Macbette m'offre le plus beau cadeau que je pense avoir reçu depuis pas mal de temps. Est-ce que ça me fait autant plaisir que les crayons de couleur de mes parents lors de mon dernier anniversaire ? Bonne question... J'étais vraiment heureux, mais là, entendre ses clappements de main, et son exclamation sincère me réchauffe réellement le cœur. J'ai réussi ! Et la brune semble vraiment contente de moi. Rien ne pourrait plus me ravir !

« Maintenant... Il faut que tu attrapes le lapin. »

Mes yeux s'ouvrent en grand, et je regarde à présent ma professeur du haut de ma stupeur. Attraper ce truc qui gigote partout ? Vraiment ? C'est possible, au moins ? Hésitant, une interrogation franchit difficilement mes lèvres. C'est que je ne voudrais pas décevoir Macbette, maintenant qu'elle est contente de ce que j'ai fait...

– On... Ne pourrait pas tout simplement attendre que la métamorphose disparaisse d'elle-même ?

Ça serait moins fatiguant, non ? Et puis... Je ne suis pas bien certain de réussir mon Réparifagex du premier coup. Je le maîtrise, normalement, il ne faut pas aller croire que je suis un cancre non plus ! Seulement, j'ai parfois du mal à me concentrer, j'oublie des détails et ça finit en catastrophe. Je repense aux paroles qu'a prononcé mon instructrice au début. “Pour commencer, je crois t'es pas assez concentré.” Je me souviens de cette sensation d'abattement qui m'avait envahie. C'est vrai. Je ne suis pas très stable, incapable de rester plus de trois secondes en place. Je passe souvent d'une émotion à l'autre, aussi rapidement que l'on se rend d'un lieu à l'autre à l'aide du réseau de cheminette. Et mon attention s'évapore à la moindre distraction. Parfois, lorsqu'il m'arrive de réfléchir un peu sur moi, je vois bien que je ne suis pas pris au sérieux, et que tout le monde ne comprends pas ce que je ressens. Alors j'oublie, je refoule cela dans un coin de mon cerveau et je continue de m'amuser. Car c'est beaucoup plus drôle de s'amuser.

Parfois, comme maintenant, ça ressort. Et puis j'oublie. Je sais très bien oublier, quand il le faut. Je plisse les yeux. J'aime bien Macbette. Si elle me dit qu'il faut que j'attrape le lapin, je le ferais. Je ne sais pas pourquoi je suis parti dans tout ce patatra, tout ça pour un Réparifagex...

La bonne humeur m'envahit de nouveau, comme à son habitude, et finalement je reprends la parole. Mon sourire est réapparu, et je me sens un peu plus léger.

– Je fais le faire ! Je vais devenir le sorcier le plus génial, et toi tu seras la sorcière la plus géniale !

Je me mets alors à courser le lapin, gênant très certainement les autres élèves dans la salle. Les battements de mon cœur s'accélèrent, et j'ai vraiment l'impression de me sentir vivant. C'est fou comme se dépenser fait du bien !

– Petit lapiiiin, je t'auraiiii !

Dommage que je ne trouve pas de carottes à disposition.

Un air offusqué passe sur mon visage le temps d'un instant, en fait le temps qu'il prononce sa phrase. Non ! On ne peut pas laisser la métamorphose disparaître d'elle-même ! Je repense à Bristyle et à cette fois dans la bibliothèque où j'ai appris ce que c'était d'être remise à sa place par une inconnue d'une tête de plus que soi et au moins autant d'année. Je suis incapable de me souvenir précisément de ce qu'elle m'a dit, c'était quelque chose comme : c'est ta métamorphose, tu dois la maîtriser. Et je me rends compte à quel point c'est vrai. C'est un souvenir que j'ai souvent tenté d'enfouir dans ma mémoire ! Mais je n'en ai plus honte, désormais.

Je lui ferais la remarque plus tard, voyons d'abord comment il s'en sort.

Quand le garçon, pas beaucoup plus jeune que moi, qui a presque l'air plus vieux physiquement, qui est infiniment plus enfantin dans sa façon d'être, se décide à chasser le lapin : je ne peux m'empêcher de rire. C'est un rire qui fait du bien, qui vient du cœur et qui se laisse couler hors de ma bouche. Je ne moque pas de lui ! Je passe simplement un bon moment... c'est pas mal d'être prof.

Je le regarde courir après sa métamorphose à travers toute la pièce, oubliant à quel point ça doit être agaçant pour les quelques élèves qui essaient de travailler au milieu de ce vacarme, jugeant sa méthode. Les regards noirs lancés par les sorciers qui révisent me font prendre conscience qu'il va être temps d'agir.

Je vais devoir utiliser la magie pour attraper le lapin moi-même et mettre fin au désespoir des autres habitants du château présents dans la pièce. J'aurais aimé que ce soit lui qui l'attrape et qu'il ait l'idée d'utiliser la magie, mais après tout ce sera une leçon de plus.

Ma baguette pointée sur le lapin, je prononce la formule tout en traçant une ligne le long de son corps mouvant en espérant viser juste.

« Mobilicorpus ! »

Le sortilège fait mouche, la lapin arrête de courir et je peux le lever dans les airs. Alors que le garçon manque de tomber en fonçant sur le lapin désormais immobile. En le guidant avec ma baguette, je dépose l'animal sur la table devant laquelle je me tiens toujours. Sans relâcher mon sortilège et mon attention sur les deux oreilles du lapin, je fais signe au garçon de me rejoindre.

« Tu aurais pu utiliser la magie. Un Wingardium Leviosa aurait suffit à le stopper dans sa course... »

Je dis sans méchanceté aucune, à peine un reproche et beaucoup de conseil.

« Il faut aussi que tu saches que c'est ta métamorphose, et que tu dois la maîtriser. C'est pour ça que je t'ai demandé de l'attraper et de l'annuler. »

Une pause. Je l'observe du coin de l'œil et, le sentant attentif, j'esquisse un sourire. Mais maintenant que je l'ai attrapé, il peut se concentrer sur la métamorphose. Le lapin qui ne bouge pas regarde vers son créateur au même moment, on ne se doute pas que ça puisse être une coïncidence.

« Maintenant tu peux lancer un Réparifagex ! »

Alors que je poursuis mon joli lapin, j'entends en arrière-plan résonner un rire clair. Comme par écho, je me mets à sourire. Si en d'autres circonstances j'aurais pourtant pu me vexer, à ce moment précis, je suis tout simplement ravi de passer un bon moment avec Macbette. Je plisse les yeux. J'attraperai cette boule de poils, je n'en ai aucun doute ! Et effectivement, je finis par l'attraper, cependant pas vraiment de la manière que j'imaginais. Sous l'emprise de je ne sais quoi, voilà en effet la métamorphose s'immobilisant. Je perds l'équilibre en l'évitant de justesse, me rattrapant à une table.

Surpris, je relève la tête alors que j'entends les mots de mon institutrice, et comprends qu'elle est à l'origine de cette collision évitée de justesse. Immobile, je mets quelques instants à reprendre mes esprits. Un Wingardium Leviosa ? C'est vrai... Je connais ce sort.

– J'ai oublié...

Confus, je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi je n'y ai pas pensé. Peut-être car courir me semblait amusant ? De toute façon, je ne saurais jamais, donc inutile de me creuser davantage l'esprit.

« Il faut aussi que tu saches que c'est ta métamorphose, et que tu dois la maîtriser. »

Une nouvelle fois, j'observe ma camarade. Je manque de soupirer. Contrôler ma métamorphose... À quoi bon, puisque de toute façon elle s'estompera d'elle-même ? Au fond, c'est juste perdre du temps. Pourtant, je n'objecte pas. Un petit quelque chose me fait dire que la brune ne reviendra pas sur ses paroles, quoi que je dise, et je n'ai franchement pas envie de partir en multiples délibérations. Au lieu de cela, je l'écoute donc d'un silence religieux et attend la suite qui ne tarde pas.

Le fameux Réparifagex. Booooon, puisque ça lui fait si plaisir... Ça ne me coûte rien. Les yeux fermés, je prends un instant pour tenter de me mettre dans ma bulle. Je connais tout de même un tantinet ce sort, et j'ai bien compris qu'il fonctionnait mieux lorsque j'étais calme. C'est tout bête, et fermer mes paupières m'aide à me mettre dans un état différent. Une fois prêt, je rouvre alors les yeux et visualise le lapin reprendre sa forme d'origine, tandis que je prononce la formule.

– Réparifagex.

Rien. Boon, ça m'arrive parfois. J'ai dû faire un faux geste, ou penser au dernier moment que ça m'embêtait un peu de voir le lapin se volatiliser... Ce n'est pas si grave. Je ne me démonte pas, et retente donc l'expérience. Cette fois-ci, il semble bien que le tout fonctionne, puisque revoilà devant moi la boulette de papier du début ! Quelque peu surpris, je cligne des yeux, avant de me souvenir que je visualisais pourtant l'instant précédent ma métamorphose reprendre cette forme. Un petit rire s'échappe malgré moi.

– Oh, c'est si soudain ! C'est fou comme ça paraissait réaliste, pourtant...

Un vague sourire apparaît sur mes lèvres quand le garçon avoue ne pas avoir pensé à la magie. Je ne sais pas s'il est un né-moldu ou seulement s'il n'a pas encore le réflexe d'utiliser sa magie... mais il faut qu'il pense à l'utiliser ! La magie c'est ce qui le compose et c'est sa plus grande force, comme nous tous ici, nous devrions l'utiliser bien plus souvent et de manière plus maline. Pas seulement pour les cours ou pour réviser les examens, mais pour vivre avec et faire tout ce que l'on veut avec. C'est ce qui nous définit en tant que sorciers.

Ces pensées en tête, je regarde le troisième année se concentrer pour réaliser sa métamorphose. Fermer les yeux est une méthode qui fonctionne pour se concentrer, et elle est toujours plutôt efficace pour faire le vide sans être distrait par tout ce qui pourrait passer sous nos yeux. Je dois avouer ne plus en avoir besoin pour la plupart des sortilèges, du moins ceux que je maîtrise, mais c'est une méthode avérée.

Alors je le regarde faire. Son premier essai est raté et je m'apprête à répliquer en lui demandant de réessayer, en insistant pour qu'il sache qu'un échec ne signifie pas la fin.

Visiblement je n'en ai pas besoin ! Le temps d'ouvrir la bouche, il est déjà en train de réessayer ! J'apprécie sa combativité, qui ne semble pas le quitter peu importe les échecs. Cette fois, son sortilège fonctionne et nous regardons tous les deux le lapin se transformer en boulette de papier pour reprendre son état normal.

Je ne peux m'empêcher de sourire en l'entendant rire.

« C'est ça qui est fou avec la métamorphose ! »

Et je le pense vraiment. La métamorphose est une science fascinante que je veux étudier toute ma vie, je pense en laissant mon regard aller du visage du garçon à la boulette de papier. Avec une baguette et l'étincelle magique, il est possible de transformer la matière pour la rendre vivante le temps d'un instant.

« C'est ma matière préférée... »

Je dis avec un air un peu béat, d'une passionnée qui parle pour elle-même plutôt que pour les autres.

En secouant la tête, je remets ma baguette dans ma poche puis fais le tour de la table pour me poster juste à côté de lui. En lui donnant un petit coup de coude amical, je lui adresse un sourire sincère.

« Tu t'es bien débrouillé ! Je crois que tu as appris pas mal de choses aujourd'hui. »

Sans m'avancer, je peux dire qu'il a fait des progrès. Il lui faudra plus qu'une seule séance avec moi, ou un autre professeur particulier, pour faire des progrès durables et décrocher des bonnes notes. Parce que c'est ça l'objectif final, n'est-ce pas ?

Je m'adosse à la table et fixe mon regard au fond de la pièce, en m'apprêtant à lui faire une proposition un peu particulière que je risque de regretter... mais je ne peux résister à le lui proposer.

« Je dois y aller... mais, tu veux que je te donne des cours ? »

Je hoche la tête vigoureusement. J'avoue n'être pas le plus intéressé par cette forme de magie, mais elle n'en reste pas moins très impressionnante ! Je souris de nouveau lorsque j'entends vaguement le mot “préféré” dans la bouche de ma professeur. Je n'y aurais pas songé de moi-même, cependant, il est certain qu'en l'observant de plus près elle apprécie cette magie.

Macbette ne s'attarde pourtant pas sur le sujet, et c'est avec surprise que je la vois se rapprocher et me féliciter d'un petit coup de coude. Aussitôt, un immense sourire s'étale sur mes lèvres — au moins aussi grand que ma fierté — et je me surprends à me dandiner légèrement de joie. Le sourire de ma camarade me donne des étoiles dans les yeux, et je ne regrette plus du tout d'avoir eu l'idée de m'entraîner en métamorphose.

– Ah c'est sûr ! Un tas de trucs, et même que je vais pouvoir épater mon frère qui affirme que je suis incapable de faire quelque chose correctement !

Je reprends mon souffle.

– Mais c'est faux ! Je sais faire peur aux gens, je sais m'amuser, et j'aime beaucoup voler !

Je souris de nouveau à Macbette. Je ne saurais expliquer pourquoi je lui parle de tout cela. Cependant, elle m'a aidé, et j'ai même apprécié le moment donc je me sens d'humeur bavarde. Et, la déception s'empare finalement de moi alors que je comprends que se termine ici notre entrevue... Jusqu'à ce que la brune me fasse une proposition tout à fait inédite. Les yeux légèrement écarquillés, les mots mettent quelques secondes à s'ordonner dans mon esprit, et l'espace d'un instant, j'en viens même à me demander si je n'ai pas mal saisi les propos de la jeune fille. Pourtant, pas de doute, la voilà bien qui attend une réponse.

Ça alors... Je me gratte l'arrière du crâne, et observe quelques secondes l'élève au sourire chaleureux que j'ai pu découvrir durant cette dernière heure. Je sais qu'il ne faut pas que je tarde à répondre, sinon elle risquerait de se sentir embarrassée ou encore de considérer mon hésitation comme un refus. Or, ce n'est pas le cas.

– Tu sais... J'ai pas trop l'habitude de travailler, tout ça.

Je fais un geste du bras pour ponctuer mon discours. J'aimerais beaucoup continuer de m'entraîner avec Macbette, après tout je me suis vraiment amusé, même si la frustration était de mise. Néanmoins...

– Enfin je veux bien que tu me donnes des cours, bien sûr ! Mais... Je ne suis pas vraiment doué, enfin tu vois ce que je veux dire.

Je l'admets. Je suis loin d'être un génie tel que Harry Potter, ce héros que j'adule. Et si j'en parle à ma camarade, c'est uniquement car je ne veux pas la décevoir. Je ne voudrais pas... Je ne voudrais pas...

– Tu n'en auras pas marre de moi, hein ?!

Bon, c'est sorti. Je le voyais bien, que Maria en avait assez de moi lorsqu'elle me faisait l'école à la maison, et tentait malgré ma réticence de m'enseigner des leçons inutiles. Alors, je ne veux pas que la même situation se reproduise.

La nostalgie m'envahit toute entière. J'ai l'impression de me revoir dans la forêt qui borde le hameau dans lequel j'ai grandi. Derrière moi marchent Nils et Owen, devant moi marche oncle Olive. On porte tous des habits sales, exprès pour aller jouer dans la forêt - disent les adultes. On débouche sur une clairière merveilleuse, dans mes souvenirs on pouvait sentir et même voir la magie qui en émanait. C'est les fées, disait mon oncle, et leur ailes qui laissent ses trainées lumineuses. Et je revois mon cousin Owen, la même énergie que ce garçon en face de moi aujourd'hui, poser tout un tas de questions, se disputer avec son frère, s'intéresser aux fées plus qu'à tout autre chose...

Un peu comme lui, qui en face de moi essaie de se justifier, qui lui aussi à un frère, qui préfère s'amuser plutôt que de travailler. Alors je souris bêtement.

« T'as qu'à te dire que ce sera pas du travail ! Mais de l'amusement. »

Je lui réponds instinctivement. Mes sourcils se froncent immédiatement après que le phrase soit sortie de ma bouche. Moi, dire ça de la magie ? Je crois que ces flashbacks du passé et cette sensation d'avoir mon cousin en face de moi font surgir des vieilles répliques. Après tout, il faut bien faire des concessions pour intéresser les enfants. Mais pour qui je me prends ?

En secouant la tête, j'epoussette ma robe.

« T'inquiète, je suis sûre que tu es capable de faire pleins de choses. »

Cette fois, je me décide vraiment à partir. Mais avant ! Mon esprit de psychopathe de l'organisation me crie que j'oublie quelque chose. Quand est-ce que je lui donne le prochain rendez-vous ? Où est-ce qu'on se retrouve ? A quelle heure ? Qu'est-ce qu'il veut travailler ? Toutes ces questions que lui ne se pose pas un seul instant, j'en suis sûre.

Avec une petite moue, je me contente de lui dire :

« On se voit le week-end prochain ! »

En terminant, quand même, avec un sourire.

Cette fois, je tourne vraiment les talons pour sortir de là.

Je me sens toute drôle, je pense en triturant ma baguette dans ma poche, parce que voilà que j'ai un élève maintenant. Après tout, c'est moi qui a provoqué tout ça... J'avais cet irrésistible besoin de lui montrer comment faire, de lui dire comment lancer ce sortilège et de lui proposer des cours particuliers. Moi, professeure particulière de métamorphose ? Un sourire teinte mon visage malgré moi.