Cela fait trois jours qu'elle n'a pas pleuré, c'est son record depuis le drame. Voilà deux semaines qu'elle se trouve chez sa marraine. Elle la fuit. Elle fuit tout le monde. Les lettres s'entassent devant sa porte. Abygail les a conservées précieusement bien que l'adolescente lui ai juré que jamais, jamais elle ne les ouvrirait, et qu'elle préférait les brûler que de voir encore une fois l'écriture de sa mère. Pour l'instant, ses plans étaient uniquement à court terme. Elle s'était installée ici parce qu'elle savait qu'Abygail ne lui poserait pas de questions, et elle avait besoin de réfléchir. À 15 ans, on vous dit que vous êtes trop jeune pour prendre vos propres décisions mais Ariana était persuadée du contraire. Elle était brillante, cela ne faisait aucun doute, elle était bourrée de qualités de toutes sortes, fille modèle, en bref, une adolescente comme il y en a peu. Pourtant, elle avait explosé, cet après-midi là, dans ce bureau du Ministère. Edward, il s'était bien fichu d'elles. Quand on subit un évènement d'une telle force, on se dit qu'on ne s'en remettra jamais. Comment oublier un être aussi cher ? Comment passer à autre chose alors qu'à chaque seconde, on se dit qu'il devrait être là, à nos côtés, à écouter nos bêtises, nos petites histoires futiles ou au contraire sérieuses qui créent des liens indestructibles ?

Lara. Elle n'avait pas quitté ses pensées. Sa petite soeur. C'était bien la seule personne qu'elle voulait voir. Elle n'avait pas voulu la suivre. Certes la décision d'Ariana avait été effectuée très rapidement, et était radicale, mais elle ne se voyait pas continuer comme avant. Cette maison était imprégnée de son père, à chaque pas elle le sentait et ça lui rappelait qu'il n'était plus là. Et l'attitude de sa mère ne faisait qu'empirer les choses. Dès qu'elles se voyaient, elles se disputait durement. Ariana n'acceptait pas le fait que sa mère fasse comme si son père n'avait jamais existé. Comme s'il était simplement parti vivre à l'autre bout du monde sans un au-revoir. Sa mère voulait qu'elle se ressaisisse, qu'elle reprenne sa vie en main, mais c'était impossible pour Ariana. À l'enterrement, elle s'était enfuie au bout d'un quart d'heure. C'est à ce moment là que l'idée de quitter la maison lui était apparue. Elle avait une relation presque fusionnelle avec Aby, et elle était persuadée que fuir le carcan familial et particulièrement sa mère lui permettrait de s'en sortir. Le soir même, elle avait fait sa valise, et, en ayant prévenu sa marraine, elle s'était enfuie. Elle avait fait promettre à Lara de ne rien dire, après l'avoir suppliée de venir avec elle. Elle avait mal vécu le fait que sa soeur préfère rester avec sa mère, mais elle la comprenait. Elle était plus jeune, elle n'avait peut-être pas vécu les évènements de la même manière. Ainsi, elle était partie en direction de Londres, avec Abygail.

Elle entendit des pas dans l'escalier, et se redressa. Sa tante montait. Elle identifia le bruit du papier qui glisse sur le sol, et en déduit qu'une nouvelle lettre avait été déposée. Lorsque, quelques jours auparavant, elle avait reçu la première lettre d'Aalana, elle avait failli craquer. Pourtant, elle n'avait rien fait, elle avait trop peur de ce qu'elle pouvait contenir. Des critiques ? Des supplications ? Simplement du soutien ? Mais est-ce que son amie était seulement au courant ? Sa mère n'avait pas mis longtemps à comprendre où elle se trouvait — ou alors sa soeur avait craché le morceau — et il était possible qu'elle ai transmis sa nouvelle adresse à sa meilleure amie. La question était de savoir ce qu'elle lui avait dit d'autre. La jeune sorcière était tiraillée. Elle mourrait d'envie d'ouvrir les lettres de son amie. Pourtant, la peur la tenait. La peur de découvrir ce que ces lettres contenait. La peur de la colère de son amie face à cet abandon. Finalement, était-ce de la peur ou de la lâcheté ?

Cela fait presque un mois que les lettres s'entassent dans le tiroir de son bureau. Depuis quelques temps déjà, la brunette a accepté de sortir de son antre, et s'est laissée guidée à travers les rues de cette ville inconnue. Sa tante l'a amenée dans les coins les plus beaux de la ville, au bord de la Tamise, près de Westminster, aux musées, aux cafés, tentant de réveiller la jeune fille sommeillant dans le corps de sa nièce. Elle avait repris des couleurs, mais c'était loin d'être suffisant. Le soir, elle s'enfermait dans sa chambre pour pleurer. Qu'avait-elle fait ? Comment avait-elle pu en arriver là ? Sa soeur avait besoin d'elle, elle avait besoin de sa soeur, elle ne demandait qu'à se blottir dans ses bras jusqu'à la fin des temps. Elle n'avait pas encore osé demander à sa tante des nouvelles des autres, des nouvelles du monde. Il lui restait à peine quelques jours pour s'en remettre. Quelque jours avant de retrouver le chemin de l'école. La sorcière avait commencé à prévoir son année. Elle assisterait aux cours mais ce serait tout. Plus de Quidditch, plus de sorties à Pré au Lard, elle rentrerait au vacances chez sa tante. Elle n'irait plus voir ses amies, elle resterait seule, seule avec ses souvenirs. Sa tante était parvenue à la ramener quelque peu à la raison. Non elle ne pouvait pas tout abandonner. Ce serait dur. Très dur. Mais elle allait s'en sortir, parce qu'on s'en sort toujours. Cela prendrait du temps, mais ses blessures cicatriseraient un jour. Elles avaient parlé longuement jusqu'à des heures indues. Non Ariana ne pouvait pas se laisser dépérir. Elle avait besoin des autres, c'était sa force, depuis toujours. Elle apportait énormément, mais toute seule elle ne pouvait rien faire. La dernière chose que sa tante lui avait dit, avant qu'elles partent enfin se coucher, c'était d'ouvrir ces fichus lettres. Elle devait relancer sa vie.

Après plus d'une heure à hésiter, elle ouvrit enfin le tiroir. Après tout, elle allait juste les lire. Une bonne fois pour toute, et ça ne l'engageait à rien. Elle commencerait par celle d'Aalana. Il y en avait 4. Elle comprit que sa mère lui avait transférée la première. Son amie savait donc le drame qui s'était emparée d'elle. Elle ne l'avait pas oubliée. Ou peut-être qu'elle la détestait à présent. Elle prit les lettres, ouvrit la première, et se plongea dans la lecture. Dès les premières lignes, elle se mit à pleurer en silence. Les larmes ruisselaient sur son visage. Comment avait-elle pu l'abandonner ainsi ? Son amie était au plus mal et elle l'avait laissée tomber. Elle avait besoin d'elle, et tout ce qu'elle avait fait, c'était s'enfuir, fuir loin de la réalité. Elle prenait tout ce dernier mois en pleine face. Tout ce qu'elle avait repoussé revenait en force, plus fort que jamais. Elle se dépêcha d'ouvrir la seconde lettre, qui était adressée à l'adresse de sa tante, elle allait lui parler de ce qui était arrivé. Elle pleura de plus belle. Elle avait tout fichu en l'air, sa vie ne rimait plus à rien. Les lettres se brouillaient sous ses larmes qui glissaient sur le papier. La troisième lettre. Envoyée deux semaines plus tard. Aalana était là, elle ne voulait pas la lâcher. La Serpentarde avait presque envie de rire, au travers de ses pleurs, lorsqu'elle capta toutes les citations de livres que son amie aimait tant. Elle lui rappelait qu'elle était avec elle, pour toujours, pour tout, peu importe où elle se trouvait. Enfin, la dernière lettre. Elle lui était parvenue à peine quelques jours auparavant. Aalana s'acharnait à recevoir ne serais-ce qu'un mot de sa meilleure amie. Encore une fois, les mots la touchèrent au plus profond de son être. Ariana se répétait en boucle qu'elle était là. Sa chère amie était posée sur le lit, collée à elle, en train de lire la lettre par dessus son épaule. Elle l'entendait lire chacun des mots écrits, couché sur le papier. Elle visualisait en même temps son amie, perdue, en train de réfléchir à quels mots poser sur le papier pour toucher enfin, sa meilleure amie. Non, Ariana ne pouvait pas en rester là. Mais que dire ? La seule solution qui lui semblait juste, était de répondre sans réfléchir. Prendre à son tour la plume pour s'expliquer, du mieux qu'elle pouvait, sans chercher à embellir, en étant la plus concise possible.

Ma douce Aalana,

Je suis désolée. Je ne te remercierai jamais assez pour tes mots. Je ne vais pas m'épancher longtemps, ma mère t'as surement déjà tout expliqué. Je survis, c'est tout je crois. Je vais revenir à Poudlard, mais j'ai rendu mon insigne. Je ne ferais qu'assister aux cours, rien d'autre. J'ai besoin de temps pour moi, seule. Oui, cela veut dire qu'on ne se verra pas. Je suis désolée.

Bien à toi,
Ari

C'était tout. La sorcière se sentait si mal. Ses entrailles se tortillaient, mais c'était pour le mieux. Elle ne pouvait pas revenir à sa vie d'avant. Elle mis la lettre dans une enveloppe, et l'envoya aussitôt. À présent, il ne lui restait plus que la lettre de sa mère. Une seule et unique lettre.