Ses mains brûlaient autour de sa tasse de chocolat chaud alors qu'on frôlait les trente degrés dehors. Mais elle avait tenu à commander cette boisson spécifiquement pour aller avec le double expresso de Ruby. Un café noir et brûlant, que la sorcière ne peinait nullement à porter à ses lèvres malgré la chaleur de son contenant. Ainsi Tamsin avait le sentiment d'être une grande personne, assise dans son gros fauteuil de cuir, l'odeur puissante de la torréfaction dans les narines. Elle prenait un café avec sœur, au cœur de la ville de Cardiff, et si la différence d'âge pouvait se percevoir, rien n'indiquait que ces deux-là n'étaient pas amies de longue date. En compagnie de Ruby, Tamsin se sentait immédiatement plus mature. Et puis il faut dire que Théodora — qui bien entendu l'avait accompagnée jusque là — les avait laissées seules, entre filles, partant se promener dans la ville. Elle ne repasserait que dans une heure, laissant ainsi tout le loisir à notre jeune sorcière de profiter d'un peu de temps en compagnie de cette demi-sœur à moitié perdue de vue.

— J'ai bien reçu toutes tes lettres, elles m'ont fait vraiment plaisir Tam, la remercia Ruby avec un sourire chaleureux.

Elle ne mentionnait pas, qu'à une époque pas si lointaine, Tamsin la harcelait de lettre chaque semaine. Parfois elle avait obtenu des réponses, parfois non, et bien souvent assez laconiques quoique encourageantes.

— Tu rentres en quoi là ? Troisième année c'est ça ?

Acquiesçant vivement, la gamine blonde lâcha sa tasse pour venir s'installer plus confortablement et répondre à son interlocutrice :

— Oui troisième année. J'ai choisi la filière Spéciale, et j'ai beaucoup trop hâte d'entamer les cours de Divination.

Elle trépignait effectivement d'impatience. Un nouveau sourire éclaira le visage de Ruby, ses lèvres touchant presque l'anneau d'or qui lui cernait le nez. L'adolescente n'avait d'ailleurs d'yeux que pour ce piercing affreusement stylé.

— Ça ne m'étonne pas, tu as les mêmes goûts que ta mère.

Ruby n'avait pas de contact spécifique avec Théodora, mais elle connaissait tout de même le métier et le domaine de prédilection de l'actuelle femme de son père. Une nouvelle gorgée de café glissa dans sa gorge, alors qu'elle reprenait :

— Mais Tam, tu sais que tu peux choisir ta propre voix. Il n'y a pas que la Divination à Poudlard hm ?
— Oui je sais bien, répondit la concernée, légèrement penaude. J'adore aussi les Sortilèges et je crois que je me débrouille bien en Défense Contre les Forces du Mal.

Elle n'avait pas besoin de lui fournir son bulletin scolaire pour preuve, mais sentait soudainement devoir se justifier auprès de son aînée. Âgée de trente ans, Ruby était — si l'on peut dire — l'une des aînées Gillies. Elle était la fille de Flora Petrie, une sorcière originaire d'Uganda et qui avait fait ses études à Uagadou et qui avait été la première femme de Rab Gillies. Quatre autres enfants (d'une mère différente) séparaient les deux jeunes filles. Il y avait donc finalement peu de chance qu'elles soient amenées à se revoir. Et pourtant, Ruby qui jusqu'alors avait gardé contact avec son père, avait également passé de nombreuses vacances, dans les Hébrides en compagnie de la seconde puis de la troisième femme de son père et de leur progéniture. Tout ça menant à Tamsin, la dernière née, dont Ruby s'était éprise et qui jouait à merveille le rôle de grande sœur. Le contact s'était pourtant peu à peu terni, à mesure que Ruby grandissait et comprenait les enjeux de son propre monde, l'éloignant ainsi de son enfance et de sa région natale. De ce que Tamsin savait, elle avait beaucoup voyagé, sur les terres ancestrales de sa mère notamment, mais aussi ailleurs, perfectionnant son art de la magie et découvrant d'autres pratiques méconnues en Angleterre. Elle n'en était devenue que plus importante et précieuse aux yeux de Tamsin grandissante.

— Excellent !, s'exclama Ruby faisant presque vibrer sa tasse sur le rebord de la table. Et en duel tu te débrouilles comment ?
— Et bien...

Le silence équivoque de Tamsin signifiait parfaitement sa non connaissance de la discipline du duelliste. D'un geste de la main, Ruby chassa ce qu'elle venait de dire.

— T'en fais pas va, t'es encore bien jeune. L'important c'est juste de ne pas te fermer de portes. Il faut que tu essayes tout ce qui t'attires, quitte à te planter.

Tamsin tremblait de décevoir cette impressionnante sœur, si sûre d'elle et de ses capacités. Elle plongea le nez dans la mousse de lait de son chocolat, songeant avec appréhension à son avenir. Voyant que la discussion troublait sa petite sœur, Ruby sembla apaiser son discours.

— Tu sais ma biche, je suis désolée qu'on n'ait pas pu trop se voir ou correspondre l'année dernière, mais je suis de retour. Pour de bon, lui confessa-t-elle avec un sourire tendre.

Elle tendit sa main, sertie de bagues aztèques vers les petits doigts chauds de Tamsin.

— J'habite à Cardiff maintenant et tu peux venir me voir quand tu veux, même pendant les vacances si tu ne veux pas retourner là-bas.

Ne pas retourner chez ses parents ? Cette pensée sembla bien incongrue à l'enfant. Ils étaient tout ce qu'elle avait, malgré les tensions qui sévissaient à la maison et la froideur d'Aliocha, elle ne pouvait imaginer cesser de rentrer à Portree. Même si... Elle chassa cette drôle de pensée de son esprit, la proposition de Ruby la laissant perplexe et tiraillée dans son petit cœur. Pourquoi Ruby avait-elle prononcé « là-bas » avec tant de dédain ? Était-elle en froid avec son père ? Tamsin ne parvenait pas à se souvenir de leur dernière entrevue. Oui, ça remontait à longtemps, plus de trois ans en réalité. Ses sourcils se froncèrent légèrement :

— C'est gentil Ruby mais...
— Je te donnerai même des cours particuliers si tu veux !, la coupa-t-elle, retrouvant son ton enjoué. Tu peux devenir mon cobaye, il faut que je m'entraîne à devenir prof ! J'ai postulé à l'AESM pour enseigner là-bas à partir de septembre.

Elle croisa les doigts, signe que les rituels et autres superstitions la touchaient également. L'acronyme énoncé par Ruby ne disait absolument rien à Tamsin, mais elle retrouva son sourire à l'évocation de ce futur projet qui semblait tenir à cœur à son aînée. Elle n'osa pas non plus lui demander ce qu'elle allait enseigner là-bas, de peur de griller son ignorance. Ruby l'impressionnait tellement.

— Oh génial, j'espère que tu seras retenue !
— Moi aussi. J'ai travaillé dur pour obtenir ce poste, ça fait des années que je le convoite et que j'ai peut-être enfin la chance de l'obtenir. Tous ces voyages, toutes ces recherches vont enfin payer !

D'un geste rapide, Ruby engloutit le fond de son café, reposant vigoureusement sa tasse et s'affalant dans le fauteuil de manière nonchalante. Un soupir de bien-être lui échappa.

— Si tu brilles à Poudlard et que je deviens prof, peut-être que tu seras ma petite disciple, acheva-t-elle avec un sourire triomphant.

Une disciple ? Disciple de quoi ? Tamsin n'en avait aucune idée, mais la joie que distillait sa sœur aînée à ce moment là, lui donna envie d'y croire. Si Aliocha ne voulait plus d'elle, que ses deux meilleures amies la battaient froid pour le restant de sa vie, peut-être que l'avenir sociale de la jeune sorcière était ailleurs que dans sa campagne écossaise ? La Divination était sa vocation toute tracée, c'était du moins ce dont elle se persuadait depuis le début de sa scolarité. Mais... cette discipline toute attrayante qu'elle soit ne lui avait pas fait que des fleurs et restait à bien des égards, controversée. Ruby semblait douée dans des domaines que Tamsin ne faisait qu'effleurer, alors pourquoi ne pas se laisser guider par une autre antenne. Elle pourrait dans tous les cas de figure, décider à la fin ce qu'elle préférait, comme le lui avait indiqué Ruby.

— Marché conclu, déclara-t-elle en brandissait sa petite main que Ruby vint rapidement serrer avec la sienne.
— Tu ne le regretteras pas petite sœurcière.

Le jeu de mot fit sourire l'enfant. Tamsin peinait à se faire confiance, et malgré ses treize ans atteint, ses choix nécessitaient toujours un besoin de confirmation tiers. Théodora était son modèle, Ruby l'était également, et choisir entre les deux lui semblait bien impossible.

Peut-être ce fut la quiétude de ce café et l'attitude si joviale de Ruby, ou bien peut-être que les cartes d'une diseuse de bonne aventure l'avait prédit depuis longtemps, mais cette après-midi là, Tamsin décida qu'il était temps pour elle de grandir avec d'autres modèles que ceux qu'elle avait pu avoir jusqu'alors. Elle plongea enfin ses lèvres gourmande dans le chocolat sucré qui l'attendait.