Inscription
Connexion

07 juin 2022, 12:07
 Tara, Irlande  À l'ombre  Recueil d'OS   ++ 
Les chiens ne font pas des chats

École primaire
Quelque part en 2044

Comme toujours pendant la récréation, Elizabeth lisait, assise sur les marches du perron de la classe. Le professeur avait plusieurs fois tenté de la convaincre de jouer avec les autres élèves, sans grand succès. Elizabeth ne souhaitait pas plus jouer que les autres élèves n’avaient de désir de l’accueillir. Il ne fallait cependant pas y voir une exclusion ; c’était ainsi, c’est tout. Aussi immuable que les règles qui régissaient l’univers. Les chats étaient mignons, il pleuvait seulement quand on n’avait pas pris de parapluie, et Elizabeth lisait seule pendant la récréation.
Il arrivait parfois qu’un enfant brisait ce statut quo, en traversant la cour pour adresser la parole à Elizabeth – pas pour lui proposer de jouer, seulement pour bavarder. Ce fut le cas aujourd’hui. Une petite fille nommée Lucy s’approcha.
- Salut, Liz. Est-ce que tu voudrais bien discuter ?
Elizabeth sourit et ferma son livre.
- Bien sûr, Lucy. Assieds-toi.
Lucy était la personne qui discutait le plus souvent avec elle.
Mais à peine Lucy se fût-elle assise et eût ouvert la bouche, qu’une autre voix se fit entendre.
- Hé, Beth ! Encore en train de lire des contes de fées ?
Elizabeth soupira. Lucy disparut aussi vite qu’elle était venue. Personne ne voulait se mettre entre Jake et Elizabeth.
- Ne m’appelle pas Beth, rétorqua-t-elle avec lassitude. Je m’appelle Elizabeth.
- Pourtant, Lucy t’appelle Liz, je l’ai entendue. Ce n’est pas ton prénom non plus.
- Lucy est mon amie, tu ne l’es pas. Tu n’as pas le droit de me donner de surnom. Maintenant, si tu n’as rien de plus intéressant à me dire, va-t’en.
- Oh mais si, j’ai quelque chose d’intéressant à te dire, fit-il d’un air extrêmement satisfait. Devine qui j’ai croisé, hier ? Ta folle de mère.
- Ma mère n’est pas folle, articula Elizabeth entre ses dents, en serrant le poing.
Jake avait l’air de beaucoup s’amuser.
- Ah bon ? Pourtant, elle parlait toute seule, au milieu de la rue. Pourquoi faisait-elle ça, si elle n’est pas folle ?
- Elle réfléchissait. Tu devrais essayer, de temps en temps.
Jake perdit son sourire goguenard. Il fait un pas vers Elizabeth, qui cacha bien vite son livre entre ses jambes.oUne fois, Jake lui avait arraché son livre des mains si violemment qu’une page avait été arrachée. Elle n’était pas sûre qu’il l’ait fait exprès, mais elle était entrée dans une rage si violente que personne, même Lucy, ne l’avait approchée de nouveau avant une semaine, et Jake lui-même en avait laissé passer presque trois avant de revenir lui chercher des noises.
Elizabeth surprit le regard que Jake posait sur ses mains ; il avait vu son mouvement. Une ombre passa sur son visage.
- Tu m’en veux encore pour ça ? lança-t-il avec mauvaise humeur. C’était il y a longtemps ! En plus, tu m’as poussé super fort et je me suis écorché tout le dos. Est-ce qu’on ne devrait pas être quittes ?
Elizabeth fronça les sourcils. Elle ne se souvenait pas très bien de ce moment, mais il lui semblait qu’elle était restée debout sur le perron, trop loin pour atteindre Jake. Elle savait cependant qu’il ne mentait pas ; même si elle ne l’aimait pas, elle devait reconnaître qu’il n’avait pas ce défaut-là.
- Bien sûr que nous ne sommes pas quittes, répondit-elle en chassant cette pensée de son esprit. Tu as cicatrisé, alors que mon livre ne pourra pas être réparé. J’y tenais beaucoup, je te signale. C’était une édition en français. On ne la trouve pas au Royaume-Uni.
- Tout ce tintouin pour un bouquin, lâcha Jake, agacé. T’es bien comme ta mère, aussi dérangées l’une que l’autre.
Elizabeth gronda comme une bête sauvage. Si elle avait eu autre chose qu’un livre sous la main, elle le lui aurait sûrement lancé à la tête. Mais Jake s’en moquait bien ; il était déjà parti.

***

Lorsqu’Elizabeth rentra de l’école, elle salua son père et passa voir sa mère dans son bureau. La pièce était couverte de papiers couverts d’écriture en pattes de mouche et de schémas. Certains semblaient faire partie d’autre chose de plus grand, mais cet autre chose semblait hors de vue. Sa mère était assise au milieu et marmonnait tout bas.
- Salut, Maman*, dit Elizabeth. Je suis rentrée.
Sa mère releva brièvement la tête. Une mèche de cheveux indisciplinée lui barrait le visage. Son expression égarée ne gâchait rien.
- Oh, bonjour, ma chérie*, lâcha-t-elle, replongeant aussitôt dans ses pensées.
Brusquement, Elizabeth eut honte de sa mère ; elle eut honte de cette pensée tout aussi brusquement.
Elle s’avança dans la pièce et saisit une feuille de papier au sol. Il y était écrit quelque chose à propos de montagnes et de lions. Elle la reposa exactement à sa place et continua sa traversée.
Arrivée jusqu’à sa mère, elle lui saisit la main. Bien que sans cesser de farfouiller dans ses notes, cette dernière sourit à Elizabeth et serra sa main dans la sienne.
- On se voit au dîner, murmura la petite fille. Je t’aime*.

*Les mots indiqués de cette manière sont en français.
Dernière modification par Elizabeth Le Gall le 21 janv. 2023, 11:38, modifié 3 fois.

3ème année RP / #018e6b

28 sept. 2022, 10:31
 Tara, Irlande  À l'ombre  Recueil d'OS   ++ 
Le roi des voleurs

Hiver 2044, en fin de matinée
Maison Le Gall

En ce samedi d’hiver, la maison était parfaitement silencieuse. Elizabeth dessinait, allongée sur le sol, son père était au travail et sa mère recluse dans son antre. Soudain la porte s’ouvrit. Curieuse, Elizabeth délaissa son crayon et se rendit dans l’entrée.

- Elizabeth, tu veux bien m’aider s’il-te-plaît ? appela son père.

Il sourit en constatant qu’elle était déjà là et lui tendit ce qu’il portait dans les bras. Intriguée, la fillette reçut le petit paquet d’une couleur étrange.

- Quelqu’un me l’a confié tout à l’heure, raconta son père. Il l’a trouvé dans la rue, presque mort. Il faut s’occuper de lui. Donne-lui un bain, à manger, et réchauffe-le. Lave-toi bien les mains après l’avoir touché et si tu n’arrives pas à quelque chose, demande à Maman. Dis-lui que c’est de ma part. Il faut que j’y retournes, j’ai laissé le cabinet sans surveillance. Bisous, ma puce.

Avec surprise, Elizabeth constata que le tas de fourrure dans ses bras était en fait un animal vivant. Suivant les conseils de son père, elle se dirigea dans la salle de bain et fit couler de l’eau dans la baignoire. Pendant que la cuve se remplissait, elle tenait le chat au creux de ses bras, blotti contre sa poitrine. Elle le posa ensuite dans l’eau chaude. L’animal se débattit un peu, mais la fillette ne fléchit pas.

- Sois raisonnable, dit-elle d’une voix sévère. Ça te fera du bien, tu verras.

Malgré les coups de griffes, elle le maintint dans l’eau. Une fois assuré que ce n’était pas dangereux, il cessa de se débattre et Elizabeth put se détendre. Elle ôta son pull pour ne pas le mouiller, gardant le débardeur qu’elle portait en dessous. Après une minute de réflexion, elle choisi le savon pour enfant qu’elle utilisait, censé être moins agressif. Elle en enduit le corps du chat, en évitant sa tête, particulièrement ses yeux et ses oreilles. Tout en le frictionnant, elle ne cessait de parler, racontant tout ce qui lui passait par la tête. La toilette terminée, elle l’enveloppa dans une serviette et se dirigea vers la cuisine.

- On va manger, maintenant. Tu as faim ? Je ne sais pas trop ce que je pourrais te donner, on n’a pas de croquettes. Mais on va bien trouver, ne t’en fais pas. Je ne te laisserai pas mourir de faim.

Le chat toujours dans ses bras, elle inspecta la cuisine en quête de nourriture qui plairait au félin. Elle finit par dénicher une conserve de thon. Elle l’ouvrit, la versa dans une assiette et émietta son contenu avec une fourchette.

- Tiens, chat, annonça-t-elle, c’est pour toi. Vas-y, mange.

Malgré ses exhortations, l’animal ne faisait pas mine de s’intéresser à la nourriture qu’on lui présentait. Il fixait Elizabeth en agitant la queue d’un air méfiant. Haussant les épaules, elle se dirigea vers l’évier pour se laver les mains. Ce n’est que lorsqu’elle se fut suffisamment éloignée qu’il se pencha vers l’assiette. S’asseyant dans un coin de la pièce, elle attendit que l’animal ait complètement fini de manger pour s’approcher à nouveau. Elle s’aperçut alors qu’il n’avait pas terminé l’assiette.

- Petit estomac, hein ? constata-t-elle. D’accord, alors je te laisse l’assiette ici, comme ça tu pourras manger quand tu auras envie.

Tout en parlant, elle se saisit de la coupelle qu’elle plaça dans un coin de la cuisine. Jetant un coup à la pendule, elle avisa qu’il était l’heure pour elle aussi de manger. Farfouillant dans le frigo et les placards, elle entreprit de préparer le repas du midi pour elle-même et ses parents, suivant les instructions écrites qu’on lui avait laissées le matin même.

***


12h23

La porte d’entrée s’ouvrit, laissant passer Ferdiad. Elizabeth courut à travers la maison et ouvrit la porte du bureau dans lequel travaillait sa mère.

- Papa est rentré, à table* ! lança-t-elle.

Mue par la force de l’habitude, l’interpellée s’était levée dès qu’elle avait entendu la poignée s’abaisser. Elle rejoignit sa fille et lui caressa les cheveux.

- Qu’est-ce qu’on mange ?

- De la salade de riz ! répondit la petite cuisinière. C’était facile, j’ai même pas eu besoin de faire cuire quoi que ce soit comme il y avait des restes.

La famille s’attabla en bavardant gaiement : quel patient était affligé d’un mal amusant, quel chapitre serait bientôt terminé mais n’était pas prêt à être lu, quels étaient les projets pour cet après-midi. Le samedi après-midi, Ferdiad ne travaillait pas. Elizabeth était heureuse d’avoir un peu de compagnie. L’hiver étant rude, elle ne pouvait plus sortir se promener pour tuer le temps lorsqu’elle était livrée à elle-même. La maison recelait bien d’occupations, mais un peu de nouveauté ne ferait pas de mal.

- N’y avait-il pas une boite de thon, pour aller dans la salade ? interrogea le père alors qu’elle était juste terminée. Il me semblait l’avoir vue ce matin.

- Si, il aurait dû y en avoir une, répondit Elizabeth en affichant un air penaud. Mais je l’ai donnée au chat.

- Tu as bien fait, répondit son père en même temps que sa mère lançait : Quel chat ? On peut très bien s’en passer.

Le père et la fille racontèrent la venue du chat dans la matinée.

- Il doit être dans la cuisine, je pense, conclut Elizabeth. Je lui ai laissé une assiette et… Ah !

Contredisant ses paroles, le matou venait de sauter sur ses genoux et voler un morceau de fromage qui se trouvait dans l’assiette. En entendant le cri de surprise, il quitta son perchoir et partit se cacher dans un coin avec son butin.

- Pourquoi a-t-il fait ça ? Il n’avait pas fini le thon que je lui avais donné.

- Quel petit chenapan ! s’amusa Claire.

- S’il a vécu dans la rue jusqu’à présent, ce n’est pas très étonnant qu’il ait ce type de comportement, raisonna Ferdiad. Il faudra lui faire passer cette mauvaise habitude.

- Est-ce que ça veut dire qu’on va le garder ? releva la fillette.

Ses parents sourirent et firent tous deux un signe d’assentiment. Aux anges, Elizabeth sauta de son siège et alla dénicher le chat toujours dissimulé. En la voyant approcher, l’animal se tapit craintivement dans sa cachette. La fillette lui murmura des paroles rassurantes et il finit par se laisser prendre dans les bras. Heureuse, elle le souleva et le tint contre son torse, où il se pelotonna, sans doute apaisé par la chaleur qui s’en dégageait.

- Tu fais partie de la famille maintenant, confia Elizabeth en l’embrassant entre les oreilles.

*Les mots et expressions indiqués de cette manière sont en français.

3ème année RP / #018e6b

21 janv. 2023, 11:36
 Tara, Irlande  À l'ombre  Recueil d'OS   ++ 
Mystère et chat perché

Avril 2044
Maison Le Gall

Arsène était à présent remis de sa brève expérience en tant que chat de gouttière. Correctement nourri, il était en pleine santé et son comportement s’était aussi grandement amélioré. Il gardait cependant une grande méfiance et refusait toujours de s’approcher des inconnus ; Elizabeth était à peu près la seule qui pouvait le contraindre à obéir. En revanche, il se montrait beaucoup moins agressif, ce qui était un grand pas en avant ; voilà belle lurette qu’il n’avait plus griffé ou mordu quelqu'un.
Quand la fillette était à la maison, il ne se trouvait jamais très loin d’elle. Parfois, ils jouaient ensemble, mais le plus souvent ils vaquaient à leur occupations respectives, appréciant silencieusement la présence de l’autre non loin.
Ce jour-là, Elizabeth lisait et Arsène s’occupait à donner des coups de pattes à un gros bouchon de liège. Pelotonnée dans un fauteuil, elle tournait les pages des Contes rouges du chat perché, s’amusant à comparer le chat fictif avec le sien.

- Toi, tu ne ferais pas tomber la pluie tous les jours, pas vrai, Arsène ? On ne pourrait plus aller se promener dans la forêt, ça serait dommage.

Entendant la voix d’Elizabeth, l’interpellé cessa son jeu et tourna la tête vers la voix. Ses oreilles se pointèrent brièvement en avant et sa queue balaya paresseusement le sol, le jouet abandonné à quelques pouces devant lui. Un oiseau pépia dans un coin de la pièce, attirant l’attention.

- Oh pardon, je t’avais presque oublié ! s’exclama la fillette en réponse au piaillement. C’est vrai que c’est l’heure.

Elle se leva et traversa la pièce vers un guéridon dans le coin, sur lequel était posée une boîte d’allumettes bourrée de coton et abritant la source des gazouillements. Tombé d’un nid dans le jardin, le passereau avait été recueilli par Elizabeth qui le nourrissait à la pipette jusqu’à ce qu’il ait l’âge de voler de ses propres ailes.
La fillette glissa quelques gouttes d’une mixture à base d’œuf dans le bec tendu de l’oisillon et le gratifia d’une caresse légère sur le dos, sous l’œil jaloux d’Arsène. Par jeu, elle donna un coup de pied dans le bouchon, qui s’élança et pivotant à toute allure à travers le séjour. Le chat parti aussitôt à sa poursuite et recommença à le harceler de coups de pattes. Elizabeth se replongea dans sa lecture avec un léger sourire.
Elle en fut tirée au bout d’un moment, sans d’abord réussir à mettre le doigt sur ce qui la dérangeait ; elle s’aperçut bientôt que c’était l’absence du bruit des coussinets d’Arsène heurtant le morceau de liège.
Elle tourna la tête. Le matou était posté au pied du guéridon, ramassé sur lui-même, la queue s’agitant compulsivement.

- Arsène, non ! s’exclama la fillette, tendant le bras par dessus l’accoudoir en un geste d’impuissance.

Trop tard. Les pattes rousses venaient de quitter le sol ; dans moins d’une seconde, les crocs du félin se refermeraient sur l’oisillon.
Cependant, le prédateur n’atteignit jamais sa cible : il parut heurter une surface invisible à mi-course et retomba au sol avec un miaulement indigné. Elizabeth resta interdite.

- Euh… Qu’est-ce qu’il vient de se passer, là ?

Elle se leva et rejoignit l’endroit d’où avait sauté Arsène. Effrayé par toute cette agitation, l'oiseau s'était tu. Elle s'assura rapidement qu'il allait bien - elle savait que les oiseaux étaient facilement sujets aux crises cardiaques en cas de stress - avant de revenir à son investigation. Elle ne voyait aucun objet saillant ou mal placé, que le chat roux aurait pu heurter par mégarde lors de son saut. Elle agita la main dans le vide. Rien de palpable non plus.

- Bah alors, Arsène, tu ne sais plus sauter ? plaisanta-t-elle.

Elle avança la main pour le caresser sous le menton. L’animal se déroba en grondant.

- C’est quoi, cette histoire ?

Elizabeth sentait son coeur battre dans sa gorge pendant que son esprit turbinait à plein régime. Arsène avait tenté de s’en prendre à l’oiseau, mais avait été stoppé par une force mystérieuse, et voilà qu’il boudait sans raison valable. La fillette passa une main perplexe sur son visage et constata qu’elle était légèrement essoufflée, sans pouvoir se l’expliquer.

- Je deviens folle ou quoi ? laissa-t-elle échapper, abasourdie.

Ni le chat ni l'oiseau ne répondirent.

3ème année RP / #018e6b