Le seul jour de la semaine que j’attends normalement avec impatience, aujourd’hui, il n’en est rien. Aujourd’hui, je me retrouve avec tout un tas de pensées, et partir manger est un mécanisme que j’effectue automatiquement. Les mains dans les poches de ma robe de sorcier, la tête baissée, je ressasse vendredi et samedi. Ces jours tournent en boucle tant ils m’épuisent et demandent mon attention. Chaque minute de ces journées doit être analysée et…

Je m’arrête instantanément lorsque je vois cette chose bleue attendre là à ne rien faire. Qu’est-ce qu’il fabrique ? Pourquoi est-ce que ce renard bleu dont j’ai oublié le nom se pavane devant moi ? Hors de question que je passe devant. Hors de question que je m’en approche. Je vais donc devoir faire le tour si je veux aller manger. Je soupire, prends les escaliers principaux, monte trois marches, puis quatre, puis cinq, et m’arrête. Dos à la créature, je lève les yeux au ciel. Je sais que je n’ai pas oublié son nom. Zikomo sonne l’alarme dans ma tête. Zik, même. Je me pince les lèvres d’agacement car je sais. Je sais que je veux me retourner et comprendre ce qu’il fait là. Je sais que Zikomo veut dire Aelle. Mais pourquoi est-ce qu’elle n’est pas là ?

Je me retourne et m’assieds sur une marche. Je surplombe l’animal, l’observe et cherche à l’analyser. Il n’est pas le prince dont il tente tellement de renvoyer l’image. Il fera des erreurs, comme tout le monde. Et lorsqu’il fera quelque chose d’idiot, je le verrai. Je verrai, je saurai et je l’utiliserai. Je sors ma baguette de ma poche et la fais rouler entre mes doigts en réfléchissant. Je tourne la tête à droite en direction d’une des bougies qui vole plus loin. La baguette en direction de l’objet, je lance discrètement mon sort, début de mon plan de test : Wingardium Leviosa! L’objet se met à voler et je l’amène doucement au-dessus de la tête du renard. Je n’ai aucune idée de ce qu’il peut faire, ni même s’il la remarquera. Mais s’il est si fort, si grand, si intelligent, il la remarquera et l’éteindra, non ?

Je vais le brûler.

Mercredi 4 mars 2048
Hall d'entrée


De grand, Zikomo n'a que l'âge. Si bien que malgré la couleur bleu dont la nature l'a affublé, il sait se faire se discret en toute circonstance. Ou du moins, quand il le souhaite. En prenant place non loin des portes de la Grande Salle pour attendre qu'Aelle termine de dîner, il savait qu'il ne serait pas discret — on ne peut être discret dans le hall d'entrée d'une école comme Poudlard. Cependant, Zikomo aime écouter les discussions des élèves qui passent dans ce grand espace pour se rendre au réfectoire. Il se laisse bercer par les fragments de vie qu'il glane à droite et à gauche. Ce ne sont pas les ragots qui l'intéressent. Zikomo se fiche des rumeurs que peuvent se chuchoter les adolescents anglais. Non, lui il aime écouter les commentaires qui viennent avec les regards qui se posent sur lui. Ce n'est nullement un signe d'un ego surdimensionné — cela non plus, Zikomo n'en a pas un très imposant. Mais il ne se lasse pas de découvrir le drôle d'opinion que se font de lui les élèves, surtout les plus jeunes. Il s'étonne toujours de s'entendre qualifier de démon, de peluche ou encore d'esprit à la solde de Peeves. Les étudiants se questionnent sur sa bonté, sur ses pouvoirs cachés, sur l'origine de sa couleur bleue.

« Étre bleu comme ça, c'est pas naturel... Bristyle l'a ensorcelé, non ? marmonne justement une jeune fille de Gryffondor à son ami en passant devant lui. C'est sûr. Ça expliquerait pourquoi il la suit comme son ombre : elle lui est redevable, il va la coller jusqu'à ce qu'elle paie sa dette ! Ou qu'elle lui rende sa couleur normale... »

Celle-là, songe Zikomo, les moustaches frémissantes de son rire, il ne faudra pas qu'il oublie de la répéter à Aelle. Sa fougueuse compagne s'agacera de l'outrecuidance de ces deux-là mais le Mngwi est persuadé de pouvoir lui arracher, avec cette anecdote, un ou deux sourires amusés qui vaudront tout l'or du monde.

Zikomo continue d'écouter, de laisser de traîner ses oreilles, faisant passer le temps plus rapidement. Dès que la bougie se met à bougie, les yeux mordorées de Zikomo se fixent dessus. Nul n'échappe aux instincts vieux d'un millénaire d'un Mngwi ! L'étrange manège de la bougie la mène à s'arrêter... Juste au-dessus de lui. Amusé, Zikomo lève bien haut le museau pour observer l'objet. Les bougies, ça ne bouge pas tout seul. Et il en a connu, des types de magie. De toute sorte, dans ce pays et dans un un bon nombre d'autres. Il sait donc que la bougie n'a pas décidé d'elle-même de venir s'installer juste au-dessus de lui.

Il ne bouge pas d'un iota mais son regard parcoure l'intégralité du hall à la recherche d'un petit enfant malicieux. Et s'il a aperçut, en levant le museau vers la bougie, l'ombre de cet élève sur les escaliers — un tout petit Poufsouffle, lui rappelle sa mémoire qui a vu le garçon passer il y une minute ou deux —, le Mngwi ne peut pas deviner qu'il est coupable de ce méfait. Il continue donc d'observer les élèves qui passent dans son champ de vision, sincèrement amusé de jouer à ce petit jeu de devinette.

Essaie-donc, si tu en es capable.

La petite flamme de la bougie s’agite lorsque j’accélère le mouvement et il me faut ralentir pour ne pas perdre le feu. J’observe l’animal lever les yeux vers l’objet qui vole vers lui et lever le menton. Est-ce qu’il renifle la bougie de là où il est ? Il ne croit tout de même pas qu’il peut la manger ? A tous les coups, ce truc est assez idiot pour le croire. Il a beau sembler la renifler, il ne bouge pourtant pas. Que c’est ennuyant !

Lorsque ses yeux semblent scanner la pièce, je sens qu’ils vont atterrir sur moi et, dans un mouvement brusque, je me penche le plus possible en arrière, ma baguette également penchée vers moi. Je ne crois pas que cela me cache réellement d’ailleurs, et voilà que je perds le contrôle de la bougie. Par Merlin, non ! C’est moi qui dois décider de quand brûler ce renard, pas ma médiocrité en sortilèges ! Heureusement, la bougie, dans la rapidité du mouvement, s’est éteinte et est tombée devant l’animal. Agacé, j’abandonne celle-ci, et renouvelle l’expérience avec une autre bougie. Celle-ci va venir se placer directement devant lui. Puis une autre, et encore une autre. L’impulsivité qui naît en mois depuis quelques temps me fait me relever d’un bond, d’ennui. Je descends les marches qui me séparent de cette chose bleue encerclée de bougies.

- T’es bête ou quoi ? Tu comptes rester planté là jusqu’à ce que tu prennes feu ?, lancé-je agacé par son inactivité et déçu de son manque de réaction. Il ne m’offre rien qui puisse justifier que je continue ce jeu. Ma baguette toujours en main, je donne toutefois un coup de pied dans les bougies pour qu’elles s’éteignent et roulent par terre. Je scrute l’animal et repense à sa manière de monter sur les genoux d’Aelle. Qu’est-ce qu’il a de si particulier ?! Je l’observe du museau à la queue et ne trouve aucune réponse. Ce truc est bleu ! Faut-il encore le rappeler ?!

Booon, d’accord, il n’en est pas (encore) capable..

Les bougies se rassemblent une à une autour de lui. Zikomo s'amuse du jeu de l'élève. L'élève, il est maintenant persuadé que c'en est un qui est coupable de ça. Il a aperçu sa silhouette du coin des yeux, là-haut sur l'escalier. Une ombre mouvante, le murmure des sortilèges. Zikomo croit à un jeu alors il s'amuse, il observe la technique du Poufsouffle, ne juge pas ses ratés et se contente de surveiller que les flammèches ne fassent pas de dégât. Il se dit que si Aelle avait été là, elle aurait déjà explosé. Elle l'aurait fait à la première bougie, n'aurait pas même laissé les autres s'approcher aussi près de lui. Mais le Mngwi est d'un naturel beaucoup plus calme et conciliant. Et surtout, il sait qu'un bond lui suffirait pour échapper à ce drôle de guet-apens ; un tournoiement dans les airs, aussi naturel que lorsqu'il y a mille ans il parcourait la forêt vierge de Chine en sautant par dessus les immenses racines et les troncs d'arbre déchus.

Il ne s'attendait cependant pas à l'éclat soudain de l'enfant qui descend le rejoindre dans la foulée, des cris aux lèvres. Il écarte les bougies à l'aide de coups de pied nerveux, ou agacés. Bête ? Sûrement pas. Se laisser brûler ? Il n'a pas cru un instant être en danger et même là, il sait qu'il ne l'est pas réellement. Il se retient cependant de répondre ça au garçon : ce serait vexant pour lui et ça ne ferait qu'aggraver sa colère. Ses oreilles frémissent doucement tandis que son regard mordoré observe son visage colérique. Il se souvient de lui. Zikomo l'a aperçu à plusieurs reprises dans les serres — celles du château et celle des Poufsouffle. Ses déplacements discrets au sein de l'école lui permettent de surprendre énormément de choses, même s'il ne souhaite pas réellement en voir la plupart.

Le garçon tient sa baguette comme Aelle le fait parfois quand elle est en colère : avec force. Peu importe la nature de son sentiment, Zikomo doute qu'il soit dirigé vers lui.

« Le poil de Mngwi brûle très mal, » répond Zikomo sur un ton serein.

Les oreilles très droites et la queue sagement rangée autour de ses pattes, il n'a pas bougé depuis de longues minutes et pose sur le garçon un regard tranquille.

« Si tu veux t'entraîner aux sortilèges, tu devrais peut-être éviter les objets enflammés, tu ne crois pas ? »

Il rajoute cette question doucement, d'une voix plus douce. Sa tête se penche sur le côté. Sa curiosité naturelle le pousserait à questionner le garçon mais son grand âge lui a appris à contrôler cet insatiable trait de personnalité.

Merlin merci, Lukas n'est donc pas (encore) cruel !

Espérer un bond pour mieux attaquer, un cri pour mieux hurler, une attaque pour mieux contre-attaquer. Mais de cette créature, je n’obtiens rien. J’entends son ton serein, je vois sa posture de prince qu’il ne prend même pas la peine de changer lorsque quelqu’un s’adresse à lui, et j’encaisse sa remarque pathétique. Un Mngwi ? Qu’est-ce que c’est que ce nom de créature ? Je fronce les sourcils et l’inscris dans ma mémoire, sans relever. Je ne sais pas non plus d’où il sort cette affirmation, mais j’ai très envie de lui demander de vérifier. A-t-on déjà essayé de le brûler ? Si oui, j’aimerais connaître rapidement l’identité du coupable, et finir ce qu’il a clairement échoué.

Mais parce que je me rappelle à chaque pensée qu’il est la créature d’Aelle, je ne mets aucune menace qui me vient en tête à exécution. Je pince les lèvres, je serre les mâchoires, mais je ne fais rien. Toutefois, penser à lui éviter de blesser son animal de compagnie lorsque celui-ci m’envoie une énième remarque désobligeante relève de l’effort.

- Je ne pense pas avoir besoin de tes conseils !, lancé-je en contrastant inconsciemment avec le ton doux de sa voix. L’espace d’un instant, je sers ma baguette plus fort dans ma main en le fixant. Je regarde derrière moi, me dirige vers les escaliers et m’assieds cette fois sur la première marche. Je ne sais pas ce qu’il peut penser de cette attitude de ma part, et je m’en fiche. J’ai simplement envie de continuer à l’observer et à le détester. Rester assis, là, à ne rien dire avec ma baguette comme seul réceptacle à énervement.

Des humains, Zikomo en a côtoyé un bon nombre. Des grands, des forts, des petits, des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards, des faibles, des égocentriques, égoïstes, bienveillants, touchants, cruels parfois. Les émotions se manifestent très différemment chez lui mais il sait ce que cela fait de ressentir avec force, avec douleur. Il a connu la crainte, la joie, la peine, la tristesse, le deuil, la colère. Alors quand il voit ce petit garçon s'en retourner après son éclat, après ses poings tout serrés et son regard colérique, il comprend des choses. Ce ne sont que des idées qui s'assemblent, des faits qui s'imposent : l'enfant est en colère et ne sait pas que faire de cette émotion. S'amuser avec des bougies brûlantes qui auraient pu, contrairement à ce que Zik a dit, lui brûler les poils, l'insulter alors qu'ils ne se connaissent pas, lui parler sur ce ton qui accuse ? La colère dont on ne sait pas que faire, Zikomo connait bien : cela fait désormais quatre ans, sept mois et trois jours qu'il côtoie Aelle Bristyle au quotidien.

Il agit sans réfléchir. Cela n'a jamais été dans ses habitudes d'abandonner des âmes désœuvrées. Surtout des enfants. S'il n'est pas familier des enfants britanniques, Zikomo a soutenu beaucoup de jeunes étudiants africains — soutenu, conseillé, séché leurs larmes, apporté des réponses. Le Mngwi se dirige donc aussitôt vers le jeune Poufsouffle en zigzaguant à petits pas discrets entre les bougies abandonnées au sol. Ses coussinets ne font aucun bruit sur la pierre.

Il s'approche doucement, presque craintivement, les oreilles plus basses qu'un instant plus tôt. Il se poste à un bon mètre du garçon. Le regard et la posture de ce dernier parlent pour lui : il en a gros sur le coeur !

« Pourquoi es-tu en colère ? »

Il aurait pu s'excuser de sa question indiscrète, préciser qu'il est en droit de ne pas lui répondre, rassurer le garçon quant au fait qu'il ne cherche absolument pas à lui mettre la pression. Mais le fait est que Zikomo n'a pas oublié que parmi toutes les âmes qui traversent actuellement le hall, ce garçon a choisi d'attirer son attention à lui et à personne d'autre. Alors il ne dit rien de tout cela car il sait que le jeune sorcier a quelque chose à dire. Il ne sait juste pas comment le faire.

Si Lukas lui arrache une oreille, moi j'arrache une des tiennes. Oui, c'est une menace.

Lorsque je veux qu’il réagisse, il ne fait rien. Lorsque je veux qu’il reste là où il est, il s’approche. Cela me rend dingue. Je lève les yeux au ciel en le voyant se relever et observe à contre cœur ses pas parfaitement silencieux. Même en marchant, ce renard essaie d’être parfait ! Je fronce les sourcils, analysant chaque petite patte qui pourrait faire un écart m’offrant ainsi la possibilité d’enchaîner, mais c’est lentement qu’il s’approche. Je remarque ses oreilles baissées et fais le rapprochement avec le chien de mon voisin. Peur ou soumission ? Un petit sourire en coin naît sur mon visage, et je me redresse, je prends les deux options.

Et alors que je m’apprête à lancer une remarque, il m’envoie une question à laquelle je ne m’attends pas. Elle résonne et fait exploser mes tympans. Elle efface instantanément mon sourire. Elle m’envoie dans le parc, me ligote et fait apparaître Valerion dans mon esprit. Mon cœur se serre et je dois prendre une longue minute pour chercher le souffle qu’il me manque. Il n’a aucun droit de me poser cette question. Elle lui est réservée à elle. Je voudrais qu’elle apparaisse, là, maintenant et qu’elle l’envoie valser à l’autre bout du hall. Ma main est crispée sur ma baguette et je me redresse d’un coup.

- Je ne suis pas en colère !, lancé-je froidement. Je n’ai pas demandé à ce qu’il s’intéresse à mon cas, c’était l’inverse qu’il devait se produire. Je passe à côté de lui sans y faire attention, sans me demander si mes pieds ou ma cape vont le heurter, je m’en fiche. Retourne voir ta maîtresse !. Une demande qui m’agace pourtant, mais l’imaginer encore près de moi est pire. Hors de question de rester ici plus longtemps. Je marche jusqu’aux bougies étalées au sol, et elles me rappellent que je n’ai pas agi lorsque j’aurais dû. Baguette pointée sur les bâtons de cire, je veux lancer un sort, le hurler et montrer que je peux tous les trancher en deux, mais la voix de Valerion est là et je ne fais rien si ce n’est les regarder avec dégoût.

A moins que cette bestiole fasse quelque chose, Lukas s’en ira. J’arracherai son oreille plus tard.
@Sixtine Valerion pour la mention.

Le garçon rappelle à Zikomo la vieille locomotive qui tire le train dans lequel il voyage régulièrement depuis qu'il fait partie de la vie d'Aelle. Comme elle, le corps du Poufsouffle contient une force et une puissance qui essaient de s'expulser vers l'extérieur. Son souffle qui résonne dans ses oreilles compétentes, ce regard qu'il garde bien loin de lui et cette baguette autour de laquelle tout son corps semble se crisper... Sauf que l'enfant n'a pas de cheminée pour laisser expulser sa colère en de gros nuages de fumée qui l'auraient soulagé : les mots ne veulent pas sortir, exception faite pour les mensonges qu'il se sert à lui même.

Zikomo n'est pas blessé par ces mensonges. Il les accepte comme une réponse : le garçon ne veut pas répondre, le Mngwi ne peut pas le forcer à parler. Jusque là, il se persuadait que la colère n'était pas dirigé contre lui. Il n'avait absolument aucune raison de croire qu'elle pouvait l'être. Puis le garçon se lève et Zikomo s'aplatit sur le sol quand la cape passe au-dessus de lui et le coupe un instant du monde en le plongeant dans l'obscurité. Aplatit contre le sol, il observe le dos qui s'éloigne. Cette dernière phrase que le Poufsouffle a balancé fait comprendre à Zikomo qu'il s'est peut-être fourvoyé : sa colère pourrait-elle être dirigée vers sa jeune compagne ? Cela ne serait guère étonnant — Aelle a du talent pour se faire déprécier des autres, malheureusement.

« Aelle n'est pas maîtresse. »

Ces mots sortent de sa bouche sans qu'il ne cherche à les retenir. Il est habitué à ce que ce soit Aelle qui les prononce : « Ce n'est pas mon animal de compagnie ! » s'exclame-t-elle si qui que ce soit ose ne serait-ce que sous-entendre que Zikomo est au même niveau qu'un chat ou un chien. Si aujourd'hui Zikomo articule cette phrase que l'enfant n'entendra peut-être pas, ce n'est pas pour faire comprendre au garçon qu'il n'a rien d'un animal de compagnie. C'est pour lui dire que Zikomo et Aelle sont deux entités différentes : sa colère n'a donc pas à être dirigée envers les deux.

La perche tendue est minime. Peut-être saisira-t-il la subtilité de cette phrase prononcée sur un ton très doux et compréhensif et qu'il acceptera de revenir épancher un peu de sa colère près de lui. Ou peut-être partira-t-il sans se retourner. Zikomo n'imposera pas sa présence, pas alors que l'enfant semble si envieux de s'en aller.

Il le gardera cependant à l'oeil, ne serait-ce que pour s'assurer que sa rage ne percute pas de trop près celle, constante, d'Aelle — les étincelles que ce contact pourrait créer seraient bien trop douloureuses pour sa jeune amie qui se saisit de toutes les occasions possibles pour transformer ses peines en colère.

La bestiole reste là, si Lukas a quelque chose d'autre à dire ou faire. Et s'il entend, surtout.

L’affirmation sonne lourdement dans mon esprit et je fronce les sourcils, bloqué dans mon élan. Je me la répète en boucle, cherchant une explication qui arriverait plus tard, en vain. J’étais pourtant persuadé qu’il lui appartenait. Je fixe l’animal bleu, attendant une énième réplique, sans que j’aie besoin de la lui demander. Mais rien. Ce truc ne parle pas, et m’oblige à le faire. Je soupire et me vois donc contraint à parler, piqué par la curiosité qui m’oblige à rester ici. Car il n’y a pas d’autres options, c’est sa faute, il m’oblige, me force, me contraint à rester là, alors que non, je n’en ai pas envie, je ne veux pas, j’assure que je veux partir !

« Comment ça ‘’Aelle n’est pas maîtresse’’ ?, répété-je légèrement irrité par son manque d’observation à ma claire attente d’explication. »

Je reste là un instant, puis, lassé que ma vue soit bloquée par les rares élèves qui passent, je me rapproche de lui, le pas lourd.

« Tu traines toujours près d’elle, tu te couches sur ses genoux ou dans son cou.. Tu vas pas me dire que t’es pas à elle ? Je lâche ces mots avec un dégoût que je ne cherche même pas à dissimuler, les yeux levés au ciel à chaque énumération d’action. Jusqu’à ce que ma dernière question apaise le tout en un infime espoir. Un espoir qui me montrerait que j’avais tort, qu’il était juste là par hasard, toutes ces fois où je l’y ai vu, qu’il est la créature d’une autre, et qu’Aelle n’a besoin de personne. Mes lèvres se pincent et je décide de ranger ma baguette. Je le regarde, debout, d’un air supérieur, les bras croisés. Je le dévisage autrement que toutes ces autres fois. C’est de la curiosité qui prend le dessus. Et d’abord, pourquoi tu parles ? Mon ton est aucunement amical, j’ai les sourcils froncés, je n’attends que des mots de sa part qui me laisseront continuer à le juger »

Les mots ont fait mouche. Le garçon se retourne. Sa curiosité est-elle trop grande pour être contenue ? Ce n'est pas de la simple curiosité, se dit Zikomo, c'est tout un ensemble de choses qu'il a du mal à comprendre. La colère n'a pas encore tout à fait quitté le garçon, il l'entend dans sa voix et le voit à sa façon de bouger. Sans jugement, le Mngwi comprend enfin ce qui l'interpellait tant dans le discours de l'enfant : celui-ci, contrairement à la plupart des personnes qui osent venir lui parler, ne le vouvoie pas. Puisqu'il n'est pas totalement dénué de capacité de réflexion, Zik fait rapidement le lien entre ce tutoiement et la colère dont il ne sait plus trop, maintenant, si elle est dirigée vers lui ou vers Aelle. Après tout, même le garçon semble l'ignorer alors comment Zikomo pourrait-il comprendre qu'il ne s'agit pas tant de colère, que ce n'est pas là le nœud du problème qui hante ce petit Poufsouffle ?

Le renard d'encre lève bien haut le museau pour continuer d'observer celui qui se dresse devant lui de toute sa taille.

« Et toi, pourquoi tu parles ? réplique-t-il sur un ton amusé en secouant les moustaches. Je parle parce que j'en ai la capacité, voilà tout. »

Quant à Aelle... C'est étonnant, non, que ce jeune élève ait remarqué tant de choses dans la relation qu'il entretient avec la jeune anglaise. Peut-être a-t-il eu souvent l'occasion de les observer dans le petit salon de la Salle commune ?

Zikomo s'affligera toujours de la façon parfois un peu étroite de penser des sorciers, surtout des Britanniques. Comme si le fait qu'il soit proche d'Aelle, qu'il grimpe sur son épaule, qu'il l'accompagne partout devait obligatoirement signifier qu'il lui appartenait. Voilà une façon de penser plutôt réductrice.

Heureusement, Zikomo n'a aucunement l'intention d'être moralisateur avec un enfant qui a seulement besoin de réponse.

« Je fais tout cela avec Aelle, c'est vrai, commence-t-il en agitant doucement les oreilles. Je le fais parce qu'elle est mon amie. Et que je suis le sien. Pas parce qu'elle a un quelconque droit sur moi. Elle serait la première à te le dire, d'ailleurs. »

Cette dernière phrase est prononcée sur un ton plutôt léger, comme si Zikomo venait de penser à une blague amusante que le Poufsouffle ne pouvait pas comprendre. Le fait est qu'il ne peut effectivement pas comprendre qu'Aelle aurait eu envie de l'éviscérer sur place si elle avait entendu le mot "maîtresse" et la méchante expression "tu es à elle" sortir de sa bouche. Oui, Zikomo est rassuré qu'elle ne soit pas là.