Le jeune homme prit une grande inspiration avant d'entrer dans le bâtiment de la gazette du Sorcier. Cyril devait être interviewé par un journaliste à propos d'une plante très à la mode en ce moment dans les foyers de sorcier, car, en plus d'être élégante, et de produire des fleurs magnifiques, elle pouvait disait-on, empêcher la poussière, et nettoyer les restes de nourriture. La personne qui l'avait contacté souhaitez en savoir plus, et avoir l’avis d'un professionnel et de pas de simples rumeurs, pour un prochain article. Comme il habite sur Londres, le botaniste avait proposé de passer directement à la Gazette.

Il s'avança vers la secrétaire, lui donna sa carte de visite, et lui dit qu'il avait rendez-vous avec un journaliste à 15h30. Elle lui répondit de sa voix grinçante :
-Je vous emmènerai dans le bureau de la rédac chef, dès qu'elle sera disponible. Vous pouvez patienter sur ce banc là en attendant.

Elle lui montra de la main un petit banc en bois, garni de petit coussin, parmi lesquels il s'installa confortablement. Il était un peu stressé et relu ses notes rapidement. Chose tout à fait inutile vu qu'il les connaissaient déjà par cœur. Il se recoiffa correctement, et vérifia qu'il n'y avait pas de taches sur sa chemise. Il avait troqué son habituel tablier taché, contre une chemise et un pantalon repassé. Il eu encore le temps de retirer une petite branche de ses cheveux avant que la secrétaire lui fasse signe. Un journaliste qui passait par là lui montra le chemin.

Il toqua à la porte, et l'ouvrit quand on lui demanda d'entrer. Il fit un pas dans la pièce et se présenta :
-Enchanté, je suis Cyril Watson, encore merci de m'avoir invité pour cette interview...
Une jeune femme blonde qui devait avoir le même âge que lui se trouvait dans la pièce. Lorsque celle-ci releva la tête, il s'interrompit :
-Chioné !!!

La pointe de la Plume était en suspension à quelques centimètres du parchemin. La jeune femme consultait ses dernière notes et tentait de rédiger quelques phrases pour clarifier un peu ces thèmes épars. Depuis plusieurs secondes elle n'avait pas fait entrer l'encre en contact avec les fibres de papier. Elle ne parvenait à se concentrer pour ordonner ses mots. Pourtant elle avait un dossier important à finaliser et cette hésitation ne l'aidait pas. La Rédactrice souffla et se leva pour porter son regard vert vers l'extérieur. C'était plutôt calme, Chioné aimait ce silence dont elle pouvait bénéficier à certains moments de la journée. Certes ses locaux étaient un peu à l'écart dans le Chemin de Traverse, mais il pouvait y avoir des échos lors des grands moments d'effervescence. La sorcière avait commencé à marcher dans son bureau et s'était arrêté, songeuse, devant son panneau de liège. Jusqu'à ce que des sons distincts atteignent son ouïe et lui fissent tourner la tête. De la visite... La jeune Ajax convia cette personne à entrer, la voix distante.

Un être à la voix masculine se présenta  sous une identité que la journaliste était certaine de ne pas côtoyer pour la première fois. Cyril Watson, voilà qui sonnait étrangement familier. L'adulte tourna la tête pour attraper du regard le nouvel arrivant. Elle n'eut pas l'occasion de prononcer le moindre mot quand elle fut coupé par son interlocuteur qui l'interpella. Chioné dû se retenir de corriger automatiquement avec un "Mrs. Ajax" et se concentra quelques instants sur cet homme. Ces traits... se transposait à présent les lignes d'un visage enfant puis adolescente.  Ce jeune élève qu'elle avait par de ponctuelles occasions côtoyé lors de ses années à Beauxbâtons se retrouvait manifestement devant elle.  Il avait évolué entre temps. L'étonnement passé, la sorcière parla.

« Cyril Watson, bonjour. C'est donc dans la capitale londonienne que nos chemins se recroisent... »

Deux étudiants de France se faisaient face, en Angleterre, alors qu'ils venaient en apparence de deux mondes distincts, un petit lien les réunissait, les quelques instants de scolarité par lesquels tout jeune magicien passe. Plus d'une décennie s'était écoulée, le temps pour que les souvenirs s'estompent et que le peu d'aisance dans les contacts disparaisse. Chioné était incertaine quand à la posture à adopter. Elle opta pour une poignée de main, avant de reculer de quelques pas. L'allemande laissa alors son camarade s'exprimer et réagir à son implicite remarque.

Lorsque la jeune femme lui répondit, Cyril regretta aussitôt son élan de familiarité. En effet, cette personne, il la connaissait. Ses traits lui étaient familiers, et pour cause, c'était Chionée Ajax, une ancienne camarade de Beauxbâtons, avec qui il avait toujours eu une relation amicale. Malheureusement, le temps a fait son œuvre, et leur camaradrie passé avait lentement muée en cordialité polie. La revoir faisait resurgir en lui des souvenirs très lointain, qu'il pensait avoir définitivement oublié. Il se ressaisit, et serra la main qu'on lui tendait. D'un ton qui se voulait égale à celui de la journaliste, il répondit.
-En effet miss Ajax, en lisant votre, courrier, je m'étais attendu à tout, sauf vous.

Ayant peur de commettre un nouvel impair, il ajouta :
-Je ne dis pas que cette rencontrer m'est désagréable, bien au contraire !

Maintenant, qu'ils se trouvaient en face, Cyril put détailler sa vieille connaissance. Il rit intérieurement en pensant au visage qu'il lui connaissait et celui qu'elle avait maintenant. Décidément, il n'en revenait pas. De toute façon, même s'il avait été prévenu, il n'y aurait pas cru. Ainsi donc, la rédactrice en chef de la gazette du sorcier était miss Ajax. Les planètes sont alignées aujourd'hui. Après quelques instants de réflexions, il trouva étrange qu'il ne se soit pas revu plus tôt. Ce n'était pas la première fois qu'il offrait un article à la gazette.

L’Allemande, se tenant le menton entre deux doigts, détaillait le sorcier lui faisant face, plongée dans les interrogations du temps qui avaient commencées à la prendre. Elle s’interrogeait sur la personne qu’il était, sur ce dont était capable le travail des années sur un être, à quel point il pouvait en être creusé. L’accumulation du flou des souvenirs et de la distorsion menée par la longue période de distance faisait presque de cet homme lui faisant face un étranger, un étranger qu’elle avait pourtant côtoyé quotidiennement à une lointaine époque. Étrangeté que le pouvoir des grains de sable qui s’égrènent jusqu’à noyer et se faire s’effriter toute construction. De rugueuses perles de temps s’entrechoquant et abîmant leurs pairs. Chioné songeait à tourner quelques pages en arrière, à retrouver un passé, mais elle n’était pas certaine que l’exhumait ensemble était la meilleure idée qui soit. Alors qu’elle naviguait au sein de son tourbillon d’émissions silencieuses, son regard vert capta des mouvements de lèvres, elle ne capta le propos que de manière parcellaire, sa tête fit un vague mouvement de balancement en réponse.

« Il suffit de peu pour surprendre à ce que je vois. »

La sorcière Ajax tendit sa main en direction de fauteuils qui trônaient dans un coin de son bureau, destinés principalement aux invités, considérant qu’elle s’y posait que rarement, si ce n’est jamais. Cyril pourrait avoir le besoin de se reposer, d’où sa proposition silencieuse, qu’il était libre de saisir au vol ou de rejeter. L’ancienne élève de Beauxbâtons ne bougea pas pour sa part, elle était bien mieux debout. La journaliste se mut avec fluidité en son espace qu’elle connaissait si bien pour poser sa main sur une boiserie qui l’ornait et en suivre les motifs distraitement. En son décor quelques traces de l’élégance française subsistaient et manifestaient cette parcelle qu’elle avait développé, bien que l’empreinte la plus ancrée en elle de ce raffinement se retrouvait au sein de sa magie.

« La Botanique… par quel chemin ? »

Sans le dire Chioné attendait un dévoilement de la part de son ancien camarade, la narration de sa route lui livrerait beaucoup, de quoi comprendre la nouvelle personne qui s’était immiscé sur le vagabondage de vie de la magicienne allemande. L’esprit de la jeune Ajax s’éloigna pour explorer un autre temps, et retrouver d’autres présences essentielles qui l’avaient forgées lors de son adolescence. De revoir ce rappel, cela avait réveillé en elle la mémoire de ces sorciers par lesquelles elle était liée par une forme de lumière qu’eux seuls comprenaient.