Leo sentit le regard de Jacob posé sur elle, alors que la voix au timbre grave familier s'éleva de l'autre côté de la table. La Gryffondor leva les yeux de son assiette, rencontra les prunelles du garçon un bref instant mais ne tarda pas à tourner sa tête sur la gauche à la mention d'Anna. La rousse s'en voulait un peu de ne pas avoir songé elle à poser la question, le petit "ça va" à glisser en toute circonstance , que ça aille ou non, sachant pertinemment qu'il s'agissait de la phrase nulle par excellence. Mais elle aurait permis à la troisième année de montrer à sa coéquipière qu'elle était là, comme l'avait bien dit son ami. Ou en tout cas, elle était là pour Anna.

Avant que Leo n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit, sa voisine se leva. Le regard de la rousse accompagnait son départ. Il n'était pas toujours aisé de deviner quelles pensées, quels sentiments voyageait dans l'esprit de la jeune fille, souvent taiseuse et réservée. Leo se promit d'aller la retrouver dans leur dortoir quand elle aurait terminé le repas...

La mention de son accent ramena son esprit à la table de Gryffondor. L'idée lui arracha un sourire.

"Ah ouais, c'est envoûtant le scouse? "

Le passé industriel et ouvrier de Liverpool était aujourd'hui encore ferment ancré dans les coeurs des citoyens, dans leur accent également.

"Carry pue le fric, le coffre à Gringotts des Harrison doit être plus grand que ma maison."

Leo croisa les bras, perdue dans ses pensées. Une sang-pur qui semblait nager dans les galions était surement la dernière à trouver le scouse envoûtant.

Chez nous, tout le monde travaille. Et ceux qui ne le font pas donnerait tout pour pouvoir le faire. Les riches ça travaille pas et ça méprise ceux qui le font. Faute d'avoir pu suivre le fil mental qu'elle avait tissée pour les relier, il n'était pas certain que ceux ayant entendu ses paroles aient compris le lien entre un philtre d'amour et l'argent. C'était pourtant simple, dans l'esprit de Leo. Mais peu désireuse de ratisser les flammes d'une divergence d'opinion fervente et animée qui semblait s'être un peu apaisée, à l'instant, la rousse jeta rapidement l'éponge.

Un regard amusé gratifia son camarade d'en face quand celui-ci entama une chanson. Leo ne connaissait pas la mélodie, mais trouvait les paroles fort appropriées à la situation. En écho, elle reprit les derniers mots."...comme une ta-ble rouge et fière…" L'élocution était accompagnée par ses poings qu'elle frappait sur la table en rythme - tout collait déjà, ça ne changeait plus rien de toute manière. D'autant plus que quelques instant après, Jacob lui asséna le sort délivreur. Leo sentit le miel se retirer de sa peau, tandis qu'un flot de souvenirs positifs se bousculèrent dans son cerveau à la mention de la journée orageuse, jour où elle avait pour la première fois rencontré celui qu'elle comptait aujourd'hui parmi ses amis. Entre deux sourires:
"Hum, pourquoi c'est toujours moi qui passe pour la crado?"
Plus de miel pour ce petit déjeuner en tout cas!

La frimousse du brun apparut subitement aux côtés de Jacob, qui l'accueillit avec enthousiasme. Il était vraiment cool, son prénom. Après quelques discussions, il s'installa. Chers amis, prenez ce moment en photo: tous les Gryffondor son installées ni sur, ni sous, ni à côté - mais à la table. Ah, ça aurait été trop beau pour être vrai, voilà que sous une oeillade sceptique de Leo, la rousse en bout de table tomba à côté du banc.

Le nouveau venu se montra vraiment pipelet. Le dortoir des garçon un génialissime terrain miné? Elle n'en doutait pas.

" T'en fais pas, je compte pas venir!" Leo préféra taire le fait qu'elle était elle-même reine du désordre dans son dortoir et qu'éviter chaussettes, pulls et pantalons qui entouraient son lit sans jamais se baisser pour ramasser e serait-ce qu'une seule pièce faisait partie de son quotidien.

A présent, ses mains faisaient tourner son verre de jus de citrouille presque vide, tandis qu'elle écoutait le dénommé Infini parler. Après une blague sur la gravité que l'anglaise comprenait de justesse, puis une seconde sur l'hélium pour laquelle il semblait lui manquer des bouts de connaissance (c'est pas ma faute aussi, l'hélium de fait pas partie des ingrédients de potions) , le garçon se lança dans une grande explication de la situation à Londres. Elle n'avait pas vraiment d'explication à proposer. Un peu amère elle marmonna:
"Je pense qu'ils ont toujours besoin de quelqu'un sur qui cracher pour se convaincre de leur supériorité."

A la question d'Olive de savoir si tout redeviendrait comme avant, je fis non de la tête. Rien ne devenait jamais pareil. Les sentiments anti-moldus ne disparaîtraient pas en un claquement de doigts d'elfes. Pas plus qu'on ne rebâtirait le Chaudron Baveur en une nuit.

"Non, il n'y avait pas tant de comportements anti-moldus à Poudlard pendant mes premières années" soufflai-je. "Même si pour Carry, son attitude ne date pas de la dernière pluie d'Ecosse."

J'haussai un sourcil tout en faisant un signe de main vers Anna, visiblement parée pour partir. Elle n'avait pas l'air dans son assiette : c'était décidé, j'essaierai de la recroiser dans la journée. Je reposai mes yeux sur mon voisin Infini, posant une main sur son épaule pour approuver : "Je suis bien d'accord avec toi, Infini !"

Je finis par répondre sur un ton fermement articulé, et un peu plus fort : "Mais ni la table de Gryffondor ni la salle commune de Gryffondor ne seront des lieux anti-moldus ou anti-sang pur tant que j'y serai. J'y veille !" Qu'il vienne, celui qui n'était pas d'accord, je n'étais plus à un conflit près pour aujourd'hui.

Aussi en fus-je presque à me féliciter, dans ma fatigue après tous ces cris, de ne plus rien avoir dans la bouche quand Elena prit la parole -nul besoin ainsi d'avoir à éviter l'étouffement- : ne pas agir ? laisser crier autour de soi en restant de marbre comme une table immobile ? être spectateur des injustices et positivement passif ? Je la laissais achever son propos avant de lui répondre : "A ce compte-là Elena tu ne fais ja-mais ri-en. Nom d'un Gryffondor courageux, réveille-toi." Le ton n'était pas incisif, mais trahissait mon désaccord. Tomber de la table, bon, mais laisser tout tomber pour être une de ces personnes froides et indifférentes - non.

Lorsque Leo m'eut répondu pour le scouse, je souriai et cherchai à trouver ses yeux, attentivement : "Tout dépend qui le prononce...". Décidément, elle ne semblait pas percevoir qui était la jeune scouse visée par le compliment plus que les poissons rouges de la plaisanterie de notre première rencontre, ou alors elle était une aussi redoutable imitatrice de naïveté que de boursouflet : "T'es pas crado t'es super cool, tu le sais en plus Leo !".

La phrase de conclusion de Leo me sembla clore d'une manière élégante tout ce désordre : "Voilà !" m'écriai-je à la suite de sa dernière phrase, empoignant ma besace. J'allais chercher mon jus d'oeillet dans le dortoir pour sortir dehors me défouler, c'était décidé. Et rendez-vous était pris avec Damian ce soir, plus que jamais.

Avant de partir, je fis un signe de main collectif et une accolade à Infini qui devait être très bien avancé dans son petit-déjeuner désormais : "Je vais courir au terrain d'entraînement. Tu sais où me trouver." puis partis en direction de l'intérieur de la table à la recherche de Max, pour savoir si l'autre sportif du dortoir serait intéressé pour une expédition du dimanche. Puis revins par l'autre côté un peu moins d'une dizaine de minutes plus tard, le temps de saluer à nouveau ceux qui ne l'auraient pas encore quitté.

En voyant les cheveux d'Elena briller à la lumière émise par le plafond magique, Infini avait une folle envie de les toucher. Mais il se retenait, il savait que c'était purement compulsif, pour s'occuper les mains et il se souvenait du regard étrange qu'elle avait jeté sur lui quelques minutes plus tôt quand il avait remis en place une de ses mèches. Cela faisait moche que ses cheveux ne soient pas placé géométriquement, se disait-il pour se dédouaner. D'ailleurs il ne savait même plus pourquoi il pensait ça, il s'est une nouvelle fois perdu dans ses pensées.

Hochant la tête de gauche à droite doucement pour effacer les derniers égarements, il se glissa subtilement entre Elena et Jacob qui s'apprêtait à partir. Puis il attrapa un yaourt et commença à le manger autour du léger chaos de nourriture éparpillée, qui avait volé et s'était dispersée au cours des affrontements. C'était qu'avec tout ce raffut, son yaourt à lui gisait de l'autre côté de la table, vers Max. Et bien qu'il avait plus l'estomac noué que faim, Finn sentait que s'il ne mangeait pas, il ne pourrait pas se lever et retourner dans son dortoir. Et le calme qui était revenu sur la table des Gryffondor lui permettrait de faire un point sur ce qu'il s'était ce matin. Il trempa un bout de pain dans son yaourt en jouant avec ses cheveux qu'il entourait autour de son index.

Seulement quelques cuillères après, il comprit qu'il n'était pas vraiment plus avancé maintenant qu'hier, et cependant beaucoup moins détendu. Si ce n'était qu'une question d'honneur, de soi-disant pureté de sang, sérieusement ça n'avait aucun sens. Et pourquoi il suffisait un tout petit nombre de personnes pour que tout éclate ? Ici, il y avait bien Harrison qui était vraiment affreuse avec les né-moldus, et puis des autres pas très sympas dont il se souciait autant que de son devoir d'Histoire de la Magie, mais né-moldus et sang-mêlés, ils étaient là, aussi ! Pourquoi ils ne se défendent pas ? Pourquoi même ils ne les attaquent pas ? Par "les", il entendait les sang-purs. Il croyait qu'ils étaient tous mauvais, rien qu'avoir une famille qui s'est inscrite sur un registre pour faire valoir une supériorité, c'était mauvais. Après on ne choisit pas sa famille...

Ses questions et d'autres encore avaient envahi sa tête jusqu'à ce qu'il ait fini son yaourt, fin qui sonna la possibilité de partir. Il prit une orange qu'il fourra dans la poche de son pull et se leva. Il salua rapidement les élèves restants autour de la table et un sourire plus tard, il marche vite hors de la Grande Salle. Il avala les escaliers deux à deux, traversa sa Salle Commune en deux secondes et sauta dans son lit la tête la première. Il se sentait faible, là où personne ne pouvait le voir, et il ne voulait pas paraître pour une chochotte - fierté rouge - mais il avait eu peur. Surtout quand il était sous la table et qu'il se bouchait les oreilles. Il se sentait faible de ne pas avoir réagi avec autant de calme que Jacob et de ne pas avoir agi du tout, en fait. Il tremblait sur sa couette et il se sentait tout mou. Il avait envie d'aller courir avec Jacob parce que c'était sûr que ça libérerait sa frustration mais il était trop secoué. Il redoutait d'aller mal et que les autres voient ça et qu'ils se sentent mal à cause de lui, mais ce petit-déjeuner a été un véritable tsunami pour lui. Il a peur de se noyer maintenant.

Le verre tourbillonna encore plusieurs fois entre les doigts agiles de Leo jusqu’à ce qu’elle ne décide que le pauvre fond de jus de citrouille devait avoir le tournis; suite à quoi elle leva le verre - décidément, c’étaient les montagne russes - pour avaler d’une traite le liquide orange avant de reposer d’un geste sec le récipient vide sur la table. Finalement, elle releva le regard pour rencontrer une fois de plus celui de Jacob.

Oh, il était question de son accent qualifié d’envoûtant? Elle super cool? A court de réponse, Leo abaissa légèrement les paupières tout en essayant de contenir le sourire qui voulait se tortiller sur son visage en se mordillant la lèvre. Rien à faire: bientôt le sourire fendit sa face, flanqué par deux fossettes se creusant dans des joues sur lesquelles les taches de rousseurs se découpaient à présent sur un léger fond couleur pâle boursouflet. Merlin; cela devait être l’effet de son regard familier et apprécié accompagné de paroles chaleureuses et aimables après tous ces mots salés et ces œillades foudroyantes qu’avaient été envoyés de part et d’autre de la table rouge ces dernières minutes...

Finalement, le Gryffondor se leva. Leo le salua, toujours souriante, le suivant du regard tandis qu’il s’éloignait. Puis Infini quitta la table, un sourire et une main levée pour lui aussi. La rouge et or resta encore quelque minutes assise. Plus que des miettes sur son assiette, le jus de citrouille vide et le songe à un bol de porridge écarté - elle n’avait plus réellement appétit et son petit déjeuner était donc terminé. A son tour, elle se leva et envoya un rapide « ciao » à ses camarades.

Rapidement, Leo quitta la grande salle, se mettant en route pour l’ascension vers la salle commune. Comme elle se l’était promis un peu plus tôt, elle voulait aller trouver Anna. Elle devait toujours avoir quelques chocogrenouilles dans ses poches. Rien de mieux que de chocolat pour le moral. Ou peut-être qu’elle parviendrait à la convaincre de sortir voler un peu. Ça aussi, c’était bon pour le moral. Et pour se défouler. Et pour se remettre d’un petit-déjeuner tendu. Et pour ordonner un esprit dont l’improbable mélange d’ingrédient qu’il avait pour contenu venait de bouillonner comme un chaudron oublié sur le feu.

La fillette sursauta presque lorsque Jacob répondit à sa remarque avec insistance. Elle était bien consciente de sa lâcheté mais elle préférait être honnête avec elle-même, jamais elle n'aurait le courage de tenir tête à ce genre de personne, elle était trop effrayée. La rouge regrettait quelque peu ses paroles, peut-être qu'elle n'aurait pas dû les crier tout haut, qu'allaient penser les autres ?
Elle baissa la tête, comme honteuse de son attitude. Cette situation la mettait trop mal à l'aise, elle préférait se retrier que de continuer à se tourmenter. Elle n'allait faire qu'aggraver son cas au final, prendre la fuite mais elle ne trouvait pas d'autre option.
Le regard du brun près d'elle devenait un peu insistant et la jeune fille fronça les sourcils et une moue perplexe se dessina sur son visage, quel étrange garçon...

Finalement, Jacob et Infini partirent, Leo suivit quelques minutes après le départ de ces derniers. Il semblerait qu'il n'y avait plus rien à dire mais est-ce que cela ravissait la rousse ? Non, peut-être qu'elle pressentait quelque chose d'étrange. Maintenant, qu'allait-il se passer ? Cela n'était peut-être qu'une simple querelle passagère ou, à l'inverse, certains n'allaient peut-être pas en rester là, qui le savait...

Elle secoua sa tête et ferma ses yeux durant un court instant avant de se lever d'un bond et de partir sa veste sous le bras *Ne te retourne pas* pensait-elle. Aucun regard, aucun mot d'aurevoir. Elle préférait déloger plutôt que de se torturer l'esprit. À croire que cet endroit était devenu maudit, c'était presque comme s'il la poussait dehors. On pouvait entendre ses pieds claqués sur le sol au milieu des cris et du chahut avant qu'elle ne passe la porte d'un pas pressé.