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23 mars 2022, 10:18
Diaphane  solo   France 
Corvenin était un jeune hippogriffe au plumage noir comme l’obsidienne, parsemé d’éclats rougeoyants. Un bel animal, en somme, qui faisait la fierté de Grand-Père, et qu’il espérait, lorsqu’il serait plus âgé, faire reproduire. Mais ici, personne d’autre que lui n’avait envie de voir cette vipère léguer son patrimoine génétique.
C’était une teigne, vicieuse, fourbe et sans aucune notion de sens moral. Il venait donner des coups de becs lorsque l’on tournait le dos, et s’arrangeait pour que seul l’attaqué ne le voit. Et l’attaqué, c’était souvent Alice. « Il est encore jeune » disait Grand-Père lorsqu’elle venait se plaindre de lui. « Il forge son caractère, comme lorsque les enfants grandissent. » Autrement dit, Corvenin était en pleine crise d’adolescence.

L’hippogriffe déchira entre son bec et sa patte acérée le furet qu’Alice venait de lui jeter. La jeune fille était écœurée, comme à chaque fois qu’il fallait nourrir les hippogriffes. Si les autres mangeaient avec plus de délicatesse, ce n’était pas le cas de Corvenin, qui faisait preuve d’une certaine forme de cruauté. Grand-Père disait que c’était plus facile pour lui de manger ainsi, en raison de son âge. Balivernes. Corvenin mangeait comme un cochon parce qu’il savait qu’Alice avait la viande en horreur.

La forêt était silencieuse, seulement agitée par le souffle du vent. Alice était seule avec les hippogriffes, on ne l’accompagnait plus désormais. Cela la rendait inquiète, parfois. Elle craignait de se perdre, ou de se faire attaquer par ce démon de Corvenin. Mais pas aujourd’hui. Elle était contente d’être seule, au milieu des arbres et des hippogriffes.

Assise aux pieds noueux d’un hêtre, ses genoux pour support, Alice installa son parchemin pour écrire. Elle avait décidé de profiter de cette fraîche matinée, entourée des hippogriffes, pour écrire une lettre. A qui, en revanche, elle l’ignorait encore. Elle ne savait jamais à l’avance, à moins qu’un élément de son environnement ou de sa journée ne lui murmure le destinataire de ses mots.
A qui voulait-elle raconter ses tracas, aujourd’hui ? Naturellement, elle pensa à Aliosus, a qui elle avait pu, autrefois, se livrer sans trop mentir.
Cher… 
Alice suspendit sa plume. Voulait-elle vraiment lui parler de mariage arrangé ? Il y avait fort à parier que ses parents aient déjà songé à le vendre pour l’intérêt familial, aussi il devait connaître le poids qui pesaient sur les épaules d’Alice. Avec qui prévoirait-on de le marier ? A une irlandaise ? Une européenne ? Une allemande, peut-être. Ce serait merveilleux, Alice et lui pourraient se voir presque quotidiennement ! A moins qu’ils ne le marient à une sang-pur de Grande-Bretagne.
Grands dieux, pourquoi prenait-elle pour acquis l’hypothétique mariage d’Aliosus, alors qu’elle repoussait farouchement le sien ?

Alice laissa le destinataire en suspend, et passa au contenu de la lettre. Elle trempa le bout de sa plume dans son encrier.
Hier après-midi, j’ai appris que l’on voulait me marier, à un inconnu qui n’a même pas encore été décidé. Cela fut un véritable choc pour moi, et une grande source de déception. Au lieu de m’expliquer point par point ce qui allait se passer, tout le monde s’est employé à me mentir. J’ai donc affronté le regard intrusif d’une femme odieuse sans savoir pourquoi elle me traitait comme un croup de concours. Ce fut terrible, et cela m’a rappelé à quel point on peut se fourvoyer sur la chance que peut avoir une sorcière de ma condition.
Je n’ai pas le droit au moindre écart, car cela pourrait jeter l’opprobre sur ma famille. A Beauxbâtons, je dois être irréprochable, et performante dans n’importe quelle matière. Je ne dois montrer aucune faille, et toujours conserver une attitude digne, sans quoi les malintentionnés pourraient s’en servir pour salir ma famille. Je dois être polie, même lorsque je n’en ai pas envie. Bien élevée, et cela même avec d’odieuses personnes. Si on me rudoie, je dois rester digne, et accueillir les mots blessants avec délicatesse et intelligence, là où je préférerais hurler et me déchaîner comme une tempête. Mon entourage doit être scrupuleusement étudié. Il m’est interdit de me tenir auprès des fâcheux, des enfants de familles opposées à la mienne et des cancres. Mes amis ne sont que des parures, comme je le suis pour eux. Nous mentons devant les autres, et dans l’intimité, nous nous jugeons silencieusement, recueillons des scandales qui pourraient ternir la réputation des uns.
Cette existence m’est difficile, mais je ne peux m’en plaindre. Pourquoi ? Parce que j’ai vécu dans la lumière que m’a apporté les sacrifices de mes ainés pendant toute mon enfance, et ma scolarité à Poudlard. Aujourd’hui, je découvre l’envers du décors, et doit prendre part à ces sacrifices qui permettront à mes descendants de connaître l’enfance dorée que j’ai eu.
Enfance dorée, disait-elle. Pouvait-on la considérée si dorée que cela ? Vilaine pleurnicharde, bien sûr qu’il fallait dire cela. Bien sûr, elle avait connue la méchanceté d’une mère et d’un frère. Bien sûr, elle avait dû réaliser que jamais son père tendrement aimé ne se séparerait de son épouse pour la protéger. Bien sûr. Mais elle ne pouvait pas s’en plaindre. Elle n’en avait pas le droit.
Grands dieux… même en songe, elle se mentait.

Lorsqu’elle releva les yeux de son parchemin, elle croisa le regard de Corvenin, à un peu moins de deux mètres d’elle. Faussement occupé à nettoyer ses serres, il s’était approché sournoisement d’elle, sa tête basse, ses yeux braqués sur Alice. Pris sur le fait, Corvenin arrêta son petit manège, et se figea.

« Non content d’être sournois par derrière, voilà que tu l’es frontalement. Qu’avais-tu prévu de faire, cette fois, dis moi ? »

Corvenin demeurait immobile, ses yeux ne lâchant pas Alice. Soudain, d’une extension de son cou, il attrapa le parchemin dans son bec et le tira d’un coup sec. « Eh ! » s’écria Alice. Elle bondit sur ses pieds, et renversa au passage son encrier au sol. Mais l’hippogriffe, bien plus rapide qu’elle, s’éloignait au trot, agitant fièrement la lettre d’Alice. « Rends-moi ça ! » Elle se lança à la poursuite de l’animal, qui tendait son cou bien en hauteur pour ne pas qu’elle puisse récupérer sa lettre. Il trottait, en cercle, la queue en panache, et Alice sur ses pas. Le maudit ! Il était fier de son méfait ! Oh non, il n’était pas en pleine crise d’adolescence : il était seulement plein de méchanceté !

Après une long combat acharné, à courir à travers bois, à tenter de barrer la route à Corvenin, à faire des accélérations, à se jeter sur les côtés, Alice s’arrêta, le souffle court, le coeur agité. Elle pressa ses mains sur ses genoux en respirant bruyamment. Sa gorge était irritée. Ses pieds lui faisaient mal. Elle transpirait à grosses gouttes.
A travers le rideau que formait ses cheveux devant elle, Alice apercevait Corvenin, qui tenait toujours dans son bec son parchemin.

« A quoi cela rime t-il… » demanda t-elle, la voix hachée par l’effort. « Tu ne le détruit pas… parce que tu sais l’importance qu’il a pour moi… par Circée… tu es vraiment… »

Alice se tut. L’oiseau la fixait, attendait qu’elle termine sa phrase. Mais Alice avala les mots qu’elle s’apprêtait à lui cracher. Il était jeune, certes, mais assez grand pour lui causer une vilaine blessure si il se sentait offensé.
La sorcière se releva, renvoyant ses cheveux dans son dos. Elle jeta quelques regards autour d’elle. Alice et Corvenin s’étaient enfoncés dans la forêt. Et tous les arbres se ressemblaient.

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN

24 mars 2022, 10:20
Diaphane  solo   France 
«  Voilà ! Nous sommes perdus ! J’espère que tu es satisfait ! »

D’un œil ni heureux, ni malheureux, Corvenin regardait Alice passer sa colère sur lui, son bec toujours refermé sur le parchemin. La jeune fille pressait ses paumes contre ses tempes, les yeux écarquillés sur l’idiotie dont elle avait fait preuve. Pourchasser un hippogriffe dans la forêt, mais qu’est-ce qui lui avait prit ! Évidemment que l’histoire allait se finir ainsi ! Oh, elle pouvait bien se targuer d’être intelligente et maline, si c’était pour se mettre dans ce genre de situation à la moindre contrariété !

Alice s’adossa contre le tronc d’un grand hêtre, le temps de se calmer. Elle bascula la tête en arrière pour tenter de voir le Soleil qui lui permettrait de se repérer… jusqu’à se souvenir que le jeune sorcière n’avait aucune notion de repérage, et peinait déjà à s’orienter dans domaine de Grand-Père.
Corvenin grattait sa patte acérée au sol. Lui pourrait la ramener au Domaine, non ? C’est un animal, et les animaux savent rentrer chez eux. Certes, mais la forêt dans son intégralité était celle de l’hippogriffe. Son ventre était bien rempli, il n’avait donc aucune raison de se rapprocher de ses pairs pour l’heure.
Alors, peut-être pouvait-elle suivre leurs traces de pas jusqu’à rentrer ? Alice quitta son appui. Elle attrapa ses longues boucles blanches et les jeta sur son épaule, avant de s’accroupir, pour tenter de voir ses traces de pas, ou celles de l’hippogriffe. Le sol était jonchée de feuilles mortes, de brindilles et de branches. Le tout était sec. La gorge serrée, ses yeux se refermant, Alice accusait le coup : elle ne parvenait pas à voir ne serait-ce qu’une trace de ses pas.

« Quelqu’un va venir nous chercher » dit-elle, se relevant dans un bond. « Quelqu’un… eh ! Non, non, non, Corvenin ! Ne me laisse pas ! »

Mais, sourd aux appels de la sorcière, l’hippogriffe s’en allait pourtant, d’un pas élancé. La mâchoire crispée par la colère et la peur, Alice s’élança à sa suite. Avec un peu de chance, il trottait jusqu’au domaine.
Corvenin jeta un coup d’œil en arrière et, voyant qu’Alice le suivait, se mit à accélérer. « Non ! » s’écria t-elle. « Ar… » Ses pieds se prirent dans une grosse branche couchée au sol, et la voilà qui tomba au sol dans un bruit sourd, s’étalant de tout son long dans les feuilles mortes. Alice resta un moment ainsi, les yeux rivés sur l’hippogriffe qui se soustrayait à sa vue. Elle était figée, écrasée par le poids de l’incompréhension. « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? »

Alice finit par se relever, avec une furieuse envie de pleurer, de crier, de frapper, mais aussi de brûler cette maudite forêt. Peut-être aurait-elle tenté de le faire, si elle n’avait pas laissé sa baguette avec le reste de ses affaires, dans l’aire de nourrissage des hippogriffes. Elle débarrassa ses cheveux des feuilles mortes qui s’étaient emmêlées dedans, avec plus de difficulté qu’elle ne l’aurait cru. « Ils vont venir me chercher » murmurait-elle. « Ils vont venir. » Alice songea alors à qui pourrait venir. Tante Elise était absente, et Grand-Père l’accompagnait. Père était à la maison, mais restait dans sa chambre, comme souvent. Sa seule chance de revenir vite à la maison, c’était Thomas, qu’elle avait prévenu de son départ dans la forêt. Oui, lui viendrait, à n’en point douter. Il la retrouverait. Elle ignorait comment, mais il la retrouverait. Cette pensée rassura Alice, qui s’assit sur la branche qui l’avait fait tomber. Et elle attendit.
Longtemps.

L’air frais mordait vivement les joues d’Alice. Elle avait décidé de l’ignorer. Son ventre gargouillait, lui rappelant alors qu’elle n’avait pas trouvé nécessaire de déjeuner ce matin. Elle l’ignorait. Des craquements isolés se faisaient entendre dans la forêt, sans que ne surgisse quoi que ce soit. Elle les ignorait. Alice se contentait d’avancer dans la direction qu’avait prit Corvenin. Avec un peu de chance, il la menait au domaine.
La forêt devenait plus dense, et la végétation aussi. La lumière s’atténuait, avalée par les nombreuses branches nues qui se nouaient au dessus de sa tête. Alice avançait. Il lui fallait enjambée des arbres couchées, contournées des rochers abruptes, emprunter des descentes raides. Elle tombait parfois, souvent. Mais elle se relevait à chaque fois, taisant son envie de fondre en larmes. Cette forêt avait une fin, il fallait juste la trouver. Et lorsque ce sera fait… elle n’en savait rien, pour le moment.

Alice plissa les yeux. Un enchevêtrement de pierres apparaissait au loin Lorsqu’elle l’eut rejoint, Alice réalisa à quel point il était grand, si grand qu’il lui permettrait peut-être de voir par-delà la forêt. Ainsi, elle pourrait voir où se trouve le domaine !
Le coeur gonflé d’espoir, Alice releva les manches de son chemisier à broderie bleu pastel, et s’approcha des pierres, bien résolue à l’escalader.

La tâche s’avéra plus ardu qu’escompté.
Si Alice parvint sans trop de difficulté à grimper sur la première pierre, ce ne fut pas le cas avec la deuxième. Elle ne savait pas où poser ses mains, ni ses pieds habillés de bottines cavalières. Elle essaya différentes approches, et réussi à se hisser à la force de ses bras sur la seconde pierre. Son souffle était saccadé. Tante Elise avait raison : il fallait qu’elle pratique un sport, ne serait-ce que pour augmenter son endurance. Alice ne repousserait plus ce conseil, désormais.
La troisième pierre ne lui présenta aucune difficulté. Ni la quatrième. A la cinquième, Alice abandonna toute élégance, et se jeta contre elle pour y grimper comme un lézard aux pattes atrophiées le ferait. Elle prit un temps de repos à la sixième, son coeur battant la chamade. Alice porta ses doigts à son visage pour les observer. Ses doigts étaient griffés, rougis, boursoufflés, ses ongles sales et ébréchés. Mais la jeune fille en sourit. Ils témoignaient de ses efforts. Elle pouvait être fière d’elle.

Alice sursauta lorsque des aboiements lui parvinrent. De gros aboiements, témoignant de la taille d’un gros animal. Alice se pressa contre la pierre, qu’elle sentit bouger un peu dans son dos.

« Chut ! » entendit Alice venir d’en bas. « Tu vas faire peur aux animaux, gros débile ! »

La voix était masculine, enrouée. Ce n’était pas celle d’un adulte, ce fut là la seule certitude d’Alice.
Par Circée, comment n’avait-elle pas fait pour entendre le bruissement des feuilles, juste en bas ? Il fallait dire qu’avec le propre son que produisait sa respiration, elle ne parvenait même pas à entendre le chant des oiseaux.
A cette pensée, Alice couvrit sa bouche de ses mains.
Elle ignorait qui était en bas, mais si elle se fiait au dialecte employé, ce n’était pas un ami de la famille. Alors… grands dieux, pas un sans pouvoir, tout de même ?

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN

25 mars 2022, 11:00
Diaphane  solo   France 
Alice sentait son cœur battre à ses tempes. Le chien était aux pieds du monticules de roche. Il aboyait dans sa direction, avec beaucoup trop d’insistance à son goût. Il savait qu’elle était là.

« Mais t’as vu quoi, encore ? »

Le garçon l’avait rejoint, désormais. Alice déglutit, s’appuyant toujours un peu plus contre la roche dans son dos. C’était un sans pouvoir, c’était forcément un sans pouvoir. Si il venait à la voir, il saurait alors immédiatement qu’Alice est une sorcière. Des cheveux blancs, des yeux argentés, une peau pâle comme la lune… Aucun mensonge pour justifier son apparence ne lui venait. Elle n’avait jamais eu besoin de le faire auparavant. Lorsqu’il lui fallait se mêler aux Moldus, elle s’armait d’un bonnet pour cacher ses cheveux, ou d’un foulard, et de lunettes de soleil pour ses yeux. Mais ici, elle n’avait rien pour se cacher.

« T’as vu une bestiole ? » demanda le garçon en baissant d’un ton.

Le chien l’avait senti. Évidemment qu’il l’avait senti ! Alice avait nourri les hippogriffes, elle avait donc leur odeur sur elle, mais aussi celle du furet mort.
Avec effroi, Alice entendit le crissement des griffes du chien contre la roche. Le maudit essayait de grimper !

« Arrête tes conneries. Achille, non ! Putain mais t’es chiant ! J’ai dit non ! »

Alice ignorait ce qui se passait, mais elle entendait du mouvement. Elle était tétanisée. Dans sa tête défilait tout un tas de scenarii, les uns comme les autres défaitistes.
Peut-être pourrait-elle pousser la pierre dans son dos, jusqu’à ce qu’elle tombe sur le garçon ou son chien, les deux dans le meilleur des cas ? Non, Alice ne pouvait pas se résoudre à commettre une telle atrocité.

Trop occupée à s’imaginer tout un tas de choses, Alice n’avait pas réalise de suite que l’on grimpait à la roche. Lorsque des doigts gantés s’agrippèrent la corniche devant elle, son pied se propulsa comme un piston et les frappa d’un coup de talon. « Aïe ! » entendit-elle rugir. Les aboiements reprirent de plus belle, couvrant les mots du garçon. « Achille, boucle la ! » cria t-il à l’attention du chien. Le silence se fit alors. Un silence bien trop long aux yeux d’Alice.

« Il y a quelqu’un ? »

Alice ne dit mot. Elle ramena ses jambes près d’elle, prête à attaquer à nouveau.
Un petit bout de gants réapparurent, et à nouveau, Alice frappa son talon dessus. Mais aussitôt, une main dépourvue de tissu se saisi de son pied et le tint fermement. Avec horreur, Alice se rendit compte qu’elle venait de se faire avoir. Le garçon ne lui laissa pas le temps de contre attaquer, et tira d’un coup sec. Alors qu’il pensait parvenir à forcer Alice à descendre, il ne parvint qu’à lui arracher sa chaussure. Alice l’entendit crier de surprise, puis chuter. Et à partir de là, elle n’entendit plus aucun son, pas même les aboiements du chien.
Oh non. Grands dieux, elle venait de le tuer.
Alice se précipita sur le bord de la corniche pour voir ce qui venait de se passer. Et c’est alors qu’elle le vit.

Le garçon frottait son crâne endolori, ses yeux fermés avec force, comme si il pouvait atténué la douleur. Il se balançait d’avant en arrière, assis sur la roche en contrebas. Il ne devait pas avoir plus de quinze ans.
Derrière lui, Alice posa ses yeux sur le vide, à plusieurs mètres en dessous. Cette vue retourna le ventre d’Alice. Elle sursauta lorsqu’elle aperçu le chien, Achille. Une grosse bête noire au pelage abondant.
Lorsqu’il retira sa main de ses cheveux blonds, il sembla surpris et rassuré de ne pas y voir de sang. Ses yeux d’ambre se relevèrent sur Alice. Le soleil dans le dos de la jeune fille sembla l’éblouir, aussi porta t-il sa main en casquette. Alice en profita pour reculer sur la roche, jusqu’à s’adosser à nouveau.

« Eh, non, tout va bien. Je vais pas te faire de mal. »

Lui, peut-être pas. Mais son gros chien, si. Et si ce n’était pas le chien qui s’en prendrait à elle, le vide le ferait. Par Circée, mais qu’est-ce qui lui avait prit de grimper ? Elle frappa sa tête contre la roche dans son dos une fois, puis une seconde.

« Va t’en » ordonna t-elle. Et voilà tout ce qu’elle parvint à dire. L’émotion lui serrait la gorge.
« Ben, non. Je vais pas partir. Toi, va t’en. 
Cette forêt est privée. 
Ouais, je sais. »

« Ouais, je sais » ? Et rien d’autre ? Alice fronça les sourcils. Elle quitta la roche pour s’approcher, juste un peu, de quoi voir le garçon. Il s’était relevé, et portait toujours sa main en casquette pour la regarder. Ses yeux s’arrondirent alors qu’il détaillait Alice et ses boucles blanches. Il avait perdu sa langue et son petit air roublard.
Alice avait beau essayé, elle n’arrivait pas à conserver son allure digne qu’elle devait adopter en présence d’inconnu. La peur lui fustigeait les jambes.

« — Et… tu fous quoi, là haut ?
Je… me détends.
Ils sont où tes parents ?
Et où sont les tiens ? »

Il brandit son pouce au dessus de son épaule.

« Ma mère bosse. Mon père prépare à manger. On habite en dessous. » Un Moldu, c’était véritablement un Moldu. Et un montagnard, de surcroît.
« Et tes parents à toi ? » demanda t-il en s’approchant un peu. « Ils sont où ? » Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, au juste ? Alice se recula un peu. « Je vais pas te manger. T’es coincée ? »
Coincée ? Alice déglutit. Oui, elle était coincée, sur une roche, avec d’un côté le vide, d’un autre un chien, et de l’autre un Moldu.
Le garçon reposa la bottine d’Alice sur la corniche. Elle s’empressa aussitôt de la récupérer pour la remettre, ses yeux ne lâchant pas les doigts du garçon, restés campés sur la roche.

« — Viens, je vais te faire descendre.
Je n’ai pas besoin d’aide. Je peux très bien me débrouiller toute seule.
Ben pourquoi tu le fais pas, alors ?
Parce que… je n’en ai pas envie.
Ou alors t’es une grosse trouillarde. »

Le sang d’Alice ne fit qu’un tour. Elle s’avança un peu pour retrouver le regard du garçon, à qui elle exprima tout son mécontentement à grand coup de froncement de sourcils. Il se mit à sourire, plus amusé qu’intimidé. Il lui tendit les mains.

« Viens, j’t’aide. »

Alice ne bougea pas d’un iota. Elle conservait son attention sur le visage du garçon, pour tenter d’y desceller un mensonge, comme Thomas le faisait avec elle. Alice n’y vu rien de mauvais ni de méchant. Ou bien, cachait-il très bien ses intentions.
La sorcière lui aurait volontiers rétorqué qu’elle n’avait pas besoin de son aide… mais il fallait bien reconnaître qu’elle ne parviendrait pas à descendre d’ici. Elle se maudissait, et maudissait son incapacité à taire sa peur du vide. Elle savait que ce n’était pas rationnel. Ce n’était pas comme si elle pouvait se tuer en descendant, tant qu’elle le faisait prudemment, cela va de soit. Mais la vue du vide, tout autour… c’était trop pour elle.
Alice s’approcha un peu, glissant sur ses fesses jusqu’à atteindre la corniche. Le garçon était en dessous, ses bras tendus. Il s’approcha encore un peu pour lui proposer ses mains. Alice s’en saisit. Il l’aida à se laisser glisser, jusqu’à atterrir sur la roche où il se trouvait.

« Ben tu vois, je t’ai pas mangé. »

Pour l’instant.
Alice tira sur les manches de son chemisier pour les remettre comme il le fallait. Elle réajusta son col, et replaça ses boucles dans son dos. Le garçon la regardait faire en reculant d’un pas. Il la détaillait, sans chercher à savoir si son attention allait déranger Alice.

« — T’es albinos ?
Oui, répondit-elle du tac au tac.
J’en avais jamais vu avant. »

Une chance, sinon il n’aurait pas cru au mensonge d’Alice. Un poids quitta son ventre. Elle avait pu mentir sur ses particularités physiques. Il ne saurait pas qu’elle appartenait à un monde bien différent du sien.
Néanmoins, il y a des mensonges plus difficiles à trouver que les autres.

« La vache, c’est quoi sur ta joue ? » Il avança un peu la tête pour mieux voir. « Putain, c’est une cicatrice ? » Alice déglutit, tant gêné par l’impudence du garçon que par sa grossièreté. Il posa son doigt près de sa bouche, là où se trouvait une petite balafre qui barrait la commissure de ses lèvres. « Moi aussi, j’en ai une. Moins grosse que la tienne, mais j’en ai une aussi. » Alice papillonnait des yeux. C’était là tout ce qu’il trouvait à dire ? D’ordinaire, c’était bien différent. On la regardait avec pitié, dégoût, on la questionnait sans-gêne… mais pas lui.

« — Je… où sommes-nous, par rapport au château en ruine ? Demanda t-elle, désireuse de changer de sujet.
Oula. Attends, je regarde. Avec un peu de chance, le GPS va marcher, pour une fois. On capte rien dans cette forêt. »

Le garçon fourra sa main dans sa poche et en sorti un téléphone portable.

« — Au fait, moi c’est Nath, dit-il en glissant son doigt sur son téléphone. Et toi ?
Alice.
C’est joli. »

Il ne la regardait pas, trop occupé sur son téléphone. « Merci » dit seulement Alice en l’observant faire. La dernière fois qu’elle avait vu un téléphone portable, c’était entre les mains d’Imogen.

« Ben voilà. Sans surprise, on capte rien. Putain… Viens, on sort de là, et je te dis » Nath se détourna d’Alice pour rejoindre le bord de la roche. Il s’assit, et se laissa retomber de l’autre côté. « Allez, viens » Alice s’approcha. A nouveau, il lui tendit les bras. Et à nouveau, Alice accepta son aide.

Arrivée à la dernière pierre, Nath fit signe à Alice d’attendre. Le gros chien noir tournait autour de son jeune maître, sa grosse queue en panache. « Lui, c’est Achille » dit-il en enserrant le chien pour l’éloigner d’Alice « Il est pas méchant, mais c’est un gros bourrin. Alors gaffe quand il vient te faire la fête. » Alice regardait le chien, une boule dans la gorge. Elle aimait toutes sortes d’animaux, du noueux au dragon, en passant par le kelpie et autres mangeurs de chaire humaine. Mais les chiens, c’était nouveau. Alice n’avait jamais vraiment été en contact avec eux. Bien sûr, il y avait les deux croups de Grand-Père, mais Achille était bien plus grand et plus imposant.
Prenant son courage à deux mains, Alice balança ses jambes dans le vide, et glissa lentement le long de la roche. Aussitôt sur ses pieds, le chien accouru vers elle pour la renifler. Il posa sa grosse truffe humide et terreuse sur la cuisse d’Alice. Nath l’attrapa par le collier et l’éloigna d’Alice. « T’as des bestioles chez toi ? » demanda t-il, peinant à tenir son chien. Des bestioles, il y en avait à la maison, et plus d’une. Des hippogriffes, des croups, un fléreur, quelques botrucs à l’entrée de la forêt… « Oui » répondit seulement Alice.

« — Bon, viens, on quitte la forêt. En plus, ça caille. T’as pas froid ? Et c’est quoi cette tenue ? Fallait que t’aille boire le thé chez mamie et t’as pris le mauvais chemin ?
Donc, si je suis ta logique, vêtu ainsi, tu t’apprêtais à aller te rouler dans une flaque de boue ? »

Nath regarda Alice avec un sourcil haussé. Il lâcha finalement un rire, et opina du chef. « Touché » lâcha t-il dans un sourire.

Alice suivit le garçon à travers bois. Le chien gambadait joyeusement autour d’eux, les sens en éveil. Il ne s’occupait plus d’Alice, désormais.
Nath savait se repérer. Il y avait de fortes chances pour qu’il vienne souvent se promener ici. Alice avait eu de la chance de tomber sur lui. Si elle avait rencontré un tout autre Moldu, les choses auraient été bien différentes.

« — Tu faisais quoi dans la forêt, toute seule ?
Je me suis égarée.
Faut pas aller en forêt quand on connait pas. Surtout celle ci. T’as vite fait de te perdre.
Je saurais pour la prochaine fois.
Tu comptes remettre ça ? »

Alice sourit, et se tourna un peu vers le garçon. Lui aussi souriait. Tout semblait pouvoir l’amuser. Même Alice.
Au loin, Alice apercevait enfin la fin de la forêt. Elle poussa un soupir de soulagement. Elle avait finit par croire que plus jamais elle n’en sortirait.

« — Tu vas à la fête foraine de Saint-Gervais, mercredi ?
La… fête foraine ?
Mais ouais. C’est pas non plus LA fête foraine comme à Lyon, mais il y a des auto-tamponneuses. J’y vais avec des potes. Si tu viens et qu’on se croise, on pourra manger des churros si tu veux. C’est toi qui paye, pour me remercier de t’avoir sauvée la vie. »

Alice resta muette devant sa méconnaissance du monde sans pouvoir. Elle qui pensait avoir été rodé en vivant avec Kenneth et Imogen dans un quartier moldu, se retrouvait comme une idiote. Nath était plein d’entrain lorsqu’il parlait de cette fête. Et aux vues des regards qu’il lui lançait, Alice devinait qu’elle aussi aurait dû ressentir la même joie que lui. Elle sourit alors, gardant pour ses tracas.

« — Je tâcherai de venir, alors. Et… qu’est-ce qu’il y a d’autre ?
Euh… un stand de tir. Même qu’on peut remporter une console. T’as aussi le… comment ça s’appelle… tu sais, le truc pour les gamins… le carrousel ! Et des trampolines. Ça c’est plutôt cool, quand y’a pas trop de monde. T’as plein de vendeurs de bonbons, aussi.
Des bonbons ?
Ben ouais. T’as toujours au moins deux ou trois vendeurs de bonbons. Ils font de la barbe à papa aussi. Et des pommes d’amour. C’est trop bon, ça. »

Ça, Alice connaissait ! Et elle adorait ça. Elle n’avait pas eu l’occasion d’en manger depuis très, très longtemps.

« — Tu vas venir, alors ? Demanda le garçon en se tournant vers elle.
Je vais essayer.
Super. Je suis trop content. Et puis je pourrais te faire visiter Saint Gervais, si tu veux. Enfin, à toi et à tes parents. Vous êtes pas d’ici, je crois bien. Vous êtes en vacances dans le…
Amnesia. »
Dernière modification par Alice Sangblanc le 06 sept. 2022, 18:18, modifié 1 fois.

Sixième année RP - 741B47
Étudiante à Beauxbâtons depuis Janvier 2046
Fondatrice du MERLIN

26 mars 2022, 08:21
Diaphane  solo   France 
Le regard vide, Nath s’écroula au sol. Alice leva les yeux sur Thomas, dont le corps se débarrassait des restes d’un sortilège de désillusion. Il s’avançait vers eux, laissant dans son dos la dépouille d’Achille.
Bouchée bée, Alice regardait son frère se pencher sur Nath. D’un mouvement de sa baguette, une entaille se créa sur le haut du front du garçon.

« Qu’est-ce que tu fais ? » demanda enfin Alice. D’un autre coup de baguette dirigé vers le ciel, Thomas sectionna une branche qui s’écrasa devant eux. Il la déplaça pour la rapprocher du moldu. Alice comprenait.

« — Qu’est-ce que tu as fait au chien ? Demanda Alice.
Il n’est pas mort, si c’est là ton inquiétude. »

Alice hocha juste un peu la tête, et se tût. Tout avait été très vite. Thomas avait été d’une efficacité redoutable. Le voilà dans toute sa splendeur, le diplômé de la Grande École de l’Art du Duel.
Thomas se tourna enfin vers sa soeur. Il l’observa des pieds à la tête. Son regard s’arrêta un instant sur les mains abimées d’Alice, avant qu’il ne revienne à son visage.

« — Est-ce que tu vas bien ?
Oui. Il était gentil. »

Alice posa ses yeux sur le garçon étendu à ses pieds. Elle eu un petit pincement en coeur en regardant le sang s’écouler de son front. Cela aurait pu se finir différemment, Alice en était convaincue. « Allons nous en avant qu’il ne se réveille » dit Thomas en posant sa main sur l’épaule de sa petite soeur. Il attendit qu’elle opine du chef avant de transplaner.

Une main sur son ventre agité, Alice prit le temps de se remettre du voyage. Thomas n’avait pas ce problème. C’était comme si il n’avait eu à faire qu’un pas, entre leur lieu de départ et ici.
Les hippogriffes avaient à peine lever leur tête lorsque les deux sorciers étaient arrivés. Corvenin, lui, s’était contenté de regarder Alice un instant, avant de se retourner pour lui montrer sa croupe.
Thomas se déplaça pour avoir l’attention d’Alice. Il la regardait avec les sourcils un peu froncés.

« — Maintenant que tu es en sécurité… est-ce je peux savoir ce que tu faisais à l’autre bout de la forêt ?
Le rôle du frère paternaliste ne te sied pas, rétorqua immédiatement Alice. 
Épargne-moi ton insolence, veux-tu ? Est-ce que tu réalise à quel point cette escapade aurait pu te coûter ?
Je réalise oui. Mais c’est Corvenin, il… »

Alice serra les dents pour faire ses prochains mots. Comme si Thomas lu dans ses pensées, il brandi le parchemin qu’avait volé Corvenin, caché jusqu’à présent dans son veston. Le visage virant au rouge, Alice tendit vivement le bras pour le récupérer, mais Thomas le porta au dessus de sa tête.

«  — J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une demande de rançon, dit-il.
Rends moi ça , exigea Alice. Ce n’est pas à toi.
A qui est-ce que tu écrivais ? »

Alice sentait tout son visage s’empourpré. Ce qu’elle craignait venait d’arriver : quelqu’un avait lu ce qu’elle avait dans son coeur. Fort heureusement, il ne s’agissait que de Thomas. Ce dernier se contenterait certainement de se moquer d’elle.

« A qui veux-tu que j’écrive ? Demanda t-elle avec aigreur. Je n’ai pas le droit de correspondre avec mes amis. Ni même avec ma famille, d’ailleurs. Rends la moi Thomas, s’il te plait. »

L’adulte regarda un moment sa jeune soeur, son regard se braquant dans le sien. Alice n’y lisait rien. Il ne laissait rien transparaître. Il avait toujours été très bon à ça. C’était lui, le petit prodige de la famille Sangblanc.
Il abaissa son bras, et laissa à Alice le loisir de récupérer son parchemin, ce qu’elle fit sans plus attendre.

« — Tu dois être plus prudente, dit-il, alors qu’elle rejoignait son sac. Si Grand-Père venait à tomber dessus, tu passerais un sale quart d’heure.
Peu m’importe. »

Alice fourra le parchemin dans son sac, et tout ce qui lui appartenait. L’encrier qu’elle avait renversé dans son départ n’était plus là. Et avec lui s’était volatilisée toute l’encre. Alice peinait à croire que la terre ai pu tout absorbé.
L’adolescente jeta quelques regard autour d’elle. Un vilain pressentiment lui mordillait le coeur.

« — Est-ce toi qui a nettoyé l’encre ? Demanda Alice à l’attention de son frère qui la rejoignait.
Tu penses bien que je n’ai pas prit le temps de faire du nettoyage. »

Le pressentiment se transformait en certitude. Un raclement de gorge retentit dans la clairière. Les deux frères et sœurs se retournèrent lentement, alors que venait de sortir des bois Grand-Père Henri et ses sourcils froncés.

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29 mars 2022, 17:16
Diaphane  solo   France 
La harpe diatonique, un superbe mariage entre ivoire, or et pierres précieuses d’Autriche, jouait une douce mélopée. Assise depuis son lit, Alice regardait les cordes s’agiter toute seule. La sorcière attendait.

Parfois, son regard se détachait de la harpe pour se poser sur la porte, d’où finirait par surgir un membre de sa famille. Au mieux Père ou Thomas, et au pire Grand-Père.
Il avait entendu l’échange qu’Alice avait eu avec Thomas au sujet de ce parchemin sur laquelle elle avait couché la vérité sur sa condition. Évidemment, il avait ordonné à Alice de lui donner à lire. Le refus de l’adolescente avait été la goute d’eau pour le patriarche de la famille. Alice n’avait rien gagné à s’opposer à lui, si ce n’est une interdiction de sortir de sa chambre jusqu’à nouvelle ordre.

La porte finit par s’ouvrir, mais il ne s’agissait là ni de Père, ni de Grand-Père.
Félicie, l’une des deux elfes de maison du domaine, s’avançait dans la chambre, un plateau chargé du repas du soir flottant devant elle. Alice ignorait si elle n’aurait pas préféré voir entrer son Grand-Père.

« Petite sotte » grinça t-elle. « — Monsieur est furieux. Mademoiselle aurait pu éviter cela en utilisant l’intelligence qu’elle vante à longueur de journée.
Mademoiselle n’a que faire de tes commentaires. Pose le plateau, et fiche le camp. »

L’elfe de maison ne releva pas l’ordre d’Alice. Dans un claquement de doigt, Félicie fit dresser le repas sur sa petite table à laquelle la sorcière aimait s’asseoir pour boire le thé, sur cette même table où elle avait déjà prit son repas du midi aujourd’hui.
Cela fait, Félicie quitta la pièce. Alice jeta à peine un regard au repas, chaque mets sous cloche. Elle n’avait pas faim. Et même si c’était le cas, elle ne mangerait pas. Puissent-ils tous culpabiliser de la voir bouder ses repas.

Au bout de quelques grondements de son ventre, quelqu’un vint frapper à sa chambre. Alice, assise sur le bord de sa fenêtre, occupée à regarder Althéa laver ses plumes sur le sapin en contrebas, ne répondit pas. Finalement, la porte s’ouvrît sans son consentement. La jeune fille se tourna vers la porte, un air courroucé tirant les traits de son visage.

« Mademoiselle est attendue dans le bureau monsieur son grand-père » annonça Félicie d’un air satisfait.

Alice avala difficilement sa salive. Cela ne présageait rien de bon.

Devant le bureau fermé, alors que sa main s’apprêtait à toquer, la jeune fille hésitait. Elle redoutait ce qui l’attendait. Jamais encore Grand-Père ne l’avait reçu dans son bureau. Lorsqu’il fallait la reprendre, il préférait l’intimité de la chambre ou du petit salon. Le bureau, là où se décidait les grandes choses, c’était nouveau, et angoissant. « Je l’ai cherché » se dit-elle du bout des lèvres. Dans cette famille, se rebeller n’était pas une belle chose. Ce n’était pas une marque de force ou de caractère. Non. Ici, un rebelle était un égoïste, un faible, incapable de préserver et protéger la famille.
La gorge serrée, le menton droit et les doigts tremblants, Alice toqua à la porte, avant d’entrer.

C’était une grande pièce, aux murs décorés de livres en tout genre. Au dessus de la cheminée aux braises crépitantes trônait un grand portrait, représentant la mère de Grand-Père Henri, Irène Sangblanc, celle qui fut l’avant dernière cheffe de famille et matriarche. Alice n’avait jamais eu l’occasion de la rencontrer, son arrière grand mère était morte bien avant sa naissance, en 2019 ou peut-être 2020. Elle ne s’en plaignait pas, le regard perçant de la vieille femme avait tendance à la faire frissonner, et cela même si il ne s’agissait que d’un tableau.
Grand-Père était à son bureau, Père assis sur le bord de la fenêtre. Sa présence n’était pas surprenante. Celle de Thomas, en revanche, l’était un peu plus. Il se tenait devant le bureau de Grand-Père, assis dans un des deux fauteuils de velours rouge.
Père et Thomas se tournèrent vers Alice à son entrée. Ils avaient tous les deux les traits sérieux.

« Viens t’asseoir » commanda Grand-Père, en désignant le fauteuil à côté de Thomas. Alice obéit. Elle jeta un regard à son Père, cherchant dans ses yeux quoi que ce soit qui puisse la rassurer… mais elle n’y trouva qu’une pointe de colère. Alice ignorait si elle était pour ses enfants, ou pour Grand-Père.

« Je suis profondément déçu par votre comportement. » commença Grand-Père, passant son regard d’Alice à Thomas. « Vous noyez votre famille dans la honte, par vos actions et vos paroles. Ne croyez-vous pas que j’ai été suffisamment clément avec vous ? » Il planta ses yeux d’argent sur Thomas. « J’ai pardonné la trahison que tu as fait à ton sang en rejoignant le gouvernement qui a jeté ton propre père en prison. J’ai accepté que tu reviennes auprès de nous, alors qu’il m’aurait été plus facile de te laisser à ton sort. Je suis passé outre tes besoin de conquêtes à foison qui auraient pu déshonorer notre famille. Et voilà que tu oses me faire des cachotteries ? » Thomas détourna le regard. Grand-Père le fixa encore un long moment pendant lequel le silence fut pesant. A tout moment, Alice craignait de voir les yeux de son grand-père revenir à elle pour la poignarder de reproche. Aussi, se tint-elle prête à tout affronter.

Enfin, se fut son tour. « Jour après jour, tu te comportes comme la pire des engeances. Tu es arrogante, et insolente. Tu me désobéis, alors que je te dis formellement qu’il t’est interdit d’écrire à tes amis de Poudlard.
Je n’écrivais pas pour…
Silence ! »

Alice sursauta sur sa chaise. Elle sentit sa gorge se serrer pour comprimer un sanglot qui menaçait d’éclater. Ses yeux se baissèrent sur le bureau de bois laqué.

« Ne t’avise pas de me couper la parole une fois de plus. Voilà exactement ce que je citais juste avant : tu es insolente. Je ne peux tolérer un tel comportement dans mon domaine. Peut-être te comportais-tu ainsi chez tes parents, mais ici, c’est autrement. Pourquoi me faut-il te dire ces évidences alors que cela fait plus d’une année que tu es ici ? »

Alice releva ses yeux sur Grand-Père. Son regard était braqué sur elle. L’adolescente prit son courage à deux mains, et décida de ne pas baisser les yeux, cette fois.
Grand-Père Henri se saisit du parchemin que lui avait volé Corvenin. Il l’observa un instant, comme pour reprendre connaissance de ce qu’Alice avait écrit.

« De tels mots, entre les mains d’un ennemi de la famille, pourrait causer bien des dommages. En as-tu seulement conscience, petite ingrate ? Tu es ma petite-fille. De tels propos ne doivent jamais être évoqué, que ce soit en mots ou en songes. Quoi que tu ressentes, et quelque soit ton avis sur ta pauvre condition d’enfant doré, tu te dois de garder cela pour toi. »

Alice serra les dents. Quelque chose semblait échapper à Grand-Père Henri : elle n’était pas Occlumens.
Grand-Père se tourna vers Père. Alice et Thomas l’imitèrent. Les doigts accrochés au rebord de la fenêtre, Dorian restait silencieux. Il fut le premier à désobéir à Grand-Père et à déshonorer la famille, en fuyant en Grande-Bretagne pour ne pas avoir à affronter la mort de sa Mère. Lui aussi avait été un rebelle.
Le chef de famille et le patriarche se regardèrent un long moment, en silence. Alice ignorait pourquoi, mais elle sentait qu’une discussion silencieuse se déroulait sous leurs yeux.
Finalement, Grand-Père reporta son attention sur le frère et la soeur. Il froissa le parchemin entre ses doigts, et le jeta au feu dans son dos.

« J’ai été suffisamment patient avec vous. J’espère que ces punitions saurons vous remettre dans le droit chemin. » Alice haussa les sourcils. Alors, il y allait bien avoir une sentence. Idiote. Évidemment qu’ils allaient être punis. Grand-Père n’aurait pas été si solennel si ce n’était que pour les réprimander.

« Dés lundi, et jusqu’au dernier jour des vacances d’Alice, vous serez tous les deux confiés aux bons soins de nos cousins danois. » Alice sentit ses yeux s’arrondirent. Elle jeta un regard à Thomas, qui avaient froncé les sourcils d’incompréhension. « — A quoi rime donc cette punition ? demanda t-il tant à Grand-Père qu’à Père.
Vous comprendrez une fois sur place, répondit ce dernier. »

La décision ne semblait pas l’émouvoir. Alice senti son cœur se serrer. Père avait consenti à une telle décision ? Lui qui souffrait de l’absence de son enfant depuis toujours, acceptait qu’elle lui soit arraché ? Alice rêvait. Il n’y avait pas d’autre explication.

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28 juil. 2022, 08:10
Diaphane  solo   France 
« A ton avis, pourquoi ont-ils choisi de nous envoyer au Danemark ? »

Thomas referma les rideaux du carrosse. Il s’enfonça dans le divan en soupirant. «  Je n’en sais rien » répondit-il. «  C’est bien ce qui me contrarie. J’ignore sur quel pied nous allons danser. »
Alice avait rarement vu son aîné dans un tel état d’agacement. Ses doigts frappaient un rythme rapide sur le rebord de la fenêtre du carrosse. Son genou tremblait sans arrêt. Il ramenait ses boucles blanches en arrière pour dégager son visage. Thomas remuait comme un enfant agité, et cela agaçait Alice. Elle lui fit remarquer plusieurs fois, en claquant sa langue contre son palais, ou bien en soupirant. Et à chaque fois, Thomas prenait soin de l’ignorer, trop occupé à se préoccuper de lui même.

Le frère et la soeur furent embarqués dans le carrosse dés l’aurore. Alice n’avait pas souhaité embrassé Père, encore sous le choc suite à la décision que lui et Grand-Père avait prise. Une heure plus tard, elle avait des remords. Son regard attristé lui revenait en tête lorsqu’elle ni pensait plus. Mais Père avait cherché cette cruauté. A présent, il suffisait de s’en convaincre.

«  J’aurais pensé te voir te battre plus que cela » lâcha Alice, désireuse de faire passer le temps en moquant Thomas. Elle en avait assez de son intarissable agitation.

L’ancien Manteau Noir lui lança un regard aiguisé. Il la connaissait suffisamment pour savoir à quel petit jeu sa cadette comptait jouer.

« — Et tu devrais m’en remercier, plutôt que de t’en amuser.
Je ne flatterai ni ta lâcheté, ni ta passivité face aux vilains mots et cruelles décisions. »

Thomas tourna le buste vers Alice. Il n’aimait pas le terme lâcheté, surtout lorsqu’il était utilisé pour le qualifier. Il s’appuya sur ses genoux et se pencha vers sa soeur pour appuyer ses propos. Son amour-propre blessé, Thomas allait enfin devenir distrayant.

« — Alors selon toi, j’aurais dû faire preuve de pugnacité ? Pour que Grand-Père décide finalement de nous envoyer quelque part comme en Russie ? Pauvre petite chose. Tu n’aurais supporté ni le climat, ni la rudesse de nos cousins de là bas.
Je peux tout supporter. Preuve en est, je suis dans ce carrosse avec toi, à t’écouter te justifier. »

Thomas souffla un rire. Il laissa son dos s’enfoncer dans son siège, son regard acéré ne quittant pas sa petite soeur.

« — Tu t’ennuies. N’est-ce pas, petite vipère ? Peut-être aurais-tu préféré une autre compagnie que la mienne ?
A n’en point douter.
Tu m’en vois navré. Souhaites-tu que nous passions le temps en faisant un petit jeu ?
J’ai passé l’âge de faire des petits jeux.
Oh non, tu es seulement trop mauvaise dans tout ce qui demande un minimum de jugeote. »

La réflexion narquoise de Thomas fit sourire Alice. Utiliser la provocation pour arriver à ses fins. Voilà une technique qui ressemblait bien à son frère. C’était grossier, et si prévisible.
Néanmoins, la voilà prise au piège. Ce constat lui fit rouler les yeux d’agacement.

« — A quel jeu penses-tu donc ? demanda Alice, se réinstallant confortablement dans son divan. Cela t’échappe peut-être, mais nous n’avons rien sous la main. 
Allons, Alice. Un peu d’imagination. À ton âge, tu devrais en regorger. As-tu déjà joué à Action ou Vérité ? »

Oh oui, Alice y avait déjà joué. Quelques fois. Et toujours avec sa tendre et volcanique Irisia.
Alice soupira. Elle agita un peu sa main vers Thomas dans un geste agacé. Elle refusait de se prêter à ce jeu avec son frère. Ce serait dangereux. Non pas pour sa vie, bien sûr, mais pour tous ses secrets. Au sein d’une famille comme la sienne, la notion d’intimité était quelque chose de très flou, Alice en avait bien conscience, aussi lui fallait elle protéger ce qu’elle pouvait encore garder pour elle.
Thomas étira un sourire mutin, visiblement amusé par le refus de sa sœur. «  Pleutre » lâcha t-il avec une condescendance surjouée. Cette fois, Alice décida de l’ignorer.

Au bout de quelques heures parfois animée par de banales discussions, le carrosse sembla s’arrêter. Aussitôt, Alice se jeta à la fenêtre qu’elle débarrassa de ses rideaux de soie rouge pour voir de l’autre côté.
Des falaises escarpées à la pierre pâle s’étendaient sous ses yeux, ses flancs léchés par une mer agitée. L’herbe qui les couronnaient était pâle, presque grise. La faute à ce ciel gris sans Soleil. Ce paysage lui rappelait les côtes irlandaises, les plaines verdoyantes en moins. Alice sentit sa gorge se serrer.

«  Ne faisons pas attendre nos hôtes » lança Thomas, ses doigts accrochant la frêle épaule de sa sœur. Il avait raison. Quand bien même ils ne voulaient pas se trouver ici, l’un comme l’autre était tenu de se comporter comme l’étiquette l’exigeait.

Thomas fut le premier à fouler l’herbe grise. Il tendit une main à Alice, qui y posa la sienne pour descendre les quelques marches du carrosse. Sous ses pieds, l’herbe était spongieuse.
De chœur, Alice et son frère relevèrent les yeux sur le sorcier qui les accueillait en ce jour, un homme fier aux traits sans élégance et au crâne dépourvu du moindre cheveux. Pas un Sangblanc, c’était évident.
L’homme articula quelques mots, de toutes évidences, en danois. Ni Alice ni Thomas ne parvinrent à en comprendre le sens. Néanmoins, lorsque ce dernier se tourna vers la vieille bâtisse dans son dos pour le présenter de son bras tendu, les deux Sangblanc comprirent qu’ils étaient bien arrivés et qu’il leur fallait à présent rencontrer l’hôte de la demeure.

Chaque pas spongieux qui les rapprochait du manoir de pierre sombre provoquait dans le ventre d’Alice des torsades. Pourquoi le Danemark ? Quelle punition allait-on leur infliger pour avoir rendu Grand-Père honteux ? Par Circée, mais pourquoi le Danemark ?
Alice et Thomas franchirent le portail de fer forgé. A présent, ils foulaient un chemin de galets blancs. Ils approchaient. Bientôt, ils se retrouveraient face à la grande porte qui scellait le manoir.
Thomas donna un petit coup d’épaule à Alice. Il lui adressa un léger sourire, cherchant à rassurer sa cadette. C’était peine perdue.

Les deux Sangblanc s’arrêtèrent à quelques pas de la porte. Alice sentait son coeur tambouriner dans sa poitrine.
La porte s’ouvrît dans un grincement sinistre. La langue contre son palais, le menton haut et le dos droit, Alice adopta sa stature la plus noble possible.
Appuyé sur sa canne de bois d’ébène, il les observait, sans mot dire tout d’abord. Son regard pâle passait de l’un à l’autre. C’était un homme de l’âge de Père, peut-être moins. Avec ses cheveux blancs plaqués en arrière, il lui rappelait un peu oncle Magnus.
Le regard d’Alice se planta sur le visage de l’homme, qu’elle détailla d’une façon qu’elle ne se serait pas permise si l’agacement ne la sillonnait pas. Une grande cicatrice brunâtre courait sur le côté droit de son visage. Elle commençait au départ de son œil, et se terminait à la commissure de ses lèvres, là où une partie de peau et chaire avait disparu et formait à présent une vilaine boursoufflure.
Comme c’était curieux. A mesure qu’elle observait l’homme, Alice ressentait une étrange impression. Quelque chose chez ce cousin lui était familier. Elle n’aurait su dire de quoi il s’agissait.

Les lèvres mutilées de Søren Sangblanc s’étirèrent avec lenteur, en un fin sourire.

« Bienvenou, mes chel cousins. Bienvenou soul les telll danoises. »

• FIN •

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