Mon dieu, je suis vraiment intimidé. Je dois vraiment mobiliser toute mon énergie pour retenir ces
maudites jambes ; si je les laissais faire, elles s’enfuiraient à la vitesse de l’éclair. C’est comme si ma volonté
se heurtait à quelque chose de plus grand encore, une sorte de peur inexplicable qui me tétanise. Pourtant,
je n’ai rien à craindre : Erza a toute ma confiance et la Bleue a l’air d’être tout sauf malveillante… Je
prends en cet instant la mesure de ma timidité. En dépit de mon apparente facilité à aller au contact des
autres, les agaçant de mes paroles ailées, je n’arrive pas vraiment à les regarder en face. Lorsque je les
croise à l’accoutumée dans les couloirs, ils ne m’accordent presque aucune attention. Je n’ai pas à affronter
un regard sincère.

J’ai par ailleurs l’impression que je vais gêner ces deux amies dans leur conversation… Erza avait l’air de
souhaiter lui parler. Je ne souhaite pas faire obstacle à cette discussion. Mais au moment où je m’apprête à
prendre congé en invoquant quelque prétexte, c’est Erza qui, sur le départ, m’interroge.

Mon cerveau est pris de court : je ne m’attendais pas à me prendre une question en pleine figure ! Diable,
il faut que je réponde, et vite ! Fort heureusement la réponse est vite trouvée : bien sûr que je le veux. Je
veux que nous partagions de nouveaux moments pleins de lumière, ces instants d’extase. Aujourd’hui j’ai
compris que la présence d’Hannah ne m’était pas toujours suffisante, que la noirceur qui lui rongeait l’âme
m’atteignait aussi, car je n’avais personne avec qui échanger des paroles dignes Hélios. Porté par un
heureux hasard vers cette fille devenue amie en si peu de temps, je me sens comme touché par la grâce.
Dans ma vie assez morose bien que convenable, un rayon de bonheur pose l’épée sacrée sur mes épaules.
Me voilà fait chevalier de l’existence. Je n’irai jamais plus effectuer de grandes chevauchées avec ma
solitude comme seule compagnie.

J’ai du mal à formuler de belles phrases pour dire à quel point je ressens de la gratitude envers cette Verte
qui s’est laissée embarquer dans la vie palpitante des Icare modernes. Cette journée restera gravée à jamais
dans ma mémoire, j’ai envie de la remercier mais je ne sais pas comment m’y prendre.

« Oui ! Avec plaisir ! Merci pour ce joli moment. »

Ce n’est pas particulièrement joli, mais c’est sincère. Je crois que c’est là l’essentiel. Je fais un signe de tête
poli à Ivy pour lui signifier que je m’en vais, et je retourne vers ma Salle Commune.

Un devoir d’Histoire de la Magie m’y attend patiemment, et j’ai hâte de sentir ma plume tracer des lignes
d’encre sur le parchemin, pour me rappeler que j’existe et qu’il y a des choses stables sous ce ciel incertain :
la vérité, la lecture, l’écriture, Erza. Le silence de cet espace infini ne m’effrayera plus, car dans mon
univers j’ai donné des yeux aux astres.