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21 avr. 2021, 02:19
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On brûlera, toutes les deux
En enfer, mon ange
J’ai prévu — nos adieux
À la terre, mon ange
Et je veux partir avec toi
Je veux mourir dans tes bras
Pomme — On brûlera
______

9 Août 2045,
Édimbourg, Écosse.


Poser cette question a sans doute été l’un des actes les plus difficiles à effectuer depuis le début de ta courte vie. Incapable d’expliquer à ton père pourquoi tu étais soudainement saisie de ce besoin impérieux de te rendre dans cette ville où tu ne connais personne, et qui est terriblement loin de la tienne, tu as perdu de précieuses journées à réfléchir à la meilleure manière de lui révéler tes raisons, à chercher les plus belles excuses. Terrifiée à l’idée qu’il réserve à la nouvelle le même accueil que Maë lui a réservé, ce silence teinté de surprise, cette interminable attente, tu as tremblé des heures, cauchemardé en y songeant la nuit, peiné à surmonter tes angoisses. Tu as longuement devisé avec toi-même, dans l’obscurité de ta chambre, pesant le pour et le contre – que dire, qu’éviter ? Et bien sûr, tu n’as pas touché un mot à ta sœur de tes débats intérieurs, préférant apparaître pendant plusieurs jours toujours plus préoccupée, sourcils froncés, presque incapable de manger.
Tu as régulièrement senti les yeux inquiets qu’elle posait sur toi, son visage tendu et ses vagues tentatives d’approche. Craintive, elle est venue un soir dans ta chambre s’asseoir sur ton lit, à côté de toi, alors que tu étais absolument absorbée dans tes propres réflexions, immobile et le regard dans le vague ; elle s’est retenue de dire la moindre chose, consciente de ton égarement, n’a pas osé te prendre dans ses bras. Elle est restée là, silencieuse, de marbre, perturbant ta concentration par sa présence presque indésirable, sans grande utilité. Ce jour-là, tu as décidé que tu n’avais pas vraiment envie de te livrer devant elle, de parler de Petite Ombre, de lui ouvrir cette partie-là de ton cœur – tu l’as d’office exclue de tes questionnements intérieurs.
Te remarquant perturbée par ses hésitations, par le lourd silence que son arrivée avait imposé mais qu’elle voulait sans aucun doute briser, de quelque manière que ce soit, elle a fini par se lever et disparaître, fermant la porte derrière elle. La voyant sortir, tu as relâché chacun de tes muscles, as fini par te replonger au fond de toi-même pour terminer tes réflexions.

De temps à autre, tu as engagé la conversation avec ton père, évoquant une visite quelconque chez une personne qui t’est chère – il a bien sûr cherché à en savoir plus, mais tu t’es immédiatement refermée, refusant les questions insidieuses qu’il posait. Comment faire, lorsque terrifiée du regard de sa propre famille, tu étais même incapable de prononcer le nom de ton aimée ?
Les longues heures hésitantes, déroulées dans le silence le plus total, égarée dans tes combats et étourdie par tes questionnements, ont paru des éternités. Douloureuses, de couleurs sombres et malveillantes ; interminables.

Et puis, tu as dû te rendre à l’évidence. Tu as dû ouvrir les yeux et réaliser, admettre l’inadmissible, accepter que l’inévitable se produise. Tu as dû permettre que l’inconnu prenne le dessus et que l’incertitude se fasse reine, pendant quelques instants.
Alors, cette jolie journée ensoleillée, tu t’es levée de ton lit, as porté ta main à ta tête qui a subitement tourné, repris tes esprits et franchis le pas de la porte. Tu as lentement descendu les escaliers, frémi en entendant les marches craquer, à peine réagi lorsque Maë, installée à la table de la cuisine, t’as souri. Et tu t’es plantée devant ton père, avec les Mots Interdits à la bouche, prêts à franchir la barrière de tes lèvres. Automate devenue statue de marbre, tu as laissé les secondes s’égrainer, les grains de sable s’écouler dans le Sablier du Temps, les tremblements s’accentuer, et lorsque, surpris par ta présence, il t’a fixée d’un regard perçant, tu as pris une respiration un peu hachée. Comme absolument terrifiée par les minutes à venir, pétrifiée par le Silence que tu percevais si tranchant, prêt à te transpercer à chaque parole de travers. Les idées notées sur le papier, les discours récités en boucle dans ton esprit, les multiples entraînements, se sont subitement évanouis, submergés par ta terreur ; peut-être était-elle exagérée, cette angoisse, irrationnelle, mais elle était bien présente.
La terrible sensation de la Noyade a terminé de tout annihiler, de tout réduire en miette, et face à ton père en qui tu pensais avoir pleinement confiance, tu as bien failli t’effondrer. Comme un contrecoup de toutes les journées passées à penser, uniquement, parfois sans manger, parfois sans parvenir à dormir, tout t’a assaillie d’un seul coup, alors que tu pensais avoir enterré les mauvaises émotions au fond de ton cœur. Tout t’a frappée de plein fouet, tout t’a emportée et il n’est resté de toi qu’un petit être tremblant, le visage pâle et les yeux vitreux, les bras serrés contre son torse, de petits balancements te saisissant parfois.

Tu n’osais même pas lever le visage vers Papa, tout là-haut, qui te contemplait sans doute, incrédule mais douloureusement touché par ta panique, incapable de prononcer le moindre mot, de faire le moindre geste. Alors Maë a pris le relai. Elle s’est levée, faisant racler les pieds de sa chaise sur le sol – le grondement a déchiré l’atmosphère terriblement tendue –, s’est approchée et a passé un bras autour de tes épaules. Tu t’es laissée aller contre elle, une nouvelle fois en si peu de temps, et toujours sans regarder personne tu t’es contentée d’écouter ses paroles.


« P'pa ? Kya’ est amoureuse. D’une fille, qu’elle a rencontrée à son école. Je crois qu’elle avait très peur de te le dire, alors… j’le fais. »


Elle t’a serrée plus fort, calmant légèrement les tremblements du battement régulier de son cœur. Tu as taché de suivre son rythme, de respirer à la même vitesse qu’elle pour contrôler la tempête d’émotions qui ravageait ton esprit, et puis la réponse de Papa est tombée.

« Oh… Kyana, qui que tu aimes, tu restes ma fille, et je t’aime, d’accord ? »


Tu t’es tendue à nouveau, as serré les paupières si fort que tout est devenu noir, sans aucune lueur extérieure, les as rouvertes pour planter tes yeux pâles dans ceux, de la même teinte que le regard de Maë, de celui qui t’a élevée.

« J’voudrais la revoir. Là, dans quelques jours. S’il… s’il te plaît. »


Il a souri – d’un sourire sincère et doux, attendri, bienveillant –, tendu la main pour caresser ta joue.

« Bien sûr. Tu as son adresse, un endroit où je pourrais t’emmener pour que vous vous voyiez ? »


Surprise de sa réponse immédiate, le visage légèrement penché sur le côté, tu as esquissé une moue interloquée.

« Oui, je… j’crois que j’ai. Je vais lui demander. »


Il a acquiescé, souri à nouveau, et puis Maë t’a soufflé quelques paroles à l’oreille, quelques mots que tu conserves en toi comme un talisman, depuis. Avant de se détourner, il a ajouté d’une voix un peu basse, toute émue.

« J’suis fier de toi. Tu es courageuse, vraiment. »


Ta sœur t’a une nouvelle fois étreinte, puis libérée de la sécurité de ses bras ; tu as reculé en chancelant, montant lentement les quelques marches menant à ta chambre, chacune des paroles offertes résonnant en toi.

11 Août 2045,
Maison de la grand-mère de Lydia, Angleterre.


Le trajet a été très long, et incapable de contenir ce mélange d’excitation et d’anxiété qui te taraudait, tu t’es agitée toutes les longues heures qu’il a duré. Maë n’est pas venue, prétextant des devoirs ou une rencontre avec une amie à elle – elle voulait sans doute te laisser tranquille, et Papa assis dans le train près de toi, a attendu tout ce temps en faisant la conversation pour deux. Il a essayé d’aborder le sujet de Petite Ombre deux fois, et à chacune d’elles tu t’es crispée ; il n’a obtenu que son prénom, et le mois de votre première rencontre, rien de plus. Tu as refusé de lui en dire davantage, mais fort heureusement il a respecté ton mutisme, préférant commenter le paysage défilant, les passagers faisant route avec vous, les nouvelles parues récemment dans le journal. Et toi, essayant tant bien que mal de te faire une idée de la rencontre à venir, de songer à la Nuit qui ne vous accordera pas sa douce protection, cette fois-ci.
L’adresse est facile à trouver ; elle a très bien décrit le lieu dans ses dernières lettres, et c’est en trépignant presque que tu as franchi les derniers mètres te séparant de la fameuse maison. Arrivée sur le perron, ton père juste derrière toi, tu frappes timidement à la porte. Ton cœur se gonfle d’une insupportable attente, d’un sentiment de renaissance qui devient un peu plus puissant chaque seconde. Ses battements désordonnés résonnent dans ta cage thoracique, ton souffle se perd, et lorsqu’Elle ouvre le battant, tu avances sans hésiter. Ton étreinte est peut-être un peu brusque, mais trahit les millions de sentiments indescriptibles, le bonheur de te trouver enfin là, et tout l’amour que tu ne parviens à lui communiquer. Tu la serres contre toi, enfouis ton visage dans son cou, inspires son odeur si douce – tu réalises seulement à cet instant-là à quel point elle t’avait manqué.



La Plume expire, très longuement, clos les paupières quelques secondes pour se dépêtrer des trop violentes émotions de sa Gamine. Elle tente, tant bien que mal, de s'extirper de cet état presque léthargique où elle a été poussée si rarement depuis la fin de cette seconde Danse ; et lorsqu'elle rouvre les yeux, elle contemple, stupéfaite, le nombre de mots. Longtemps qu'elle n'avait pas vécu aussi pleinement un texte, longtemps qu'elle n'avait pas autant ressenti pour sa Gamine.


______
Eh bien, nous y voilà. Cet instant est le leur, désormais, je ne me permettrais pas de m’y immiscer ; elles méritent de vivre cela seules. Encore une fois, encore mille fois, merci infiniment pour cela, pour tout ce que cela a permis, pour tout ce que nous écrirons, tout ce que nous échangerons.
Avec cette belle chanson proposée au-début de mon texte pour conclure tout cela, ce classique que nous avons découvert presque au-même moment, je vous dis, à toi et à ta Protégée, à bientôt.
<3

• ‘til it seemed
that Sense was breaking through — •

ent‘r‘êvée