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25 oct. 2015, 11:01
Expérimentation n°44
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ARSENI STOYANOV



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SCÈNE 92 . LA LENTE AGONIE DE POSÉIDON


Un épais nuage de vapeur stagnait dans la pièce éclairée par une lumière artificielle. Un parfum éthéré s'en dégageait. La vapeur était si importante que tout objet en son sein finissait par disparaître de la vue. Seul émanait de ce nuage un clapotis régulier, signe d'une source d'eau proche. Parfois, le clapotis laissait place à un son plus caractéristique. On entendait alors un grand mouvement d'eau, comme si quelqu'un émergeait d'une baignoire remplie à ras bord. En osant s'aventurer un peu, les contours d'un grand bassin finissaient par se détacher du nuage. Un cercle assez large pour accueillir facilement huit à dix personnes épaule contre épaule. Mais une seule personne s'y trouvait plongée. Un homme. Ses traits fins, presque féminins, exprimaient un sentiment de paix profonde. Ses lèvres, fines elles aussi, étaient tordues en un sourire à peine perceptible. L'homme en question était appuyé contre le rebord ; les bras en croix, la tête légèrement renversée vers l'arrière, immergé jusqu'aux pectoraux. Ce qui accrochait tout de suite le regard chez cet homme, c'était son bras gauche entièrement noir, comme rongé par un mal surgit tout droit des enfers. Le noir de charbon imbibait à ce point sa peau qu'un œil extérieur ne pouvait dire si le mal stagnait en surface ou bien s'il avait gagné la chair et les muscles. Plus étonnante encore était l'absence de rictus de souffrance sur le visage de l'intéressé. A croire qu'il n'éprouvait aucune douleur. Ce qui était loin d'être l'avis du scientifique qui se présenta devant lui, le visage animé d'un sourire énigmatique, mais le regard éteint, comme si aucune âme n'avait réussi à se loger dans son corps.

« Cette coloration vous va bien. On jurerait que vous n'êtes pas malade. »

L'eau remua sous le poids d'Arseni. Ses yeux perçants, couleur noisette, s'entrouvrirent sensiblement et s'attachèrent à contempler la surface de l'eau scintillante. Les reflets de lumière sur son visage serein conféraient à ses traits un air mélancolique que peu de gens lui connaissaient.

« La faiblesse est un choix que j'ai décidé de ne pas faire. »

Ses mots furent suivis d'un silence de mort. Une théâtralité absurde dont Theodorus Lynch était particulièrement friand. En attestait son sourire sans saveur. S'approchant du bassin, il plongea l'index de sa main droite dans l'eau puis le suçota du bout des lèvres. Une lueur s'anima au fin fond de son regard. Un pli soucieux apparut sur son front. Quelque chose, manifestement, venait de piquer sa curiosité. Mais contre toute attente, Theodorus se relâcha après un court instant. La lueur dans son regard se dissipa, chassée par le néant ; son sourire s'effaça purement et simplement de son visage juvénile, et son bras retomba mollement le long de son corps. Arseni n'avait pas manqué une miette du processus. Ses yeux, semblables à ceux d'un faucon, fixaient Theodorus avec retenue. Celui-ci, comme piqué à vif par ce regard, se remit à parler en scrutant le nuage de vapeur tout autour de lui.

« Poséidon. Quoi de mieux qu'un nom légendaire pour un élixir que je pensais invincible ? Mais il semblerait que je me sois trompé sur votre compte. Votre pouvoir dépasse de loin mes prévisions les plus optimistes. Ce bain n'a plus aucun effet sur vous. »

Les yeux d'Arseni s'abaissèrent, empreints d'une lassitude nouvelle, mais ses lèvres ne laissèrent échapper aucun commentaire. Une forme de contrariété s'empara de Theodorus quand il ramena son attention sur Arseni. Cela se voyait à l'expression déterminée de son regard.

« Je suppose que notre accord ne tient plus si je ne vous fournis plus un moyen de stopper le mal qui vous gagne ? Tss… accordez-moi une semaine de plus et je mobiliserai toutes mes équipes sur votre cas. »

Arseni se tourna pour attraper une serviette. Il se mit debout et la glissa autour de sa taille.

« Et Azkaban ? »

Theodorus observa le dos criblé de cicatrices d'Arseni puis détourna les yeux en soupirant.

« Azkaban attendra. Il ne sera pas dit dans les livres d'histoire que Theodorus Lynch ne pouvait vaincre les enchantements d'un mage noir. »
Dernière modification par Arseni Stoyanov le 28 avr. 2017, 21:48, modifié 1 fois.
10 nov. 2015, 18:08
Expérimentation n°44
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ARSENI STOYANOV



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SCÈNE 93 . LE PACTE DES LOUPS


Arseni sourit pour lui-même à défaut d'exposer son amusement à Theodorus. Il avait conscience que cela pouvait le blesser. Theodorus avait beau être un sorcier d'une qualité exceptionnelle, bien plus exceptionnelle encore que ce qu'il voulait bien laissé paraître, il n'en restait pas moins un être humain avec son lot de faiblesses, quand bien même ces faiblesses étaient difficilement décelables. Arseni était parfaitement conscient que tous les efforts de Theodorus ne pourraient rien changer à son état. La magie qu'il avait mise en oeuvre pour sauver son bras faisait appel à des procédés bien trop complexes pour être assimilés en l'espace d'une semaine. Elle était l'oeuvre d'une vie. Une existence toute entière tournée vers les recoins les plus sombres de la magie. Personne ne pouvait mieux la comprendre que lui. Personne ne soupçonnait l'étendu de son pouvoir, encore moins celle du sacrifice consenti, si ce n'est lui. Sans être totalement futile, l'action de Theodorus était quoi qu'il arrive condamnée à l'échec. C'est ce que cet échec pouvait engendrer qui intéressait Arseni et qui le poussait à se prêter aux expériences les plus folles de Theodorus.

N'importe quel être humain était un jour ou l'autre confronté à l'échec, à cette impression de vide tourbillonnant laissée par une expérimentation ratée. Dans un premier temps, l'homme cherchait toujours à lister ses erreurs pour mieux les corriger, sans nécessairement réaliser ses manquements. Dans un second temps, ou bien il jetait l'éponge devant l'ampleur de la tâche à accomplir ou alors il se plongeait corps et âme dans une période d'introspection de laquelle il espérait sortir une réponse adéquate à une question volontairement réduite. Finalement, dans le meilleur des cas, il s'assurait de reconstruire un moral d'acier avant de retenter son expérimentation. Ce processus, loin d'être inutile, était obsolète aux yeux d'Arseni. Un échec, quel qu'il soit, n'était pas l'oeuvre d'un seul homme mais la somme de circonstances uniques survenues dans un contexte donné. Ses années d'étude à Durmstrang lui avait appris qu'il était inutile de revenir sur un échec, tout simplement parce qu'il était impossible de reconstituer aussi bien les circonstances que le contexte donné dans lesquels il était survenu. Personne ne se relevait vraiment d'un échec, c'était un fait pour lui. Au mieux, un homme retrouvait l'équilibre en réussissant autre chose. Autres circonstances, autre contexte, toujours.

Arseni saisit une robe de sorcier bleu nuit et la passa autour de ses épaules. Il ressentit une crispation au niveau de l'épaule gauche mais, comme à son habitude, n'en laissa rien paraître. Quelle chose grandiose entreprendrait Theodorus après un échec aussi cuisant ? Voilà ce qui animait son esprit encore vif et affûté malgré les lourdeurs de son organisme empoisonné par sa propre magie noire.

« Notre accord stipule que vous devez tout mettre en oeuvre pour ralentir les effets indésirables de cette magie. Il n'a jamais été question de les annihiler complètement. Entre nous, je me demande encore pour quelle raison vous avez consenti à passer ce marché pour le moins... déloyal. J'ai d'abord pensé que l'opportunité que je vous offrais en échange de votre savoir vous aveuglait. Mais j'ai compris qu'il n'en était rien en constatant que vous mettiez à ma disposition vos plus grandes créations. J'en suis venu à la conclusion que tout ceci n'était qu'un énième rapport de forces pour vous. Une manière de vous mesurer à moi. De savoir si votre magie surpassait la mienne, comme elle a toujours surpassé celle des autres. Mais j'appartiens à un monde que vous ne comprenez pas, où la magie revêt bien des apparences. La mienne vous surclasse totalement. C'est ce qui vous insupporte par-dessus tout. »

Theodorus ne broncha même pas. Il avait l'apparence d'une belle coquille vide, mais Arseni savait que sous cette apparence, le vieil homme était enclin à un déchaînement de sentiments contradictoires. De tous ceux qui l'entouraient, Theodorus était celui qui l'intéressait le plus. Non pas parce qu'il soulevait naturellement les questions les plus folles, non, s'en était trop banal. Arseni s'intéressait à lui à cause des choix qu'il avait eu à faire au cours de sa carrière. Cette apparence de jouvenceau tout d'abord, alors que son age réel avoisinait les 70 ans. Cette étonnante longévité à la tête du département des Mystères : 21 ans. Et surtout ce pouvoir : celui de dénaturer la magie blanche sans basculer dans la magie noire. Comment un homme d'une telle qualité en était arrivé à la place qui était la sienne aujourd'hui ? Qu'est-ce qui le liait tant au ministère ? Pourquoi ces choix ? Autant de questions qu'Arseni se posait non pas par simple curiosité, mais parce qu'il décelait chez Theodorus une menace latente. Une menace semblable à celle qui sommeillait au plus profond de lui-même.

« Je suis une personne complexe monsieur le ministre. Ce n'est plus un secret pour personne. Vous avez raison, signer le rattachement d'Azkaban à mon département ne m'intéresse pas plus que ça. Je ne manque pas de cobayes. La nature de votre magie en revanche... voilà une chose qui attise ma convoitise. Je ne dispose sans doute pas des moyens nécessaires pour rivaliser avec vous, mais je dispose de l'intelligence nécessaire pour les trouver. »

Cela, Arseni n'en doutait pas. Il passa par-dessus sa robe de sorcier une cape bordée de fourrure. Le contact de la fourrure sur sa peau réveillait toujours en lui les plus beaux souvenirs de son enfance. Il sourit en se revoyant haut comme trois pommes devant un mur de neige infranchissable, les épaules voûtées sous le poids d'un manteau trop grand pour lui. Il appartenait à son frère.

« Essayez encore, mais ne doutez pas du résultat final. Ceci n'est qu'une facette de ce que je peux faire. »

Theodorus découvrit une rangée de dents blanches. Une chance que les loups ne se mangent pas entre eux.