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10 avr. 2017, 17:41
Les éclats du cristal
Il y avait quelque temps qu'elle n'était plus sortie à un autre moment que la nuit. Même pour sa visite à Susan Bowers, elle avait évité la lumière. On ne la voyait plus. Parfois même, on se demandait si elle était vraiment à Poudlard.

Elle avait accepté que Pez, un elfe de Poudlard qui lui était particulièrement dévoué pour des raisons obscures, soit son « elfe personnel ». C'était un rôle dont il était extrêmement fier. Il avait longuement insisté pour devenir l'elfe de la directrice, ce qui représentait pour lui un privilège immense. Pez apportait à Kristen ses repas le midi et le soir et elle en mangeait quelques miettes. Pez était aussi chargé, quand un visiteur voulait parler à Kristen, de le repousser. Il disait que « Madame la directrice Loewy est occupée. Elle ne veut pas être dérangée. » Et quand on insistait un peu, il bombait le torse et ajoutait, comme un argument implacable : « Pez est son elfe personnel ! »

Désormais, le bureau de Kristen s'apparentait plutôt à une grotte, et elle était l'ermite. Elle était pâle et on sentait bien qu'elle n'avait pas suffisamment vu la lumière du jour ces derniers temps. Ses yeux étaient cernés et ses joues plus creusées. Malgré tout, elle faisait des efforts pour s'habiller correctement et se poudrer un peu le nez, allez savoir pourquoi, puisqu'elle ne voyait globalement personne. Son bureau était aussi parfaitement rangé, contrairement à ce que l'on attendrait d'une grotte. Kristen triait tous ces papiers avec beaucoup de soin. Ce travail consciencieux était un véritable plaisir.

Quand elle ne faisait pas semblant d’oublier sa discussion avec Aidan Bowers et les conclusions qu’elle en avait tirées, elle se mettait à échafauder des plans en tous genres pour aborder le sujet avec Aude Luneau. Rien n’était avéré, alors elle préférait être prudente. Elle n’aurait surtout pas voulu la blesser en remettant en cause ses certitudes.

Elle-même avait retourné le problème dans tous les sens : Legallet pouvait-il vraiment être encore vivant ? Elle avait passé des heures plongées dans sa Pensine, à revivre ce moment dans le Dominion où elle avait vu Aude assassiner le ministre français, à revivre sa première petite leçon avec Sybille, à revivre l’arrivée de Ricoter à Poudlard, à revivre l’apparition de la Marque des Ténèbres après l’attentat au ministère. Elle s’était franchement torturée. Elle crut même qu’elle finirait noyée dans ses souvenirs.

Pourtant, elle était bien obligée de compléter ce puzzle avec le témoignage d’Aude. Sans cela, elle tournait en rond. Elle aurait voulu l’éviter, mais c’était impossible. Quelques jours après sa rencontre avec Aidan, donc, elle finit par se décider à interroger Aude, à qui elle n’avait pas parlé depuis assez longtemps pour que l’entrevue soit encore plus gênante. Même si des problèmes plus grands étaient en cause, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’Aude prendrait sans doute mal le fait que Kristen arrive comme une fleur pour lui parler de choses dont personne n’a envie de parler.

Son siège grinça lorsqu’elle le fit glisser contre le sol pour se lever. C’était le moment. Elle inspira longuement et se précipita hors de son bureau. Pez, qui en gardait l’entrée, la suivit de ses grands yeux mais n’osa pas demander ce qui se passait - il n'en aurait de toute façon pas eu le temps. Il se contenta alors de se tenir un peu plus au garde-à-vous et de prendre un air très sérieux. L’œil de surveillance flottant dans les airs s’affola un peu avant de reprendre sa place initiale.

Kristen marcha dans les couloirs à une vitesse certaine, regardant de temps en temps sa montre et évaluant l’endroit où Aude devait alors se trouver. Elle décida finalement de la chercher à sa tour. Arrivée à destination, elle inspira encore une fois assez fort, épousseta son vêtement comme si c’était utile en pareille occasion et secoua la tête dans l’espoir que cela arrangerait ses cheveux. Elle toqua, et… n'obtint pas de réponse. Aude ne devait pas être là. Elle ne pouvait pas non plus se mettre à la chercher dans tout Poudlard. Agacée, elle fit claquer sa langue contre son palais. Elle fouilla ses poches et y trouva un petit bout de parchemin plié en quatre sur lesquels étaient inscrits des mots sans aucun lien entre eux. D’un coup de baguette magique, elle les effaça et fit apparaître d’autres écritures :

Aude, j’ai besoin de vous parler tout de suite. Je suis devant votre tour.

Kristen.


Elle plia le parchemin en deux, le tapota avec sa baguette magique, et il prit la forme d’un oiseau minuscule. Elle ferma les yeux, pensa au visage d’Aude et donna un dernier coup sur l’oiseau de papier.

L’oiseau envolé pour trouver Aude, Kristen soupira une dernière fois et fit les cent pas en l’attendant.

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10 avr. 2017, 22:36
Les éclats du cristal
9

LES PLAIES INVISIBLES


*


L’esprit humain est fascinant. Il peut rayer de sa mémoire toutes sortes d’informations importantes et dans le même temps enregistrer une quantité considérable de détails. Pratiquement tout le monde peut dire où il était, ce qu’il faisait, et même ce qu’il portait, le jour d’un évènement marquant. Je ne fais pas exception à la règle. Je me souviens de tout, absolument tous les détails qui peuplaient mon champ de vision quand la nouvelle de l’attentat du ministère m’est parvenue. L’esprit humain est fascinant. Je me souviens de tout, sauf de l’intensité de la frayeur qui s’est emparée de moi à ce moment-là. Si j’essaye de retrouver cette sensation, ma mémoire me la refuse. Pourquoi cette sélection de souvenirs ? Je n’en sais rien. Peut-être pour mieux oublier…

J’étais assise dans un coin calme de la bibliothèque quand l’étonnant messager de Kristen me livra sa convocation. Le message était clair et limpide, mais aussi directif, comme l’était son auteur. Je passai par plusieurs émotions à la lecture de ce message : le soulagement de la savoir de retour, le bonheur de pouvoir la retrouver, puis la peur de la découvrir changée par l’attentat, et quoi que j’en pense, la colère d’être restée sans nouvelles d’elle depuis un si grand nombre de jours. Je restai troublée, immobile sur ma chaise, le volume premier des Aventures Amazoniennes d’un Magizoologiste, de Philippe de Courcelle, ouvert sur mes genoux. Il n’y avait pourtant aucune autre échappatoire que celle de se présenter à l’endroit convenu et de découvrir ce qu’il y avait à découvrir. Si ma tête acceptait largement cette voie, mon corps, lui, refusait de bouger ; terrifiée, sans doute, à l’idée de laisser transparaître toutes mes émotions le moment venu.

Comme un signe, le parchemin reprit sa forme d’oiseau pour blottir sa tête entre mes doigts repliés. Vaincu, mon corps se faisait une raison de se mettre debout et de se rendre dans la Tour d’Ivoire comme s’amusaient à l’appeler les élèves de l’école. Je rangeai délicatement le volume des récits de voyage de Philippe de Courcelle sur son étagère et quittai la bibliothèque sans faire un bruit.

Le menton haut, il me fallut à peine plus d’une dizaine de minutes pour atteindre le lieu de rendez-vous. Kristen était là, bien évidemment, mais sans parvenir à me l’expliquer une partie de moi avait espéré qu’elle ne le soit pas. Je sentis aussitôt mon coeur s’emballer quand mes yeux se posèrent fébrilement sur son visage plus creusé qu’il ne l’était dans mon dernier souvenir. Je le détournai rapidement, mes sourcils légèrement froncés de ne trouver rien d’intelligent à dire. Mes mains se joignirent au niveau de ma ceinture brodée tandis que mon regard balayait ma robe bleu clair sans même la voir réellement. Où avais-je donc la tête tout ce temps ? Certainement pas sur mes épaules pour ne pas avoir préparé ces retrouvailles. Je finissais de fermer mes yeux en soupirant. Peu importe ce que je dirais dans les circonstances qui étaient désormais les nôtres, tout lui paraîtrait déplacé de toute façon.

« Kristen, je suis désolée. »

Ma voix n’avait pas vibré d’émotion. Une réussite. Elle avait seulement laissé découvrir ma fatigue, une sincère fatigue émotionnelle. Que pouvais-je dire de plus ? Je savais qu’Arseni Stoyanov avait énormément compté dans son existence et que rien ne pourrait remplacer le vide qu’il laissait tragiquement derrière lui. La seule idée de me dire que cela était peut-être bien de ma faute — après tout, comment ne pas soupçonner les petites mains de Ricoter derrière cette tragédie ? — me dévorait les entrailles. Si cela s’avérait exact, je savais bien que je ne me le pardonnerais jamais… et que Kristen non plus ne me le pardonnerait jamais.

« Vous vouliez me parler, me voilà, dis-je en rouvrant mes yeux pour plonger mon regard attristé et fatigué dans le sien ; plus attristé et fatigué qu’elle ne voulait bien le montrer. »
10 avr. 2017, 23:47
Les éclats du cristal
Soucieuse, Kristen faisait des allers-retours d’un point à l’autre de l’espace dans lequel elle se trouvait, les yeux rivés sur le sol. Lorsqu’elle entendit le bruit de pas s’approchant, elle releva la tête, comme tirée de ses pensées. C’était bien elle. En la voyant, son cœur rata un battement, elle emplit ses poumons d’air et déglutit.

Même à cet instant, où l’univers aurait dû faire en sorte que son esprit soit focalisé sur des questions de la plus haute importance, Kristen ne put s’empêcher de constater à quel point Aude Luneau était belle. Sa beauté était même une cruauté, un coup de poignard et une voix qui disait : « Je suis vraiment trop bien pour vous. » Ses cheveux blonds ondulaient à peine, comme des vagues douces et régulières, et tombaient sur ses épaules droites. C’était une mer d’or dans laquelle on ne pouvait qu’avoir envie de plonger, de se noyer, même. Ses lèvres étaient roses et brillantes comme les dragées surprise à la barbapapa. On se demandait même si ce n’était pas une forme de provocation : comment pouvait-elle oser être si belle en de telles circonstances ? Kristen la considérait de la tête aux pieds et avait conscience que ses mots s’apprêtaient à détruire, dans une certaine mesure, une partie de cette beauté.

Alors, anticipant quelques adieux, Kristen voulut sincèrement prendre une initiative inattendue. Elle fit quelques pas vers Aude, réduisant l’espace qui restait entre elles. Elle approcha doucement sa main – gauche, elle y fit attention – du visage d’Aude, la faisant remonter vers sa joue en passant par son cou et sa mâchoire. Kristen sentit qu’Aude était troublée. Ses yeux étaient plantés dans ceux de Kristen et semblaient vibrer bizarrement, sa bouche était restée entrouverte, comme ébahie, et Kristen crut même sentir un frisson la traverser et rejoindre ses doigts comme un coup de jus. Alors que sa main allait se caler contre sa joue, Kristen fut elle-même troublée par la façon dont Aude avait réagi – avait-elle eu peur ? – et sa main redescendit pour rejoindre l’épaule de la française et la tapoter bêtement. Le geste était simplement amical et rassurant, mais c’était un des gestes qu’elle n’avait jamais offert à personne. C’était aussi un des regrets qui lui prenait aux tripes quand elle repensait au corps mort d’Arseni. Elle n’avait jamais réellement eu de contacts de ce genre, pour sentir qu’il était là – et maintenant, il n’était plus là. En fait, il aurait très bien pu avoir été un fantôme durant tout ce temps, peut-être bien que Kristen ne s’en serait pas aperçue. En l’occurrence, Aude était bien réelle, elle était bien là.

Son bras redescendit mollement le long de son corps et ses doigts, au passage, frôlèrent le bras d’Aude. Une banalité sortit alors de sa bouche :

« Je suis contente de vous revoir. »

Ses yeux étaient désolés, et désolés pour tout. Pour ce qui s’était déjà passé, et pour ce qui allait suivre. Oui, elle était contente de la revoir, mais elle aurait préféré que ce soit pour des raisons différentes.

« Malheureusement… »

Elle hésita. Le fallait-il vraiment ? Ne pouvait-on pas tout ignorer, faire comme si ce n’était pas si grave ? Probablement pas… à terme, cela aurait été pire. Kristen devait savoir.

« J’ai des questions désagréables à vous poser. Pourrions-nous discuter en privé ? demanda-t-elle en jetant un coup d’œil au couloir. »

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12 avr. 2017, 22:34
Les éclats du cristal
10

LA CHRYSALIDE


*


Le temps avait fini par se suspendre au moindre geste de Kristen. Impuissante, incapable de la moindre réponse physique, j’étais restée simple spectatrice de son audace. La bouche ouverte, les yeux écarquillés, j’étais prisonnière de moi-même, merveilleusement piégée par cette femme dont l’aura m’avait englouti tout entière pour me recracher quelques instants plus tard, désorientée et fébrile. Pour la première fois de toute mon existence, j’avais la sensation d’avoir été victime d’un charme d’une puissance dévastatrice. A ceci près qu’aucune baguette, aucun élixir, n’en était à l’origine. Elle seule l’était.

Pourquoi le simple contact de ses doigts sur mon visage avait-il à ce point captivé mon âme ? Pourquoi sa tape amicale m’avait fait sursauter comme si je vivais un rêve éveillé ? Enfin, pourquoi ? Pourquoi j’étais restée là, immobile, l’air idiote alors qu’elle me manifestait quelque chose qui avait valeur d’exception ? J’étais étourdie, sonnée par le spectacle de ma propre impuissance. Etourdie de la découvrir à ce point captivante qu’elle m’en retournait la cervelle d’un simple geste. Et par tous les cieux, pourquoi mon coeur battait si vite dans ma poitrine ? D’où provenait cet affolement sourd, incontrôlé, qui menaçait de me briser en mille morceaux ? Pourquoi n’avais-je plus aucun contrôle sur moi-même et sur le reste ? Pourquoi… toujours pourquoi, mais jamais aucune réponse. Je restais sourde à une partie de moi-même et j’en éprouvais une grande inquiétude.

Je m’empressai de toucher mes joues en feu pour me rendre compte de leur chaleur. Je m’en voulais d’être à ce point ridicule. C’était indigne d’une femme telle que moi. Ce n’était pourtant pas la première fois que nous étions en contact, elle et moi. Alors pourquoi, par Merlin ? Pourquoi ?! Je jetai un regard inquisiteur sur mes mains tremblantes puis les ramenais expressément le long de mon corps. Puis je me laissai bercer par les notes réconfortantes de sa voix, préambule à la remise en marche de mon cerveau. Elle se disait contente de me revoir mais j’avais envie de lui répondre que j’étais affolée de la retrouver. Mes mots n’allaient pas plus loin que ma pensée et j’acquiesçai presque machinalement à sa requête sans même la comprendre réellement. Elle voulait rentrer dans mes appartements, voilà tout ce qui parvint à mon cerveau. Consciente d’avoir perdu le contrôle de mes émotions aussi bien que dans mon corps, je pris le temps de concentrer tous mes efforts à l’ouverture de la porte de mes appartements. La grâce n’était pas présente, mais la porte s’ouvrit lentement à la force de ma main.

L’intérieur avait quelque peu changé depuis que Kristen m’y avait emmené. A vrai dire, il n’avait même plus rien à voir avec ce qu’elle avait vu. A force de travail, j’étais parvenu à reconstituer dans les moindres détails les appartements que j’avais laissé derrière moi en fuyant ma si chère académie. Dominés par des couleurs froides, ces appartements étaient composés d’un petit bureau en bois de cerisier, ciselé d’or, semblable à un secrétaire, de rayonnages entiers de livres, de deux fauteuils confortables orientés vers la grande fenêtre, et d’une porte dérobée qui ouvrait sur ma chambre. Le sol était entièrement recouvert de tapis de différentes tailles et aux motifs géométriques pour le moins modernes.

« Voilà. »

Voilà… c’est tout ce que mon cerveau avait trouvé d’intelligent à dire. Un mot sans intérêt. Je me passai une main sur le coude, honteuse, puis me tournai vers Kristen, décidée à rectifier un minimum l’image pitoyable que je lui renvoyais depuis quelques instants.

« Vous m’avez manqué, dis-je en soutenant difficilement son regard. Mais… pardon, vous vouliez me dire quelque chose ? »

Ma voix trahissait encore ma paralysie. Finalement, j’en vins à me maudire de n’avoir montré aucune espèce de réaction quantifiable à ce que Kristen m’avait donné de son plein gré. Le temps d’un éclair, il me vint l’idée de la prendre dans mes bras pour lui faire entendre que moi aussi j’étais là pour elle, mais la couardise et la honte m’empêchèrent de dépasser le stade du fantasme. Je n’avais plus que mes oreilles pour écouter ce qu’elle avait à me dire, et mes souvenirs à saigner pour refaire le scénario de ce qui venait de se passer.
12 avr. 2017, 23:33
Les éclats du cristal
Kristen suivit Aude dans ses appartements. Son regard fit le tour de la pièce, observant chaque petit détail comme pour graver l'endroit qui avait assez changé depuis la dernière fois dans sa mémoire. Aude présenta son chez-elle provisoire d’un « voilà » d’agent immobilier qui aurait pu faire doucement sourire Kristen en d’autres circonstances. En l'occurrence, même l’aveu d’Aude ne réussit pas à l'émouvoir positivement. Au contraire, celle-ci ressentit un sentiment de culpabilité encore plus grand et ne trouva pas la force de répondre par un quelconque sourire. Maintenant, il n’était plus temps de dire « coupez ! On arrête tout. » Elle était là, et il fallait aller jusqu’au bout.

Un soupir ne lui donna pas plus de courage. Elle fermait les yeux et fronçait les sourcils comme si elle luttait contre un violent mal de tête.

« Pardonnez mon impolitesse, vous êtes chez vous… mais je pense qu’il serait préférable que vous vous asseyiez. »

Elle releva les yeux vers Aude, soupira à nouveau et dit avec l’air désagréable de ceux qui n’ont pas de temps à perdre :

« Je veux dire, asseyez-vous. »

Loin d’elle l’idée de paraître autoritaire, mais elle sentait un poids terrible peser sur ses épaules, et ce poids l’empêchait, en quelque sorte, de prendre trop de gants en enchaînant les formules de politesse. Lui servir un thé, lui allumer un feu et lui donner un plaid tout doux n'auraient pas non plus diminué la difficulté de la situation, de toute façon. Elle regarda Aude le temps qu’elle s’asseye, comme si elle vérifiait qu’elle s’exécutait bien, et lorsque ce fut fait, elle se retourna, n’osant plus affronter son regard. Il était difficile de la voir si belle quand on s’apprêtait à prendre le risque de la massacrer.

« Je veux que vous sachiez que quoi qu’il arrive, je serai toujours de votre côté, dit-elle en faisant mine d’observer un livre, mais en insistant tout de même sur le mot "toujours". »

Elle tourna ses yeux vers les tapis qui couvraient le sol, puis vers le bureau, évitant toujours le regard d’Aude. Elle ne voulait pas voir sa réaction à ce moment-. Aude lui en voudrait peut-être. C’était un peu une trahison. Après quelques secondes d'hésitation, elle se lança :

« Les questions que je dois vous poser concernent Pierre Legallet. »

Elle avait parlé comme on arrache un pansement, c’est-à-dire vite et sans interruption. Un peu plus et elle aurait fermé les yeux et se serait bouché les oreilles pour ne pas donner plus de réalité aux mots qu’elle venait de prononcer.

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15 avr. 2017, 19:06
Les éclats du cristal
11

CELUI-QU’ON-NE-DEVAIT-PAS-PRONONCER


*


Pierre Legallet… comment ce nom était-il parvenu à sortir de nulle part, comme ça, sans prévenir ? Je l’ignorais, tout comme j’ignorais, alors, la raison pour laquelle il avait choisi d’empoisonner la voix de Kristen parmi toutes celles qui pouvaient le faire ressurgir du néant dans lequel je pensais l’avoir enterré. Une raideur avait emplâtré mon dos à l’énoncé de son horrible nom, mes mâchoires s’étaient contractées et même mes yeux s’étaient plissés. Assise je l’étais, mais je craignais désormais d’entendre la moindre question qui s’associerait à son ignoble nom et songeais à fuir les lieux pendant qu’il en était encore temps. Mais un regard vers Kristen à ce moment-là m’obligea à conserver mon calme et ma dignité.

Elle ne me regardait plus. Pire, j’avais la sensation qu’elle souhaitait ne pas rencontrer mon regard maintenant. J’en éprouvai peut-être plus de trouble qu’à l’énoncé du nom de mon ancien amant car ce n’était pas dans l’habitude de Kristen de fuir le contact visuel — en la matière, je la surpassais — voir de fuir tout court. Je déglutis difficilement, la bouche tout d’un coup pâteuse. Mon regard n’arrivait pas à se détacher de sa silhouette si solitaire, semblable à une ile luxuriante perdue au beau milieu d’un océan déchainé. Quelles pensées lui traversaient l’esprit ? Pourquoi me dire qu’elle serait toujours de mon côté ? Mon cerveau était en panne sèche.

Il me fallait pourtant trouver le courage de l’interroger, la force de réactiver ma curiosité au moment où les choses semblaient déjà bien mal engagées. Ce courage et cette force je les trouvai en continuant de l’observer, finissant de ressentir une forme d’accablement à la voir se tenir si loin de moi, dans un endroit de son esprit où elle ne pouvait sans doute pas me blesser davantage.

« Pierre Legallet est mort, affirmai-je en baissant mes yeux vers le sol. Mort et enterré. Encore que je ne lui ai pas laissé l’honneur d’une sépulture. Que voulez-vous savoir sur lui qui vous oblige à me tourner le dos ? Est-ce la criminelle que je suis que vous ne voulez pas regarder dans les yeux ? »

Mes mots étaient sortis de ma bouche comme les étincelles d’un feu crépitant : avec une vivacité rare mais sans direction prédéterminée. Un peu comme le chemin que prenait mes pensées maintenant que mon appréhension était à son maximum.
15 avr. 2017, 19:57
Les éclats du cristal
La réaction d’Aude ne se fit pas attendre. Kristen se doutait que le sujet serait difficile à aborder, qu’Aude ne voudrait pas en parler… Mais pour être honnête, elle n’aurait pas pensé qu’elle se braquerait à ce point, évaluant si mal les intentions de Kristen, alors même que celle-ci venait de la mettre en garde sur sa position. Kristen soupira donc et regarda Aude dans les yeux, comme pour lui prouver qu’elle se trompait sur toute la ligne, et qu’au final, elle pouvait très bien la regarder, toute « criminelle » qu'elle pensait être.

« Je disais donc que quoi qu’il arrive, je serai toujours de votre côté…, rappela-t-elle. Je voulais aussi dire par là que quoi qu’il soit arrivé, je suis de votre côté. J’espère que c’est plus clair formulé ainsi. »

Elle haussa le menton et ne soucia pas du fait d’avoir l’air de réprimander Aude comme si elle avait été une enfant se braquant un peu trop vite. En fait, Kristen avait été un peu agacée. La remarque d'Aude lui semblait complètement déplacée au regard de la gravité de la situation. Par ailleurs, elle pensa que si Aude avait conscience du nombre de crimes – on ne parle pas forcément de meurtres, évidemment, Kristen n’était pas non plus une tueuse en série – qu’elle-même avait commis, elle n’aurait certainement pas amené la discussion sur ce terrain. Le moment viendrait où elle lui parlerait de tout cela, mais elle s’imagina que ce n’était pas encore pour maintenant.

« Je vous ai déjà dit que Sybille m’avait montré ce qu’il lui avait fait, et je vous ai déjà dit ce que je pensais de votre réaction. Si vous saviez ce que j’ai pu faire à celui qui a grandement contribué à gâcher ma vie, je peux vous assurer que vous vous considéreriez au moins comme une sainte. »

Elle enchaîna très vite pour ne pas laisser le temps à Aude de répondre, ne souhaitant pas spécialement s'étaler sur le sujet :

« Cette parenthèse étant fermée, j’aimerais en venir au fait. Comprenez que je ne prends aucun plaisir à vous poser ces questions, bien au contraire. »

Elle s’approcha de quelques pas d’Aude, mais resta tout de même assez éloignée d'elle. La réaction d’Aude avait fait naître chez Kristen une sorte de détermination et d’urgence, si bien qu’elle ne pensait plus à la ménager ou à éviter son regard.

« Vous venez de dire que vous ne lui aviez pas laissé l’honneur d’une sépulture. Qu’avez-vous fait de son corps ? »

Toutes ses répliques s'étaient enchaînées très vite, comme si cela avait pu être un moyen de mieux convaincre Aude qu'il n'y avait pas de temps à perdre avec des absurdités - car effectivement, penser que Kristen pourrait un jour voir en Aude une quelconque criminelle relevait pour elle de l'absurde. Les sourcils froncés et les yeux rivés vers son interlocutrice, Kristen espéra obtenir une réponse à sa question.

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16 avr. 2017, 16:25
Les éclats du cristal
12

FLORENCE


*


Elle me regardait et je la regardais. Mon rythme cardiaque était retombé. Ma bouche était moins pâteuse. Même mon regard était moins dur. Au coeur de cette accalmie, je pris soudain conscience d’une chose : ce n’était pas tant sa question qui m’avait fait sortir de mes gonds, mais l’indifférence avec laquelle elle m’avait traité. Ce n’était pas anodin. Depuis l’instant où j’avais appris son départ pour le ministère, j’avais craint pour sa vie, pour sa sécurité, craint de la perdre. Et maintenant qu’elle était de retour, que nous pouvions enfin nous retrouver, je supportais difficilement de la voir se détourner à nouveau de moi. Cette réaction ne me ressemblait pas, mais elle était plus forte que moi, comme un aimant qui m’attirait sans cesse dans la même direction. Je voulais être là pour Kristen, comme Kristen avait été là pour moi. C’était une chose que je ne comptais guère négocier. Un besoin vital.

Je n’en étais pas moins responsable de mes égarements. J’abaissais mes yeux sur mes genoux et soupirais sous le poids de mon accablement. Parler de lui me coûtait beaucoup mais Kristen ne me laissait aucune autre opportunité. Pour une raison qu’elle ne voulait pas me confier, elle avait besoin de savoir ce que j’avais fait de lui. Et parce que je voulais en savoir un peu plus sur elle, j’enregistrai dans un coin de ma tête les mots qu’elle avait soulevés au sujet de celui qui avait grandement contribué à gâcher sa vie dans le seul but de les ressortir plus tard, quand l’occasion s’y prêterait.

Me replonger dans les souvenirs de cette soirée me faisait mal. J’avais la sensation d’être empoisonnée par cette succession d’images, le ventre noué en signe d’angoisse. Mais puisqu’il le fallait… j’acceptai de me saigner pour elle, si douloureuse qu’en soit l’issue. La première chose qui remonta à la surface de ma mémoire furent les traits de son visage figés dans une expression ébahie. Il ne m’avait jamais cru capable de tuer… il me pensait trop douce, trop fragile, pour ça. Mais il n’entendait absolument rien à mon instinct maternel, rien au besoin viscéral de protéger le fruit de ma chair. Il avait agi par excès de confiance, comme souvent dans son cas. Et je l’avais puni sévèrement pour l’ensemble de ses crimes en le tuant de sang froid. Je voyais encore son corps s’écrouler sur le sol comme une marionnette désarticulée, un temps illuminé par l’éclat de la lumière verte…

« Rien, répondis-je d’une voix d’outre tombe. Je n’ai rien fait. Je l’ai laissé là et j’ai transplané. »

Ce n’est qu’en retrouvant la tiédeur de mon bureau que j’avais pris conscience de la portée de mon acte. Si quelqu’un, au ministère, venait à apprendre ce meurtre de sang froid, mes jours, que dis-je mes heures, auraient été résolument comptés. Mais personne n’en avait jamais rien su… hormis Kristen et Ricoter. Comme ce-dernier l’avait appris ? Je n’en avais pas la moindre idée. Mais aujourd’hui, seule Kristen était à même de me condamner. Ce qu’elle ne semblait pas résolu à faire. Elle avait préféré m’accueillir à bras ouverts, plus généreuse que tout ce que j’avais pu imaginer en la rencontrant.

« C’était dans une petite maison, au coeur de la ville de Florence, poursuivis-je sur le même ton. Il m’y avait donné rendez-vous pour me menacer une fois de plus. Tout le quartier n’était peuplé que de Moldus. Je suppose que son corps est resté là, pourrissant sur place en attendant que l’odeur du cadavre en décomposition n’alerte quelqu’un plusieurs semaines après. »

Les suppositions n’étaient que des illusions de l’esprit, le meilleur moyen de se persuader de quelque chose qu’on ne pouvait imaginer autrement.
16 avr. 2017, 17:19
Les éclats du cristal
En écoutant la réponse d’Aude, Kristen ne put s’empêcher de hausser un sourcil surpris. Entendre les mots « cadavre en décomposition » sortir de la bouche de cet être si délicat lui semblait assez étrange, mais en regardant Aude, on ne pouvait penser que lorsqu’il s’agissait de Legallet, elle était encore cet être fragile et délicat. Il y avait quelque chose d’autre qui l’animait alors.

De quoi Legallet pouvait-il bien menacer Aude ? En quoi avait-elle pu mériter d’être menacée ? Y avait-il un rapport avec sa maladie, l’apparence qu’elle se donnait grâce à ses illusions ? Kristen hésita à poser la question. La réponse pouvait-elle sincèrement l’aider à comprendre le fond de la situation actuelle ? Peut-être pas. Finalement, Kristen décida de laisser cette interrogation de côté, au moins pour le moment. Durant un certain temps qui parut extrêmement long, elle tâcha plutôt de décortiquer la réponse d’Aude à sa précédente question. Ayant obtenu ces informations, Kristen aurait pu vérifier que Legallet était bien mort en analysant les articles de fait-divers dans les journaux florentins sur une durée choisie, mais même ainsi, elle ne pouvait avoir la certitude qu’on en ait un jour parlé. Cela aurait été un travail long, fastidieux.

Elle enregistra donc toutes ces informations, qui ne la rassurèrent pas vraiment. Elle ne pouvait pas demander à Aude « mais avez-vous vérifié qu’il était bien mort ? » tant la question aurait pu sembler grotesque. Après avoir marmonné un « je vois » de transition, baissé les yeux quelques instants et fait un effort considérable pour les relever, elle se décida à enchaîner directement sur la question suivante. Le cœur du problème, à vrai dire.

« Il y a une autre question que j’aurais voulu vous poser… »

L’élan qu’elle avait senti avec son agacement s’était déjà essoufflé, et prononcer ces mots terribles était redevenu très difficile. C’était comme s’ils se coinçaient à un certain niveau de sa gorge et qu’ils ne pouvaient aller plus loin qu’au prix d’un effort franchement douloureux. Elle déglutit et dit d’un coup :

« A-t-il déjà tué en présence de Sybille ? »

Un sale goût de pressentiment.

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17 avr. 2017, 11:54
Les éclats du cristal
13

FALSIFICATION


*


Très peu de questions avaient le pouvoir de me prendre de court. Kristen avait simplement le don de les trouver.

Je lui lançai un regard interrogateur, ne comprenant toujours pas où elle voulait en venir. Mais son visage inexpressif me renvoyait une nouvelle fois à mes questionnements intérieurs sans y apporter le moindre éclaircissement. Avait-il déjà tué en présence de ma fille ? La réponse n’était pas si évidente contrairement à ce qu’on pouvait penser. Aucun meurtre n’avait été perpétué devant mes yeux, c’était une certitude. Mais maintenant que la question était posée, elle faisait remonter en moi le souvenir de la première nourrice de Sybille. La pauvre femme avait bel et bien été retrouvée morte près de ma fille, deux mois après son entrée en fonction, mais à l’époque, les médicomages avaient attribué son décès à un simple arrêt cardiaque. Rien ne l’accusait lui, donc ; cependant, la question de Kristen me troublait plus qu’elle ne l’aurait dû.

« Autant que je sache, non, répondis-je prudemment. »

J’avais le sentiment, en articulant cette réponse, qu’elle n’était pas assez convaincante ni pour Kristen ni pour moi. Et si le diagnostic des médicomages était erroné ? Non… c’était impensable… les médicomages de Monceau étaient des sorciers hautement qualifiés… mais s’il avait été falsifié ? Je fronçai soudain les sourcils. Etait-ce de la paranoïa que d’envisager la chose ? Ma petite voix intérieure me répondit aussitôt par la négative. A l’époque, son bras était déjà assez long au sommet de l’état. Imaginer qu’il ait pu commander la falsification de ce diagnostic n’était pas tiré par les cheveux… l’hypothèse soulevait cependant une question cruciale… pourquoi ?

Mon regard était noyé dans celui de Kristen quand sa question fit écho à celle que je me posais. Et si c’était lui qui l’avait tué ? Je décidai aussitôt de partager mes souvenirs avec Kristen, un mauvais pressentiment me pressant les entrailles.

« … attendez… la première nourrice de Sybille a été retrouvée morte à côté de son berceau… à l’époque, les médicomages nous avaient assuré qu’il s’agissait d’une mort naturelle… une attaque cardiaque… mais si ce n’était pas vrai ? S’ils avaient menti ? La pauvre femme… »

Je pouvais presque sentir l’afflux de sang dans mes tempes et les migraines poindre le bout de leur petit nez. J’avais le sentiment de plus en plus oppressant d’avoir été une parfaite idiote durant toutes ces années, sans qu’aucune confirmation de ce que j’avançais me soit pourtant apportée.

« Kristen, je vous en supplie, dites-moi ce que vous savez, lui demandai-je, la gorge nouée par l’angoisse. »