodren et d'Aelle à concevoir et imaginer ces histoires afin d'occuper son jeune frère Zakary qui était déjà très turbulent.

« Je vais tout vous raconter, venez. »

Tout le monde prend place sur les rochers plus ou moins bancals. Ainsi placés en cercle, tournant le dos aux arbres, ils en oublient les peurs passées et l’obscurité qui les entoure. Zakary et Narym ont préparé pour leur petit frère et leur petite sœur une soirée remplie d’histoires. Si certaines pourraient être légèrement effrayantes, la plupart ne sont destinées qu’à nourrir leur esprit d’imagination et de belles images. Le sachet de bonbons passe de main en main et tous sont d’avis pour dire que cette soirée est leur préférée de l’année.

Lorsqu’ils rentrent à la maison des étoiles plein les yeux, ils sont accueilli par leur père qui a veillé en attendant leur retour. Toutes les voix se chevauchent pour être celle qui racontera la meilleure histoire. Cependant personne, pas même Aodren qui a fondu en larmes ou Aelle qui a crié à s’en arracher les cordes vocales et qui a bien manqué partir en crise — de colère ou de panique, on ne sait pas —, personne ne raconte le moment où Zakary s’est éclipsé pour se soulager et qui a tant tardé à revenir que ses frères et sa sœur ont commencé à s’inquiéter ; personne ne dira rien à propos des dix minutes passées à le chercher dans la peur et les cris ; surtout, personne ne racontera ce moment où, usant de sortilèges d’illusion et de camouflage, Zakary a réussi à piéger les trois autres en apparaissant devant eux poursuivi par un immense et effrayant géant qui renversait les arbres comme si ce n’était que des allumettes. Personne ne parlera de la course poursuite effrayée, de la tentacule arrachée et des larmes qui ont barbouillé le maquillage du mignon petit abraxan. Personne, mais cette nuit Aelle rêvera du géant monstrueux qui aura un nez aussi long que celui d’un Erkling et qui la dévorera toute crue.

— Fin —


Épisode du Contexte évoqué dans ce texte : La mort de Nicholas Schovajsa.
Déguisement d'Aelle (imaginer une fille bien plus jeune) :

Reducio
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