Les boucles d’oreilles reflétaient faiblement la lumière de la lanterne en papier. Les pierres de jade taillées en goutte étaient parfaites, les plus belles que Chu-Jung n’ait jamais vues. Quand il referma son poing sur elles, il ressentit leur fantastique pouvoir vibrer dans tout son corps.

Les brins d’herbe se couchèrent tout autour de lui comme s’ils pliaient sous le poids de vents tournants.

Hsin, son Qilin, releva sa gracieuse tête.

« Qu’est-ce que tu tiens là ? »

« Un cadeau de mère, répondit Chu-Jung en rouvrant son poing pour admirer encore une fois la beauté des boucles d’oreilles que sa mère lui avait fait parvenir. »

« Fais voir. »

Chu-Jung pivota vers sa créature-de-lien et agita les boucles d’oreilles.

« Ce sont de bonnes pierres, commenta le Qilin, les yeux plissés. Elles tireront le meilleur de ta magie. Mais prends garde. »

« A quoi ? »

« A ne les utiliser qu’en dernier recours. »

« Je sais. »

Chu-Jung savait très bien où Hsin voulait en venir. Tous les cadeaux de mère portent son influence, songea-t-il en faisant rouler les boucles d’oreilles dans sa main.

« Je ne l’aime pas. »

« Je sais. »

Chu-Jung accrocha les boucles d’oreilles en regardant droit devant lui la vaste étendue du parc de Poudlard plongée dans l’obscurité. Tant de noirceur lui rappelait inévitablement celle de sa mère et du traitement qu’elle lui avait infligé.

Un coup d’oeil vers les tours du vieux château lui révéla un peu moins d’une dizaine de fenêtres illuminées d’une lueur jaune orangé. Une bonne partie des élèves de Poudlard devait déjà dormir. Chu-Jung espérait que Diana figurait parmi eux.

La première épreuve était prévue dans quelques heures.

« Chu… »

Chu-Jung tourna sa tête vers Hsin. Allongé dans l’herbe, celui-ci reposa sa tête sur ses pattes avant.

« … quelqu’un approche. »

Chu-Jung pivota pour accueillir cette personne. Il s’inclina en plaçant une main contre son ventre en voyant le visage d’un professeur de Poudlard apparaître dans le cercle de lumière projeté par la lanterne en papier.


(Toutes les paroles en italique sont prononcées en mandarin.)

Il commençait à se faire tard, lorsque Sara se décida à faire une petite promenade dans le parc de Poudlard, loin de tous les petits tracas qui trottaient dans sa tête depuis quelque temps. Elle avait besoin d'espace, d'être seule, de réfléchir à tout ça. Mily, son elfe, veillait sur son petit garçon endormi depuis déjà plusieurs minutes, au même titre que de nombreux élèves résidant dans le château.

Depuis qu'elle était arrivée à Poudlard, les événements s'étaient enchaînés, au point qu'elle avait un peu de mal à suivre la cadence. Entre ses problèmes personnels, son fils, ses obligations de professeur et l'arrivée de la délégation chinoise, Sara n'avait su où donner de la tête. Elle ne se souvenait pas avoir passé un jour complet sans qu'il ne se passe quoi que ce soit ou qu'elle ne se sente pas bien à cause de choses diverses.

Elle se souvenait encore de sa scolarité à Poudlard, et plus les jours passaient, plus elle se répétait que tout avait bien changé. La vie au château n'avait pas été aussi mouvementée de son temps, même si au final, ce n'était pas plus mal. L'arrivée des chinois était une très belle opportunité pour les élèves et pour Poudlard en lui-même.

Alors qu'elle marchait baguette en main, lui servant de lampe-torche pour éviter de marcher là où il ne fallait pas, Sara constata une silhouette au loin. Pensant qu'il s'agissait d'un élève ne respectant pas le couvre-feu, elle se hâta de venir à sa rencontre. Lorsqu'elle fut à sa hauteur, elle remarqua qu'il s'agissait en fait de Chu-Yung Xue. À bien le détailler, il n'était pas comme dans ses souvenirs.

La main placée sur son ventre, Chu-Yung s'inclina face à Sara qui ne savait pas vraiment quoi faire. Devait-elle s'incliner, elle aussi ? Ce n'était pas vraiment dans ses manières, mais ne voulant pas paraître impolie, elle s'inclina légèrement. En voyant la lanterne en papier, elle éteignit sa baguette et la rangea dans sa poche, affichant en même temps son sourire habituel.

« Bonsoir M. Xue. Ne devriez-vous pas être couché ? Il me semble qu'une longue journée vous attend, avec Mlle Anderson et les fameux Mogwais. »

À ses côtés, Sara ne pouvait s'empêcher d'admirer la créature-de-lien du jeune Chu-Yung. C'était la deuxième fois qu'elle le voyait, et elle avait pourtant l'impression de le redécouvrir. Peut-être était-ce parce qu'elle était plus proche de lui, qu'elle pouvait regarder de plus près les détails de la créature ? En tout cas, une chose était sûre : elle était tout aussi fascinée que lors de l'arrivée de la délégation, quelques mois plus tôt.

Chu-Jung ratissa chaque recoin de sa mémoire pour retrouver le nom et la place hiérarchique de la femme aux longs cheveux noirs qui venait de faire irruption dans le cercle de lumière. Sara Bowers, professeur de métamorphose, se répéta-t-il mentalement, même s’il ne se souvenait plus très bien en quoi consistait la métamorphose pour les occidentaux.

Plus important, il devait justifier sa présence tardive, il est vrai, hors de la pagode.

« Je n’ai pas sommeil, finit-il par avouer. Alors je suis venu observé votre domaine sous un angle nouveau. La nuit offre une perspective unique. »

Sans être un mensonge — il n’avait réellement pas la moindre envie de dormir — Chu-Jung devait toutefois reconnaître qu’il ne disait pas tout à fait la vérité. Le domaine de Poudlard n’était pas si intéressant pour qu’il se sente l’envie de l’observer sous un angle nouveau. Ces étendues sauvages n’avaient rien d’extraordinaire. Il était certain, cependant, que sa réponse contenterait la curiosité du professeur Bowers et qu’elle en resterait là.

Chu-Jung se laissa captiver par la cicatrice qui zébrait la joue gauche du professeur Bowers. Mais prenant conscience de l’insistance de son regard, il rougit et baissa les yeux comme un enfant pris la main dans le sac par les yeux noisette de l’adulte.

« Veuillez m’excuser, dit-il en s’inclinant. »

Il l’était vraiment. Mais il ne pouvait s’empêcher de croire que l’histoire de cette cicatrice valait son pesant d’or. Il n’était qu’un garçon de onze ans, certes, mais Chu-Jung savait distinguer un beau visage d’un affreux et celui du professeur Bowers figurait, pour lui, dans la première catégorie. Un si beau visage ne pouvait souhaité une si vilaine cicatrice.

« Chu… »

Chu-Jung se redressa et jeta un coup d’oeil à Hsin dont la tête était relevée.

« Tu comptes me présenter ? »

Pris au dépourvu, Chu-Jung bredouilla à l’attention du professeur Bowers :

« Ah oui. Professeur Bowers, voici Hsin. Hsin voici Sara Bowers. Elle enseigne à Poudlard. »

Ne détachant pas son regard de la créature-de-lien, Sara attendait la réaction de Chu-Yung. Pour le moment, le ciel semblait dégagé, elle ne percevait pas un nuage porteur de mauvaises nouvelles, comme la pluie. Aussi, elle trouvait que c'était une belle soirée pour discuter.

Lorsque le jeune Chinois répondit enfin à sa question, la professeure de métamorphose détacha son regard de la créature, observant cette fois le château, baigné dans l'obscurité. Quelques lumières étaient encore allumées, çà et là, sûrement des élèves qui, comme Chu-Yung, n'avaient pas sommeil.

« Je suis d'accord. J'imagine que c'est différent de tout ça, chez vous ? »

Chu-Yung semblait être un enfant curieux. C'est du moins ce qu'elle imaginait lorsqu'elle constata que ce dernier observait la cicatrice sur sa joue. Cette cicatrice qui était d'ailleurs récente, de quelques mois à peine. Parfois, le Roi Squelette, ou du moins la marionnette, refaisait surface, quand elle dormait. Chaque fois qu'elle se réveillait, ressassant les souvenirs de cette terrible nuit, elle réfléchissait aux actions qu'elle aurait dû faire. Peut-être aurait-elle eu plus de chance, si elle avait eu le bon sens de comprendre que le squelette n'était pas le cerveau de l'opération. Certaines fois encore, elle entendait le rire malsain qu'avait produit la marionnettiste. C'était sans doute à ce moment, qu'elle aurait dû réagir. Elle n'avait pas assez analysé.

Baissant, rougissant et s'inclinant, Chu-Yung s'excusa pour l'insistance de son regard sur le visage de Sara. Un sourire plus large encore s'afficha sur son visage.

« Ce n'est rien, ne vous en faites pas. Je pense que c'est normal de se poser des questions, ça m'est arrivé, aussi. »

Après ces quelques paroles, la créature-de-lien et son maître, si on pouvait l'appeler ainsi, échangèrent des paroles dans une langue que Sara ne connaissait pas. Ne comprenant donc pas le dialogue, elle imagina ce qu'ils pouvaient bien se raconter. Ses réponses furent éclairées lorsque l'enfant fit les présentations.

« Eh bien, je ne sais pas si vous me comprenez, mais je suis ravie de vous rencontrer, Hsin. »

Sara était toujours du genre à se mettre à l'aise. Elle aimait particulièrement la compagnie d'autres personnes, notamment les enfants. Ils avaient quelque chose que les adultes n'avaient pas, peut-être une innocence qu'elle appréciait ou une vision du monde différente de celle des grands. Aussi, elle se sentait bien, ici. Et elle n'était pas prête de partir, enfin, pas temps que Chu-Yung ne se décide à retourner dans ses quartiers. Peut-être pourrait-il lui apprendre des choses sur sa culture, son pays, et sa magie, même ? Car elle était vraiment très différente de celles des sorciers britanniques.

« La façon dont vous utilisez votre magie me fascine. J'imagine qu'il faut des années de travail pour parvenir à de tels résultats, et une grande volonté aussi. Et vous êtes si jeune, pourtant. Est-ce un don propre aux personnes de votre culture ? »

Suite à ces nouvelles paroles, la jeune femme s'autorisa à s'asseoir en tailleur sur l'herbe du parc.

Naturellement, Hsin ne comprenait rien à l’anglais. Alors naturellement, Chu-Jung se fit le traducteur.

« Elle dit qu’elle est ravie de te rencontrer. »

Le Qilin tourna son regard, d’un fantastique vert émeraude, vers le professeur de Poudlard avant d’incliner la tête. Signe de son intérêt.

« Lui aussi, professeur, annonça Chu-Jung. »

Le professeur Bowers assit dans l’herbe, Chu-Jung crut bon de l’imiter tandis que la tête de Hsin reposait de nouveau entre ses pattes avant, au sol.

Face à la jeune femme, Chu-Jung hésita un moment à la regarder dans les yeux, de peur de s’attarder encore une fois sur sa cicatrice. Mais jugeant qu’il n’était pas convenable de lui répondre en regardant ailleurs, il prit sur lui et leva doucement ses yeux vers le visage du professeur Bowers. La tentation de dévier un tant soit peu de la trajectoire le titilla, mais il s’assura un regard fixe en réussissant à accrocher celui de l’anglaise.

« Un don ? demanda-t-il. Je ne suis pas certain de comprendre. »

Aussi loin que sa mémoire pouvait le projeter, Chu-Jung ne nourrissait pas le sentiment d’être exceptionnel parmi tous les sorciers talentueux qui vivaient à Zhuangyán. Bien au contraire. Parler d’un don quelconque lui semblait exagéré.

« Il n’y a qu’une seule vertu : le travail. Je travaille dur depuis l’âge de six ans. Comme tous les enfants qui, comme moi, ont la chance de grandir sous la bannière de Zhuangyán. Je n’ai reçu aucun coup de pouce. Mei et Qiong non plus d’ailleurs. Nous sommes très jeunes, des enfants encore, mais nous sommes surtout des étudiants. Alors nous étudions en essayant de nous améliorer. »

Chu-Jung se doutait bien, pour avoir observer quelques élèves de Poudlard à l’oeuvre, que sa réponse pouvait passer pour surprenante aux yeux d’un adulte, mais dans la culture chinoise l’école n’était pas un lieu de détente. Mais un lieu d’instruction. A Poudlard, la culture était quelque peu différente.

« J’ai l’impression qu’à Poudlard, il y a beaucoup de place pour les distractions. Certains élèves peuvent être tentés d’oublier pourquoi ils sont là. »

Quelques fois, Chu-Yung parlait dans l’autre langue, quelques secondes après, il revenait à l’anglais. Sara se doutait qu’il devait jouer les traducteurs car sa créature-de-lien ne devait sans doute pas comprendre un mot de ce qu’elle pouvait raconter. D’ailleurs, un énième sourire se forma sur son visage lorsque le Qilin inclina sa tête et que Chu-Yung lui raconta qu’il était également ravi de cette rencontre.

Après son mouvement, Chu-Yung imita la jeune femme. Ainsi, les trois personnages se trouvaient en plein milieu du parc de Poudlard, assis et couché dans l’herbe verte et fraîche. Elle aurait dû s’attendre à une telle réaction de la part de l’enfant, lorsque la professeure de Métamorphose demanda s’ils possédaient un don.

Elle écoutait alors attentivement chaque parole de l’enfant, tentant de comprendre au mieux le fonctionnement de leur école, leur pays. À la fin, elle en était toute éberluée. Elle pouvait comprendre que pour certains, le travail était une chose des plus importantes qu’il soit, que sans travail, on n’arrivait à rien. Mais était-ce une raison pour inciter des jeunes enfants à devenir des machines de guerre dès leur plus jeune âge ? De ce qu’elle comprenait, Chu-Yung ne vivait que pour le travail, que pour être les meilleurs et accomplir de grandes choses.

Sara eut alors un pincement au cœur, cela voulait-il donc dire que Chu-Yung n’avait pas le droit de prendre une pause de temps en temps ? Et s’il avait pu lui-même choisir sa voie, aurait-il travaillé si dur ? Car les ses propres conclusions menaient Sara vers une obligation de la part des parents de Chu-Yung. Pour elle, il n’était pas maître de son destin. Enfin, peut-être s’imaginait-elle trop de choses, peut-être aussi que c’était ce que voulait Chu-Yung.

« J’ai l’impression qu’à Poudlard, il y a beaucoup de place pour les distractions. Certains élèves peuvent être tentés d’oublier pourquoi ils sont là. »

C’est en entendant ces dernières paroles que Sara constata l’ampleur des dégâts. Parce que même si les activités proposées à Poudlard comme le Quidditch ou les divers clubs, pouvaient déconcentrer un peu trop certains élèves, il n’en restait pas moins que d’autres travaillaient très bien et arrivaient à acquérir de belles compétences en matière de magie. Chu-Yung devait être beaucoup trop confronté au travail et n’avait sûrement pas la possibilité de se détendre, de penser à autre chose et c’était fort dommage. Sara avait toujours pensé que travailler et se distraire étaient des choses importantes qu’il fallait parvenir à concilier les deux pour trouver un bon équilibre et être bien. L’enfant ratait beaucoup de choses en ne pensant qu’au travail.

« Apprendre, étudier et travailler sont des choses très importantes, mais ne pensez-vous pas qu’il faille penser à autre chose de temps en temps ? Certains parviennent à trouver refuge le temps d’un instant à travers le Quidditch par exemple, ou via le club d’échec ou de Bavboules. C’est parfois un moyen pour eux de prendre du recul, de se reposer de toutes les choses qui pèsent sur leurs frêles épaules. Vivre dans un endroit où seul le travail est présent ne doit pas être forcément facile. Chacun a droit à son échappatoire. Vous ne pensez pas ? »

Elle regarda l’horizon quelques instants, puis repris la parole doucement, sans laisser le temps à Chu-Yung de répondre.

« En tout cas, je ne pense pas qu’ils oublient la raison pour laquelle ils sont ici. Dit-elle avec le sourire. »

Son regard se portait sur Chu-Yung puis virait vers sa créature-de-lien. En quelques minutes, une idée assez farfelue lui arriva en tête. C’était peut-être un peu osé, Chu-Yung n’accepterait peut-être pas, d’autant plus qu’il était tard, mais elle tenta quand même. Elle n’avait rien à perdre après tout.

« Que diriez-vous de vous distraire, vous aussi ? Vous accepteriez de faire une simple partie d’échec en ma compagnie ? Je suis sûre que cela vous fera le plus grand bien. Après tout ce que vous avez enduré et tout ce que vous endurerez, vous méritez bien une petite pause. »

Vraiment navrée pour le retard, je tâcherai de faire plus vite les prochaines fois.