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30 nov. 2023, 21:17
L’ensorceleur  Solo 

Oswald Johnson
23 ans
Étudiant à l'AESM - filière en art de l'ensorcellement



Il aurait pu choisir une autre table pour s'asseoir. Cela ne l'aurait pas dérangé. Après tout quand il est en mode création plus rien ne peut le déranger. Mais cette table est celle qu'il a repéré en début d'année parce qu'elle est loin des courants d'air qui traversent la pièce et qu'elle donne une vue directe sur le parc de l'école. C'est important pour Oswald de pouvoir regarder dehors pour réfléchir, il aime laisser son regard se perdre dans le ciel et observer les arbres, là-bas derrière l'enceinte qui protège le domaine. Mais surtout, cette table est généralement occupée par une seule et même personne qui y est toujours assise, peu importe l'heure à laquelle le garçon vient à la bibliothèque. Le matin très tôt ou le soir très tard, c'est pareil. Elle est toujours là.

Aelle Bristyle.
Il a appris son nom par hasard, dans un couloir. Il faut dire qu'elle n'est guère discrète. Oh, elle ne fait pas de bruit, se glisse silencieusement dans les salles de classe, reste seule le plus souvent, mais disons qu'elle se promène en compagnie d'un renard bleu et d'un genre d'esprit oiseau ou canard — Oswald ne sait pas très bien, il ne l'a jamais vu de près. Alors quand on est accompagné de tels compagnons, on ne peut pas réellement être discrète, même quand on le désire très fort. Et puis Aelle Bristyle est bonne en classe, elle répond souvent aux questions des professeurs, elle a de l'avance sur le programme... Bref, elle a une qualité qu'Oswald chérit particulièrement : elle est silencieuse. Quand il passe à côté de sa table à la bibliothèque, elle ne lève jamais la tête. Elle reste toujours concentrée sur ses lectures ou ses parchemins, rien ne la dérange, elle ne parle qu'à voix basse quand elle doit échanger des paroles avec son canard ou son renard.

Ce n'est pas tant qu'Oswald l'a observée avec insistance, non ! Il n'est pas intéressé par Aelle. C'est plutôt l'ambiance autour d'elle qui lui plait. Il faut dire qu'Oswald brasse du monde. Il est toujours entouré d'un grand groupe d'amis qu'il ne connait pour la plupart que depuis le début d'année, tous plus jeunes que lui évidemment. Ils font du bruit, ils rigolent fort, ils sont amusants, comblent ses journées du bonheur dont il est friand. Oswald adore ses amis. Mais parfois quand il a besoin ou envie de créer, il lui faut du calme. Et à la table qu'occupent ses amis qui se trouve au beau milieu de la bibliothèque, pile dans un courant d'air et loin de la moindre fenêtre, aucun moyen de trouver ce calme dont il a fortement besoin.

C'est pour cela qu'un beau jour d'octobre, Oswald Johnson se décide à approcher Aelle Bristyle, son plan bien rodé dans la tête. Il lui a déjà parlé une fois, le jour de la fête d'intégration à la Scierie. Il a bien compris ce jour-là que cette jeune fille n'était pas du même genre que les étudiants qu'il côtoie au quotidien. Elle n'a pas envie de rigoler, elle n'a pas envie de s'amuser, de passer du bon temps. Alors Oswald se dit qu'avec elle, il devra apprendre à se taire s'il a envie qu'elle l'accepte à sa table. Mais il est prêt à le faire. De toute façon quand il crée, il ne parle pas.

*


Jeudi 29 octobre — 20 heures
Bibliothèque
1ère année à l'AESM



La nuit est déjà tombée à l'extérieur. Les fontaines et les parterres de fleurs ne sont plus guère visibles maintenant que le parc est plongé dans l'obscurité. Une magnifique demi-lune se dessine dans le ciel. Je ne la regarde pas beaucoup. Sont ouverts devant moi des grimoires et beaucoup de parchemins. Je me suis étalée sur la table, rares sont les personnes qui viennent s'asseoir près de moi. Mon sac occupe la chaise à côté de moi et j’ai posé ma cape sur celle en face. Sur un coin de la table, roulé en boule sur un parchemin et la queue collée contre la vitre, Zikomo dort en émettant un petit ronflement discret. Cela fait un moment maintenant que Nyakane a traversé la vitre et disparu je ne sais où.

Ce moment est paisible, la bibliothèque n’est guère fréquentée à cette heure de la journée. Je peux travailler en paix sur mes cours de la journée. J’ai du français à faire. Cette matière me rappelle Gabryel. Je prononce les mots à voix basse dans un accent maladroit et je réécris les notes que j’ai prises en cours. J’approfondis mes connaissances grâce à un livre récupéré dans la section langue et dont je ne comprends pas la moitié du contenu. Le français n’est pas une langue très intéressante. Les cours de langue ne sont pas très intéressants, en général. C’est une perte de temps, pour moi, d’apprendre à m’exprimer dans une autre langue alors qu’il existe des sortilèges de traduction. Mais cette matière fait partie de mon programme alors je l’étudie avec autant de sérieux que le reste.

Il arrive au beau milieu de la version que je suis en train de réaliser. Il se plante à côté de la table, si bien que son immense corps me cache une partie de la lumière et que je suis obligée de lever les yeux vers lui. Je pensais qu’il était tourné vers les rayons mais non, c’est moi qu’il regarde. Je fronce les sourcils en le dévisageant, lui et son grand sourire qui lui grignote le visage. Il est aussi grand et épais que Zakary. Cela me fait bizarre. Je n’ai jamais rencontré de personne aussi grande que mon frère, et que ce garçon-là.

Je me rappelle soudainement que je l’ai déjà vu quelque part. Je me redresse, le dos collé au dossier de la chaise. Mais oui, c’est lui qui m’a parlé avant qu’on me force à sauter dans le passage secret qui rejoint la Scierie, en pleine forêt !

« Salut ! »

Il a une voix qui porte mais il fait attention et s’exprime à voix basse, toujours en souriant. Un sourcil se dresse sur mon front. Je le regarde sans parler. Quoi, qu’est-ce que tu veux ? Mon regard noir le dissuadera certainement de rester là plus longtemps. Je n’ai pas de temps à perdre avec lui, je dois étudier.

« Tu es assise à ma table ! » me dit-il alors sur un ton guilleret qui me donne envie de l’insulter.

Se fiche-t-il de moi ?

« Ta table ? Y’a écrit ton nom dessus, peut-être ? répliqué-je sans cacher tout le mépris qu’il m’inspire.
Et bien oui, me confie-t-il avec un naturel désarmant. Juste là, regarde. »

Il fait le tour de la table pour venir à côté de moi, décale la chaise sur laquelle repose mon sac et s’accroupit. Du bout du doigt, il me désigne la tranche de la table en bois. Je le regarde d’un air interdit, hésitant entre le pousser pour qu’il tombe en arrière ou l'ignorer purement et simplement. Mais il insiste, désigne la table du doigt et me dit :

« Tiens, là, regarde ! »

Alors je me penche pour regarder et je vois effectivement que sur le bord de la table est inscrit en lettres capitales : OSWALD JOHNSON. Au moment où le garçon au regard rieur approche son doigt, les lettres s’illuminent d’une jolie couleur dorée. J’ouvre grands les yeux, surprise, et ledit Johnson (j’imagine qu’il s’agit de son nom à lui) glousse en récupérant son doigt. Il ne m’a pas invitée à le faire mais je le fais tout de même : je m’approche à mon tour pour caresser les lettres du plat de la main mais aucune couleur ne les illumine. Je me redresse en fronçant les sourcils et le garçon pousse sur ses jambes pour se lever à son tour.

« T’as sérieusement écrit ton nom ici ? C’est toi qui l’as fait ? T’as conscience que c'est dégrader du mobilier de l’école ?
C’est pas vraiment dégrader si c’est joli, non ? » grimace-t-il d’un air penaud en se frottant l’arrière de la tête.

30 nov. 2023, 21:28
L’ensorceleur  Solo 
Je hausse les épaules. À vrai dire, je me fiche un peu de ce qu’il dégrade ou non. Je jette un nouveau coup d'œil aux lettres qui, maintenant que le garçon s’est éloigné, disparaissent dans le bois. C’est intéressant comme combinaison de sortilèges. Je me demande s’il doit régulièrement venir vérifier qu’ils tiennent toujours en place ou s’il maîtrise bien l’imprégnation.

J’étais bien à étudier seule, jusqu’ici la journée se déroulait parfaitement, ce qui arrive plutôt rarement. Rockfield s’est même montrée aimable ce matin : elle n’a laissé traîner aucun vêtement et a quitté la chambre sans m’adresser un seul mot, ce qui relève de la politesse chez elle. Et maintenant, voilà que je dois me coltiner un grand abruti qui pense que parce qu’il a écrit son nom sur la table il peut exiger qu’elle lui appartient.

Je me tord la nuque pour observer le garçon qui a le bon sens de s’éloigner d’un pas pour me faciliter la tâche.

« Et donc parce que tu as écrit ton nom ici, tu penses que t’as le droit de t’installer là ?
C’est que…
C’est que rien du tout, l’interromps-je d’une voix cassante. Tu vois bien que la table est occupée. Et puis regarde… »

Je me penche pour apercevoir au-delà des étagères le centre de la pièce où se trouvent bien trois tables complètement vides. Le garçon se penche également pour les regarder.

« Il y a plein de tables libres, là-bas. Je m’en fiche que ton prénom soit inscrit sur celle-ci. Et puis ça se pourrait bien que ce ne soit même pas ton nom à toi. »

À ces mots, le garçon me jette un « attends ! » et farfouille dans son sac jusqu’à trouver sa carte d’identité frappée par le signe du Conseil et me la fourre sous le nez. Je louche sur l’image et le reconnais sans mal avec ses cheveux noirs bouclés, son nez espiègle et son sourire qu’il semble retenir. Et le nom correspond, certes. La date de naissance m’étonne ; vingt-trois ans ? C’est inhabituel pour un étudiant même si ce n’est pas le seul à être plus âgé. Du bout de la plume que je tiens toujours entre les doigts, j’éloigne son bras et la carte qu’il brandit si fièrement.

« Je me fiche de ta carte, soupiré-je. Je veux juste travailler, va t’installer ailleurs. »

Je m’installe de nouveau correctement sur ma chaise, lui tournant de ce fait le dos sans le moindre état d’âme. J’aperçois l’oeil ouvert de Zikomo qui ne manque rien de la scène mais qui reste discret. Je me figure que le garçon va partir maintenant que je l’ai congédié mais au contraire, il fait le tour de la table pour pouvoir me regarder en face. Il ne sourit plus mais il ne fait pas non plus la tête. En fait, il a enfin l’air sérieux. Je lui jette un regard agacé.

« En fait c’était pour rire, le coup du prénom qui s’illumine, chuchote-t-il avec un sourire désolé. C’est bien moi qui l’ai écrit mais c’était juste pour m’entraîner pour un projet que j’ai. Je suis dans la Filière Ensorcellement, tu sais !
Je m’en fiche.
Euh, oui. » Il se passe la main dans les cheveux et reprend comme si je n’étais pas intervenu : « Je sais bien que cette table ne m'appartient pas et je veux pas m’imposer, c’est juste que… Mince, ça me parait très bête maintenant que je le dis à voix haute… »

Je pousse un long et profond soupir en le regardant bien en face, les bras croisés sur la poitrine. Je le trouve bête, moi aussi. À cause de ce qu’il dit et de sa façon de le dire. Il m’ennuie.

« Écoute, soit tu dis ce que tu as à dire, soit tu vas voir ailleurs. Je travaille, j’ai vraiment pas le temps pour ça.
T’es plutôt directe, se marre-t-il avant de se taire tout à coup, comme s’il se rendait compte que rire à mes dépends était plutôt impoli. En fait, c’est pour ça que je suis là. C’est toujours calme autour de ta table et puis, elle est proche de la fenêtre et… » Son discours s'essouffle. « Et puis elle est loin des courants d’air…
Oui et alors ? répliqué-je, réellement agacée cette fois-ci. C’est peut-être parce qu’elle a toutes ces qualités que je l’occupe, tu crois pas ? Tu penses que je vais partir pour te la laisser ? Tu te prends pour qui, sérieux ? »

Il se décompose sous mes yeux. Il secoue les deux mains devant lui pour se dédouaner.

« Non, non, c’est pas ce que tu crois, pas du tout ! C’est juste qu’à la table où je travaille habituellement il y a toujours plein de bruits. Ce sont mes amis mais Merlin, ils sont bruyants ! rigole-t-il avant de retrouver son sérieux en voyant que je ne réagis pas. Et j’espérais que peut-être on pourrait partager ta table ? »

J’ouvre la bouche pour répondre (la réponse ne sera pas aimable) mais il me dévance, sans doute pour m’empêcher de refuser avant qu’il n'ait pu terminer son petit discours soigneusement préparé en avance :

« J’ai besoin de calme pour avancer sur mes projets ! s’exclame-t-il. Vraiment de calme. Je ne parle pas quand je bosse, je te le promets, même si là ça ne se voit pas. T’es la seule personne qui travaille réellement dans le calme, les autres sont toujours en groupe ou alors ils sont installés dans des endroits qui ne me plaisent pas.
Parce que tu m’as observé pour remarquer ça ? »

Il grimace. Et moi, je me braque. Je déteste l’idée que l’on puisse m’espionner.

« Barre-toi, je t’ai dit que…
Je t’observe pas, je le jure, insiste-t-il en posant les deux mains sur la dernière chaise libre. C’est juste que je t’ai remarquée.
C’est la même chose.
Non ! Tu sais, on est ensemble en cours de Protection de la communauté sorcière.
Je t’ai jamais remarqué, lui dis-je un peu méchamment.
Peu importe, sourit-il en balayant mon intervention d’un geste de la main, ce que je veux dire c’est juste que je sais que tu es une bonne élève, que tu es calme et que tu ne me dérangeras pas plus pendant que je crée que moi je te dérangerais pendant tes révisions. Ça vaut le coup, non ? »

Je me demande ce qui peut motiver un garçon comme lui qui a l’air du genre plutôt euphorique et exubérant à vouloir partager ses temps d’étude avec quelqu’un comme moi. Le calme, vraiment ? Et je devrais le croire ? Je commence à me dire qu’il doit y avoir une raison sous-jacente. Ce ne serait pas la première fois que je suis victime des blagues idiotes des gens de mon âge, après tout. Je le trouve vraiment gonflé de venir me déranger pour ça alors qu’il pourrait tout aussi bien s’installer ailleurs voire me piquer la table à un moment où je n’y suis pas.

« Pourquoi tu me demandes ? lui demandé-je au bout d’un moment en plissant les yeux. J’y gagne quoi, au juste ? Toi tu gagnes une table et moi ?
Un fabuleux camarade d’études silencieux ? me propose-t-il avec un sourire malicieux.
J’te connais pas, je réplique avec un rictus moqueur. T’as rien de fabuleux.
Ouch, ça fait mal, ça, souffle-t-il, une main sur le coeur.
Ça ferait mal si tu me connaissais mais tu me connais pas.
C’est vrai, » répond-il en baissant la main et en abandonnant tout faux semblant.

Il retrouve un sourire qui n’a plus rien d’amusé ou d’amusant. Un sourire tout ce qu’il y a de plus banal. Il serre une dernière fois le dossier de la chaise avant de le lâcher pour remonter la bretelle de son sac sur son épaule.

« Si tu veux pas que je m’installe là de temps en temps je ne le ferai pas, il n’y a aucun problème, reprend-il d’une voix sérieuse. C’est vrai que tu n’y gagnerais pas grand chose. Il n’y a personne qui ne s’assied là quand tu y es, je comprends que tu préfères être tranquille. Cela dit… »

Il me lance un regard en coin. Je pousse un râle agacé.

« Cela dit, quoi ? Je croyais que tu allais enfin partir ! »

Je lance un regard dépité à Zikomo qui se redresse sur le parchemin qu’il a tout froissé. Ses moustaches frémissent : je sais qu’il est amusé. Johnson regarde en direction du Mngwi, je vois bien que ses yeux brillent, qu’il a envie de s’extasier comme absolument tout le monde devant le phénomène que représente Zikomo pour lui. Mais il se retient, il ne dit rien, et ramène son attention sur moi :

« Cela dit si je m’installe là… » Il désigne la chaise inoccupée devant laquelle il se trouve encore ; son sourire retrouve son petit quelque chose de malicieux qui lui semble plus naturel que le sérieux. « Personne d’autre ne viendra s’y mettre. Et puis moi, au moins, tu sais que je suis calme.
Ah ouais, je le sais ? m’exclamé-je en me penchant sur la table pour donner plus de force à mon regard. « Parce que pour le moment ce que je vois c’est que t’arrêtes pas de parler et que tu m’empêches de travailler. Fais ce que tu veux, je m’en tape, mais tais-toi. »

30 nov. 2023, 21:42
L’ensorceleur  Solo 
J’attrape ma plume abandonnée il y a de cela une éternité (cinq minutes à discuter de rien avec ce garçon équivaut au moins à l’éternité) et me penche sur mon parchemin barbouillé de français. Je ne comprends plus le moindre mot maintenant que je n’ai plus la tête à ça et que j’ai perdu ma concentration, mais il suffit que je relise un peu mon cours pour…

La chaise de l’autre côté de la table, celle qui ne supporte pas le poids de ma cape, glisse silencieusement sur le sol lorsqu’Oswald Johnson la tire vers lui. Il s’immobilise en sentant mon regard peser sur sa grande carcasse mais, avec un petit sourire d’excuse, continue son manège et s’installe silencieusement sur le coin de table qui ne contient aucune de mes affaires. C’est moins d’un tiers de la table qui est concerné mais le jeune homme ne décale pas mes livres, pas plus qu’il prononce le moindre mot. Je le regarde fixement en me demandant ce qu’il est en train de faire ; il ne peut pas réellement avoir décidé de s’asseoir là, n’est-ce pas ? Il ne peut pas sérieusement faire ça après ce que je viens de lui dire ? Je me souviens alors que je lui ai dit de faire ce qu’il voulait. Mais il ne peut pas vraiment avoir envie de s’installer ici après tout ça, non ? Ce n’est pas un comportement normal.

La normalité n’a pas l’air d’être une chose qui convienne à Johnson. Sentant, encore une fois, mon regard sur lui, il lève les yeux du sac dans lequel il était en train de fouiller sans le moindre bruit pour m’observer à son tour. Il esquisse un petit sourire en levant le doigt pour le poser sur ses lèvres. « Chut, » mime-t-il silencieusement avant de m’ignorer superbement pour sortir ses affaires de son sac.

Ses affaires consistent en une drôle de boîte et des dizaines de ressorts de toute taille qu’il arrange devant lui. Puis il sort un parchemin et un livre, une plume et un pot d’encre qu’il installe consciencieusement autour de lui sans pour autant s’approcher de mon espace qui, il l’a compris, lui est interdit.

À partir de là, il agit comme si je n’existais plus. J’aimerais bien faire la même chose mais c’est difficile parce que je le trouve étrange et que son étrangeté me dérange. Penchée sur mes cours, je lui lance régulièrement des regards en coin que jamais il ne me rend. Il murmure très doucement ses sortilèges, fait léviter sa boîte, l’ensorcelle sans que ça n’ait jamais le moindre effet et il prend soigneusement des notes sur son parchemin. Il se concentre si bien sur ses petites affaires qu’au bout d’un moment, je fais de même. Je repars à mon français.

Zikomo pose sans vergogne ses petites pattes sur mes cours pour monter sur mon épaule. De là, il me murmure des petites choses à l’oreille :

« Il a l’air gentil ! me fait-il.
Surtout chiant, soufflé-je sur le même ton. Il aurait pu s’installer ailleurs.
Mieux vaut lui que la fille de la dernière fois, » pouffe mon ami bleu en me chatouillant l’oreille.

Ladite fille a poussé mes affaires pour s’installer et elle râlait toutes les minutes en rayant les phrases qu’elle écrivait sur son parchemin. Elle y allait de son petit commentaire à chaque fois sans prendre conscience qu’elle me dérangeait. Et quand j’ai ouvert la bouche pour lui dire d’être plus calme, elle s’est énervée et a quitté la table.

« Peut-être, marmonné-je pour Zikomo, mais au moins elle est partie. Lui a l’air d’être bien installé. »

Nous nous tournons tous les deux en direction de Johnson. Le grand garçon est penché sur son parchemin. Je remarque qu’il écrit tout en lettres capitales, ce qui est à la fois assez peu élégant et peu pratique. Il ne fait pas le moindre bruit, même quand il retourne son parchemin il prend soin de le faire silencieusement. Ce qui m’énerve plus qu’autre chose, même si je n’arrive pas à savoir pourquoi.

Une grosse demi-heure passe ainsi. Je résiste à l’envie de quitter la table pour ne plus supporter la vision de ce camarade parfait qui ne fait pas le moindre bruit, chose que je trouve plus suspect qu’agréable. Maintenant qu’il est là, je peux difficilement m’en aller sans me ridiculiser. Alors je reste assise avec Zikomo installé sur mon épaule et je termine de mettre au propre et de réviser mes notes de français.

J’ai encore beaucoup de travail devant moi et aucune envie de retourner à la chambre pour le moment. En général, je reste jusqu’à la fermeture de la bibliothèque avant de monter. Quand je rentre entre 21 heures ou 22 heures, Rockfield est souvent installée sur son lit avec un livre ou ses cours qu’elle étale autour d’elle comme si elle n’en avait rien à faire que les parchemins s'abîment sur son lit. Elle n’est jamais calme quand elle travaille. Elle se lève régulièrement pour aller à la salle de bains ou pour fouiller sur son bureau, elle empile les livres au pied de son lit, elle se change au beau milieu de ses révisions ou va se brosser les dents. Elle traverse toute la pièce avec la brosse qui dépasse de la bouche et en faisant du bruit, elle attrape un parchemin, lit une phrase ou deux avant d’aller cracher le dentifrice dans l’évier. C’est un manège constant, elle est incapable de rester en place. Au début, cela m’empêchait de me concentrer. Mais j’ai bien été forcée de m’habituer et maintenant je ne la remarque plus. Dos à elle, face à mon bureau, je ne fais pas attention à ce qu’elle fait, j’aime ne pas l’avoir sous les yeux, je peux faire comme si elle n’existait pas. Parfois, quand elle est énervée, c’est plus difficile de feindre son inexistence. C’est dans ces moments-là que nous nous disputons le plus souvent, car elle cherche la petite bête ou qu’elle râle à voix haute, ce que je ne supporte pas. Ce qui fait que ce soir, je n’ai pas envie de rejoindre ma chambre et de me demander ce qu’elle va encore trouver pour m’agacer.

La chaise bouge de nouveau face à moi. Je lève les yeux et hausse les sourcils en apercevant Johnson debout. Il prend soin de bien ranger la chaise sous la table avant de se tourner vers moi. Je ne l’ai pas entendu ranger ses affaires. Il passe la bretelle de son sac sur son épaule et m’offre un large sourire auquel je ne réponds pas.

« Merci, Aelle ! C’était chouette de me laisser travailler là. »

Il parle tout doucement, comme s’il avait peur de me déranger. Ou de me faire exploser. Ce qui revient finalement au même. Je pince les lèvres et décide de ne pas lui dire que je ne l’ai pas laissé travailler là, qu’il s’est imposé comme un grand — je suis presque certaine qu’il dira que je lui ai dit de faire “ce qu’il voulait” ce qui m’énervera plus qu’autre chose. À la place, je dresse le menton et réponds presque sans y penser tant je suis habituée à répéter cette phrase :

« Pour toi ce sera Bristyle. »

Nous n’avons pas élevé les hippogriffes ensemble, que je sache. Merlin, je déteste les personnes qui m’appellent par mon prénom, surtout ceux qui me dérangent ou qui s’imposent près de moi.

Johnson grimace et paraît gêné.

« Bristyle, ok. Et je serai Johnson pour toi ? »

Je l’épingle d’un regard glacial.

« Tu seras rien du tout, répliqué-je.
Ah oui, pourquoi pas, » s’amuse-t-il. Puis avant que je ne puisse l’insulter parce qu’il se moque de moi, il reprend sur un ton plus calme, à voix basse : « Bonne soirée, travaille bien. »

Il s’en va sans attendre de voir si je lui souhaite une bonne soirée en retour. Je ne l’aurais sûrement pas fait. Je le regarde s’éloigner entre les rayons et disparaître par la porte d’entrée de la bibliothèque qui donne sur le hall.

*


On ne peut pas dire qu’Oswald Johnson soit du genre envahissant. Après cette première tentative auprès d’Aelle, il ne s’approche plus de la table de plusieurs jours. Mais un soir, à la même heure que la dernière fois, il se glisse entre les deux dernières travées du fond de la bibliothèque et s’installe silencieusement sur la seule chaise libre de la table qui en compte quatre. Deux occupées par les affaires d’Aelle et une par celle-ci. La dernière est pour lui, songe-t-il avec un plaisir tout relatif. Il sait très bien qu’elle pourrait sévir à la moindre occasion et Oswald n’est pas du genre à répliquer si on cherche à lui imposer quelque chose. Il partira sans ne rien dire, ou alors en s’excusant.

La seconde fois qu’il s’installe près d’elle, Aelle ou plutôt Bristyle le foudroie du regard. C’est quelque chose de se faire foudroyer par ce regard-là ! Le jeune homme réfléchit à l’idée de faire demi-tour en se disant qu’il serait beaucoup plus facile de s’installer ailleurs plutôt que de subir les reproches d’Aelle. Mais il décide finalement de rester, s’installe et prend garde à être très silencieux pendant une heure complète, sans lever une seul fois les yeux vers la jeune fille de peur de réveiller son envie de lui dire de dégager.

Il n’en faut guère à Oswald pour se sentir heureux. En compagnie studieuse de Bristyle, il parvient à se concentrer et à avancer sur son projet. C’est la seule chose dont il a réellement besoin. Il s’est donné une année pour décrocher son diplôme. Il ne pourra pas en faire davantage, pas sans devoir demander de l’argent à ses proches pour l’aider à payer son loyer. Il n’a jamais demandé de l’argent à qui que ce soit et cela ne risque pas de commencer maintenant. Cette année, il aura son diplôme et pourra se lancer dans son rêve. Si pour cela il doit se faire bien voir auprès d’Aelle, alors il le fera. Et puis il l’aime bien. Il aime bien les gens différents, qui détonnent, qui ne sont pas comme les autres. Ses amis se moquent de lui quand il dit qu’il va rejoindre “sa” table. Certains d’entre eux ont fréquenté Bristyle à l’école et parlent d’elle en des termes peu élogieux. Oswald n’aime pas ça. Il ne leur dit pas de se taire mais il ne les écoute pas. Il préfère encore se faire son propre avis sur les gens, cela fait un moment maintenant qu’il n’est plus sensible aux opinions des autres. Du moins, qu’il ne les laissent plus l’influencer.

Ainsi, Oswald continue de rejoindre la table d’Aelle pour travailler, persuadé qu’elle finira un jour par lui dire clairement qu’elle ne veut pas de lui.

— Fin —